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Bulletin Quotidien Europe N° 12809

12 octobre 2021
REPÈRES / Repères
Monsieur Morawiecki, soyez cohérent : activez l’article 50 du TUE !

Que cette référence ne vous dise rien serait stupéfiant, mais pour la clarté de l’enjeu, rappelons-en les phrases clés : « 1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. 2. L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ». Pas de souci : le système a été rodé !

Au moment de l’adhésion effective de la Pologne (1er mai 2004) – plébiscitée à plus de 77% par son peuple (juin 2003) –, cet article figurait dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe (article I-60) qui allait être signé par tous les représentants des États membres, dont le vôtre, le 29 octobre 2004 à Rome. C’était aussi le cas des articles relatifs à l’établissement de l’Union (I-1) et à la Cour de Justice de l’Union européenne (I-29).

En avril 2008, le Parlement polonais, à une écrasante majorité, ratifia le traité de Lisbonne, qui avait été adopté à l’unanimité des États membres et qui reprenait des dispositifs de nombreux articles du traité constitutionnel, dont les précités. Cependant, à l’époque, le Président Lech Kaczynski, membre de votre parti, s’était distingué en ne consentant à signer le traité qu’après la ratification irlandaise (qui ne fut acquise qu’avec le second référendum en Irlande) ; le Président de la Commission, José Manuel Barroso, avait dû lancer un message d’alerte : « J’espère que les autorités polonaises seront cohérentes avec leur propre position ». La cohérence, déjà…

Le parti ultraconservateur, improprement baptisé Droit et Justice (PiS), remporta les élections législatives de novembre 2015. Bien que non parlementaire, vous fûtes immédiatement nommé vice-président du Conseil des ministres et devîntes membre du PiS en 2016.

Tous les politiques ayant à cœur de bâtir un régime autoritaire, voire totalitaire, s’empressent d’éliminer ou de contrôler strictement les contre-pouvoirs. Le système judiciaire allait faire l’objet de réformes rabotant son indépendance. Ainsi, le tribunal constitutionnel fut renouvelé, ce qui entraîna des manifestations de protestation.

Le 13 décembre 2017, vous deveniez Président du Conseil des ministres, mais sept jours plus tard, la Commission européenne décidait d’engager une procédure contre la Pologne pour violation de l’État de droit, en vertu de l’article 7 du TUE. Cette procédure, toujours en cours, ne vous dérange pas, puisque l’unanimité au Conseil européen est requise pour qu’elle débouche sur d’éventuelles sanctions et que vous pouvez compter sur l’entière solidarité d’un gouvernement ayant des objectifs semblables au vôtre : le hongrois. L’axe Varsovie-Budapest a encore démontré sa solidité dans son hostilité au règlement sur la conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l’État de droit. La Commission a multiplié les procédures et la Cour de Justice de l’UE a condamné votre pays à plusieurs reprises. Vous avez cependant persévéré dans la même voie.

Nous étions donc dans une « drôle de guerre », mais depuis le 7 octobre, c’est la vraie guerre. Les réactions des responsables politiques européens (EUROPE 12808/1) et de la société civile en témoignent. En mars dernier, vous aviez déposé une requête devant le tribunal constitutionnel, présidé par Julia Przylebska, une proche de Jaroslaw Kaczynski, le vrai chef de votre régime. Puisque la Cour de Justice devenait dérangeante, il fallait contester sa légitimité. De plus, votre politique commençait à avoir un coût financier : astreintes imposées par la Cour, gel des aides européennes aux régions ‘sans idéologie LBGTI’ (un autre marqueur des régimes illibéraux), mise en œuvre probable du règlement précité, risque de blocage du plan de relance polonais (une manne de 36 milliards d’euros) par la Commission ou le Conseil. En interne, il fallait aussi consolider votre fragile majorité en donnant des gages à l’aile eurosceptique. En zélé serviteur du régime, le tribunal constitutionnel, après plusieurs reports, rendit son arrêt au moment jugé politiquement le plus opportun.

Cet arrêt va très loin, puisqu’il décrète l’incompatibilité des articles 1 et 19 du Traité sur l’Union européenne avec la Constitution polonaise (EUROPE 12807/1). La primauté du droit européen sur les droits nationaux, dans les domaines relevant des traités, était ouvertement contestée.

L’article 1 a un caractère évidemment fondateur : « Par le présent traité, les HAUTES PARTIES CONTRACTANTES instituent entre elles une UNION EUROPÉENNE, ci-après dénommée « Union », à laquelle les États membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs. Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. L’Union est fondée sur le présent traité et sur le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (désignés ci-après « les traités »). Ces deux traités ont la même valeur juridique. L’Union se substitue et succède à la Communauté européenne ». Le texte est limpide, compréhensible par le commun des mortels.

Quant à l’article 19, il décrit la Cour de Justice, qui « assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités ». Si la prééminence de cette Cour est abolie, l’Union entre en phase de dislocation.

Ces deux articles ne sont pas neufs, ils datent de la signature du traité de Lisbonne en 2007 et de son entrée en vigueur en 2009 ; ils n’ont pas été modifiés. Et voici qu’en octobre 2021, le tribunal constitutionnel d’un État membre estime soudain qu’ils portent atteinte à la souveraineté nationale.

Monsieur le Président du Conseil, de deux choses l’une. Soit vous respectez cet arrêt et en tirez les conclusions qui s’imposent, soit vous respectez la signature de votre pays au bas du traité de Lisbonne et toutes les conséquences qui en découlent. Vous avez brièvement déclaré, en termes ambigus, que la Pologne voulait rester dans l’Union. Mais pour quoi faire ? Sur l’avenir de l’Union, conceptuellement, la contribution de votre gouvernement est nulle. Dans les domaines de la politique étrangère, de la défense, du climat, des migrations, quelle est aujourd’hui la valeur ajoutée de la Pologne ?

Les valeurs de l’Union n’intéressent pas votre gouvernement, à l’inverse des financements qu’elle apporte. Votre pays est le plus important des bénéficiaires nets du budget. Dans l’idéologie de votre majorité, ‘Bruxelles’ est le « cochon de payeur » et n’a pas à s’occuper du respect de l’État de droit dans les États membres.

Après le coup de force du 7 octobre, qui légitime la poursuite de votre politique, et même son intensification, quelle sera la prochaine étape ? La fermeture du Collège d’Europe de Natolin (à un jet de pierre de votre Chancellerie !) où le droit européen est enseigné à des centaines d’étudiants de nationalités diverses ? La suppression des sondages d’opinion en Pologne qui confirment la haute popularité (80%) de l’Union ? De nouvelles atteintes à l’indépendance des magistrats, de la presse ? Dimanche dernier, des manifestations pro-européennes ont eu lieu à Varsovie et dans d’autres villes. Vous n’en tiendrez pas plus compte que des précédentes.

Pour la Souveraineté de la Pologne, pour sa Grandeur nationale restaurée, pour son autochtonie parfaite, bref ,pour réaliser le somptueux rêve des Kaczynski et entrer dans l’Histoire, quittez cette Union européenne que votre régime compare volontiers à l’Union soviétique. Vous n’êtes pas forcé d’y rester : le traité vous offre un passeport pour la liberté : activez l’article 50 !

Vous hésitez ? Votre tribunal constitutionnel contesterait-il aussi cet article ?

Renaud Denuit

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