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Bulletin Quotidien Europe N° 13090

23 décembre 2022
REPÈRES / RepÈres
2022, Année européenne de la guerre et de la corruption

Officiellement, 2022 aura été l’Année européenne de la Jeunesse. Le saviez-vous ? Avez-vous lu quelque chose à son sujet dans la presse ?

Le 14 octobre 2021, la Commission européenne en avait fait la proposition. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE adoptèrent de justesse leur décision conjointe le 22 décembre. À cette époque, la présidente de la commission parlementaire chargée de l’éducation et de la culture, Sabine Verheyen, constatait que l’initiative était largement méconnue. Le financement minimal de l’Année s’élevait à 8 millions d’euros, dont l’origine restait floue. Lourd de 33 considérants emphatiques sur l’importance de la jeunesse européenne, l’acte énumérait quatre objectifs : redonner des perspectives aux jeunes, leur donner les moyens d’agir, y compris via l’animation socio-éducative, les aider à mieux comprendre les politiques publiques au niveau de l’UE et à tous les autres niveaux, et enfin, intégrer la politique en faveur de la jeunesse dans tous les domaines pertinents de la politique de l’Union.

Suivant une méthode rodée, un site internet de l’Année fut constitué, permettant aux jeunes de s’exprimer, de s’informer, notamment sur tout ce que fait déjà l’UE en leur faveur (Erasmus, etc.). Une carte interactive, alimentée par les coordinateurs nationaux, aura compilé quelque 9 000 événements organisés dans… 55 pays. Peu importait la taille ou le retentissement de ces événements, tout faisait farine au moulin. Des activités récurrentes furent intégrées dans les réalisations de l’Année. La Conférence sur l’Avenir de l’Europe fut mise au crédit de l’Année et vice-versa. Les médias ne suivirent pas, sauf à l’occasion d’une faute de la campagne de communication : une jeune femme voilée apparaissait dans une vidéo, célébrant l’urgence de parler des valeurs européennes et de l’avenir de l’inclusion ; beaucoup y virent une promotion de l’Islam et de la soumission des femmes. Face au tollé, la Commission dut retirer cette vidéo.

Le 30 août, Euractiv titrait par un verdict : « Négligée et reléguée au rang de symbole : l’Année européenne de la jeunesse n’est pas à la hauteur », en s’appuyant sur des déclarations d’eurodéputés et du vice-président du Forum européen de la Jeunesse. En novembre, le Parlement européen adopta une résolution sur le bilan de l’Année, demandant que les jeunes soient pleinement associés à l’élaboration des politiques et des prises de décision dans l’Union, que des informations soient fournies sur le financement exact de l’Année et que celle-ci soit prolongée jusqu’au 9 mai 2023 (EUROPE 13070/25). Cependant l’événement de clôture eut bien lieu le 6 décembre… au Parlement européen, avec 700 participants, dont de nombreux jeunes.

Le Parlement se plaignit aussi du caractère tardif de la proposition de la Commission, qui avait handicapé l’efficacité du projet. Pour l’Année européenne du Rail 2021, l’institution s’y était prise plus tôt (mars 2020), mais la décision conjointe du Parlement européen et du Conseil ne fut acquise que le 23 décembre. Le lancement officiel eut lieu le 29 mars 2021, mais l’initiative resta méconnue durant plusieurs mois (EUROPE 12729/1). Du 2 septembre au 7 octobre, le train ‘Connecting Europe Express’ effectua un trajet à travers l’Europe, faisant étape dans une centaine de villes (EUROPE 12777/7). Cette initiative spectaculaire de la SNCF sauva l’Année d’un échec cuisant, dès lors que les problèmes concrets (pénurie de matériel roulant de nuit, déficit d’interopérabilité, prix des voyages) n’avaient pas fait l’objet de solutions qui eussent relancé l’usage du train. La Covid-19 fut une coupable aisément désignée. Point positif tout de même : en février 2022, lors de la clôture de l’Année, l’entreprise commune ‘Europe’s Rail’ pour un transport ferroviaire plus abordable et efficace fut inaugurée (EUROPE 12895/31).

Pour 2023, nous aurons une Année européenne des compétences, qui a fait l’objet d’une annonce dans le discours sur l’état de l’Union le 14 septembre et d’une proposition de la Commission le 12 octobre (EUROPE 13041/20). À ce jour, la décision du Parlement et du Conseil n’est toujours pas acquise, ce qui alimentera de nouveaux regrets sur le démarrage tardif du projet et sa performance.

Il n’en fut pas toujours ainsi. Par exemple, pour l’Année européenne du dialogue interculturel (un thème fondamental aujourd’hui passé de mode dans l’eurosphère), la décision fut acquise en décembre 2006, alors que l’Année commençait en janvier 2008, avec un budget spécifique de 10 millions d’euros, dont 3 millions pouvaient être engagés dès 2007. Le résultat final, bien préparé, fut un incontestable succès.

Mais ne tirons plus sur l’ambulance et regardons la réalité en face : la véritable ‘Année européenne 2022’ est celle de la guerre et de la corruption.

Le 24 février, notre jeunesse découvrit la guerre en Europe. Déjà, la pandémie, le dérèglement climatique, l’incertitude quant à l’emploi, voire la précarité, avaient sur elle des effets anxiogènes avérés, mais au moins, la paix semblait acquise. Malgré les avertissements venus de Washington et les manœuvres militaires russes de grande ampleur, la plupart des dirigeants jugeaient que Poutine n’avait « aucun intérêt » à attaquer l’Ukraine, pays ami de l’Union, mais la logique d’un dictateur a largué la raison. Là-bas, ou plutôt tout près, d’autres jeunes étaient mobilisés, risquant leur vie pour défendre leur patrie. L’incroyable se produisait, bouleversant nos perspectives, dont les projets optimistes ou indolores des institutions pour la nouvelle génération. Crimes de guerre et charniers, vagues de réfugiés, aides militaire et humanitaire, réarmement, sanctions répétées, crise énergétique, inflation, tel était le nouveau décor, planté pour longtemps.

Pourtant, cette année fut marquée par un renforcement de la solidarité au sein de l’Union européenne, qui s’est manifesté de semaine en semaine. Son attractivité s’est confirmée par plusieurs demandes d’adhésion (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Kosovo). La politique d’élargissement vers les Balkans occidentaux s’est réveillée. Le Pacte vert n’est pas affecté : au contraire, l’investissement dans les énergies renouvelables va s’intensifier. Un travail de reconquête de notre indépendance économique est amorcé. Cependant, l’UE reste en panne de générosité, comme l’atteste le traitement honteux des migrants non-Européens, que semblent valider nos opinions publiques.

Cette année 2022 est aussi celle de la corruption : non que celle-ci soit neuve, bien sûr, mais par son caractère déterminant, omniprésent. Le règlement sur la conditionnalité liée à l’État de droit était théoriquement en vigueur depuis janvier 2021, mais les lignes directrices y relatives furent enfin publiées le 3 mars 2022 par la Commission, tenant compte des arrêts de la Cour de justice de l’UE. Pourquoi cette bataille ? Parce que les instruments existants (article 7 du TUE, Cour des comptes de l’UE, OLAF…) ne suffisaient pas, face à des détournements de fonds de caractère étatique et systémique. Pour protéger le budget de l’UE, la Commission a proposé de suspendre une partie des fonds communautaires au titre de la politique de cohésion destinés à la Hongrie, ce que le Conseil de l’UE a décidé le 15 décembre, à hauteur de 6,3 milliards d’euros (EUROPE 13085/8). Cette épée de Damoclès sera maintenue tant que des réformes requises n’auront pas été réalisées pour éviter les violations de l’État de droit.

La Hongrie n’a bien sûr pas le monopole de la corruption dans l’UE, mais depuis juillet 2021, de nombreux États membres ont adopté des stratégies exigeantes de lutte anticorruption. Selon le rapport 2022 sur l’État de droit dans l’UE, publié en juillet par la Commission, la situation en Bulgarie et en Grèce reste préoccupante pour les affaires de corruption à haut niveau, mais aussi, en raison de la longueur des enquêtes et des poursuites, à Malte, en Tchéquie et en Espagne. Au demeurant, selon l’Eurobaromètre spécial sur le sujet, publié cette année, 68% des citoyens de l’UE estiment que la corruption est répandue dans leur pays et 41% considèrent qu’elle a augmenté.

Le veto mis, tout récemment, par les Pays-Bas à l’entrée de la Bulgarie dans l’Espace Schengen se fondait aussi sur les risques liés à la corruption (EUROPE 13085/5 et 13086/33).

S’agissant des pays candidats à l’adhésion, qu’ils soient des Balkans occidentaux ou d’Europe orientale, la lutte contre la corruption revient à tous les coups parmi les réformes à effectuer. On l’a encore vu lorsque le Conseil marqua son accord sur l’octroi du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine, le 13 décembre (EUROPE 13083/24). Le lendemain, c’est le Parlement européen qui, adoptant un rapport sur la Géorgie, invitait les autorités du pays à intensifier la lutte contre la corruption (EUROPE 13084/12), ce qui était d’autant plus mémorable et piquant que l’institution était elle-même en proie à des révélations de grave corruption en son sein depuis le 9 décembre.

La grande presse et notre agence (EUROPE 13082/1) ont fait largement écho à ce ‘Qatargate’, appelé ainsi, bien que le Maroc puisse être aussi de la partie. On hésite entre l’indignation (avec 1,5 million d’euros, que de migrants grelottants qui auraient pu être hébergés !) et la raillerie (ces valises de billets trimbalées par papa, sa fifille et le boy-friend de celle-ci, quel amateurisme ringard, oscillant entre les Pieds-Nickelés et la Bande à Bonnot !). On est bluffé par le cynisme du label de l’ONG ‘Fight Impunity’, bébé de l’ancien eurodéputé Panzeri, chevalier blanc présumé d’une juste cause ayant séduit, pour un temps, Bernard Cazeneuve, Emma Bonino, Dimitris Avramopoulos et Federica Mogherini. On se demande où cela va s’arrêter, car si l’eurodéputé Marc Tarabella est aussi inquiété, c’est toute la galaxie sociale-démocrate gréco-latine qui va devoir faire sérieusement le ménage en son sein.

L’affaire a évidemment bouleversé tout le Parlement européen. À sa tête, la réaction à chaud laissa rêveur : « Le Parlement européen est attaqué » (par les temps qui courent, on se demande si une bombe a été larguée sur un de ses bâtiments). « La démocratie est attaquée » (ah bon ! les Qataris y vont fort !). « Notre mode de vie est attaqué » (alors oui, le mode de vie européen doit être protégé et non promu !).

Dans l’émotion, le Parlement se hâta d’adopter, le 15 décembre, à la quasi-unanimité, une virile résolution, punissant le Qatar et annonçant un train de réformes internes (EUROPE 13085/20). Cette panique n’était pas feinte. Les eurodéputés, enivrés d’appartenir à la première institution de l’Union, et la plus démocratique, considéraient qu’ils n’avaient de comptes à rendre qu’à leurs électeurs, leur popote interne n’étant pas à contrôler, puisque le pouvoir de contrôle, c’était eux-mêmes. Mais à 18 mois des prochaines élections européennes, le risque d’une légitimité affaiblie est réel. Grand donneur de leçons de moralité publique, le Parlement, par la faute de quelques brebis galeuses, ne ressemble plus au bon berger. L’arroseur arrosé doit se relever.

Vint le solstice d’hiver. L’on vit, sur nos écrans, Poutine décorant les chefs des républiques désormais russes, mais où progressent les forces ukrainiennes. La scène était kitsch, surréaliste : Vladimir rappelait à la fois Ubu Roi et Néron en son crépuscule. Pendant ce temps, le Président Zelensky était sur le terrain, à Bakhmout, au milieu de ses combattants. Reconnu internationalement comme ‘personnalité de l’année, il incarne le courage et la sincérité – un modèle inspirant pour la jeunesse.

Plutôt que de tenter de vendre aux jeunes une Europe lénifiante, positive ou ‘bling-bling’, les institutions de l’UE feraient mieux, cette fois, de s’effacer, en faveur d’une exemplarité tragique située en dehors d’elles-mêmes. Alors, si elle aide à entrer dans le tragique assumé, l’Année européenne 2022 aura été, quand même, celle de la jeunesse.

Renaud Denuit

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