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Bulletin Quotidien Europe N° 13135

7 mars 2023
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N° 078

Le temps de la démondialisation

Avec cet essai, Guillaume Vuillemey, professeur de finance à HEC Paris, entend « renouveler en profondeur la critique de la mondialisation ». À ses yeux, « le fait dominant de la mondialisation n’est pas l’allongement de la distance dans les échanges, mais la mise en concurrence des pays et, in fine, la possibilité de s’abstraire presque complètement de toute contribution aux biens communs ». Aussi, l’auteur estime-t-il « urgent d’inventer une nouvelle forme de souveraineté économique, requérant un protectionnisme social et environnemental ».

S’il ne prétend pas « nier l’évidence, à savoir que la mondialisation a effectivement mis à notre disposition tout ou presque sur la planète, à prix bas », Vuillemey souligne que « certains besoins qui ne se réduisent pas à la consommation individuelle ne sont plus adéquatement satisfaits ». Il énumère : la jouissance d’un environnement naturel sain ; le sentiment d’un ordre social juste ; l’existence d’appartenances collectives fortes ; la nécessité de donner du sens aux activités quotidiennes. « En tant que consommateurs privés, nous n’avons jamais eu autant de possibilités de satisfaire nos propres ‘besoins’ ; mais en tant qu’êtres sociaux et politiques, notre vie est d’une pauvreté plus grande que par le passé. C’est comme s’il y avait deux mondes : celui, florissant, des intérêts privés, et celui, en déshérence, des intérêts collectifs », écrit l’auteur.

L’ouvrage accorde une large place aux coûts cachés de la mondialisation, qu’ils soient directs, comme dans le cas des transports maritime et aérien, du fait de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre qu’ils génèrent, ou indirects, avec les délocalisations qui permettent à des industries de s’extraire des conditions fiscales et réglementaires les plus rigoureuses pour aller produire là où les réglementations sociales et environnementales sont, sinon inexistantes, au moins nettement plus modestes. L’auteur s’attache aussi à décrire les coûts directs et indirects des pavillons de complaisance (plus de 70% du tonnage mondial pour les tankers et plus de 80% du tonnage mondial pour les porte-conteneurs en 2020) qui ont entraîné l’émergence d’un ‘droit parallèle’ échappant au contrôle des États. Cela, avec des coûts directs au travers de la pollution (marées noires, déballastages, épaves) qui échappe le plus généralement à toute sanction et des coûts indirects dans la mesure où « les coûts de transport ont été artificiellement bas depuis des décennies, parce que les armateurs ont pu s’abstraire des conséquences économiques et sociales de leurs activités ». « Sans la possibilité de contourner le droit des États, la mondialisation et la délocalisation des activités productives vers les pays à bas coûts auraient été bien moins poussées », observe à juste titre l’auteur.

« Face à une mondialisation qui a considérablement amoindri la capacité des États à corriger les dommages causés par les activités industrielles et commerciales, il importe de réinstaurer des ordres politiques garants des intérêts collectifs », affirme Vuillemey, qui poursuit : « Pour cela, il faut combler l’écart qui sépare les deux mondes de la mondialisation : faire en sorte qu’il ne soit plus possible de poursuivre des intérêts commerciaux privés sans aucune considération pour le bien commun. Sans cela, les dégâts écologiques et sociaux causés par le libre-échange continueront à s’accroître, au détriment du plus grand nombre ». Selon lui, cela passe par une reterritorialisation des individus et des activités, « c’est-à-dire (…) les rendre juridiquement et fiscalement moins mobiles, sans évidemment attenter au droit des personnes à la mobilité, au voyage, au déménagement, etc. ». Et de préciser : « Ce qu’il s’agit de faire refluer ce n’est pas la mobilité, mais les espaces de non-droit. En termes juridiques, il s’agit donc de restaurer un lien substantiel entre les activités qui sont conduites à un niveau local (où les externalités et nuisances diverses prennent place) et le traitement réglementaire et fiscal de ces activités, qui doit également être local. Cela nécessite potentiellement de taxer la mobilité aux frontières territoriales, donc une forme de protectionnisme ».

S’il reconnaît qu’un « protectionnisme brutal et désordonné, procédant d’une coupure soudaine et irréfléchie d’avec le reste du monde, sur la base des seules frontières nationales, n’est pas souhaitable », Vuillemey juge nécessaire « un protectionnisme social et environnemental ». « Il se justifie d’autant plus qu’il sert à défendre une vision du bien commun sur un territoire donné », écrit-il, en ajoutant : « À ce titre, des communautés politiques pourront avoir des conceptions différentes du bien commun et choisir, par conséquent, des degrés d’ouverture commerciale plus ou moins élevés ». « La taxation n’est pas le seul outil au service d’une politique protectionniste : celle-ci peut aussi recourir à des mesures réglementaires, par exemple l’interdiction de certains polluants », souligne encore l’auteur, avant de conclure : « Là encore, la nature des décisions à prendre dépend des intérêts collectifs locaux. In fine, reconsidérer la place du bien commun dans les échanges, c’est remettre du politique au cœur de l’activité économique. Il en est grand temps ». (Olivier Jehin)

Guillaume Vuillemey. Le temps de la démondialisation – Protéger les biens communs contre le libre-échange. Seuil. ISBN : 978-2-0214-8629-2. 100 pages. 22,80 €

Bilan social de l’Union européenne 2022

« Les phénomènes météorologiques extrêmes – qui constituent le ‘visage’ quotidien du changement climatique – ont provoqué des centaines de milliards de dollars de pertes économiques et causé un lourd tribut en termes de vies humaines et de bien-être, tout en déclenchant des chocs en matière de sécurité alimentaire et hydrique et de déplacement », peut-on lire dans ce rapport qui porte essentiellement sur l’année 2021 et le premier semestre 2022. La description du contexte de crise permanente et protéiforme se poursuit : « Il n’est pas surprenant que les perspectives d’une économie mondiale encore sous le choc de la pandémie et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie soient de plus en plus sombres et incertaines. (…) Pour la première fois en 32 ans de calcul par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de l’indice de développement humain, cet indice – qui mesure la santé, l’éducation et le niveau de vie d’un pays – a reculé à l’échelle mondiale pendant deux années consécutives (...). En raison de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine, qui ont frappé le monde coup sur coup, le développement humain est retombé à son niveau de 2016 dans neuf pays sur dix, ce qui annule une grande partie des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Si certains pays commencent à se remettre sur pied, la reprise est inégale et partielle, avec pour effet de creuser encore davantage les inégalités en matière de développement humain ».

Témoin de ce temps de crise permanente, le ‘Bilan social de l’Union européenne 2022’ s’ouvre sur un chapitre consacré par Federico Fabbrini à la guerre en Ukraine, qui « a accru l’urgence de réformer l’UE ». « La guerre a renforcé les arguments en faveur d’une amélioration du système de gouvernance de l’UE, pour le rendre plus efficace et plus légitime, et d’un accroissement de ses pouvoirs, notamment par le renforcement de sa capacité budgétaire », écrit l’auteur, qui note que c’est aussi la conclusion qui se dégage de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. « Malgré plusieurs points positifs, la réponse de l’Union et de ses États membres à un conflit à sa frontière orientale a également révélé plusieurs faiblesses », souligne Fabbrini, qui note à juste titre que « l’objectif de créer une force de réaction rapide de l’UE, constituée de 5 000 hommes et déployable dans des environnements hostiles d’ici 2025 (…) avait un petit goût de ‘trop peu trop tard’ ». « Dans le domaine de l’approvisionnement et de la sécurité énergétiques, l’action de l’UE n'a pas non plus été à la hauteur des besoins. D’une part, l’ambition de tirer parti de la force collective de l’Union sur les marchés énergétiques internationaux n’a pas dépassé le stade de l’ambition (…) D’autre part, de puissants intérêts économiques et politiques ont retardé et dilué les efforts de la Commission pour éliminer progressivement le pétrole brut russe », écrit l’auteur.

Slavina Spasova et Matteo Marenco saluent en revanche l’ambition démontrée par la Commission von der Leyen dans le domaine social en « présentant des initiatives législatives, notamment la remarquable directive sur les salaires minimaux, la proposition de directive sur le travail de plateforme, la révision des dispositions légales liées à la santé et à la sécurité au travail ainsi que des initiatives novatrices de ‘soft law’ telles que la garantie pour l’enfance, une recommandation du Conseil sur les revenus minimaux, la stratégie pour l’égalité entre hommes et femmes et la stratégie pour les soins de longue durée ».

Dans leurs conclusions, Bart Vanhercke, Sebastiano Sabato et Slavina Spasova estiment qu’on assiste à « un véritable changement de paradigme en ce qui concerne l’autonomie stratégique ouverte de l’UE » (ASO). Et d’expliquer : « Des événements clés récents mettent clairement en évidence les faiblesses de l’ouverture excessive des relations économiques de l’UE et d’une mondialisation économique maximale comme optimum socioéconomique souhaitable. Par conséquent, la conception évolutive et de plus en plus large de l’ASO de l’UE – incluant des considérations socioéconomiques et environnementales – peut être considérée comme un moteur essentiel du projet européen à l’avenir. Elle pourrait permettre un rééquilibrage des dimensions économiques et sociales (encore sous-développées) de l’UE et constituer un outil pour améliorer les normes sociales et environnementales au niveau mondial ». (OJ)

Bart Vanhercke, Sebastiano Sabato et Slavina Spasova (sous la direction de). Bilan social de l’Union européenne 2022 – Élaborer des politiques publiques en temps de crise permanente. ETUI. ISBN : 978-2-8745-2647-3. 198 pages. Le 23e rapport annuel de l’Institut syndical européen est disponible en français ou anglais. Il peut être commandé au prix de 30,00 € ou téléchargé gratuitement à partir du site de l’institut : https://www.etui.org

Guerre en Ukraine : déflagrations et recompositions économiques et financières

La Revue d’économie financière consacre son numéro 147 à la guerre en Ukraine et à ses conséquences économiques et financières. Après avoir rappelé que « la guerre a saisi l’économie russe alors qu’elle s’engageait dans une trajectoire de redémarrage post-Covid » (+4,7% en 2021, mais avec une inflation de 8,4%), le professeur de sciences économiques (INALCO) Julien Vercueil souligne que « l’économie russe connaît non seulement un coup d’arrêt à sa reprise post-Covid, mais aussi une récession nette, qui s’accompagne d’une accélération de l’inflation et d’une dégradation des comptes publics ».

Avec le consultant Christophe Cordonnier, Vercueil souligne aussi que les trois républiques caucasiennes (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) ont dû « forger, puis assumer une prise de position officielle vis-à-vis du conflit alors que des troupes russes stationnent sur le territoire de chacune d’elles ». « Sur le plan économique, elles font face à la flambée des prix des matières premières énergétiques – une manne pour l’Azerbaïdjan, une ponction pour les deux autres économies –, à des tensions sur l’approvisionnement international et régional en céréales, aux soudaines variations du cours du rouble, à la récession du partenaire commercial de premier plan qu’est pour elles la Russie et à des mouvements migratoires – importants à leur échelle – en provenance de la Russie », rappellent les auteurs, qui jugent positif l’impact de ces migrations en Arménie « où la croissance des salaires réels est actuellement tirée par le secteur du numérique, ce qui semble pouvoir être relié à la relocalisation de spécialistes russes en Arménie ». Ils notent toutefois que « la valeur des appartements à Erevan a augmenté de 19% entre juillet 2021 et juillet 2022 ». L’arrivée de plus de 100 000 Russes en Géorgie au cours des derniers mois « rend parfois les populations locales nerveuses, la Russie étant pour les Géorgiens un État d’occupation », écrivent les auteurs, qui observent une flambée des prix de l’immobilier (+27% pour les prix de vente et +79% des prix de location à Tbilissi). Le détournement des flux commerciaux vers le sud du fait de la guerre en Ukraine constitue aussi un facteur positif pour ces pays. « Au deuxième trimestre 2022, le transit par route a ainsi augmenté de 38% en Géorgie et celui par rail de 19% en glissement annuel », écrivent les auteurs, qui soulignent que « les brillants résultats des économies caucasiennes obtenus en 2022 peuvent être lus comme des dividendes de leur position ambiguë à l’égard de la Russie ». (OJ)

Guerre en Ukraine : déflagrations et recompositions économiques et financières. Association Europe Finances Régulations. Revue d’économie financière. N° 147, 3e trimestre 2022. ISBN : 978-2-3764-7069-4. 315 pages. 32,00 €

Der Krieg und Russlands Einfluss in Südosteuropa

La revue Südosteuropa Mitteilungen consacre un intéressant dossier à l’influence russe dans les pays de l’Europe du Sud-Est. On y trouve notamment une analyse du professeur Florian Bieber (Université de Graz) qui souligne que le refus du gouvernement serbe de se joindre aux sanctions contre la Russie s’inscrit dans la continuité de la politique étrangère serbe. Loin d’être la conséquence d’une prise en étau entre l'Est et l'Ouest, comme le président serbe cherche à le faire croire, « l'ambiguïté est une stratégie délibérée d'Aleksandar Vucic pour assurer son pouvoir au niveau national et maximiser son espace de manœuvre au niveau international », écrit l’auteur.

Armina Galijas (Université de Graz) examine l’influence exercée par la Russie en Republika Srpska, notamment au travers de politiciens comme Dodik, de l’Église orthodoxe ou encore de la propagande des médias russes, serbes et locaux. Mais Galijas souligne aussi que la puissance et l’influence de la Russie se nourrissent de la faiblesse de l’UE : « C’est le vide que la politique d’intégration sans enthousiasme et souvent hypocrite de l’UE a laissé derrière elle dans la région qui permet à des acteurs comme la Russie de se profiler comme des géants du ‘soft power’ en dépit de leur faiblesse économique ». « Il semble toutefois que la guerre ait servi de réveil pour l’UE et que celle-ci cherche à devenir dans les Balkans un acteur pas seulement bureaucratique, mais aussi géopolitique », écrit l’auteur, avant d’ajouter qu’il va encore falloir transformer les paroles en actes.

Le journaliste Alexander Andreev (Deutsche Welle) dresse un portrait au vitriol de la Bulgarie, terre d’influence de la Russie et potentiel « cheval de Troie de Moscou au sein de l’UE et de l’OTAN ». Et l’auteur de rappeler qu’il s’agit aussi du « pays le plus corrompu de l’Union européenne, avec un système judiciaire qui ne mérite pas ce nom ». Andreev poursuit : « Les journalistes sont achetés, les politiciens et les magistrats sont achetés, des médias entiers, des entreprises et même des institutions sont achetés. La Bulgarie est un pays où les supporters de Poutine représentent peut-être 20% de la population, mais le pourcentage d’apologistes de Poutine est encore plus élevé ». (OJ)

Der Krieg und Russlands Einfluss in Südosteuropa. Südosteuropa-Gesellschaft. Südosteuropa Mitteilungen. 05-06/2022. ISSN : 0340-174X. 160 pages. 15,00 €

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