Agnes Jongerius (S&D, néerlandaise) a été la corapportrice du Parlement européen sur la directive sur les salaires minimaux adéquats et est la porte-parole de son groupe pour l'emploi. Alors que deux grands évènements sur l'Europe sociale se tiennent en fin de semaine à Berlin et Porto, elle explique à EUROPE le message qu'elle compte faire passer aux dirigeants. (Propos recueillis par Solenn Paulic)
Agence Europe - Deux évènements importants se tiennent cette semaine, entre les 50 ans de la 'Confédération européenne des syndicats' (CES) et le Forum Social de Porto. Quel message voulez-vous faire passer à cette occasion ?
Agnes Jongerius - La meilleure façon de répondre à cette question est de dire que les grèves, qui ont eu lieu dans toute l'Europe, montrent clairement que les dirigeants européens doivent tenir la promesse d'un avenir social pour tous les Européens.
L'Europe est plus qu'un marché et une monnaie. Elle doit être une affaire de personnes.
On doit promettre à tous les Européens que les travailleurs gagneront un salaire décent, que toutes les familles auront les moyens de se loger ou qu'aucun enfant ne grandira dans la pauvreté.
Si l’on regarde ces dernières années, nous voyons des employeurs, des entreprises qui s'octroient les bénéfices qu'ils ont réalisés. Les travailleurs n'ont pratiquement pas d'augmentation de salaire. Et avec l'inflation aussi élevée qu'elle l'est en ce moment, les gens s'inquiètent.
Les économistes du FMI ou de la BCE disent aussi que les salaires n'ont eu qu'un impact limité sur l'inflation de ces deux dernières années. Il y a donc de la marge et il est nécessaire d'agir ! Ce sera mon message.
Vendredi et samedi, à Porto, le gouvernement portugais tentera un bilan des trois grands objectifs fixés il y a deux ans par les dirigeants européens sur l’emploi, la pauvreté et les compétences (EUROPE 12715/1). Les États membres ont-ils bien fait leurs devoirs depuis mai 2021 ?
Il y a deux ans, j'étais très heureuse de ces trois grands objectifs, parce que nous avions fait le premier pas pour rendre concret le pilier social adopté en 2017 à Göteborg.
Lors de la dernière session plénière, nous avons adopté une résolution sur ce sujet et nous avons dit très clairement qu'il nous faut plus d’objectifs (EUROPE 13180/9). Car, depuis le sommet de Porto en 2021, une guerre a éclaté, avec une crise énergétique et une crise du coût de la vie.
On peut également dire que nous ne nous sommes pas encore totalement remis de la crise de la Covid-19.
Donc, oui, j'étais satisfaite de l'objectif global, mais quand on regarde un peu plus en pratique, les chiffres ne vont pas dans la bonne direction et la pauvreté augmente au lieu de diminuer. Pour l'emploi, le tableau est également très contrasté.
Nous avons donc besoin, par exemple, d'un objectif sur la création d'emplois de qualité et d'un objectif de 80% de couverture des travailleurs par des négociations collectives, ce qui est précisément l’objet de la directive sur les salaires minimaux adéquats (adoptée en juin 2022).
Nous avons aussi besoin d'un objectif en matière de santé et de sécurité pour arriver à zéro mort sur le lieu de travail.
Il nous faut encore un objectif clair sur l'éradication du sans-abrisme en 2030.
Je me réjouis donc de l’initiative des Portugais d'organiser ce forum social pour continuer à faire pression. Ils devraient aussi, en principe, annoncer qu’ils organiseront un Forum social tous les deux ans pour maintenir le sujet au centre de l'attention, ce qui est une très bonne idée.
Selon la CES, justement, les règles budgétaires européennes, telles que proposées par la Commission européenne, se traduiraient l’an prochain par des réductions de dépenses de 45 milliards d’euros dans 14 États membres, l'équivalent de 2 millions de postes d’infirmières. Cela vous fait réagir ?
Il nous faut placer le pilier social au même niveau que nos règles budgétaires et nos règles relatives au marché intérieur.
Le pilier social, s'il est pris au sérieux, devrait servir à protéger les travailleurs de la nouvelle austérité comme un bouclier et devrait être considéré au même niveau que nos règles budgétaires dans les règles de gouvernance économique, avec la même force.
Ma règle d’or pour les dépenses publiques serait de mettre l’argent des contribuables au bénéfice d’emplois de qualité.
Et il faudrait inscrire le principe de conditionnalité sociale dans les règles de financement de l'UE.
La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le commissaire européen aux Affaires sociales, Nicolas Schmit, étaient à Berlin, puis à Porto pour M. Schmit. Quel bilan tirez-vous de l'action de cette Commission pour l’Europe sociale ?
Je commencerai par une note positive. Il y a eu les directives sur les salaires minimaux adéquats, sur la transparence salariale, sur la protection des travailleurs vis-à-vis des substances dangereuses, qui étaient des promesses faites en 2019 et qui ont été réalisées.
Mais on nous a aussi annoncé un instrument d’assurance chômage permanent que l'on attend toujours et qui n'a été mis en place que dans le cadre de la Covid-19.
Je pense aussi que si nous voulons vraiment être sérieux sur l’un des trois grands objectifs de Porto en 2021, à savoir la sortie de la pauvreté pour 15 millions de personnes (en 2030 par rapport à 2019), une recommandation sur les revenus minimaux ne suffit pas. Le PE n’a pas abandonné le combat et pousse toujours pour une directive.
Sur les stages de qualité, la consultation promise entre les partenaires sociaux européens n'est pas non plus encore lancée.
La Commission a également publié une proposition sur les travailleurs des plateformes numériques, mais la grande inconnue, ici, est la position de l’Allemagne (EUROPE 13187/23).
Nous espérons donc que Mme von der Leyen a mis à profit son déplacement à Berlin pour avoir des contacts à ce sujet, car nous n’avons plus beaucoup de temps devant nous pour négocier avant les élections européennes (de juin 2024) et il faudrait vraiment réussir à se doter de cette directive sous ce mandat.