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Bulletin Quotidien Europe N° 13163

18 avril 2023
Sommaire Publication complète Par article 28 / 28
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N° 081

Ukraine, premières leçons et perspectives

Un an après le début de la deuxième phase d’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie, cet ouvrage tire les premières leçons du conflit et examine ses répercussions sur la sécurité européenne et internationale, à partir d’une sélection de contributions publiées en 2022 sur la plateforme d’analyse LeRubicon.org. Pour les besoins de l’ouvrage, ces contributions ont fait l’objet d’une mise à jour en janvier 2023.

« La paix n’est pas pour demain », soulignent, dans leur introduction, les coordinateurs du Rubicon, Julian Fernandez, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Justin Massie, avant de poursuivre : « Si la guerre en Ukraine a débuté il y a neuf ans, les conditions d’une cessation des hostilités, puis d’un règlement diplomatique des différends ici en cause sont loin d’être réunies. D’abord, les parties au conflit entrevoient toutes deux la perspective de faire des gains contre leur adversaire et ne dérogent donc pas de leurs positions ‘maximalistes’, à savoir la pleine restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine aux frontières de 1991, d’un côté, et, de l’autre, l’annexion d’une partie considérable du territoire ukrainien et l’établissement d’un régime pro-russe à Kyiv. Ensuite, les moyens des belligérants ne sont pas épuisés. Du côté ukrainien, l’on profite de la normalisation d’une aide militaire de plus en plus sophistiquée et généreuse – le soutien occidental totalisant plus de 100 milliards de dollars à ce jour – afin de compenser l’infériorité capacitaire au début de l’invasion et d’ancrer résolument l’alignement du pays dans le camp euro-atlantique. Du côté russe, l’on mise à court terme sur la mobilisation de troupes et le soutien de quelques pays pour limiter les impacts des sanctions occidentales, et à long terme sur la division et l’épuisement des Occidentaux, dont la lassitude des opinions publiques est vue comme inévitable ».

« Sans épuisement populaire ni capacitaire de part et d’autre, il est difficile d’entrevoir la fin de la guerre. Mais cela n’empêche pas de réfléchir aux formes que prendra la paix », écrivent les auteurs, qui estiment que « si le revanchisme russe ne se dissipe pas, la sécurité européenne ne pourra (pas) s’écrire avec Moscou, mais plutôt contre elle, par l’établissement d’une force de dissuasion en Ukraine capable de freiner les velléités néocoloniales de son voisin ». Et d’ajouter : « Cela exigera le maintien dans la durée de l’élan de solidarité dont fait preuve l’Occident depuis le 24 février 2022, lequel ne peut cependant être tenu pour acquis ».

Alexis Rapin (Université de Montréal) souligne qu’en dépit des 920 cyberattaques ou cyber-opérations recensées fin janvier 2023, auxquelles il faut ajouter des opérations de cyber-espionnage russes contre plus de 120 entités dans 42 États, « les prophéties de cataclysmiques cyberattaques russes ou de ‘cyber-blitzkrieg’ contre l’Ukraine, énoncées à la veille du conflit, sont largement restées lettre morte ». L’auteur énonce les trois hypothèses susceptibles d’en expliquer les raisons : (1) nous n’aurions pas la visibilité suffisante pour porter un jugement avisé quant à la performance du cyber en Ukraine ; (2) la nature même de l’outil cyber le condamnerait à une « impotence militaire difficilement surmontable », en raison du temps nécessaire à l’élaboration de cyber-opérations efficaces ; (3) le cyber serait « une arme immature en attente des bonnes innovations, technologiques certes, mais surtout organisationnelles et doctrinales » et « la relative insignifiance du cyber dans le conflit ukrainien démontrerait surtout la difficulté des appareils de défense contemporains à l’intégrer comme il se doit ». Toutes ces théories fournissent des pièces d’un puzzle qui ne pourront s’emboiter correctement que lorsqu’on disposera de données suffisantes sur les ambitions initiales des acteurs, car « si la théorie de l’invisibilité stipule que nous ne savons pas toujours bien ce que les États font dans le cyberespace, soulignons que nous savons encore moins souvent pourquoi, selon quelle logique, ils le font », écrit l’auteur, avant d’ajouter : « La faiblesse du cyber dans le conflit en Ukraine reflète-t-elle des ambitions russes mesurées, une volonté assumée d’expérimentation, ou un authentique échec d’exécution ? La réponse n’est pas claire, et cette ambiguïté contraint nombre de nos réflexion ».

De la même façon, « alors que tous les observateurs s’attendaient à voir les forces aérospatiales russes (VKS) conquérir rapidement la supériorité aérienne dans le ciel ukrainien, les premières semaines de la guerre ont au contraire montré leurs limites capacitaires et opérationnelles », souligne le colonel David Pappalardo (Armée de l’air française), en rappelant qu’il est « capital de rester sensible au problème de Diagoras : ce que nous voyons ne reflète pas nécessairement ce que nous ne voyons pas ». Avec cette précaution, l’auteur estime qu’il est possible de dégager cinq primo-grands enseignements en matière de puissance aérienne : (1) « La supériorité aérienne ne pourra être que locale et temporaire dans un conflit de haute intensité. Du moins, elle sera plus coûteuse à obtenir », notamment du fait des postures de déni d’accès qui ne sont plus l’apanage des grandes puissances ; (2) « la montée en gamme des menaces nécessite de reconsidérer la quantité comme une qualité indispensable au succès des opérations » et cela vaut pour les plateformes comme pour les munitions, avec pour corollaire le dimensionnement approprié des chaînes de production ; (3) « la multiplication et la diversification des drones et munitions maraudeuses sur le terrain font effectivement apparaître de nouveaux modes d’action possibles, que ce soit pour le renseignement, le ciblage, la contrebatterie, l’appui feu ou encore la mission d’interdiction aérienne » ; (4) « l’intégration interarmées – a fortiori multi-milieux et multi-champs (M2MC) – est tout autant l’un des facteurs clés de la supériorité opérationnelle dans un environnement hautement contesté qu’elle est difficile à obtenir sur le terrain », comme le soulignent les défaillances russes en la matière ; (5) la réalisation d’une manœuvre aérienne complexe nécessite de maintenir un haut niveau d’entraînement des forces et cet entraînement doit évoluer « en prenant en compte les contraintes du réel dans le choix des tactiques employées, comme le nombre de munitions et d’avions ‘bons de guerre’ effectivement mobilisables », insiste l’auteur. (Olivier Jehin)

Julian Fernandez, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Justin Massie (sous la coordination de). Ukraine, un an après : premières leçons et perspectives. Le Rubicon. Equateurs. ISBN : 978-2-3828-4461-8. 185 pages. 12,00 €

Les cinq murs de l’intelligence artificielle

Dans cet article paru dans la revue Futuribles, Bertrand Braunschweig, coordinateur du programme français de recherche en intelligence artificielle (IA), souligne qu’en avançant rapidement, l’intelligence artificielle fonce sur « cinq murs sur lesquels elle est susceptible de se fracasser si l’on ne prend pas de précautions » : (1) la confiance envers l’IA ; (2) sa consommation énergétique ; (3) la sécurité des systèmes qu’elle régit ; (4) les interactions homme-machine, qui renvoient notamment à la difficulté pour un système d’IA de connaître les intentions d’un humain ou d’un groupe d’humains ; (5) l’inhumanité des machines, c’est-à-dire leur défaut de sens commun, leurs faiblesses dans la prise en compte de la causalité et les restrictions imposées par leur domaine de compétence. « Sans aller jusqu’à parler d’intelligence artificielle générale (celle qui fait peur et qu’aucun spécialiste du domaine n’envisage réellement à un horizon atteignable), faute de disposer de bases élémentaires faisant sens, les systèmes d’IA seront toujours susceptibles de commettre des erreurs monumentales aux conséquences potentiellement dommageables », écrit l’auteur, qui estime aussi que « n’importe lequel de ces cinq murs est en mesure de mettre un terme à sa progression ».

Braunschweig rappelle que l’AI Index de l’université de Stanford présentait fin 2019 pour la première fois l’évolution des besoins de calcul des applications de l’IA qui ont suivi la loi de Moore (doublement tous les 18 mois) de 1960 à 2012. « Depuis, ces besoins doublent tous les trois mois et demi ! La demande du plus gros système d’IA connu à l’époque (et qui a donc doublé plusieurs fois depuis) était de 1860 pétaFLOPS*jours (…), soit (…) une consommation électrique de près de trois gigawattheures. Pis encore, si le rythme actuel se poursuit, la demande sera encore multipliée par un facteur 1 000 dans trois ans, et un million dans six ans ! », souligne l’auteur. (OJ)

Bertrand Braunschweig. Les cinq murs de l’intelligence artificielle. Futuribles. Numéro 453, mars-avril 2023. ISBN : 978-2-8438-7468-0. 128 pages. 22,00 €

Ernesto Rossi

« Ernesto Rossi est une machine à ronéotyper vivante et va se perfectionner en une rotative. La moyenne de sa production est de deux opuscules de 40-60 pages par mois. (…) Son regard est lucide, fixe et visionnaire, sa conversation accélérée par une inquiétude irrépressible, ses gestes pressés par une grande hâte de faire, de continuer, de finir pour recommencer. L’article devient livret, les livrets des séries, les séries des volumes et les volumes des recueils ; la conversation devient conférence, les conférences des cours et les conférenciers des écoles itinérantes, œuvrant dans le souffle de cet Éole artisan des vents qu’est Ernesto Rossi. (…) En 35 minutes, jamais personne n’a réussi à me dire autant de choses et à m’en expliquer tant d’autres. Je l’écoutais très attentivement et prenais des notes, mais je ne pouvais pas m’empêcher de remarquer l’extrême maigreur fébrile de cet homme, qui est de haute taille, mais on ne le dirait pas, qui est éloquent sans en avoir l’air, qui est sûr de ses idées et les affirme ». C’est par ce portrait brossé en 1944 par un autre réfugié politique italien en Suisse, le socialiste Piero Della Giusta, que s’ouvre l’introduction à l’œuvre du fédéraliste Ernesto Rossi que signe l’historienne Antonella Braga.

« Pour Rossi, la signification du fédéralisme européen ne réside pas dans une idéologie ni dans le fait qu’il pourrait devenir un simple instrument d’ingénierie constitutionnelle. À ses yeux, d’un point de vue pragmatique, le fédéralisme représente une solution concrète – la seule envisageable sur le plan rationnel -, la réponse aux problèmes les plus urgents de la civilisation moderne : guerre totale, crise de la démocratie et contradictions intérieures du système capitaliste engendrant injustice et misère », écrit Braga, qui rappelle que l’opuscule « Gli Stati Uniti d’Europa », publié sous le pseudonyme de Storeno durant l’été 1944 (avant d’être traduit en français sous le titre « L’Europe de demain »), présente la synthèse définitive des études accomplies par Rossi sur le thème de la Fédération européenne pendant les années de l’emprisonnement et de l’exil en Suisse. Selon Rossi, « à la base de la fédération, les unités sont les individus, non les États, et, dans les limites de ses compétences, la fédération a une juridiction directe sur tous les citoyens ». Le gouvernement fédéral est dès lors « composé non pas de délégués des gouvernements des différents États », « mais de représentants choisis par tous ceux qui sont non seulement citoyens des États membres, mais aussi citoyens de la fédération ». En ce qui concerne les compétences à attribuer au gouvernement fédéral, Rossi mentionne les affaires étrangères, la défense du territoire et la sauvegarde de la paix intérieure, mais aussi le commerce international, les mouvements migratoires et la monnaie.

« À côté de ces intuitions lucides, figurent dans le texte également quelques bévues et des erreurs d’évaluation, notamment en ce qui concerne la position de la Grande-Bretagne et la sous-estimation du rôle joué par les États -Unis dans l’élaboration du futur paysage international de l’après-guerre », constate Antonella Braga, avant d’ajouter : « Ce penchant à sous-estimer certains éléments – d’ailleurs propre à Spinelli lui-même et à d’autres de ses contemporains – empêche Rossi de saisir à temps la portée de l’effondrement des puissances européennes et de la Grande-Bretagne elle-même, désormais reléguées au second plan des relations internationales ». « Aujourd’hui, après la grave crise économique subie au cours de la dernière décennie, après le Brexit, face à l’immobilisme des institutions européennes, à la prééminence de la méthode intergouvernementale et à la montée des mouvements souverainistes, on constate que le mécanisme de l’intégration européenne semble s’être bloqué, confirmant la thèse de Rossi : le ‘saut politique’ ne se présente pas comme un débouché naturel et évident du processus d’unification économique et monétaire, car il implique une volonté politique claire, en mesure de s’imposer contre les résistances des intérêts nationaux et de dépasser la perspective fonctionnaliste et intergouvernementale », écrit Braga, en soulignant qu’en ce moment où « la construction européenne semble avoir déraillé et quasiment perdu le nord, il est utile d’écouter l’écho de cette voix critique et à contre-courant, capable de nous mettre en garde contre ces ‘européistes hâbleurs’ qui prétendent nous faire croire qu’il est possible de faire une omelette sans casser des œufs, c’est-à-dire de parvenir à une unité européenne efficace sans toucher à la souveraineté des États nationaux ». (OJ)

Ernesto Rossi, Antonella Braga (introduction, notes et commentaires). L’Europe de demain et autres écrits fédéralistes (1944-1948) – La Nation dans le monde – Socialisme et fédéralisme. Presse fédéraliste. ISBN : 978-2-4914-2910-2. 221 pages. 20,00 €

La réconciliation franco-allemande

Dans cet essai, Raymond Krakovitch retrace la complexité des débats et les tensions qui caractérisent en France le processus de réconciliation franco-allemande, dans le temps très court séparant la fin de la guerre en 1945 et le discours de Robert Schuman du 9 mai 1950, qui marque pour l’auteur « la réconciliation des deux nations », les conflits suivants étant « essentiellement franco-français ». (OJ)

Raymond Krakovitch. La réconciliation franco-allemande 1945-1950. Presse fédéraliste. ISBN : 978-2-4914-2912-6. 72 pages. 10,00 €

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