Le Haut Représentant Josep Borrell a touché juste lorsqu’il a déploré, le mois dernier, le fait que « le réseau diplomatique de l’UE [soit] moins informatif que la lecture du journal ». Actuellement, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) n’a aucun pouvoir de collecte de renseignements et se repose entièrement sur le bon vouloir des États membres à partager les leurs. Si nous voulons que l’UE soit un acteur mondial et cesse d’agir aveuglément comme elle l’a fait dans le passé, nous devons lui donner accès à des renseignements fiables de première main.
L’Union a besoin d’un système de flux continu et automatique de renseignements depuis les services nationaux de ses États membres vers ses services diplomatiques INTCEN/SEAE au sujet des menaces étrangères. En l’absence de cela, l’UE devrait créer son propre service de renseignements.
À l’heure actuelle, le centre de situation et du renseignement (INTCEN) est un centre d’analyse qui traite les informations obtenues de différentes sources, dont les services nationaux des États membres. L’INTCEN appartient à la Single Intelligence Analysis Capacity (SIAC), qui combine le renseignement civil (INTCEN) et le renseignement militaire (État-major de l’Union européenne, EMUE). Dans ce cadre, les contributions civiles et militaires servent à produire des analyses de renseignements de sources diverses, des avertissements précoces et de la connaissance situationnelle.
Toutefois, ni l’INTCEN ni l’EUMS n’ont le pouvoir de collecter des renseignements. En définitive, aucune de ces agences n’est un service de renseignement. L’UE, particulièrement dans toutes ses délégations, ne dispose pas d’agents de renseignements en opération ou collectant ce type d’informations sur le terrain. L’UE s’en remet aux informations sporadiques, parfois biaisées, servant des intérêts propres et incomplètes que les services nationaux sont prêts à partager, quelle que soit la raison pour cela.
Le besoin de renseignements européens suffisants pour gérer efficacement les crises à l’étranger et les menaces de sécurité extérieure a été démontré à plusieurs occasions, le retrait hâtif d’Afghanistan étant probablement l’exemple le plus spectaculaire. Mais on peut aussi mentionner l’Ukraine. Avant la révolution de Maïdan, également connue comme la révolution de la Dignité, tous les signes dont disposait l’UE en 2014 suggéraient une libération de Ioulia Tymochenko et une intégration européenne de l’Ukraine. Toutefois, nous avons choisi de mettre l’accent ailleurs. La naïveté de l’UE a ensuite été dépeinte par le tristement célèbre « Fuck the EU » de la Sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques des États-Unis, Victoria Nuland.
Plus récemment, l’UE n’a pas voulu croire que Vladimir Poutine envahirait l’Ukraine et l’Union était réticente à donner foi aux avertissements des États-Unis, compte tenu du précédent des armes de destruction massive en Irak. À plusieurs occasions, nous n’avons pas su lire les signaux et avons pointé les phares dans la mauvaise direction.
Il manque à l’UE un instrument efficace, un mécanisme nécessaire pour nous tenir au courant, particulièrement le Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, car il s’agit de la personne établissant la position de l’UE sur la scène mondiale. Pour paraphraser Josep Borrell, « nous devons nous placer beaucoup plus en position d’écoute », car il doit être la personne la mieux informée au monde ou, du moins, aussi bien informée qu’un ministre des Affaires étrangères, et ce 24 heures sur 24.
Nous ne pouvons pas continuer à évoluer aveuglément dans le monde. Je ne parle pas de renseignements internes à l’UE, ni d’une mise en commun des renseignements. Concernant la première option, il n’y a pas matière à débat. La compétence revient exclusivement aux services nationaux des États membres et il existe un réseau étroit de coopération au sein de l’UE. Pour ce qui est de la seconde, on ne peut pas demander aux services nationaux de partager avec les 26 autres États membres des informations durement acquises, potentiellement en prenant des risques de toutes sortes.
Le mécanisme auquel je me réfère impliquerait que les États membres envoient automatiquement et régulièrement au SEAE des renseignements sur les menaces de sécurité extérieure, ces cas ne compromettant en rien la sécurité nationale. Je parle des renseignements sur lesquels le SEAE s’appuie pour agir lors de crises étrangères comme celles déjà mentionnées, ou dans des lieux comme le Sahel, la Somalie, le Soudan, la Syrie ou le Myanmar, entre autres, ou encore concernant l’accord nucléaire avec l’Iran. L’Union doit pouvoir compter sur des renseignements de qualité pour ne pas agir aveuglément (de nouveau).
Un premier pas dans cette direction pourrait être de renforcer l’INTCEN et le centre de réponse de crise du SEAE récemment créé, en améliorant leurs ressources et capacités afin de les adapter à ce mécanisme. Parallèlement, tous les services de l’UE travaillant sur des renseignements et/ou des informations sensibles devraient améliorer leurs protocoles de sécurité. Le SEAE devrait recevoir un flux constant de renseignements des services des États membres.
Sans cela, si le flux de renseignements n’est pas bien organisé, la tentation sera de créer un service de renseignements de l’UE. Ce choix serait coûteux et ce centre prendrait des années à rattraper son retard sur les services nationaux. Le dilemme est le suivant : soit le flux vers Bruxelles est structuré, fluide et utile, soit (comme dans bien d’autres aspects et politiques) l’UE doit créer son propre service.
Nacho Sánchez Amor, député européen espagnol du groupe S&D