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Bulletin Quotidien Europe N° 13319

22 décembre 2023
SOCIAL - EMPLOI / Interview social
Elisabetta Gualmini appelle les États membres, en particulier la France, à soutenir l'accord avec le PE sur les travailleurs des plateformes numériques pour ne pas « tuer le modèle social européen »
Bruxelles, 21/12/2023 (Agence Europe)

Elisabetta Gualmini (S&D, italienne) est la rapportrice du Parlement européen sur la directive relative aux travailleurs des plateformes, qui a fait l’objet d’un accord en trilogue le 12 décembre avec la Présidence espagnole du Conseil de l’UE (EUROPE 13313/11).

Alors que les États membres doivent se prononcer sur le sujet vendredi 22 décembre, même si, selon certaines sources, la Présidence pouvait encore décider ne pas solliciter de confirmation de l'accord, tant le sort de cette délibération restait incertain ce 21 décembre à l'heure de notre bouclage (EUROPE 13319/3), elle s’inquiète notamment de l'annonce déjà rendue publique par le gouvernement français qu'il ne soutiendrait pas l'accord. 

Le ministre français du Travail, Olivier Dussopt, a en effet indiqué le 20 décembre devant le Sénat français que l’accord ne respecte pas le mandat du Conseil du 12 juin et ouvre la porte à des « reclassifications massives » de travailleurs indépendants des plateformes.

Il a notamment critiqué le retour à un système de deux critères nécessaires (indiquant le contrôle d’une plateforme sur un travailleur) sur cinq pour déclencher la présomption de salariat contre « 3 sur 7 » dans le mandat du Conseil (EUROPE 13199/1).

Des arguments qui ne sont « pas corrects », répond l’Italienne, qui appelle le président français, Emmanuel Macron, à ne pas devenir « le tueur du modèle social européen ». Elle appelle de manière générale les États membres réticents, qui étaient au nombre de 7 le 15 décembre, à ne pas se tromper sur le contenu de l'accord.

Des discussions informelles avaient lieu jeudi pour tenter de réunir une majorité qualifiée, alors que l’abstention attendue de l’Allemagne et un vote négatif de Paris ainsi que les oppositions de quelques autres délégations, créeraient une minorité de blocage (EUROPE 13316/20). (Propos recueillis par Solenn Paulic) 

Agence Europe - Le ministre français du Travail, Olivier Dussopt, a été clair mercredi sur son opposition à l’accord trouvé le 12 décembre. Êtes-vous inquiète ? 

Elisabetta Gualmini - Bien sûr que je suis inquiète ; j’ai écouté ce qu’a dit le ministre et je ne suis pas d’accord, par exemple, sur le fait que l’accord trouvé est très éloigné du mandat du Conseil de l’UE. Ce n’est pas vrai. Il n’est pas non plus vrai de dire que l’accord conduira à des reclassifications massives de travailleurs indépendants. Les travailleurs indépendants continueront à être des travailleurs indépendants !

Nous avons simplement mis en place des indications pour les faux indépendants. Et je veux lui dire que nous n'allons pas à l'encontre du marché ou de la concurrence ou quoi que ce soit d'autre. Je trouve extrêmement terrifiant qu'une force pro-européenne comme le parti d’Emmanuel Macron, par ailleurs l'un des promoteurs les plus passionnés de l'Union européenne, devienne en quelque sorte le tueur du modèle social européen. 

Quelques autres pays membres, hormis la France, ne semblaient pas non plus encore en mesure, jeudi, de donner leur aval. Comment pouvez-vous les convaincre ? 

Oui, nous savons que d’autres pays pourraient ne pas soutenir notre négociation. Je pense par exemple à la Hongrie, aux pays baltiques comme l’Estonie ou la Lituanie. La Présidence espagnole est en contact avec les délégations et va tenter de les faire venir ‘à bord’ et j’espère aussi que cela sera le cas de la France.

Jusqu'à la dernière minute, nous devons essayer de convaincre les pays et surtout d'expliquer son contenu, parce que nous avons vraiment un texte très équilibré et qu'il y a beaucoup de malentendus.

Ce texte promeut notamment une concurrence loyale entre les plateformes, parce qu'il y a déjà des multinationales, des plateformes qui embauchent des travailleurs et qui donnent beaucoup de droits sociaux, puis souffrent de la concurrence déloyale d'autres multinationales ! Il s'agit donc d'établir un cadre général équilibré pour permettre à toutes les plateformes d'opérer sur le marché et je ne vois pas pourquoi c'est un problème.

Personne ne parle non plus de la partie la plus innovante de la directive, qui n'est pas celle sur les statuts des travailleurs (salariés ou indépendants, NDLR) ! Il y a une obsession sur ce sujet, mais la partie très importante sur la gestion algorithmique du travail, liée à la loi sur l’intelligence artificielle, qui promeut la transparence et surtout, une supervision humaine, est tout à fait nouvelle pour le marché du travail européen. 

Nous avons de notre côté une majorité politique très large au PE ; le problème est donc vraiment du côté du Conseil, alors qu’il s’agit d’améliorer le sort de près de 30 millions de travailleurs des plateformes aujourd’hui, qui seront 45 millions dans quelques années, selon les prévisions de la Commission.

Nous parlons d'une énorme catégorie de travailleurs, et souvent de travail précaire. L'opposition de la France est donc tout à fait incompréhensible. 

En cas d’échec vendredi, le PE sera-t-il prêt à retravailler son texte ? 

Nous continuerons à travailler avec la Présidence belge du Conseil de l’UE, ce qui permettra de pouvoir encore s’accorder sur cette directive avant la fin de la législature. Nous devons absolument aller de l'avant et j'espère déjà que tout ira bien demain, mais nous continuerons, car nous parlons d’un texte qui constitue pour cette mandature un des deux piliers de l'Europe sociale avec le salaire minimum adéquat. J'espère vraiment que nous pourrons avoir les deux. 

Avez-vous à nouveau ressenti ces derniers jours une forte pression des lobbies et des plateformes, comme vous l'avez déjà dénoncé l’an dernier, lors du vote du mandat du PE (EUROPE 13075/14) ? 

Nous avons en effet subi d'énormes pressions de la part des plateformes. Pendant toutes les négociations, nous avons été submergés de courriels, d'appels téléphoniques, de propositions d'amendements. Et c’est un autre point qu’Emmanuel Macron doit prendre en considération, car je pense que les pays qui voteront éventuellement contre vendredi pourraient laisser penser qu'ils sont conditionnés par les lobbies et préfèrent en quelque sorte les plateformes et les multinationales aux travailleurs.

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