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Bulletin Quotidien Europe N° 13252

19 septembre 2023
Sommaire Publication complète Par article 37 / 37
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N° 090

Partis politiques européens – Des objets politiques mal identifiés ?

Dans cette étude publiée par l’Observatoire politique du Parlement européen de l’Institut Jacques Delors, Nathalie Brack (ULB) et Wouter Wolfs (KU Leuven) analysent l’évolution des partis politiques européens, leur financement, leur statut et la place qu’ils occupent dans l’architecture européenne.

« Aujourd’hui consolidés et bénéficiant à la fois d’une reconnaissance juridique et d’un financement pérenne, les partis européens n’en restent pas moins au cœur d’un paradoxe : d’une part, ils jouent un rôle croissant, notamment dans la coordination de leurs membres et la préparation des réunions du Conseil européen et du Conseil et, d’autre part, ils demeurent largement invisibles pour la plupart des citoyens européens et ne jouent pas le rôle espéré de pont entre citoyens et politique européenne », constatent d’emblée les auteurs.

Les premiers partis européens émergent il y a un demi-siècle, avec la Confédération des partis socialistes de la Communauté européenne dès 1973, puis le PPE et la Fédération des partis libéraux et démocrates en 1976. Cependant, rappellent les auteurs, il leur faudra attendre 1992 et le Traité de Maastricht pour recevoir une « reconnaissance constitutionnelle », puis bénéficier, à partir de 2004, d’un financement public. Ce financement, dont les modalités vont évoluer dans le temps, va contribuer à la multiplication des partis politiques qui passent en quelques années de cinq à seize (2017).

Toutefois, alors qu’une des fonctions essentielles des partis politiques en démocratie « consiste en la formulation d’objectifs, principalement à travers leur programme électoral (…) le contexte institutionnel européen ne permet pas aux partis politiques européens de s’inscrire pleinement dans cette logique », soulignent Brack et Wolfs avant d’ajouter : « Les élections européennes, bien que de plus en plus européanisées et politisées, restent des scrutins nationaux : même si des efforts programmatiques sont faits et que les leaders des partis frères sont invités (…), les partis nationaux restent les acteurs principaux dans la composition des listes et la campagne électorale ». Et comme le soulignent Camille Kelbel et Clément Jadot, « le système politique européen lui-même, dans la mesure où il ne repose pas sur la responsabilité d’un exécutif unifié vis-à-vis d’un législatif, affaiblit l’existence des europartis en dehors des périodes électorales. En somme, non seulement les propositions des europartis ne sont pas suivies au moment des élections, mais elles manquent en outre d’objet entre les élections. Ces déficiences remettent logiquement en question la pertinence des programmes politiques européens ».

Ces dernières remarques sont néanmoins à nuancer. « Des recherches récentes révèlent que les promesses électorales des partis politiques européens lors des élections pour le PE avaient bel et bien un impact puisqu’elles ont été prises en compte dans le programme de travail de la Commission européenne, en particulier en ce qui concerne le PPE et ALDE, mais également le PVE, et dans une moindre mesure le PSE », observent les auteurs, qui rappellent aussi que Renew Europe a annoncé en novembre 2022 vouloir concentrer sa campagne sur quelques idées phares qui unissent ses membres et seront ensuite utilisées comme base de négociation lors de la formation de coalitions et du vote sur la présidence de la Commission.

« Les europartis ne disposent pas des ressources matérielles et financières pour organiser des campagnes paneuropéennes et des règles nationales empêchent un lien fort entre parti national et parti européen d’une même famille politique. Ainsi, dans dix États membres, les partis ne peuvent accepter de contributions, que ce soit via du matériel de campagne ou des ressources, de leur parti européen lors des élections (…). Mais surtout, les partis nationaux ne mettent souvent pas l’accent sur leur appartenance à une famille politique européenne et le logo de leur europarti est absent de leur matériel de campagne », constatent Brack et Wolfs.

Dans la perspective des élections de 2024 et 2029, « les partis européens doivent continuer à démontrer leur intérêt pour leurs membres afin de contrer le désintérêt (relatif) des partis nationaux pour leurs activités et ce qu’ils ont à leur offrir », écrivent les auteurs, qui privilégient trois outils pour leur permettre de gagner en visibilité : - les listes transnationales ; - les Spitzenkandidaten ; - l’inclusion systématique de leur logo et programme dans tout le matériel de campagne de leurs partis membres. Mais si cette inclusion peut se faire à très court terme, au moins dans un certain nombre de cas, la mise en place de listes transnationales et d’un processus efficace de sélection et de mise en avant de Spitzenkandidaten ne verra le jour au mieux qu’avant les élections de 2029. (Olivier Jehin)

Nathalie Brack & Wouter Wolfs. Partis politiques européens – Des objets politiques mal identifiés ? Notre EuropeInstitut Jacques Delors, mai 2023. 73 pages. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site de l’institut : https://aeur.eu/f/8mk

Quelles représentations pour quelles démocraties ?

Fruit d’un colloque qui s’est tenu en septembre 2019 au Parlement européen à Luxembourg, cet ouvrage rassemble des contributions passionnantes qui puisent leurs ressources dans l’histoire, la philosophie et le droit pour documenter l’évolution des systèmes de représentation et éclairer les enjeux de nos systèmes démocratiques en tension, de plus en plus souvent contestés, voire à bout de souffle.

Le conservateur en chef du patrimoine aux Archives nationales françaises, Amable Sablon du Corail, ouvre le bal avec un riche article sur les grandes traditions représentatives en Europe, entre le 14e et le 18e siècle. « Les 14e et 15e siècles apparaissent comme un moment essentiel de la construction des identités politiques européennes. Le régime représentatif anglais, les particularismes flamand et catalan, le triomphe de l’État souverain en France datent de cette époque. D’une certaine manière, les révolutions anglaises du 17e siècle, l’absolutisme de Louis XIV, le jacobinisme n’en sont que des prolongements et des variations d’amplitude finalement assez modestes », écrit-il.

Jacques de Saint-Victor (Université Paris XII) retrace la montée en puissance de l’antipolitique en Italie, incarnée par Beppe Grillo et le Movimento Cinque Stelle, qui, lors de la crise gouvernementale de 2019, va utiliser la plateforme Rousseau pour demander à ses électeurs de donner leur accord ou non à l’approbation d’une nouvelle coalition avec le Partito Democratico (PD). Pour l’auteur, « en acceptant ce processus de démocratie directe malgré ses faiblesses techniques, les plus hautes instances de l’État italien, notamment le président de la République, Sergio Mattarella, ont pris le risque de couronner la logique de la démocratie directe » en lui donnant l’occasion de primer sur les logiques de démocratie représentative.

Anne-Marie Le Pourhet (Université Rennes I) revient sur l’émergence des concepts de souveraineté populaire et de souveraineté nationale au 18e siècle ainsi que sur les revendications de souveraineté populaire apparues dans la crise des Gilets jaunes en France, avant d’examiner la pertinence de la coexistence de systèmes représentatifs et de démocratie directe. Elle rappelle que, « telle qu’organisée initialement par la Constitution de 1958, la démocratie directe (en l’occurrence, le référendum : NDLR) est plus verticale qu’horizontale et ne correspond pas du tout aux modalités rencontrées en Suisse ou aux USA, où la procédure référendaire part d’en bas, des citoyens eux-mêmes ou de ce que l’on appelle aujourd’hui la ‘société civile’ ». « Il en résulte que si le pouvoir exécutif laisse tomber le référendum en désuétude (ce qui est le cas depuis celui sur le traité constitutionnel en 2005 : NDLR), les citoyens français se trouvent privés du pouvoir d’évoquer le pouvoir de décision et cette frustration finit évidemment par déboucher sur des revendications en faveur d’un ‘supplément d’âme’ démocratique dans nos institutions », écrit-elle, avant de constater que « la démocratie directe, telle qu’elle se pratique en Suisse, aux USA, en Italie, au Danemark, en Irlande ou ailleurs, semble plonger une grande partie des élites françaises dans la paranoïa irrationnelle ».

Parmi bien d’autres articles intéressants, retenons encore celui d’Éric Oliva (Université d’Aix-Marseille) sur l’initiative et le contrôle budgétaire des parlements. Si l’histoire des grandes démocraties est dominée par la conquête du pouvoir budgétaire, entre le 13e et le 17e siècle en Angleterre, puis aux États-Unis et en France à la fin du 18e siècle, les exécutifs ont le plus souvent réussi à reprendre la main et réduire drastiquement les prérogatives budgétaires des parlements. Si nombre de parlements ont été privés de l’initiative budgétaire et de la faculté d’amender le budget, l’auteur estime que leur rôle en matière de contrôle budgétaire pourrait être renforcé. (OJ)

Anne Levade, Nadim Farhat et Philippe Poirier (sous la direction de). Res publica et parlement - Quelles représentations pour quelles démocraties ? Bruylant. Collection Études parlementaires. ISBN : 978-2-8027-6749-7. 196 pages. 62,00 €

Europe 2023, retour à la case départ ?

Federico Santopinto signe l’introduction du chapitre consacré à l’Europe dans l’annuaire stratégique 2024 de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) en estimant que, pour les Européens et tout particulièrement l’Union européenne, l’année stratégique 2023 ressemble à s’y méprendre à 1999. Il rappelle qu’à l’époque, les États membres avaient décidé de transformer leur Union en un acteur stratégique majeur en lui conférant une politique de défense commune, qu’on attend toujours. Or, « les douze mois qui viennent de s’écouler semblent même indiquer que l’Europe est devenue encore plus dépendante de Washington qu’elle ne l’était il y a vingt ans », écrit l’auteur.

À la suite de Jana Puglierin et Jeremy Shapiro (ECFR), il constate que le PIB de l’UE en 2008 était supérieur à celui des États-Unis - 16 200 milliards de dollars contre 14 700 -, alors qu’en 2022 ce rapport s’est inversé - 25 000 milliards de dollars pour les États-Unis contre 19 800 milliards pour l’Union et le Royaume-Uni. Et cet « affaiblissement économique de l’Europe a inévitablement eu des répercussions sur le plan militaire et technologique », avec un écart encore plus important entre les dépenses de défense de l’UE et celles des États-Unis, atteignant 801 milliards de dollars en 2021.Sur le plan technologique, Federico juge « abyssal » l’écart entre les deux rives de l’Atlantique dans le domaine de l’ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), comme l’a notamment montré la très forte dépendance de l’opération française Barkhane, dans le Sahel, vis-à-vis de l’aide américaine.

« Le centre de gravité stratégique de l’Europe a continué à migrer vers l’est. L’adhésion de la Finlande et prochainement de la Suède à l’OTAN, le statut de candidat à l’adhésion à l’UE obtenu par l’Ukraine et la Moldavie, et la montée en puissance de la Pologne, qui a doublé son budget de défense et vise désormais à posséder l’armée de terre la plus puissante d’Europe, ont accentué (…) cette tendance », souligne Federico. Dans le même temps, « la France s’est retrouvée isolée au niveau européen ». « Éloignée de son partenaire historique allemand, accusé de complaisance vis-à-vis de la Russie par la Pologne et les pays baltes » - à quoi l’on pourrait ajouter un soutien militaire modeste à l’Ukraine (à relier à l’état de ses stocks), la situation politique interne et sa contestation en Afrique - « sa capacité d’initiative tant au sein de l’UE que de l’OTAN s’en est ainsi trouvée réduite », constate l’auteur.

« La guerre en Ukraine a (…) prouvé une nouvelle fois que l’Union n’est pas devenue cet acteur stratégique qu’elle s’était promis de devenir en 1999 », souligne Federico, non sans ajouter : « Elle a néanmoins permis à celle-ci d’affûter un nouveau rôle que les États membres semblent disposer à lui accorder : celui de financer la chose militaire. L’Union dispose en effet aujourd’hui d’une politique industrielle de défense qui, dans le passé, lui faisait défaut. Le tournant à ce propos remonte à 2016, mais elle est montée en puissance dans ce domaine au cours de cette dernière année, en mettant en place de nouveaux instruments financiers pour soutenir la production militaro-industrielle. La dynamique amorcée par l’UE dans ce domaine est notable et son rôle semble appelé à croître dans le futur ». C’est vrai, mais on est en droit de se demander jusqu’à quand ? Et jusqu’où ?

Les financements de nature intergouvernementale, mis en place au travers de la ‘Facilité européenne pour la paix’, n’ont qu’une pérennité toute relative et demeurent tributaires du bon vouloir des États membres. Cela vaut aussi pour le financement du Fonds européen de défense, dont l’accroissement dans le cadre de la révision du MFF n’est pas assuré. Quant aux instruments communautaires (EDIRPA et ASAP), ils ont un caractère temporaire et le rejet en bloc par les États membres du volet réglementaire du règlement ASAP visant à soutenir l’augmentation des capacités de production de munitions souligne l’extrême fragilité de ces avancées. On peut donc, à ce stade, raisonnablement douter de ce qu’il adviendra de la proposition de programme européen d’investissements de défense (EDIP), attendue pour la fin de l’année, avec justement pour objectif d’ancrer dans la durée ce nouveau rôle en l’étendant au-delà des munitions, voire, comme le dit le commissaire Thierry Breton, de « le rendre irréversible ». À défaut d’optimisme excessif, gardons néanmoins l’espoir que la raison l’emportera. (OJ)

Pascal Boniface (sous la direction de). L’année stratégique 2024. Armand Colin. ISBN : 978-2-2006-3556-5. 368 pages. 25,00 €

European Security, Eurasian Crossroads?

Zachary Paikin et Christos Katsioulis soulignent l’importance stratégique que revêt aujourd’hui l’Eurasie, comme espace de tensions, de coopération et de compétition, d’importance majeure pour l’Union européenne, la Russie et la Chine. Dans ce contexte, ils estiment que l’UE devrait : (1) tout mettre en œuvre pour maintenir l’OSCE opérationnelle alors que celle-ci court le risque de débuter 2024 sans présidence ni budget ; (2) engager un dialogue limité avec la Biélorussie sur le contrôle des armes ; (3) envisager une place à l’avenir pour la Russie dans la Communauté politique européenne (CPE). Sur ce dernier point, ils suggèrent qu’une fois les structures de la CPE consolidées, les dirigeants européens identifient les conditions et le calendrier potentiel d’une admission de la Russie. (OJ)

Zachary Paikin, Christos Katsioulis. European Security, Eurasian Crossroads? Keeping rules-based cooperation afloat on a war-torn continent. Centre for European Political Studies (CEPS). 13 pages. Cette analyse peut être téléchargée gratuitement sur le site du think tank : https://aeur.eu/f/8mj

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