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Bulletin Quotidien Europe N° 12764

17 juillet 2021
POLITIQUES SECTORIELLES / Interview migration
Birgit Sippel estime qu'il serait temps, sur le Pacte Asile, d'essayer d'avancer avec « les pays les plus sérieux » plutôt que de rechercher le consensus à tout prix
Bruxelles, 16/07/2021 (Agence Europe)

Birgit Sippel (S&D, Allemande) est rapporteur au Parlement européen sur le règlement du Pacte Asile et Migration sur le ‘filtrage’ des migrants aux frontières extérieures de l’UE qui devront passer des contrôles de sécurité pendant cinq jours avant d’être redirigés vers une procédure d’asile ou une procédure à la frontière. Elle espère présenter ses travaux fin septembre ou début octobre. Elle explique à EUROPE les principales difficultés que soulève ce texte et confie qu’il faudrait commencer à envisager d’avancer sur le Pacte avec les pays les plus volontaires, plutôt que de rechercher à tout prix le consensus des Vingt-sept. (Propos recueillis par Solenn Paulic)

Agence Europe - Quelles sont les questions les plus sensibles soulevées par ce règlement 'filtrage' ? Des organisations non gouvernementales (ONG) s'inquiètent de la fiction de non-entrée, qui implique que les migrants arrivant aux frontières de l'UE ne sont pas encore considérés comme étant sur le territoire européen.
Birgit Sippel - La fiction juridique de la non-entrée n'est pas totalement nouvelle, mais elle a des effets très larges. Cela signifiera que presque toutes les personnes arrivant à une frontière et se présentant au contrôle seront considérées comme 'n'étant pas entrées dans l'UE'. C'est très similaire à ces zones de transit que nous avons dans les aéroports. 

Cela signifie, bien sûr, que vous n'avez pas tous les droits dont vous bénéficiez dans l'UE et cela peut également conduire à de grands centres de détention. Car comment allez-vous respecter cette fiction juridique de non-entrée si vous ne vous assurez pas que ces personnes ne quitteront pas une zone spéciale ?

Et ce n'est pas seulement vrai pour le filtrage ; ça l’est aussi pour l'étape suivante du règlement sur les procédures d'asile où cette fiction juridique de non-entrée est également prévue.
La Commission européenne dit pourtant régulièrement que ses propositions n'entraîneront pas la multiplication de centres de détention.

C'est en partie vrai : le texte ‘filtrage’ ne parle pas clairement de la détention ; il y a quelque chose de très vague dans les considérants et le texte laisse finalement aux États membres le soin d'assurer cette fiction juridique.

Mais nous voyons déjà dans les États membres, non seulement en Grèce, mais aussi en Hongrie, en Croatie, ou en partie dans des pays comme la Roumanie et la Bulgarie, que la détention signifie réellement que les gens sont dans des bâtiments fermés, sans pouvoir sortir, sans pouvoir avoir de contact avec les gens à l'extérieur. 

Ce n'est donc peut-être pas l'objectif de la Commission, mais la pratique montre que c'est ce qui se passe. Les États membres qui le font déjà pourront donc continuer ou même élargir cette utilisation de la détention. 

La question est : à quoi ressembleront ces centres fermés ? S'agira-t-il de ces grands centres accueillant des milliers de personnes ? Qu'en est-il de la situation sanitaire ? Qu'en est-il des services éducatifs pour les enfants, surtout à long terme ? 

Et il y a aussi la question importante de savoir si les ONG, les avocats auront accès à toutes ces personnes dans ces camps ; si les personnes seront correctement informées. 

Nous devons également bien voir que la partie de la solidarité manque dans ce texte sur le filtrage. S'il n'y a pas de système obligatoire à un moment ou à un autre pour relocaliser les personnes d'un pays vers d'autres endroits, alors les pays de première entrée auront des tâches supplémentaires. Cela pourrait les mettre encore plus sous pression et donc, constituer une autre raison pour recourir à la détention.

Comment s'assurer que les droits des personnes qui arrivent et sont contrôlées sont bien respectés ? La Commission propose un système de monitoring indépendant mis en place par l'État membre.

Un mécanisme de contrôle indépendant est bien sûr une bonne idée et doit être considéré comme un outil utile. Mais il n'y a pas de conditions préalables ni de descriptions claires.

Si l'on regarde les mois et les années passés, il y a de bonnes raisons de croire que les États membres ne respectent peut-être pas pleinement les droits fondamentaux.

Dans cette mesure, il serait bon que ce ne soit pas seulement les États eux-mêmes et leurs autorités qui organisent ce monitoring, mais qu'ils aient le soutien d'une agence comme la FRA (l'Agence des droits fondamentaux).

Il faut aussi qu'ils permettent aux ONG et aux avocats d'entrer dans les lieux où le filtrage et les procédures d'asile sont effectués pour faire des rapports sur la situation concrète. Nous avons ici besoin d'un peu plus de 'muscle' sur cette proposition de mécanisme de contrôle.

Le règlement prévoit que tous ces contrôles de santé, de sécurité soient faits en cinq jours. Est-ce réalisable ? 

La question est de savoir quelles sont les ressources disponibles sur les lieux où les gens arrivent. Si les personnes ont des besoins particuliers ou sont vulnérables, est-ce possible en cinq jours ? 

Quand il s'agit de problèmes de santé physique ou mentale, vous ne pouvez pas savoir en cinq jours si des personnes sont en difficulté, si elles ont souffert de tortures, d'un viol ou d'autres choses, ou si elles ont des besoins particuliers. 

Peut-être que dans les cinq jours qui suivent leur arrivée, les gens sont stressés, ils ne font confiance à personne, ils peuvent ne pas en parler. 

La deuxième question est celle des ressources techniques, du personnel expérimenté. La Commission dit que si le filtrage ne peut pas être fait dans les cinq jours, il peut être prolongé de dix jours. Et même si ce n'est pas prêt, après dix jours, pas de problème, vous pouvez quand même passer à l'étape suivante. Et alors, le filtrage sera poursuivi. Quel est donc le sens d'une procédure de pré-filtrage si elle peut se poursuivre dans d'autres procédures ? 

Si ce filtrage ne peut être finalisé dans les cinq jours, une décision peut en outre quand même être prise quant au fait de vous diriger soit vers une procédure d'asile normale soit vers une procédure à la frontière. C'est une décision importante pour la vie des gens. Mais que se passe-t-il si l'examen préalable n'est pas fini ? 

Il y a une autre faille. Il n'y a aucune possibilité de contester ou de vérifier si les informations qui sont inscrites dans le formulaire sont correctes. 

Les pays du Sud ne voient que des obligations supplémentaires et demandent en échange plus de garanties de solidarité pour avancer sur le Pacte. Ont-ils raison ?

Nous devrions réfléchir à ce qu'est l'UE. Tous nos gouvernements disent fièrement que nous sommes fondés sur des valeurs, sur la démocratie et sur l'État de droit. Nous venons de célébrer les 70 ans de la Convention de Genève. Mais qu'est-ce que cela signifie, dans la pratique, si nous ne faisons pas preuve de solidarité et si nous ne trouvons pas une réponse commune à la fois à la migration et à l'asile ? Il devrait être évident que nous devons gérer tous ensemble cette situation et prendre nos responsabilités. 

Et donc, je comprends vraiment la situation des pays de premiere entrée. Si vous regardez le texte, à la fois du filtrage, mais aussi des procédures d'asile et des autres dossiers, une fois de plus, il n'y a rien sur la véritable solidarité commune dans le sens de la relocalisation des personnes. 

L’impression que donnent les propositions, c’est que, dans les pays de première arrivée, il faudra loger les personnes, faire le filtrage, faire la procédure d'asile. Si les gens n'obtiennent pas l'asile, il faudra lancer la procédure de retour. Les gens continueront donc à rester dans ce pays. Et même pour ceux qui obtiennent le statut de réfugié, rien n'est prévu en termes de régime obligatoire ou de relocalisation. Tout se passera donc dans ce pays de première arrivée. Je comprends parfaitement que ces pays souhaitent voir des éléments de solidarité plus contraignants. 

Les travaux au Conseil de l'UE avancent doucement. L'UE réussira-t-elle cette fois sa réforme de l'asile et de la migration ?

Peut-être ne devrions-nous pas essayer désespérément de convaincre tous les États membres ; il est peut-être préférable d'obtenir un résultat avec un nombre assez important d'États membres, mais pas forcément tous. 

Faire des compromis ne doit pas être le seul objectif. Il faut aussi regarder le résultat concret. Il est peut être possible d’avancer seulement avec 15-20 pays, les 'plus sérieux'. En 2015, sur la relocalisation, une décision avait été prise et tous les États membres n'y avaient pas participé. Cela pourrait être une porte de sortie.

Et nous avons aujourd'hui la conditionnalité des fonds. Donc, si nous avons une solution, nous pouvons dire : 'Vous ne voulez pas participer ? Très bien, mais bien sûr, vous obtiendrez moins d'argent des fonds'. Je pense qu'il est grand temps que nous utilisions ces instruments.

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