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Bulletin Quotidien Europe N° 12594

4 novembre 2020
Sommaire Publication complète Par article 33 / 33
Kiosque / Kiosque
N° 024
Bruxelles, 03/11/2020 (Agence Europe)

Wij kennen Amerika helemaal niet

 

Voilà un bouquin qui tombe à pic et qui mériterait une traduction dans d’autres langues européennes, tant il est vrai que les Européens ne connaissent vraiment pas les États-Unis. Comme les Néerlandais, ils sont nombreux à rêver d’une Amérique mythique, aux accents hollywoodiens. Pour nous ramener à la réalité, Mark Verheijen, qui a été membre de la Tweede Kamer du Parlement des Pays-Bas de 2012 à 2015 pour le parti libéral VVD, nous emmène à la rencontre de l’Amérique profonde à sept mois de l’élection présidentielle. Il nous fait traverser les États, dont certains swing states qui ont joué un rôle crucial dans l’élection de Donald Trump, entre Washington et Chicago. Ce voyage, débuté en février 2020, structure l’ouvrage et l’agrémente de choses vues, de propos d’Américains « ordinaires » rencontrés sur la route, d’éléments culturels et folkloriques, d’anecdotes. Il est aussi marqué par la campagne des primaires démocrates, la première vague du Covid-19 et les violences policières. Mais l’ouvrage est bien plus qu’un récit de voyage agrémenté d’un condensé d’actualité. L’auteur, qui a étudié l’histoire et la philosophie, en profite aussi pour nous replonger dans l’histoire des États-Unis.

 

« Nous regardons souvent vers l’autre côté de l’océan avec nos lunettes ouest-européennes, comme s’il n’y avait là qu’une variante de notre propre pays. Mais il s’agit d’un monde autonome avec une culture totalement différente. Une culture pleine de paradoxes. Les Américains donnent le ton à l’échelle planétaire dans les domaines de la culture et de l’innovation, mais, en même temps, le pays est arriéré et conservateur. Les Américains sont fiers de leur liberté et de leur indépendance, mais, en même temps, les règles et la bureaucratie sont partout et dépassent parfois ce que nous connaissons, comme en matière de protection des consommateurs et de sûreté des produits. Le pays se nomme bien les États-Unis, mais dans beaucoup de domaines l’Amérique est moins centralisée et moins unitaire que l’Europe traditionnellement divisée. Mais la plus grande différence avec nous réside dans le besoin d'autonomie et l'appel à la responsabilité personnelle », souligne l’auteur avant d’insister sur la profonde division actuelle des États-Unis. Une division qui n’a eu de cesse de croître au cours des dernières années et qui n’a vraiment rien à envier à celle que connaît l’Europe. Les États-Unis sont profondément marqués par la lutte contre le pouvoir fédéral et Washington est, au moins autant que Bruxelles du côté européen, « le bouc émissaire idéal » des politiciens élus dans les États fédérés « pour tout ce qui ne marche pas dans le pays ».

 

En nous faisant visiter Washington, Mark Verheijen en profite pour présenter le système politique américain. Il y apporte par la suite de nombreuses autres précisions, au fil de ses étapes. Après Pittsburgh, qui relève plus de la visite touristique, il nous entraîne dans la « ville minière mourante » de Wheeling dans une Virginie occidentale qui « ressemble à un pays en voie de développement ». Des régions en crise après des fermetures de mines ou d’usines, l’Europe en a connu également, rappelle l’auteur en soulignant que Bruce Springsteen est le meilleur interprète de ces situations tragiques et que ce n’est pas étonnant que son fan néerlandais le plus connu soit Frans Timmermans. L’actuel commissaire européen chargé du Green Deal est originaire de Heerlen, dans l’ancienne région minière du Limburg. Si les infrastructures sont très souvent dans un état déplorable aux États-Unis, le pont suspendu de Wheeling, construit en 1849 et qui fit la fierté des habitants, est aujourd’hui fermé à la circulation. Il est, comme la gare de Detroit, abandonnée aux squatters, le symbole des crises et de la désindustrialisation accélérée par la mondialisation, mais aussi d’un sous-investissement chronique dans les infrastructures. L’auteur ne manque pas de souligner que le chemin de fer qui avait autrefois permis de relier les Américains n’est plus que l’ombre de lui-même, avec des matériels obsolètes et des trains lents et toujours en retard.

 

La traversée de l’Ohio le conduit à évoquer : - les prisons américaines et leurs 2,3 millions de détenus, en majorité noirs (un homme noir sur trois a été incarcéré dans sa vie et 10% des hommes noirs américains entre 20 et 34 ans se trouvent en prison) ; - la loi sur le crime de 1994, dont l’auteur n’est autre que Joe Biden, et qui a augmenté le taux d’incarcération ; - le business des prisons avec ses employés et ses fournisseurs (pas moins de 184 sociétés employant 192 000 personnes sont économiquement dépendantes des prisons dans le seul État de l’Ohio). L’Ohio est aussi un État emblématique pour la pauvreté, les inégalités sociales et les difficultés d’accès à la santé.

 

Dans le Michigan voisin, l’ancien fleuron de l’industrie automobile, Detroit, a vu sa population divisée par trois, passant de plus de 1,8 million d’habitants à environ 650 000, sur fond de pauvreté, mais aussi de criminalité endémique avec 39 meurtres pour 100 000 habitants par an, soit plus qu’à Chicago (21), New York (3) ou Amsterdam (1,6). Au total, en 2019, les États-Unis ont dénombré 417 tueries de masse au niveau fédéral et 15 000 morts par arme à feu. Dans cette même ville de Detroit, Mark Verheijen va cependant participer comme bénévole à la campagne de Bernie Sanders, parce qu’il apprécie les gens passionnés, même s’il reconnaît être lui-même plus à droite. Pour autant, en se fondant sur les sondages, il n’hésite pas à affirmer : « Une version proprement américaine de la social-démocratie est en train d’émerger ». Ce n’est toutefois pas lors de la présidentielle de 2020 qu’elle se concrétisera. Si les jeunes sont aujourd’hui plus à gauche, les démocrates ont finalement choisi Biden, qui représente davantage l’establishment et le business et qui, selon l’auteur, risque d’avoir plus de difficultés à l’emporter qu’un Sanders, qui est en quelque sorte « un Trump de gauche ». Pour l’auteur, l’Amérique mérite mieux que Biden et, si ce dernier finissait par gagner, ce serait surtout le résultat des derniers mois de la présidence de Donald Trump, qui ont fait « la démonstration permanente de son incompétence ». (Olivier Jehin)

 

Mark Verheijen. We kennen Amerika helemaal niet – Op reis door het land van de Trump stemmers. Prometheus. ISBN : 978-9-044-64492-0. 240 pages. 19,99 €

 

Gran balan

 

Avec « Gran balan », expression créole dont le lecteur découvrira le sens vers le milieu de l’ouvrage, l’ancienne députée européenne et ministre française de la Justice Christiane Taubira signe son premier roman. Un roman qui fait chatoyer, chanter et danser la Guyane, son « pays natal ». Un roman plein de verve, de fougue et de passion. À l’image de Christiane en somme.

 

L’ouvrage s’ouvre sur l’audience d’un procès et se terminera sur le prononcé d’une sentence laissée en suspens, pour laisser le lecteur seul juge ou, qui sait, ouvrir la voie à une suite. Dans l’intervalle, l’auteur nous entraîne à la découverte ou la redécouverte de la Guyane, des femmes et des hommes, de la flore et de la faune, des langues et des cultures, même si le créole guyanais (avec traduction) est dominant. Se succèdent notamment une belle description de Cayenne, des escapades le long du Maroni (à l’ouest) et de l’Oyapock (à l’est) ou encore au Surinam. Il y a bien une intrigue, mais elle se niche dans une vaste fresque de la vie sociale guyanaise, avec comme acteurs principaux les jeunes qui voudraient « être les auteurs de leurs vies ». « Une jeunesse encerclée par les risques, les abandons, les à quoi bon. À qui on vole l’énergie des écarts, des intrépidités, des singularités. Celles-là qui justement tonifient le tissu social », écrit l’auteur. Il y a bien aussi un procès, dont des jeunes sont à la fois les accusés et les victimes. Mais le véritable procès est en définitive celui de la politique locale, des pouvoirs publics français, des échecs de développement économique, mais surtout humain, du mal-être guyanais.

 

Le réquisitoire qui s’enchaîne fait la part belle aux combats qui n’ont cessé d’animer Christiane Taubira, avec, en première ligne, les femmes, les jeunes ou encore la liberté et la dignité qui imposent la reconnaissance de l’esclavage, dans toutes ses formes et à toutes les époques, comme crime contre l’humanité. Colons et esclavagistes français, mais aussi néerlandais, portugais et espagnols, présents sur le plateau des Guyanes et alentour, en prennent tous pour leur grade. Au-delà de ce mémorial, ce sont tous les maux dont souffre la Guyane qui défilent : un carnaval remodelé pour d’hypothétiques touristes dans une vaine prétention à faire concurrence à Rio ; l’absence de routes (à peine 300 km pour un territoire de 83.846 km²) et des travaux publics dont l’efficacité laisse pour le moins à désirer ; les multinationales prédatrices ; la gestion des ressources naturelles ; les conditions d’implantation du Centre spatial et la pollution ; l’insécurité enfin, dont le récit nous replonge dans le mouvement de ras-le-bol « Nou gon ké sa » de février 2017.

 

Gran balan donne ainsi à réfléchir autant qu’à fredonner, sourire, rêver. Il s’adresse à tous, Guyanais et non Guyanais, avec des émotions et des souvenirs pour les uns et un dépaysement assuré pour les autres. (O. J.)

 

Christiane Taubira. Gran balan. Plon. ISBN : 978-2-2593-0501-3. 360 pages. 17,90 €

 

Espace judiciaire civil européen

 

L’espace judiciaire civil européen est aujourd’hui une réalité complexe et tout juriste doit connaître les textes et la jurisprudence qui le construisent. C’est donc principalement aux praticiens du droit que s’adresse ce pavé extrêmement bien fait. Cet outil de travail d’une grande utilité est le fruit d’une équipe d’éminents spécialistes réunis par Guillaume Payan, maître de conférences à l’Université de Toulon.

 

L’ouvrage recense et analyse pas moins de 347 arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, en les replaçant dans le cadre des règlements auxquels ils s’appliquent, contribuant ainsi à leur interprétation. Comme le rappelle dans la préface de l’ouvrage Hélène Gaudemet-Tallon, professeur émérite de l’Université Paris 2 et membre de l’Institut de droit international, cette jurisprudence concerne un ensemble de matières qui n’a cessé de croître depuis l’apparition de la « coopération judiciaire en matière civile » avec le Traité de Maastricht en 1992 : reconnaissance et exécution des jugements en matière civile et commerciale ; procédures d’insolvabilité ; reconnaissance et exécution des jugements en matière matrimoniale et de responsabilité parentale ; procédure européenne d’injonction de payer ; règlement des petits litiges, etc. Historiquement, la coopération judiciaire en matière civile s’était « vite révélée comme une nécessité pour construire l’Europe » et « c’est dès le 27 septembre 1968 qu’avait été adoptée la convention de Bruxelles sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale », reprise et modifiée depuis lors par deux règlements de 2000 et 2012. Ces textes et tous ceux adoptés par la suite se sont inscrits dans une « logique de détermination de règles communes de droit international privé en Europe, destinées à assurer plus de sécurité juridique aux citoyens et aux acteurs économiques », souligne Hélène Gaudemet-Tallon, en ajoutant : « L’entreprise est difficile, les résultats ne sont pas toujours parfaits, mais ils ont des aspects positifs indéniables ». (O. J.)

 

Guillaume Payan (sous la direction de). Espace judiciaire civil européen – Arrêts de la CJUE et commentaires. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-6595-0. 1224 pages. 95,00 €

 

L’organisation et le financement public du culte islamique

 

Alors que le meurtre ignoble d’un enseignant français vient de relancer en France l’ambition des pouvoirs publics d’encadrer l’organisation et le financement du culte islamique sur fond de tensions internationales, cette étude vient rappeler que la Belgique a été le premier pays d’Europe occidentale à reconnaître, en 1974, le culte islamique et à chercher à lui appliquer la législation sur la gestion du temporel des cultes, qui remonte à un décret impérial du 30 décembre 1809 complété par une loi de 1870. Initialement introduite dans tout l’empire français dans la foulée du concordat de 1801 organisant le culte catholique et la prise en charge des traitements des évêques et des prêtres par l’État, cette législation, aujourd’hui en grande partie régionalisée, a été étendue au judaïsme (1808), aux églises anglicane (1835), protestantes (1876) et orthodoxes (1985) et à l’islam.

 

L’étude souligne les difficultés rencontrées par la Belgique et d’autres États européens pour identifier un interlocuteur pour le culte islamique, toutes les tentatives de constitution d’un « organe représentatif » se heurtant systématiquement à l’absence de structure cléricale hiérarchique dans l’islam et aux forces centrifuges que constituent les divers courants de l’islam et les origines culturelles et nationales des musulmans. Alors qu’il est parfaitement légitime pour tout État européen de chercher à veiller à un financement local de la construction et de l’entretien de lieux de culte ainsi qu’à un financement local du culte proprement dit en vue d’éviter toute ingérence politique étrangère et de s’assurer, par une formation adéquate des responsables religieux, du respect des règles démocratiques et des lois en vigueur sur leur territoire, il apparait, comme le note en conclusion Caroline Sägesser, que « la séparation de l’Église et de l’État, considérée comme un acquis de la modernité et une avancée démocratique, constitue un défi pour l’organisation du financement public du culte islamique en Europe ». (O. J.)

 

Caroline Sägesser. L’organisation et le financement du culte islamique. Belgique et perspectives européennes. Courrier hebdomadaire du CRISP, numéro 2459-2460. ISBN : 978-2-87075-241-8. 71 pages. 12,40 €

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