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Bulletin Quotidien Europe N° 12529

17 juillet 2020
Sommaire Publication complète Par article 31 / 31
CARTE BLANCHE / Transparence
La nouvelle transparence législative du Conseil : réel progrès ou poudre aux yeux ? par Emilio De Capitani

Ancien secrétaire de la commission parlementaire des libertés civiles (LIBE) du Parlement européen entre 1998 et 2011, actuellement visiting professor à la Queen Mary Law School de Londres, à la Scuola Superiore S. Anna de Pisa (Italie) et directeur exécutif de l’ASBL FREE Group (Fundamental Rights European Experts Group), Emilio De Capitani s’est fait connaître notamment pour avoir gagné devant le Tribunal de justice de l’UE contre le Conseil sur le fait de rendre certains documents publics. 

Mardi 14 juillet, les ambassadeurs des États membres auprès de l’UE au sein du Coreper ont adopté une nouvelle ligne de conduite qui devrait assurer plus de transparence législative au niveau du Conseil de l’UE. 

Saluée comme un premier succès de la Présidence allemande du Conseil de l’UE, cette démarche est toutefois, à mon avis, bien en deçà de ce qu’on aurait pu s’attendre sur la base des dispositions du Traité de Lisbonne, de la Charte des droits fondamentaux (art. 42 sur l’accès aux documents et 41 sur le droit à la bonne administration) ou encore du règlement 1049/01 relatif à l’accès du public aux documents. 

Surtout, elle ne prend pas en compte dix années de jurisprudence de la Cour de justice de l’UE en matière de transparence législative, à partir de l’affaire Turco de 2008 jusqu’aux affaires de 2018 T-540/15 sur l’accès aux documents législatifs lors des négociations interinstitutionnelles (trilogues) et C-57/16 ‘Client Heart’ sur l’accès aux évaluations d’impact liées à des procédures législatives. 

Mais regardons tout cela de plus près. Selon la nouvelle approche de « transparence » du Conseil, seraient directement accessibles : la proposition de la Commission (qui est d’ailleurs déjà publique), les ordres du jour des réunions (comme cela est déjà prévu par le Traité de Lisbonne et par le règlement intérieur du Conseil) ou encore les rapports sur l’état d’avancement des travaux législatifs soumis au Coreper… pour autant qu’aucune délégation ne s’y oppose. 

Ainsi, cette nouvelle disposition est d’une légitimité douteuse, étant donné que les décisions sur la transparence au sein du Conseil requièrent la majorité simple. Ici, il y a un risque de créer une sorte de droit de veto pour toutes les délégations. Mais poursuivons.

 La nouvelle ligne de conduite prévoit aussi la publication des rapports soumis au Conseil sur des points législatifs à l’ordre du jour. Ici, la publicité découle de la lettre du Traité, qui exige que « le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif. À cet effet, chaque session du Conseil est divisée en deux parties, consacrées respectivement aux délibérations sur les actes législatifs de l’Union et aux activités non législatives » (art. 16 du TUE). 

La nouvelle approche du Conseil suggère également que le mandat pour une négociation législative avec le Parlement européen soit publié, une fois adopté par le Conseil ou le Coreper. Là encore, rien de nouveau, dans la mesure où les mandats pour la négociation législative sont des documents faisant partie du processus législatif qui doivent être accessibles au titre de l’art.15 du TFUE et de l’art.12 du Règlement 1049/01 sur l’accès direct sous forme électronique ou par l’intermédiaire d’un registre.

Selon la nouvelle position du Coreper, les documents soumis aux trilogues seraient publiés, mais sans les propositions de compromis, qui sont censées être au cœur des débats. Donc, la grande avancée serait de publier ce qui est déjà… public. 

Et quid de la publication annoncée de la position du Conseil sur le compromis clôturant les trilogues, une fois entériné par le Coreper ? Là encore, il s’agit d’un document qui est déjà public, parce qu’il est censé être voté par le colégislateur. 

Ou encore la lettre envoyée au PE avec le texte de compromis sur lequel le Coreper s’engage ? Même chose : cette lettre est publique depuis la première fois qu’elle avait été envoyée lors de l’adoption du règlement 45/2001 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires. 

Ainsi, à vrai dire, tous les documents formels en première et deuxième lecture sont publics, comme cela était déjà le cas pour les procédures de coopération depuis l’Acte unique européen de... 1987. 

Les positions nationales toujours aussi secrètes 

Bien évidemment, aucun de ces documents (hormis les listes des votes) ne permet au citoyen de savoir quelle était la position de son gouvernement pendant les négociations législatives. 

À ce sujet, il suffit de rappeler que, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, non seulement les votes, mais aussi les débats législatifs devraient être publics, de sorte qu’il soit permis aux citoyens de connaître la position de leurs représentants tant au niveau du Conseil que du Parlement européen. 

Or, si les débats au niveau parlementaire avant les trilogues sont relativement accessibles, tant au niveau des commissions parlementaires que de la plénière, la transparence législative au niveau du Conseil reste donc très limitée.

Ceci risque de continuer à être le cas aussi après l’apparente nouvelle ouverture qui vient d’être annoncée par le Coreper. Il restera presque impossible de connaître les positions des délégations nationales lors des négociations au sein du Conseil et encore plus lors des négociations interinstitutionnelles avec le Parlement européen en présence de la Commission. 

Remarquez que ce flou artistique n’est pas dans l’intérêt des gouvernements en tant que tels, mais plutôt dans celui des Représentants permanents, qui peuvent ainsi mieux jouer sur les compromis nécessaires et, le cas échéant, revenir sur leur position initiale sans devoir se justifier devant leur parlement national et encore moins devant les citoyens de leur pays. 

Cette approche est désormais contre la lettre et l’esprit des Traités européens, qui exigent, comme la Cour l’a récemment rappelé dans les arrêts ‘Access Info’, ‘Trilogues’ et ‘Client Heart’, que, non seulement, les citoyens soient proactivement informés, mais qu’ils puissent, s’ils le souhaitent, contribuer à l’amélioration de la qualité législative par une participation accrue au processus décisionnel de l’Union. 

Un Parlement européen complice 

Ainsi, force est de constater que les mesures qui viennent d’être adoptées par le Coreper ne sont que de nature cosmétique. L’expérience quotidienne nous montre que, désormais, la plupart des documents préparatoires du Conseil liés aux processus législatifs ne sont pas directement accessibles au public, mais marqués comme des documents couverts par le secret professionnel (avec le code LIMITE). 

Ils sont distribués notamment au sein d’un groupe de travail et, contrairement à ce qui est prévu par l’art. 11 du règlement 1049/01, ils ne sont plus répertoriés immédiatement dans le registre du Conseil, mais repris avec des mois et, quelquefois, des années de retard (voir les milliers de documents marqués par le code WK).

Pouvons-nous considérer ces pratiques conformes à l’art. 15 du règlement 1049/01 qui requiert que : « Les institutions développent de bonnes pratiques administratives en vue de faciliter l’exercice du droit d’accès » ? 

Permettez-moi d’en douter. À ce titre, je n’arrive pas à comprendre la position du Parlement européen qui, en public, conteste depuis des années cette situation qui ne lui permet pas de connaître la position des délégations nationales au sein du Conseil, mais, dans la pratique, accepte cette pratique et, de fait, couvre le Conseil contre l’intérêt des citoyens européens.

Pour consulter le document : https://bit.ly/3h2zX7l ">https://bit.ly/3h2zX7l  

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