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Bulletin Quotidien Europe N° 13458

23 juillet 2024
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N° 111

Comment parler d’Europe ?

« Repenser la façon de parler d’Europe n’est pas qu’un exercice de communication. Il ne s’agit pas seulement de choisir des mots, de travailler sur un ‘narratif’ ou de contrer les gouvernements qui, toujours, sont tentés de nationaliser leurs succès et de communautariser leurs échecs. Il ne s’agit pas, non plus, de puiser dans le réservoir des formules toutes faites et d’en faire ressortir à intervalles réguliers l’esprit de ‘l’Europe des Lumières’ née dans les salons aristocratiques du 18e siècle. Il s’agit de retrouver le sens de ce projet, qui, reposant sur une coopération économique, a trop souvent oublié la politique », écrit, dans ce bref essai, Richard Werly, journaliste et correspondant France-Europe du quotidien suisse Blick.

« Alors qu’il a longtemps mobilisé les écrivains, les romanciers et même les poètes, assommés par les désastres des guerres successives qui transformèrent le continent en bourbiers et en cimetières, le fait d’être ‘européens’ ne soulève plus aujourd’hui ni surprise, ni polémique, ni adhésion, ni même – à quelques exceptions près – envie littéraire ou cinématographique. Les qualités qui suscitaient l’envie, voire l’admiration, se sont estompées. Les journalistes et les experts (ces derniers réunis dans des think tanks souvent cofinancés par l’Union européenne, ce qui pose un sérieux conflit d’intérêts, exploités par ses détracteurs) se sont approprié ce débat essentiel, tandis que les politiques continuent inlassablement, devant les micros et les caméras, de brandir des arguments nationaux pour défendre ou pourfendre l’intégration », constate avec raison notre confrère.

Parler d’Europe, mais avec qui, pour qui et dans quel but ? « Vu du Berlaymont, le QG bruxellois de la Commission européenne, la réponse est simple comme le texte d’une directive ‘copiée-collée’ des précédentes, remplie de ce jargon juridique communautaire dont l’expérience montre qu’il n’a pas son pareil pour noyer les espoirs et les ambitions de nos armées d’idéalistes. Communiquer sur l’Union européenne vise, avant tout, pour la bureaucratie qui la gère au quotidien depuis les immeubles plutôt blafards de la capitale belge, à faire en sorte que ses pays membres aient connaissance de ses actions pour que leurs citoyens reconnaissent ses mérites. Le résultat : un toboggan de formules toutes faites, d’acronymes, de communiqués officiels taillés au cordeau pour ne déplaire à personne, de communiqués de presse toujours pédagogues, mais si formatés qu’ils pourront être demain réalisés (s’ils ne le sont pas déjà) par des robots porte-parole dotés d’un logiciel performant d’intelligence artificielle », observe l’auteur. Avant de fustiger cette « Europe de l’inventaire » à la Prévert, qui, à défaut de poésie, croit pouvoir convaincre par les additions dont elle s’autocongratule. Richard Werly y décèle « une maladie auto-immune dont souffre l’Union, aggravée par son incapacité à s’interroger sur ses causes et à chercher le remède ailleurs que dans les couloirs de ses institutions ou des gouvernements ». Une « maladie qui conduit à un dysfonctionnement du système immunitaire européen (censé le protéger des attaques de virus ou de bactéries nationalistes, populistes ou simplement égoïstes) consiste à négliger l’argumentaire au profit de l’inventaire ».

Et cette « Europe de l’inventaire est un danger, car (elle) repose sur des réalités chiffrées faciles à déformer, à contester, à oublier… Ou à remplacer par d’autres données fausses, mais présentées comme forcément justes, parce qu’elles n’émanent pas du microcosme bruxellois. C’est ce qu’ont bien compris les complotistes et les émetteurs de ‘fake news’, éventuellement instrumentalisés par des puissances étrangères hostiles dans le cadre d’une guerre informationnelle sans comparaison avec les débats d’hier. Il suffit d’un chiffre exagéré, voire inventé de toute pièce et lancé en pâture pour attiser la peur à chaque nouvelle arrivée de migrants sur les côtes grecques, italiennes ou espagnoles. Il suffit d’insinuer des allégations de corruption entre dirigeants de l’Union et laboratoires pharmaceutiques pour ruiner le succès que fut la mutualisation des achats de vaccins durant la pandémie. Or, qu’a répondu la Commission aux allégations portées contre sa présidente, Ursula von der Leyen, accusée de collusion avec le laboratoire Pfizer ? Rien. À entendre les porte-parole bruxellois, la quantité de vaccins produits - environ quatre milliards de doses - prouve au-delà de toute contestation possible le succès de l’opération et l’efficacité sanitaire de la réponse européenne. Faux. Ce type d’inventaire ne veut rien dire. Au contraire : plus il est asséné, plus il irrite et plus il conforte dans leurs convictions ceux qui voient derrière ces chiffres l’ombre de sordides manipulations statistiques et médicales », écrit l’auteur, dont le propos est pour le moins justifié quant à la communication de la Commission. Il mérite toutefois d’être nuancé, en rappelant qu’à défaut de complot, l’absence de transparence constitue un véritable problème dans le cas d’espèce, comme vient d’ailleurs de le rappeler le Tribunal de l’UE dans un arrêt daté du 17 juillet. D’une manière plus générale, il convient aussi de rappeler que la construction européenne présente d’importantes failles démocratiques et a connu une opacification croissante au cours des vingt dernières années. Or, il ne peut exister de démocratie sans publicité, de contrôle démocratique sans informations sur les intérêts, les acteurs, les débats et les procédures décisionnelles.

Rappelant que dans un discours du 9 juin 1955, à Luxembourg, Jean-Monnet décrivait la construction naissante comme les « États-Unis d’Europe », l’auteur se demande s’il ne serait pas temps de « sortir cette formule ambitieuse du placard » pour fixer une cible, donner un sens, compréhensible par tous, à un projet européen qui semble désincarné. La formule aura ses détracteurs. Mais, observe l’auteur, « l’Amérique demeure un modèle fort, puissant. Évocateur, porteur de dynamisme et de libertés malgré ses fractures abyssales et l’anathème politique que constitue un Donald Trump ».

 « Reparler d’Europe aux peuples est la priorité absolue. Et pas seulement au travers de campagnes de communication décidées à Bruxelles, sur la base de propositions élaborées par des cabinets de consultants gorgés d’études et de sondages. De Gaulle, habitué au langage des casernes et des hommes de troupe, parlait aux tripes. Jean Monnet parlait au portefeuille. Jacques Delors parlait à l’appétit intellectuel et au collectif. L’avenir appartient, du côté des défenseurs du projet européen, à ceux qui, comme eux, trouveront à la fois les mots pour émouvoir, faire comprendre et expliquer. À la confluence de la pédagogie et de l’envie », poursuit l’auteur, en rappelant qu’il est « impossible de bâtir un argumentaire sans connaître son public ».

Suit un morceau de bravoure sur la communication mercantiliste dont nous ne résistons pas à reproduire cet extrait éloquent : « La Commission européenne, bien sûr, multiplie les campagnes d’affichage, comme la dernière en date, intitulée ‘L’Europe c’est toi’. D’accord. Mais pense-t-on que la mise en avant des bénéfices matériels de la communauté, de la lutte à 27 contre le réchauffement climatique au roaming téléphonique, peut encore susciter l’adhésion au projet européen dans un monde où le confort matériel l’a emporté et où le luxe, synonyme d’inégalités et de frustrations sociales, envahit les murs des villes et les vitrines ? Pense-t-on que l’Europe des peuples peut se résumer à ce type d’équation très utilitariste ? Dis-moi ce que tu consommes et je te dirai ce qui est européen dans ton assiette, dans ta voiture, dans ton supermarché ou dans ton cartable ! Comme si le citoyen européen se fabriquait ainsi à son insu, à force d’être convaincu que l’Europe est son élément naturel. Appelons cela la méthode Coué de Bruxelles : répéter à l’envi que l’Europe est notre cadre naturel de vie, que l’Europe nous défend, qu’elle nous protège, qu’elle nous vaccine et qu’elle investit pour nous dans les technologies d’avenir. (…) Cette manière de parler de l’Europe, présumée efficace, n’a malheureusement rien de concluant. D’abord parce qu’elle occulte le vécu. Même s’il bénéficie d’une infrastructure payée sur les deniers de l’Union européenne, l’individu roule sur une route française, belge ou néerlandaise. Même si son alimentation est aujourd’hui régie par des normes sanitaires européennes, destinées à préserver notre meilleure santé, l’étiquette qui s’offre à nous est écrite dans la langue du pays où l’on se trouve. Prenez le roaming, cette victoire sur les géants de la télécommunication qui permet à des millions d’Européens de continuer à utiliser leur smartphone sans surcoût dans un autre pays que le leur. Qui attribue ce succès à l’Union européenne ? Qui remercie l’Europe pour avoir fait diminuer sa facture de portable de moitié ou plus ? Personne ou presque. Et c’est normal. D’autres factures ont en effet remplacé celles-ci et le citoyen européen moyen ne franchit pas tous les jours une frontière pour bénéficier des mérites tarifaires concédés aux globe-trotters invétérés. En bref, l’Union européenne n’a pas allégé les dépenses autant qu’elle l’aurait pu ou dû, tant s’en faut. Plus grave : la promesse d’un marché unique concurrentiel, donc favorable aux consommateurs, s’est largement dissipée, réduite en cendres par les chocs géopolitiques et les tensions sur le marché de l’énergie. (…) L’utilitarisme européen a trouvé ses limites, et même l’euro, cette monnaie unique supposée créer de l’adhésion politique, ne remplit plus ce rôle. L’argent cash disparaît. Les billets ornés de ponts circulent de moins en moins. La symbolique de la monnaie unique disparaît dans le brouillard des transactions électroniques. Les cartes de crédit ne sont jamais européennes. Notre quotidien n’est pas rythmé par le E de l’Euro, mais par le V de Visa, une entreprise américaine ».

Et puis il y a l’hyperpersonnalisation du pouvoir par Ursula von der Leyen, dans un monde rythmé par l’Internet et les réseaux sociaux. « Comment espérer qu’un citoyen européen, dont l’univers quotidien demeure national et que son gouvernement cajole dans l’idée que ses frontières le protègent encore, ne soit pas choqué, voire révulsé par la propension de la présidente de la Commission européenne à prendre les devants de tout le monde sur tout ? », s’interroge Richard Werly. Et il poursuit : « Le ‘qui parle’ est dévoyé, car le tempo et la chorégraphie ne sont plus respectés. Une communication performante suppose que l’émetteur de l’information soit, avant toute chose, jugé crédible par son public. Jean Monnet, Jacques Delors et bien d’autres étaient crédibles lorsqu’ils s’exprimaient au nom de la future Union européenne. Qui l’est aujourd’hui ? De la centralisation de plus en plus préoccupante de la responsabilité provient le sentiment d’irresponsabilité généralisée. En quoi la parole d’Ursula von der Leyen sur l’immigration, sujet clivant et angoissant s’il en est, est encore crédible alors que l’ancien directeur général de Frontex (Fabrice Leggeri) se porte candidat en troisième position (et a été élu le 9 juin) sur la liste du Rassemblement national, dont le mot d’ordre est, peu ou prou, de détricoter le canevas européen pour n’en garder que le squelette mal identifié de l’Europe des nations ? »

« Seule une forte poussée européenne sur le front de la sécurité sociale, au sens de la sécurité de l’emploi et des salaires, peut rebattre la donne et réinsuffler de l’énergie au projet politique. Le moins-disant social et la régression salariale, combattus par les textes de directives, mais imposés dans les faits par le déferlement de produits importés fabriqués dans des conditions de concurrence déloyale, sont des remparts qu’il n’est plus possible d’abattre par de simples affirmations », estime l’auteur.

Et Richard Werly de conclure en suggérant une méthode en cinq points : (1) Parler moins : « Cesser de communiquer sur tous les sujets et d’estimer que l’Union européenne a vocation à s’exprimer sur tous les domaines, y compris ceux à la lisière de ses compétences reconnues par les traités » ; (2) Parler simple, avec des outils tels que l’illustration, l’infographie, les calendriers, les chronologies, les questions-réponses et l’accessibilité immédiate et facile en ligne de ces matériels ; (3) Miser sur l’efficacité : « Chaque représentation ou délégation de l’Union européenne devrait comporter en son sein, non pas un porte-parole, mais une équipe de communicants capables, en temps réel, de fournir des réponses aux citoyens et aux institutions locales, puis de les rendre publiques » ; (4) Réhabiliter la subsidiarité : « Les administrations nationales ou régionales des pays membres de l’Union ne doivent plus être réceptrices du récit européen. Elles doivent contribuer à le fabriquer, être associées, dans chaque État membre, à sa conception et à son formatage pour le rendre le plus efficace possible » ; (5) Anticiper : « Les scénarios d’anticipation ont le mérite de marquer les esprits. Constituer un laboratoire chargé uniquement de travailler sur ces narratifs du futur est indispensable, quitte à y associer, comme le font maintenant les armées, des romanciers, des créateurs et des artistes ». (Olivier Jehin)

Richard Werly. Comment parler d’Europe ? Les mots, les mythes, les faits. Fondation Jean Monnet. Collection Débats et Documents, n° 35, mai 2024. ISSN : 2296-7710. 48 pages. Cet essai peut être téléchargé sur le site de la fondation : https://aeur.eu/f/d32

Regional Health Care in the EU

En partant des données de la pandémie de Covid-19 de 2021 (deuxième année), cette étude de la SWP souligne la corrélation entre le niveau de développement économique et social et la surmortalité. Selon Michael Bayerlein, l’analyse des disparités régionales ne permet pas d’établir un lien entre le nombre de médecins pour 100 000 habitants et la surmortalité. En revanche, le nombre de lits d’hôpitaux constitue bien un facteur associé à la surmortalité régionale. Si cette étude confirme ainsi les difficultés d’accès aux soins des populations les plus défavorisées, son caractère purement économétrique ne permet pas, selon nous, de tenir compte des effets induits par la très grande disparité des systèmes de santé, des politiques conduites en termes d’infrastructures et d’accès aux soins, et s’agissant de la pandémie, de communication politique et de mesures prises aux différents échelons : national, régional et local. Elle n’en demeure pas moins intéressante dans l’analyse des effets de l’intervention européenne. S’il n’est pas encore possible de mesurer l’impact du fonds EU4health, doté d’un budget de 5,3 milliards d’euros, adopté en mars 2021, l’auteur souligne que l’intervention des fonds structurels dans les régions les plus pauvres, notamment en Europe orientale, a contribué à une augmentation du nombre de lits d’hôpitaux et à une meilleure offre de soins. Conclusion : la lutte contre les maladies émergentes passe par une concentration accrue des fonds structurels sur les régions les plus défavorisées. (OJ)

Michael Bayerlein. Regional Health Care in the EU – ESI Funds as a Means of Building the European Health Union Stiftung Wissenschaft und Politik. January 2024. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site de la fondation : https://aeur.eu/f/d34

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