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Bulletin Quotidien Europe N° 13401

30 avril 2024
Sommaire Publication complète Par article 39 / 39
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N° 105

 

Éducation et formation : les apports de l’Union européenne

Avec cette trilogie, Renaud Denuit nous entraîne dans les entrailles des institutions européennes et les méandres de leurs procédures, à la poursuite d’un sujet - l’éducation et la formation - largement moins médiatisé (hors manifestations et grèves) que bien d’autres. Un sujet essentiel pourtant. Parce qu’il est la clef de l’épanouissement personnel, la base de la création et de l’innovation. Parce que l’éducation et la formation contribuent autant à la socialisation de l’individu qu’elles lui offrent des perspectives d’emploi. Parce qu’enfin, elles participent, ou devraient participer, à la formation du demos européen. Autant de perspectives qui ne pouvaient pas laisser insensible le docteur en philosophie, aux multiples casquettes – l’auteur est écrivain, éditorialiste de notre Bulletin quotidien Europe et ancien fonctionnaire européen – et devraient inciter le plus grand nombre à se plonger dans cette odyssée de l’éducation en trois volumes.

C’est par un retour sur l’histoire de l’éducation et de la formation en Europe, très synthétique, mais qui a le mérite de souligner l’importance des échanges et de la circulation des hommes, des idées et des pratiques, sans omettre celui de l’Église, que Renaud nous introduit dans l’arche avant de nous emmener voguer sur les eaux incertaines de la construction européenne. En commençant par la genèse, car cette monographie, en dépit d’aspects thématiques qui induisent des sauts dans le temps, a un caractère essentiellement chronologique. Le récit débute dès lors avec le Conseil de l’Europe, qui a été un véritable lieu d’échanges d’expériences et laboratoire d’idées, même si la nature de ses institutions ne lui a jamais permis de produire des résultats véritablement concrets et mesurables. Au nombre de ces derniers figurent en revanche la création des écoles européennes et du Collège d’Europe à Bruges et un début d’intérêt pour la formation professionnelle, lorsque se développent les premières Communautés. Puis, une montée en puissance de cette dimension sociale de la formation dans les années 1970 et la création successive de l’Institut universitaire européen de Florence en 1972 et du CEDEFOP au milieu de la décennie.

« Quoique les écoles européennes et l’Institut de Florence aient été créés à côté du cadre communautaire, le crédit dont ils jouissent, la dimension européenne de leurs mandats et activités ainsi que l’idéal qu’ils insufflent ont servi, des origines à nos jours, l’Europe communautaire. (…) Ainsi dès l’époque des premières Communautés, avait été mis sur pied un enseignement européen par tous ses aspects, qui couvrait tous les niveaux d’éducation, du maternel à l’universitaire, doctorat inclus », souligne l’auteur, non sans reconnaître que cela ne concernait qu’un public « numériquement très faible et socialement privilégié ». Mais l’entrée de l’éducation et de la formation dans le domaine européen était ralentie par les limites des premiers traités et les réticences des États membres et régions, notamment les Länder allemands, sourcilleux quant à leurs compétences.

Ce n’est que le 10 décembre 1975 qu’une formation du Conseil réunissant les ministres de l’Éducation voit le jour. Et il faudra attendre encore près de vingt ans pour qu’une compétence communautaire soit reconnue par le traité de Maastricht. Si, au fil des années, les programmes, y compris l’emblématique Erasmus, se multiplient, se diversifient, voire s’agrègent, le parcours est loin d’être linéaire et des sujets en apparence simples et logiques vont cheminer très lentement. À l’image d’une reconnaissance des diplômes, qui « n’est pas encore pleine et entière », rappelle Renaud.

Le deuxième volume du triptyque s’ouvre sur un chapitre passionnant consacré au rôle et à la jurisprudence de la Cour de justice. Avec une longue suite d’arrêts s’étalant de 1974 à 2022, d’une richesse « frappante ». Cette jurisprudence « conforta l’effectivité du principe de non-discrimination selon la nationalité, encouragea la libre circulation des étudiants, précisa si et sous quelles conditions un enseignement était un service au sens du traité et en quoi l’université dispensait une formation professionnelle », souligne l’auteur.

« Une dialectique permanente entre le communautaire et l’intergouvernemental traverse toute l’histoire de la construction européenne, jusqu’à nos jours. (…) La tension entre les gouvernements nationaux, attachés à la souveraineté de leurs États respectifs (ou plus exactement à ce qu’il en reste : Ndr.), et les principales institutions purement communautaires (le Parlement européen, la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union) se révèle au grand jour, qu’il s’agisse de budget, de fiscalité, de politique sociale ou climatique, de questions migratoires, de défense ou de relations avec les pays tiers. Et, bien sûr, cela vaut pour l’éducation », rappelle Renaud.

À la fin des années 1990, les États membres vont ainsi reprendre la main, marginalisant une Commission qui sort affaiblie de la crise qui a entraîné sa démission en 1999 et écartant le Parlement européen, en lançant la stratégie de Lisbonne et le processus de Bologne, visant le rapprochement des systèmes d’enseignement supérieur. Avec une « méthode ouverte de coordination » qui s’avérera n’être qu’un vain moulin à papier. Si l’ambition affichée par la stratégie de Lisbonne de « préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance » était louable en soi, aucun des objectifs fixés ne fut atteint à l’horizon 2010. Quant au processus de Bologne, « il n’a pas inventé grand-chose », à l’exception de la généralisation du modèle d’études supérieures à trois cursus, souligne l’auteur.

Avant ce long intermède intergouvernemental, la Commission Delors lança au mi-temps des années 1980 « une offensive générale dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la culture et de l’audiovisuel ainsi qu’en faveur du multilinguisme et de la jeunesse », nous rappelle Renaud. Et c’est ainsi qu’ERASMUS, autrement dit « l’European Region Action Scheme for the Mobility of University Students » fit entrer, en décembre 1985, « Érasme lui-même, esprit libre et fécond, dans l’histoire un peu grise et sûrement technique de la Communauté économique européenne » au prix de moult batailles juridiques et avec de nombreux rebondissements. Une entrée presque discrète, avec à peine 3 244 bourses lors de la première année académique (1987-1988), mais qui suscitera un rapide engouement : 51 694 bénéficiaires en 1992 ; 111 082 en l’an 2000 ; 154 553 en 2005/2006… Au point qu’en 2023, plus de 12,5 millions de personnes avaient bénéficié des possibilités de ce programme depuis sa création, dans sa forme originelle ou ses variantes successives, Erasmus Mundus et Erasmus +. Et un programme dont le budget n’a cessé de croître pour atteindre 26,2 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Une enveloppe certes très inférieure aux 46,7 milliards rêvés par le Parlement européen, mais qui, grâce à son appui, n’est finalement pas très éloignée des 30 milliards demandés par la Commission lors de la négociation du cadre financier pluriannuel avec les États membres.

« Erasmus était et reste le seul programme de l’Union européenne ayant fait l’objet d’un vrai film long métrage destiné au grand public » avec L’auberge espagnole, de Cédric Klapisch, qui sort en 2002 dans les salles et recueille cinq millions d’entrées en Europe. Le succès de ce programme va même ouvrir la porte à des excès, lorsque les communicants de la Commission proclamèrent, en 2014, qu’environ un million de bébés étaient vraisemblablement nés de couples Erasmus depuis 1987. « L’institution, réputée sévère, sinon froide, usant de l’argumentaire de l’amour et de l’union charnelle pour promouvoir son produit, voilà qui n’était pas banal », écrit l’auteur, avant d’ajouter : « Le mode de calcul de son ‘estimation’ fut rapidement contesté. Dans ce registre, elle ne remit pas le couvert ».

Pour autant, « le programme Erasmus est sans conteste un fleuron de l’Union européenne, qui y a gagné en crédit auprès des jeunes, des universités, puis des formateurs, des apprentis et de tous les apprenants ». Un programme aussi au travers duquel l’Union européenne « s’est profilée à l’échelle internationale, non seulement parce qu’il s’agit du plus grand programme d’échange du monde, mais aussi parce que de plus en plus de ressortissants de pays tiers ont pu en bénéficier », observe Renaud Denuit. Sans se départir de son esprit critique : « Le pourcentage d’étudiants mobiles demeure marginal à l’échelle européenne. Les parcours à travers les circuits bureaucratiques (pas nécessairement au niveau de l’UE, mais aussi dans les États membres et les universités) restent parfois dissuasifs. (…) Compte tenu du coût de la vie locale et des déplacements, le système privilégie de facto des étudiants issus de milieux aisés, même si les bourses sont modulées en fonction des revenus de la famille. Ce qui était vrai en 1987 l’est encore aujourd’hui : les étudiants de l’UE ne sont pas égaux par rapport à Erasmus, chaque parcours impliquant un coût pour les budgets familiaux. Des étudiants effectuent leur Erasmus sans aucune aide publique, leurs parents étant suffisamment fortunés ; il est trompeur de les comptabiliser statistiquement avec les boursiers Erasmus », écrit-il.

S’il consacre de nombreuses pages à ce programme phare, Renaud égrène aussi le long chapelet de programmes qui se sont succédé au fil du temps. Parmi ceux-ci, mentionnons les deux initiatives prises par la Commission Juncker, à partir de 2016, pour subventionner des parcours de volontariat avec le Corps européen de solidarité, et de 2018, avec la distribution de Pass Interrail dans le cadre de DiscoverEU.

Au terme de ce parcours, l’auteur reconnaît que si, « bien sûr, il ne faut pas tout harmoniser », « l’on pourrait au moins, conformément aux valeurs de l’Union, rendre les enfants européens un peu plus égaux entre eux, par exemple en fixant un âge commun de début de l’enseignement obligatoire, voire aussi un âge commun de début de la pré-scolarité pour la petite enfance ». « L’enseignement de l’histoire et du fonctionnement de l’UE ne progressant pas dans le cycle secondaire, il devrait devenir obligatoire : il s’agit d’un enjeu fondamental pour l’avenir », souligne Renaud, à juste titre. Mais pourquoi diable se limiter au seul enseignement de l’histoire de l’UE ? La dimension européenne de l’enseignement de l’histoire est essentielle. L’histoire a été, dans tous les siècles et sous toutes les latitudes, objet de manipulations pour rassembler ou diviser. Elle doit être préservée de l’immixtion du politique et enseignée sur des bases objectives, avec une perspective d’ouverture à l’histoire européenne et universelle. Un projet pilote conduit au sein du Conseil de l’Europe, il y a près de quarante ans, avait organisé des jumelages entre deux classes de primaire de deux pays différents, en laissant aux enseignants et aux enfants une très grande liberté dans le choix du sujet (histoire locale, familiale, nationale, thématique…) et de son traitement. Le tout résultant en des échanges foisonnants dont il serait utile de s’inspirer.

« Quelque chose pourrait être fait dans le domaine des standards de qualité, tant dans l’enseignement supérieur que dans la formation professionnelle ou continue », estime l’auteur, qui ajoute : « À propos de l’éducation aux médias, de l’éducation numérique, linguistique et sûrement climatique, il serait légitime de légiférer, au vu de l’importance de ces grandes questions. (…) Tout cela ne sera possible que s’il y a une révision des traités (TUE et TFUE), qui, actuellement, est voulue par le Parlement européen, non par les gouvernements ». Et s’il est « très intéressant d’observer que la question des finalités de l’enseignement et de son contenu apparaisse maintenant sur la scène européenne, spécialement à l’occasion de la définition d’objectifs chiffrés et à propos du rôle et du développement des universités », on ne peut que déplorer avec Renaud que « ces finalités (soient) davantage conçues dans le cadre d’un objectif plus ample de ‘compétitivité internationale’ et d’adaptation aux besoins du marché, que d’une optique ‘humaniste’, visant le bien des personnes et l’invention d’une collectivité juste, qui caractérise pourtant la grande tradition éducative européenne ».

Et l’auteur de conclure : « Il faut vouloir la réussite de l’école. Elle est le trésor de l’Europe. Les élucubrations sur l’école à domicile, en famille (sauf en cas de force majeure) nous ramènent des siècles en arrière, à l’ère des précepteurs dans les milieux aisés ; pour l’égalité sociale, ce serait une catastrophe. Par les temps qui courent, l’école pour tous est traversée de tensions idéologiques et racistes. Le métier d’enseignant est devenu dangereux. En France, deux professeurs, Samuel Paty et Dominique Bernard, ont été assassinés, victimes du terrorisme islamiste. Ils sont des martyrs de l’école publique et de la liberté de l’esprit. Au nom de cette liberté et du savoir, au nom de la protection des enfants et des maîtres, il est urgent de sanctuariser l’école et de la faire respecter. Loin de constituer une affaire locale, ceci doit être le devoir prioritaire de tous les Européens ».

Cette somme comprend aussi des parties sur l’évolution institutionnelle au fil des traités, l’extrême diversité des systèmes d’éducation ou encore les langues et leur usage dans les institutions. Enfin, Renaud Denuit y joint une imposante bibliographie à l’usage des chercheurs. (Olivier Jehin)

Renaud Denuit. Éducation et formation : les apports de l’Union européenne. 3 volumes :

Le professeur entre en Europe. L’harmattan. ISBN : 978-2-3664-4202-0. 229 pages. 25,00 €

La complexité politique des apprentissages européens. L’harmattan. ISBN : 978-2-3364-4561-8. 217 pages. 24,00 €

L’empire fragile des savoirs bénéfiques. L’harmattan. ISBN : 978-2-3364-4564-9. 289 pages. 30,00 €

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