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Bulletin Quotidien Europe N° 13363

5 mars 2024
Sommaire Publication complète Par article 37 / 37
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N° 101

Les saccageurs de l’espace

L’espace demeure mystérieux, même pour ceux qui l’explorent. Comment, dès lors, en comprendre les véritables enjeux ? Sans doute en lisant cet ouvrage passionnant, clair et bien documenté. Docteur en physique, Raphaël Chevrier travaille dans l’industrie spatiale (MaiaSpace) et nous fait, en passionné, traverser l’espace et le temps. Avec des flashbacks qui retracent les grandes étapes de la « conquête » de l’espace - selon une expression qui en dit plus sur la vanité humaine que sur l’espace lui-même -, mais surtout une analyse factuelle et argumentée des menaces qui s’accumulent autour de la Terre. Un livre qui résonne comme un cri d’alarme, même si l’auteur reste raisonnablement optimiste. Parce que les solutions pour sauver notre environnement spatial existent. Encore faudrait-il pour cela que l’être humain accepte de se comporter de façon responsable. Est-ce seulement possible ? Sur la base de l’histoire comme de l’actualité des sociétés humaines, toute intelligence - humaine, artificielle ou même extraterrestre - ne pourra jamais s’empêcher de conclure que, chez l’homme, la propension à la destruction l’emporte le plus souvent sur le désir de sauvegarde. Cependant, même si le saccage de l’espace avance vite, trop vite, il est encore temps de l’arrêter.

On ne le mesure pas assez, mais, comme le rappelle d’emblée Raphaël Chevrier, l’espace est devenu indispensable à notre vie quotidienne : « C’est grâce aux satellites que nous pouvons communiquer d’un bout à l’autre du monde dans les endroits les plus reculés ou bien nous repérer grâce à nos systèmes de navigation sans avoir à ressortir les vieilles cartes en papier. Les satellites synchronisent nos réseaux d’énergie comme les échanges bancaires, ils nous aident à prévoir les phénomènes météorologiques ou à comprendre les mécanismes à l’origine du réchauffement climatique ». Et « les sondes d’exploration percent toujours un peu plus les secrets de l’Univers, auxquels notre histoire, celle d’une planète Terre à la fois exceptionnelle et banale, suspendue au milieu d’un océan d’étoiles, est intimement liée ».

Dans cet espace autrefois régulé et réservé aux seuls acteurs étatiques ont fait irruption les entreprises du « New Space ». Avec des investissements exponentiels, « passés de 1,06 milliard de dollars entre 2000 et 2004 à 16,8 milliards entre 2015 et 2019 » et un emblématique trublion, Elon Musk, qui est, selon l’auteur, « le premier responsable d’un espace transformé, en moins d’une décennie, en terrain de jeu où peuvent s’exprimer tous les excès ». L’industrie spatiale progresse à un rythme phénoménal et, selon le cabinet McKinsey, « le marché du secteur spatial a bondi de 280 à 447 milliards de dollars entre 2010 et 2022 et pourrait dépasser 1 000 milliards d’ici 2030 ». Avec beaucoup de « grand n’importe quoi », à l’instar de ces entreprises qui offrent des services funéraires dans l’espace. Pas toujours très réussis : « En mai 2023, cent vingt urnes funéraires de l’entreprise Celestis ont ainsi subi une seconde mort en explosant à bord d’une petite fusée au-dessus du désert du Nouveau-Mexique, quelques secondes après le décollage ». Les secteurs du tourisme (avec des billets entre 200 000 et 300 000 dollars pour passer 3 minutes dans l’espace à plus ou moins 100 km de la Terre), mais aussi du cinéma ou encore de la publicité, se sont aussi emparés de l’espace pour bien d’autres projets aussi futiles que néfastes pour notre environnement. « N’ayons aucun doute sur le fait que si le marché le justifie, nous finirons un jour par voir (des panneaux publicitaires placés sur une bonne orbite) filer au-dessus de nos têtes comme des étoiles filantes au ralenti », prévient Raphaël Chevrier.

« Quelques lignes suffisent à générer des sueurs froides. En seulement quatre ans, entre mai 2019 et août 2023, SpaceX (la société d’Elon Musk : NDLR) a lancé dans l’espace plus de 4 800 satellites (Starlink) consacrés à Internet, d’environ 300 kilos chacun et évoluant à très basse altitude, à 550 kilomètres de la surface terrestre. Cela représente près de 40% de tous les satellites mis en orbite depuis le début de la conquête spatiale, en 1957 ! », écrit l’auteur, avant de souligner qu’il y a aujourd’hui 7 000 satellites actifs évoluant juste au-dessus de nos têtes. Et les spécialistes s’attendent à en voir près de 27 000 d’ici 2030, « issus de ce que l’on appelle les méga-constellations de télécommunications ». Les résultats sont que « la majeure partie des satellites est désormais concentrée dans une infime bande orbitale, au plus proche de la terre », mais aussi des risques de collision surmultipliés et une pollution lumineuse entravant l’observation de l’espace.

« Et ce n’est pas fini : sur le papier, SpaceX pourrait bien déployer un total de 42 000 satellites en orbite basse. Or, si tous les opérateurs déployaient un nombre aussi colossal d’objets, l’espace proche deviendrait très vite saturé. Devant cette occupation massive de la banlieue terrestre en un temps record, suivant la logique du « premier arrivé, premier servi », pourquoi les autorités compétentes ne réagissent-elles pas ? », s’interroge l’auteur, avant de répondre : « À l’image d’une réponse internationale à la traîne face à l’urgence du réchauffement climatique, les principales nations spatiales ont en réalité toutes les peines à instaurer des règles communes pour prévenir les désastres annoncés ».

Pourtant, l’urgence est réelle : selon l’agence spatiale européenne, il y a 36 000 objets de plus de 10 centimètres dans l’espace et « la banlieue proche de la Terre est remplie de plus d’un million d’objets de plus d'un millimètre ». Et le moindre de ces petits débris « représente un danger pour tout ce qui se trouve sur son passage », souligne l’auteur, en rappelant notamment qu’un « débris de 2 grammes équivaut à une moto fonçant à 100 kilomètres par heure » et qu’un « débris en acier de moins d'un millimètre libère la même énergie qu’une balle de base-ball propulsée à 200 kilomètres par heure ». Or, « on est en droit de douter de la capacité des États à réguler le nombre de débris avant qu’il ne soit trop tard ». « La seule solution consiste alors à nettoyer dès aujourd’hui le bazar engendré dans l’espace pendant des décennies », note Raphaël Chevrier, en évoquant la mission expérimentale confiée en 2020 par l’Agence spatiale européenne à la start-up suisse ClearSpace pour l’enlèvement, à l’horizon 2026, d’un débris d’une centaine de kilos d’une fusée Vega au moyen d’un satellite de type camion-benne. Mais dans l’intervalle, le débris a déjà été percuté par un autre tout petit objet et « de nouveaux débris flottent désormais à proximité, rendant la mission encore plus complexe que prévu ».

Et il n’y a pas que la multiplication des satellites et des débris, avec les risques de collision, voire de collisions en chaîne. Tout aussi inquiétante est la militarisation de l’espace. « Soyons clairs : il est fort probable que l’idéal d’un espace au service de la coopération internationale et de la paix entre les peuples ne tiendra pas bien longtemps face aux nouvelles tensions géopolitiques qui parcourent nos sociétés », écrit Raphaël Chevrier, avant de poursuivre : « Aucune puissance spatiale n’est épargnée par ces replis nationalistes. Depuis avril 2021, la Chine assemble en solo sa propre station spatiale sur une orbite située entre 300 et 400 kilomètres d’altitude (…). Fin juillet 2022, quelques mois seulement après l’invasion de l’Ukraine (…), le nouveau chef de l’agence spatiale russe, Iouri Borissov, a annoncé le départ (de la Russie) de l’ISS en 2024 et la construction de sa propre station orbitale ». L’auteur rappelle aussi que la Chine a procédé à la destruction d’un de ses anciens satellites météorologiques en janvier 2007, générant au moins 4 000 nouveaux débris de plus de 10 centimètres et plus de 40 000 plus petits débris. Moins de dix jours plus tard, les États-Unis répliquent en détruisant un de leurs anciens satellites-espions. Et l’Inde devient en 2019 le quatrième pays à détruire un de ses satellites en orbite basse.

Le tableau ne serait pas complet sans la pollution générée par les lancements dont le nombre suit la courbe exponentielle des satellites mis en orbite. Mais, contrairement à une idée reçue, la pollution est relativement faible au décollage du fait de la durée extrêmement courte des émissions. À l’inverse, « les 114 fusées qui ont pris leur envol en 2018 ont généré 225 tonnes de ‘noir de carbone’ – des particules fines constituées de carbone, produites par la combustion incomplète de carburant et dont la couleur noire absorbe la lumière – dans la stratosphère, où se situe la couche d’ozone. Soit autant que les 40 millions d’avions qui ont décollé cette année-là ». Mais avec une différence, les particules des aéronefs sont éjectées à 10 kilomètres d’altitude où elles sont rapidement lessivées par les vents. Alors que celles des fusées « restent trois à quatre années en suspension dans la haute atmosphère, où elles ont tendance à s’accumuler ». Depuis lors, le bilan n’a pu que s’aggraver : en 2022, ce sont pas moins de 180 fusées qui ont pris leur envol.

L’auteur consacre enfin un chapitre aux velléités d’exploitation des ressources spatiales qui risquent, elles aussi, de générer de nouvelles tensions et d’avoir des conséquences désastreuses en l’absence de primauté accordée aux notions de bien commun et d’intérêt général et de règles communes limitant « l’hubris aussi bien technologique qu’économique ».

« Pour ne pas se faire distancer dans cette nouvelle guerre économique, les agences européennes ont décidé de mettre à leur tour le pied à l’étrier de jeunes entreprises du ‘New Space’, à grand renfort de contrats de développement et de services, dans l’espoir d’en faire de futurs champions et de stimuler l’innovation, quitte à bousculer les entreprises traditionnelles du spatial », constate Raphaël Chevrier. Avec quelle chance de succès ? Difficile de répondre quand on mesure le fossé qui sépare les deux rives de l’Atlantique : « En 2023, la NASA a (…) obtenu un budget de 25,38 milliards de dollars – à comparer aux 7 milliards d’euros alloués à l’ESA – sans compter les 215 milliards de dollars octroyés à l’armée de l’air américaine ». « Pour éviter de disperser les compétences et les énergies, l’Europe est appelée à faire bloc », souligne l’auteur, avant de conclure : « Rester dans la course spatiale, encourager l’innovation et la libre compétition tout en gardant un discours de responsabilité en cohérence avec ses valeurs : voilà tout l’enjeu de l’Europe spatiale pour les prochaines décennies. Ne ratons pas ce virage décisif ». (Olivier Jehin)

Raphaël Chevrier. Les saccageurs de l’espace – Débris, exploitation, militarisation : comment faire pour sauver notre bien commun. Buchet Chastel. ISBN : 978-2-2830-3742-3. 218 pages. 19,50 €

Die türkische Aussenpolitik unter Präsident Erdoğan

Dans cet article, paru dans la revue Südosteuropa Mitteilungen, Gülistan Gürbey (Otto-Suhr-Institut, Berlin) souligne combien la politique étrangère néo-ottomane de Recep Tayyip Erdoğan s’ancre dans une recherche d’autonomie stratégique, un mix de moyens politiques et militaires, y compris une disposition accrue à recourir à la force militaire, et une politique d’alliance fluide. Elle estime que « des conflits avec l’Ouest (États-Unis, OTAN, UE) sont inévitables en raison des objectifs stratégiques propres (à la Turquie), de ses prétentions de puissance hégémonique et de son positionnement dans les systèmes de pouvoir régional et international en mutation ».

À lire dans le même numéro de la revue allemande consacrée à l’Europe du Sud-Est, une analyse du rôle de la Turquie dans les Balkans. Ahmet Erdi Öztürk (London Metropolitan University) y souligne les efforts mis en œuvre par la Turquie depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdoğan pour renforcer son influence dans la région, en s’appuyant sur la religion, l’éducation et les investissements. Avec un fort accent mis sur la Bulgarie, la Macédoine du Nord et surtout l’Albanie, avec la construction d’une mosquée à Tirana pouvant accueillir 10 000 fidèles. Si ce projet a été initié par la Dyanet, de nombreux autres ont été soutenus par l’agence turque de coopération au développement TIKA : on dénombre ainsi 435 projets en Albanie couvrant la préservation du patrimoine, l’éducation la santé, l’agriculture ou encore les infrastructures. Mais la TIKA a aussi conduit 845 projets en Bosnie-Herzégovine, 306 au Monténégro, 580 au Kosovo, 840 en Macédoine du Nord et 225 en Serbie. (OJ)

Gülistan Gürbey. Die türkische Aussenpolitik unter Präsident Erdoğan – Zwischen hegemonialen Machtansprüchen, geopolitischen und internen Zwängen. Südosteuropa Mitteilungen 5/2023. ISSN : 0340-174X. 120 pages.15,00 €.

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