login
login

Bulletin Quotidien Europe N° 13194

6 juin 2023
SOCIAL - EMPLOI / Interview social
Nicolas Schmit estime que les États membres « ne doivent plus retarder l'entrée en négociations » avec le Parlement européen sur les travailleurs des plateformes numériques
Bruxelles, 05/06/2023 (Agence Europe)

Nicolas Schmit est le commissaire européen à l'Emploi et aux droits sociaux. Quelques jours avant le Conseil 'Emploi et Affaires sociales' de Luxembourg le 12 juin, il fait le point pour EUROPE sur les principaux chantiers de la Commission. (Propos recueillis par Solenn Paulic)

Agence Europe – Le Forum social de Porto a réitéré il y a peu les grands objectifs sur l’emploi (78% des 20-64 ans ayant un emploi), la pauvreté (sortir de la pauvreté 15 millions de personnes) ou la formation des adultes (60%) fixés il y a deux ans au Sommet social de Porto. Les États membres peuvent-ils les tenir d’ici à 2030 ? 

Nicolas Schmit – Ce sont des objectifs tout à fait sérieux et qu'il faut atteindre. Avec le taux d’emploi actuel (69,9% en 2022, NDLR), cela semble possible ; il faut faire encore des efforts pour intégrer certaines catégories comme les femmes, les chômeurs de longue durée ou les travailleurs plus âgés, mais, compte tenu des secteurs en tension ayant besoin de main-d’œuvre, c’est absolument réalisable.

Sur la formation, nous avons fait beaucoup d’efforts. Aujourd’hui, le Pacte pour les compétences rassemble 1 500 participants et les initiatives que nous avons lancées touchent près de 2 millions de personnes. Nous sommes aujourd’hui autour de 40% probablement et je pense que les efforts nous amèneront à ce taux de 60%.

La réduction de la pauvreté est effectivement le défi le plus important, mais je ne veux pas être pessimiste. Plus il y a de gens dans l'emploi, plus il y a des salaires corrects, notamment des salaires minimums corrects, plus on a de chances de réduire le nombre de personnes en pauvreté. Beaucoup de personnes exposées au risque de pauvreté sont, par exemple, des femmes seules, parfois avec des enfants.

Si on leur offre une perspective d'emploi, davantage de travail, de meilleurs salaires, voilà une catégorie que l’on peut faire sortir de ce risque.

Il y a eu une amélioration ces dernières années, mais stoppée par la Covid-19. Et il y a le contexte de l’inflation. Les circonstances ne sont en effet pas extrêmement favorables pour le moment, mais il faut voir comment les évolutions de revenus, par exemple, peuvent atténuer cet impact. 

Le Parlement européen est d’avis qu’une directive sur les revenus minimums permettrait d’être plus crédible sur ce volet pauvreté. La piste est-elle définitivement abandonnée ? 

Nous avons opté pour une recommandation, car ce que l'on aurait pu faire avec une directive n'aurait pas été tellement substantiel. Le Traité étant ce qu'il est, nous ne pouvons pas outrepasser les compétences qu'il nous donne. Croire, comme par miracle, qu’avec une directive, nous sortirions des millions de gens de la pauvreté n’est pas très réaliste.

Désormais, il faut surtout se concentrer sur le travail, les salaires, les salaires minimums, mais aussi sur les accords collectifs, la revalorisation de certaines professions, l'intégration dans le travail de certaines catégories exclues avec des mesures de compensation là où c'est nécessaire. Il existe toute une panoplie de mesures. Il y a la formation également pour accéder à un emploi ou à un meilleur emploi.

Mais il n'y a pas de solution miracle.

Certes, le revenu minimum est important pour tous ceux qui ne peuvent pas travailler ou qui sont dans une situation de transition. Il faut qu'il soit à un niveau décent, mais il faut l’assortir d’un ensemble d’autres mesures. 

Mercredi, la Présidence suédoise du Conseil de l’UE va à nouveau tenter de convaincre les États membres sur les travailleurs des plateformes numériques. Êtes-vous satisfaits du dernier texte ? 

La Commission préfère toujours son propre texte, mais la Présidence suédoise fait beaucoup d'efforts. La question que nous devons nous poser est celle-ci : est-ce que l'Europe est capable de passer le message qu’elle ne va pas laisser tomber les travailleurs des plateformes et qu'elle pourra inscrire leurs droits dans un texte avec une valeur sociale également importante pour l'avenir ?

Échouer cette semaine ou la semaine prochaine à Luxembourg serait une régression. Surtout que nous ne décidons pas encore de l’issue de la directive, mais d'une position générale du Conseil. Nous passerons ensuite dans la négociation avec le PE, qui a un texte présenté comme plus ambitieux.

Il faut donc donner sa chance à la négociation. Il ne faut certes pas aller en dessous d'un certain niveau d'ambition, mais, compte tenu du facteur temps, il est important d'arriver à une position générale au Conseil. Retarder encore davantage le processus serait mettre en danger tout le projet. 

Que dire aux pays qui estiment que la directive pourrait nuire aux vrais indépendants ? 

Personne ne veut reclassifier ou reclasser un vrai indépendant qui veut le rester, mais si je suis un vrai indépendant, il faut alors que les modalités de mon statut correspondent bien à celles d'un indépendant.

On peut tout de même se poser une question plus générale : quelles doivent être les protections des indépendants ? Ce n'est pas réglé dans cette directive, mais c'est peut-être un sujet qu'il faudra aborder un jour. 

La Commission présente cette semaine une initiative sur la santé mentale. Les risques psychosociaux au travail feront-ils l’objet d’une action particulière ? 

Il y aura une communication sur la santé mentale et un chapitre sur la santé mentale au travail.

Une étude vient de sortir en France qui montre que le temps d'absentéisme dû à des affections psychologiques est passé en peu d’années de 97 à 111 jours. Ce sont des temps longs, avec un coût humain considérable, un coût économique grandissant pour les entreprises, pour les collectivités ou pour la sécurité sociale.

Beaucoup de travailleurs européens disent qu'ils souffrent de stress. Cela nécessite davantage d'action, au niveau des entreprises d'abord. Nous voulons pousser l'accompagnement des entreprises et surtout la prévention. Il n'y a pas assez d'investissement dans la prévention. Il y a là un rôle important pour l'Agence européenne de la santé et de la sécurité au travail, mais aussi pour les agences nationales et les chefs d'entreprise.

Prévenir le mal-être au travail est d’autant plus important que l’on s’engage dans des transitions majeures de notre économie. 

Vous avez récemment exprimé votre intérêt pour la semaine de 4 jours dans les entreprises. N'est-ce pas justement une piste pour améliorer la santé mentale au travail ? 

Je suis en effet en faveur de la semaine des quatre jours là où elle est décidée par les partenaires sociaux, mais il ne faut pas attendre d’initiative de la Commission sur ce point.

D'ailleurs, la directive 'temps de travail' est parfaitement compatible avec cette formule des quatre jours et je ne peux que m'exprimer en faveur des négociations par entreprise, par secteur sur cette formule.

C'est aux partenaires sociaux de négocier cela. Mais certaines études sont en effet intéressantes, qui montrent qu'effectivement, la productivité augmente, l'absentéisme diminue, les gens sont plus heureux... même si cette formule n’est pas applicable de façon égale à tous les secteurs.

En prenant un peu de recul, la Commission a-t-elle tenu ses promesses ? Et quel sera, selon vous, le chantier prioritaire de la prochaine Commission ?

Nous avons réalisé la plupart des points du plan d'action de Porto et nous avons même fait plus avec un accord sur le droit à la déconnexion que négocient les partenaires sociaux ou la réforme des comités européens d'entreprise où la procédure de consultation a été lancée.

Bien sûr, il y a toujours de nouveaux volets qui doivent être traités. Maintenant, c'est tout ce qui touche à l'intelligence artificielle dans le milieu du travail qui sera sûrement le grand sujet de la prochaine Commission.

C’est un travail qu’il nous faut engager maintenant en étudiant les conséquences de l'introduction de l'intelligence artificielle, les nouvelles méthodes de contrôle du travail, les droits des travailleurs, mais aussi tous les aspects liés à la santé mentale, car il peut y avoir un impact évident.

Sommaire

SOCIAL - EMPLOI
POLITIQUES SECTORIELLES
COUR DE JUSTICE DE L'UE
SÉCURITÉ - DÉFENSE
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
INSTITUTIONNEL
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ
BRÈVES