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Bulletin Quotidien Europe N° 13181

13 mai 2023
CONSEIL DE L'EUROPE / Conseil de l'europe
Dans une Europe en crise démocratique, le Sommet de Reykjavik sera « crucial » pour la Cour européenne des droits de l’homme, affirme le juge belge Frédéric Krenc
Strasbourg, 12/05/2023 (Agence Europe)

L’Ukraine sera au cœur du Sommet du Conseil de l’Europe, qui se tiendra les 16 et 17 mai prochains à Reykjavik, en Islande. Plus de 40 chefs d’État et de gouvernement y confirmeront leur unité face à l’agression armée de la Russie et réaffirmeront leur engagement autour des valeurs qui sont au cœur de l’organisation strasbourgeoise : les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. La Cour européenne des droits de l’homme fera partie des sujets abordés avec des questions « vitales » à l’ordre du jour, a déclaré à EUROPE le juge Frédéric Krenc, qui y siège depuis 2021 pour la Belgique. (Propos recueillis par Véronique Leblanc) 

Agence Europe : Le Mémorandum préparatoire au Sommet, adopté par la Cour en plénière, insiste sur la question de son financement. Qu’en est-il exactement ?

Juge Frédéric Krenc : La Cour traite une masse de requêtes imposante, nous comptons aujourd’hui 75 000 affaires pendantes. 

Pour y faire face nous sommes 46 juges (un par État membre du Conseil de l’Europe) et environ 640 membres du Greffe disposant d’un budget de quelque 75 millions d’euros.

À titre de comparaison, celui de la Cour de Justice de l’Union européenne est de 487 millions d’euros pour l’exercice 2023. Entre six et sept fois plus…

Le financement de la Cour, qui dépend de la contribution des États, est vital. Cette question devra être discutée à Reykjavik. 

De même que celle de l’exécution de ses arrêts ?

Autre point crucial.

Aussi beau soit-il, un arrêt ne sert à rien s’il n’est pas exécuté ! Son prononcé n’est que le début d’un processus ; seule sa mise en œuvre rendra effectif(s) le ou les droits fondamental(aux) dont la Cour constate la violation. 

Ce qui pose problème à certains États, notamment la Turquie en ce qui concerne l’affaire Kavala, dont la Cour réclame la libération. D’autres États sont-ils concernés ?

En ce qui me concerne, je me refuse à faire de la caricature et à pointer certains pays.

Au-delà des cas notoires, le problème concerne tous les États membres, même si, majoritairement, les arrêts sont exécutés, certes parfois avec retard.

Aujourd’hui, 80% des affaires pendantes devant la Cour concernent des requêtes répétitives pour lesquelles elle a déjà une jurisprudence et qui n’apparaîtraient pas si les États avaient adéquatement tiré les enseignements de précédents arrêts. 

Où en est le processus d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme ?

C’est un vieux projet qui remonte à la fin des années 1970.

Le Traité de Lisbonne (2009) a rendu cette adhésion obligatoire. En 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a cependant émis des objections sur un précédent texte.

Le processus est relancé depuis 2019 et les négociations ont, semble-t-il, bien avancé.

Un projet d’accord a été trouvé en avril à l’exception du volet 'Politique étrangère et de sécurité commune' de l’Union européenne, qui reste ouvert.

Une telle adhésion enverrait un message fort.

Union européenne et Conseil de l’Europe acteraient ainsi que l’Europe entière partage un même patrimoine de valeurs et l’on cesserait d’opposer Union de marchands et Europe des droits fondamentaux.

Une synergie et une complémentarité pourraient, j’en suis sûr, s’installer entre la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg et la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg.

Nous œuvrons déjà en ce sens.

L’adhésion suppose, certes, des aménagements techniques (l’UE n’est pas un État), mais je suis persuadé qu’on peut y arriver avec une bonne volonté commune. Je suis optimiste. 

« Il ne faut pas que l’Europe retourne à l’état sauvage », écrit la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe dans son rapport 2023 sur l’état de la démocratie. On en est là ?

Je dirais que nous avons connu un âge d’or des droits humains entre la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre 2001.

Ensuite, une période de repli s’est installée et elle a été amplifiée par les menaces terroristes, la crise économique et la pandémie qui ont conduit à la prolifération des « états d’exception ».

La crise que nous traversons aujourd’hui est protéiforme et s’installe dans un quotidien marqué par une normalisation de l’exception et une pérennisation de l’urgence.

Or, c’est en période des crise(s) que la Convention prend tout son sens. Elle a été faite pour de telles situations critiques, non pour des situations paisibles et dorées.

De son côté, la Cour doit résister. 

Malgré les remises en cause qui s’élèvent, par exemple, en Pologne, en Hongrie, au Royaume-Uni ?

Tout à fait. Elle doit exercer sa mission sans avoir peur d’être mal aimée ou, à l’inverse, sans être gagnée par une sorte d’ivresse du pouvoir.

La Cour n’est pas là pour dicter une vision du monde du haut de sa tour d’ivoire. Elle ne fait ni politique ni morale ; elle n’a pas la légitimité pour le faire.

Elle est là pour rappeler les États à leurs promesses, non dans un esprit de confrontation, mais de dialogue.

C’est pour cela qu’il sera essentiel qu’à Reykjavik, ceux-ci réaffirment solennellement leur engagement à la Convention, à ses valeurs et à la Cour.

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