login
login

Bulletin Quotidien Europe N° 13087

20 décembre 2022
POLITIQUES SECTORIELLES / Climat
Au terme d’une ultime session de négociations marathon, les colégislateurs de l’UE s’accordent sur la révision de l’ETS
Bruxelles, 19/12/2022 (Agence Europe)

À l’issue d’une sixième session de négociations interinstitutionnelles (‘trilogues’) débutées vendredi matin et achevées dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18 décembre, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont parvenus à un accord politique provisoire concernant la révision du système d’échange de quotas d’émission (ETS) de l’UE, pierre angulaire de la politique climatique européenne, un peu avant 2h.

« Les négociations ont duré 29 heures (...) C’était vraiment difficile, mais ça en valait la peine », s’est félicité Peter Liese (PPE allemand), rapporteur du Parlement.

Un deuxième marché carbone

L’accord prévoit en particulier la création d’un deuxième ETS couvrant les émissions de gaz à effet de serre issues du chauffage des bâtiments et du transport routier (ETS2 ou ETS BRT).

Ce nouveau marché carbone, distinct de l’actuel, s’appliquera aux distributeurs qui fournissent des combustibles aux bâtiments et au transport routier, mais aussi à d’autres secteurs (à l’exclusion de l’agriculture et de la pêche).

À la demande du Parlement, son champ d’application est ainsi élargi à tous les combustibles (quelle que soit leur utilisation finale) par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne (EUROPE 12762/1).

« La position du Conseil aurait signifié qu’une famille pauvre ou une vieille dame, vivant dans une maison ou un appartement mal isolé, aurait dû payer un prix pour le CO2, mais que les fabricants et l’industrie, s’ils ont moins de 20 MW, auraient été complètement exclus, même pour le chauffage de leurs bureaux », a expliqué M. Liese à ce propos.

Les colégislateurs sont convenus que l’ETS2 débutera en 2027, soit un an plus tard que dans le texte initial de la Commission. L’accord introduit toutefois une possibilité d’exemption temporaire proposée par le Conseil, jusqu’à la fin de l’année 2030, pour les États membres ayant déjà mis en place une taxe carbone au niveau national, dont le niveau est équivalent ou supérieur au prix des quotas d’émission dans l’ETS2.

Il s’agit d’un calendrier très différent de l’approche retenue par le Parlement, qui prévoyait d’appliquer l’ETS2 uniquement aux bâtiments commerciaux et aux activités commerciales de transport routier à partir de 2025, avec une possibilité d’extension aux activités privées liées à ces secteurs (c’est-à-dire aux ménages), à partir de 2029 (EUROPE 12977/10).

Prix plafond et report en cas de prix élevés

Afin de contenir l’impact socioéconomique de l’ETS2, le Parlement a obtenu la définition d’un prix plafond et l’inclusion d’un mécanisme pour prendre en compte les prix de l’énergie ('emergency break').

Concrètement, une fois le système lancé, le prix des quotas sera plafonné à 45 euros jusqu’en 2030, de telle sorte qu’en cas de dépassement, des quotas supplémentaires seront libérés pour réduire le prix en augmentant l’offre sur le marché. Ce mécanisme sera ensuite évalué et éventuellement révisé après 2030.

Dans le cas où les prix du pétrole ou du gaz sont supérieurs à 106 euros/MWh, la mise en route de l’ETS2 sera reportée à 2028.

Répondant à un souhait du Parlement, les colégislateurs sont également convenus d’obliger les fournisseurs de combustibles à indiquer à la Commission quelle part de leurs coûts dus à l’ETS2 ils répercutent sur les consommateurs finaux. Si la Commission constate un comportement fautif, par exemple des majorations de prix déloyales, elle devra prendre des mesures législatives pour y mettre un terme.

Une autre mesure visant à atténuer l’impact socioéconomique de l’ETS réside dans la création d’un Fonds social pour le climat destiné à aider les ménages les plus vulnérables. Sur ce point, les colégislateurs sont notamment convenus d’augmenter la taille du Fonds et de le mettre en place avant le lancement de l’ETS2 (EUROPE 13087/17).

Selon l’accord provisoire, le nombre total de quotas dans l’ETS2 sera réduit chaque année de 5,1% à partir de 2024 et de 5,38% à partir de 2028. La Commission proposait de fixer ce ‘facteur de réduction linéaire’ à 5,15% et 5,43% respectivement.

Révision de l’ETS1

Concernant le marché carbone existant (ETS1), les négociateurs se sont mis d’accord pour procéder à deux réductions ponctuelles du nombre total de quotas d’émission : 90 millions en 2024 (contre environ 117 millions dans la proposition de la Commission) et 27 millions en 2026.

Ils ont également rehaussé le facteur de réduction linéaire, portant celui-ci à 4,3% de 2024 à 2027 et à 4,4% de 2028 à 2030.

Ces nouveaux paramètres conduiront à une réduction des émissions des secteurs couverts par le système de 62% d’ici à 2030 (contre 61% dans la proposition de la Commission et 63% dans le mandat de négociation du Parlement) par rapport aux niveaux de 2005, soit une hausse de 19 points de pourcentage par rapport à la législation actuelle.

La réserve de stabilité du marché (MSR) – mécanisme visant à régler l’excédent actuel de quotas en mettant automatiquement en réserve un certain nombre selon un taux d’admission annuel (‘intake rate’) prédéfini – est renforcée en prolongeant au-delà de 2023 le taux d’admission actuel (24%) et en faisant passer de 200 à 400 millions la quantité minimale de quotas à mettre en réserve. Les seuils au-delà/en deçà desquels des quotas sont ajoutés/retirés de la réserve sont maintenus à respectivement 833 et 400 millions de quotas.

Fin des quotas gratuits CBAM en 2034 

L’accord sur la révision de l'ETS permet de confirmer celui, intimement lié, sur le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, ou CBAM en anglais) (EUROPE 13083/23).

Les colégislateurs ont ainsi résolu l’épineuse question des allocations gratuites de quotas d’émissions aux secteurs qui seront couverts par le CBAM en coupant la poire en deux entre leurs positions : l’année de sortie complète des quotas gratuits est prévue non pas pour 2036 ou 2032, mais pour 2034. 

Pour la trajectoire de suppression, le compromis vise à allier sortie douce et signal clair pour 2030. Les allocations gratuites de quotas d’émissions seront réduites selon la trajectoire suivante : 2,5% en 2026 ; - 5% en 2027 ; - 10% en 2028 ; 22,5% en 2029 ; 48,5% ; - 61% en 2031 ; - 73,5% en 2032 ; - 84% en 2033 ; 100% en 2034.

Comme le voulait le groupe PPE au PE, les négociateurs ont inséré une clause pour que cette trajectoire soit conditionnée à l’entrée en vigueur effective du CBAM en 2026. Si le CBAM est appliqué plus tard, le rythme de suppression sera donc revu. 

Protéger les exportateurs

Le Parlement n’a pas obtenu le rabais à l’exportation tel qu’il l’imaginait. Soucieux de la compétitivité des exportateurs de produits couverts par le CBAM, les eurodéputés voulaient maintenir les quotas gratuits pour ceux-ci (EUROPE 12977/12). Le Conseil et la Commission ont maintenu leur opposition à un tel système, car cela aurait été incompatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). 

À la place, les négociateurs ont convenu que les États membres soutiennent davantage les exportateurs en question, grâce aux revenus supplémentaires de l’ETS. Quelque 3,5 milliards d’euros devraient être ciblés pour aider les industries exportatrices dans leur transition, selon M. Liese. 

De plus, les secteurs industriels couverts par le CBAM devraient faire l’objet d’appels à projets spécifiques dans le cadre du Fonds pour l’innovation, a indiqué le rapporteur.

D’après l’accord, la Commission devra faire une analyse des risques de fuite de carbone et proposer, si besoin, une proposition législative, en 2025, afin d'ajuster certains aspects du CBAM juste avant son lancement. 

'Benchmarks'

Concernant les secteurs couverts par l’ETS1, mais pas par le CBAM, les quotas gratuits continueront d’être attribués aux sites de production en fonction des ‘benchmarks’ – valeurs servant à déterminer la quantité de quotas gratuits pour chaque industrie couverte par l’ETS.

Ces ‘benchmarks’ seront toutefois revus d’ici 2026 et seront désormais augmentés de 0,3% par an (au lieu de 0,2% actuellement), ce qui entraînera une réduction supplémentaire des quotas gratuits de 3,4 millions de quotas.

Ils seront également définis par produit et non plus par processus. Cela signifie que des modes de production différents, mais ayant le même produit de base, seront désormais mesurés selon le même critère.

Par ailleurs, le compromis supprime l’article 10c, qui permet aux pays d’Europe centrale et orientale de continuer à accorder des quotas gratuits à la production d’électricité au charbon jusqu’à fin 2030.

Il appelle également les États membres à supprimer du système ETS les quotas qui deviendront superflus suite à l’abandon du charbon au niveau national. Dans le cas contraire, ils devront justifier leur choix.

En revanche, le Conseil a obtenu 30% de quotas gratuits supplémentaires pour le chauffage urbain, sous réserve de plans de neutralité carbone.

Un système de malus

Afin d’inciter les secteurs couverts par l’ETS1 à se décarboner, les colégislateurs ont introduit un système de contrôle couplé avec un malus.

Les entreprises devront réaliser des audits énergétiques de leurs processus de production ou avoir un système de gestion de l’énergie et mettre en œuvre des mesures de décarbonation en fonction des résultats. De plus, celles qui font partie des 20% ayant le plus mauvais bilan climatique parmi les entreprises d’un même secteur devront également élaborer des plans de décarbonation.

Si une entreprise ne met pas en œuvre les recommandations issues de son audit énergétique (ou de son système de gestion de l’énergie) et/ou son plan de décarbonation, ses allocations de quotas gratuits seront réduites de 20%.

Inclusion de deux nouveaux secteurs

L’accord provisoire prévoit également d’étendre l’ETS1 aux émissions du secteur de l’incinération des déchets municipaux à partir de 2028.

S’il s’agit d’une victoire pour le Parlement, la date retenue est néanmoins plus tardive (le Parlement souhaitait 2026) et pourrait même être repoussée.

La Commission devra en effet réaliser un rapport, d’ici au 31 janvier 2026, sur l’extension de l’ETS à ce secteur, en y incluant une évaluation de la nécessité d’une dérogation jusqu’à fin 2030.

L’ETS1 sera également étendu progressivement au secteur maritime à partir de 2025 (voir EUROPE 13074/10 pour plus de détails).

Augmentation du Fonds pour l’innovation et du Fonds pour la modernisation

À la demande du Parlement, le Conseil a finalement accepté de renforcer le Fonds pour l’innovation visant à soutenir le développement de technologies en faveur de la décarbonation.

La quantité de quotas d’émissions alimentant le fonds passera ainsi de 450 à 575 millions (dont 20 millions provenant de l’inclusion du secteur maritime). Avec un prix moyen de 80 euros la tonne de CO2, il augmentera donc de 33,75 milliards d’euros à environ 40 milliards.

Le Fonds pour la modernisation, quant à lui, sera augmenté par la mise aux enchères de 2,5% supplémentaires de quotas, dont 90% devront être orientés vers des investissements prioritaires.

Alors que ce fonds est réservé aux États membres dont le PIB par habitant est inférieur à 75% de la moyenne de l’Union, trois pays supplémentaires - la Grèce, le Portugal et la Slovénie - pourront bénéficier d’un financement.

Le Fonds pour la modernisation pourra continuer de financer la production d’énergie au gaz jusqu’à 4,8 milliards d’euros sans condition. Les États membres bénéficiaires pourront également financer les centrales électriques au gaz jusqu’à 3,75 milliards d’euros si cela est dûment justifié pour des raisons de sécurité énergétique et à condition de respecter le principe environnemental consistant à ‘ne pas causer de préjudice important’(‘do no significant harm’).

Le Parlement souhaitait exclure toute possibilité d’investissement dans les énergies fossiles avec ce fonds.

Utilisation des recettes nationales

Selon l’accord provisoire, toutes les recettes nationales provenant de la mise aux enchères des quotas de l’ETS1 et l’ETS2 devront être consacrées à des mesures liées au climat.

Éviter une hausse excessive des prix

Afin de contenir le prix des quotas dans l’ETS1 à des niveaux raisonnables, les colégislateurs sont convenus de renforcer le mécanisme relatif aux fluctuations excessives des prix (article 29 bis), répondant ainsi à une requête de certains États membres, la Pologne en particulier. 

Si, au cours d’une période de plus de six mois consécutifs, le prix moyen des quotas est supérieur à 2,4 fois le prix moyen des quotas de la période de référence des deux années précédentes, 75 millions de quotas seront libérés de la réserve de stabilité du marché. (Damien Genicot et Léa Marchal)

Sommaire

POLITIQUES SECTORIELLES
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
ACTION EXTÉRIEURE
INSTITUTIONNEL
SOCIAL
BRÈVES