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Bulletin Quotidien Europe N° 12859

23 décembre 2021
REPÈRES / Repères
Le théâtre de nos dirigeants

L’année 2021 aura vu le retour du coûteux ‘cirque ambulant’ menant les eurodéputés et leurs collaborateurs de Bruxelles à Strasbourg et vice-versa. Il est douteux que le nouveau variant Omicron, qui effraie les dirigeants jusqu’à instaurer une vaccination obligatoire ou un confinement de plus, inverse la tendance : la prochaine session plénière aura bien lieu en janvier dans la capitale alsacienne, où devrait être choisie la nouvelle tête de l’institution, succédant au Président social-démocrate David Sassoli, dont le mandat se limite à deux ans et demi. Pour la seconde moitié de la législature, la plupart des parlementaires ne remettent pas en cause l’attribution du perchoir à la famille PPE, décidée par le Conseil européen en juillet 2019.

Cependant, la candidate proposée, la Maltaise Roberta Metsola, ne sera pas élue sur du velours, notamment en raison de son hostilité notoire à l’interruption volontaire de grossesse. Plusieurs voix devraient lui faire défaut, venant des libéraux et de la gauche (EUROPE 12853/20). Il y aura donc, pour une fois, un certain suspense dans l’hémicycle, voire une mise en jeu de l’image progressiste de l’institution.

Le Conseil de l’UE aura traversé la pandémie sans dramatisation et son fonctionnement reste réglé comme du papier à musique. La rotation semestrielle de la présidence des travaux ministériels, qui date des premiers temps de l’Europe communautaire, permet d’identifier, bien à l’avance, quel État membre assurera cette charge, caractérisée par la discrétion, la technicité et la diplomatie plutôt que par la ‘grande politique’. A fortiori, depuis la mise en œuvre de la codécision, le passage de flambeau ne mérite par le falbala induit par les glorioles nationales successives. Les mauvais raccourcis journalistiques, du genre « Présidence de l’Europe », ne font qu’ajouter de la confusion au sein du grand public, déjà sous-informé.

À l’exception du remplacement du commissaire envoyé par l’Irlande, la Commission européenne peut se targuer d’une grande stabilité dans sa composition depuis sa prise de fonction. Il n’en va pas de même au Conseil européen.

D’une part, son Président est élu par ses pairs pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois. Ce mandat prendra fin en mai prochain. Pour obtenir la majorité qualifiée des États membres permettant un second mandat, le Président en exercice doit ménager les États les plus peuplés, fussent-ils infidèles aux valeurs de l’Union.

D’autre part, les changements de dirigeants nationaux modifient sans cesse l’aréopage des ‘leaders’. Durant cette année, pas moins de neuf acteurs ou actrices auront fait leur entrée en scène, soit un renouvellement de près d’un tiers au sein du groupe. Ces changements découlent des élections législatives, mais pas seulement, loin de là.

La palme de la rotation revient à l’Autriche : le Chancelier fédéral Sebastian Kurz, empêtré dans un scandale, fut remplacé en octobre par Alexandre Schallenberg, lui-même cédant son poste, moins de deux mois plus tard, à Karl Nehammer, choisi par le parti ÖVP. En Estonie, le chef de gouvernement, Juri Ratas, fut aussi forcé à démissionner dès janvier pour des soupçons de corruption de son parti et le Parlement investit la libérale Kaja Kallas, ancienne eurodéputée. Eduard Heger devint Président du gouvernement slovaque en avril, après que le tenant du titre, Igor Matovic, déjà accusé de plagiat pour sa thèse de doctorat, avait perdu la confiance de ses partenaires pour avoir décidé d’acheter des vaccins Sputnik V. Dans ces trois cas, les électeurs n’avaient pas eu à se prononcer.

En Italie, c’est précisément pour éviter des élections générales que fut constitué un gouvernement d’union nationale, avec à sa tête un extra-parlementaire, Mario Draghi, qui devint ainsi membre du Conseil européen en février. Ce ne fut pas non plus le verdict des urnes, mais une stratégie interne au Parti social-démocrate suédois, qui amena Stefan Löfven à jeter l’éponge au profit de Magdalena Andersson, qui, le 29 novembre, fut investie par le Riksdag après des péripéties rocambolesques.

Bien sûr, le départ d’Angela Merkel au profit d’Olaf Scholz restera l’événement le plus important et notoire, impliquant aussi un changement politique en Allemagne, qui pourrait produire des effets positifs dans l’Union. En l’occurrence, le nouveau Chancelier est pleinement légitimé par les élections du 26 septembre, qui avaient placé en tête le SPD, lequel avait clairement indiqué son candidat pour ce poste.

Les situations de la République tchèque et de la Bulgarie auront été plus complexes, mais fort intéressantes. Dans la première, les élections législatives d’octobre eurent raison du dirigeant sulfureux Andrej Babiš, millionnaire suspecté de conflits d’intérêts et cité dans les Pandora Papers pour ses montages fiscaux offshore. Une coalition centriste emmenée par Petr Fiala remporta la majorité des sièges. Malgré le projet du Président Zeman de remettre en selle son ami Babiš, Fiala fut finalement investi le 17 décembre, au lendemain de la dernière réunion du Conseil européen.

S’agissant de la Bulgarie, les élections du 14 novembre furent remportées par l’opposition. C’était le troisième scrutin en un an. Il fut caractérisé par la nette victoire du nouveau parti ‘Nous continuons le changement’, emmené par un quadragénaire formé à Harvard, Kiril Petkov. Celui-ci réussit à constituer une majorité avec trois autres formations. Le 13 décembre, le Parlement l’adouba. Longtemps la Bulgarie avait été représentée au Conseil européen par Boïko Borissov, situé à l’aile droite du PPE et suspecté d’être l’organisateur en chef de la corruption. La dégradation de la situation politique avait amené le Président de la République, Roumen Radev, à faire son entrée dans le club des leaders en début d’année. Le Premier ministre y retrouve à présent sa place en la personne de Kiril Petkov. Son dossier prioritaire est la résolution du conflit avec la Macédoine du Nord, qui rendrait enfin possible l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne avec celle-ci et l’Albanie.

Les votes populaires de République tchèque et de Bulgarie peuvent être interprétés comme une claque sévère à la corruption et comme un soutien fervent à l’UE. Bref, à l’Est, il y a du nouveau. Ce constat pourrait être consolidé si, en avril prochain, les électeurs hongrois mettaient le parti de Viktor Orbán en minorité, dès lors que l’opposition est à présent unifiée.

De toutes les institutions de l’Union, le Conseil européen est la plus autosatisfaite, la plus visible et la plus théâtrale : l’on y passe des coulisses à la scène et inversement, selon les aléas nationaux, sans autre procédure. Le semestre qui vient sera politiquement intéressant : déjà l’un des ‘hommes forts’ du Conseil européen, le Président français, Emmanuel Macron, sera indirectement aux manettes du Conseil de l’UE ; si d’aventure il était vaincu en avril, la discontinuité se ferait sentir dans les deux institutions.

Que retenir de cette année 2021 ? Que les personnalités iconiques relèvent plutôt de la ‘société civile’. L’on pense d’abord aux trois opposantes biélorusses Svetlana Tikhanovskaïa, Maria Kolesnikova et Veronika Tsepkalo, lauréates du Prix Charlemagne (EUROPE 12856/26) et aussi, la COP26 aidant, à Greta Thunberg, soutenue pour la troisième fois en faveur de l’obtention du Prix Nobel de la Paix.

L’on songe aussi au Pape François, à ses paroles fortes prononcées lors de son récent voyage. Le 3 décembre, à Chypre, il fustigeait le « mur de la haine » dressé contre les migrants ; le lendemain, à Athènes, il dénonçait la responsabilité de l’Europe dans la crise migratoire, une Europe « déchirée par les égoïsmes nationalistes » au lieu d’être « un moteur de solidarité ». À Lesbos, le 6 décembre, il prononçait encore un discours poignant : « Ne fuyons pas trop vite les images crues de leurs petits corps gisants sur les plages. La Méditerranée, qui a uni pendant des millénaires des peuples différents et des terres éloignées, est en train de devenir un cimetière froid, sans pierres tombales (…) Frères et sœurs, je vous en prie, arrêtons ce naufrage de civilisation ! »

En Europe, plus aucun dirigeant de haut niveau ne prend la défense des migrants. Au sommet, la compassion humanitaire a disparu, les consciences sont asséchées. Alors, le Pape comble un vide. Un vide moral. Je recommande à ce sujet la lecture du bloc-notes de Bernard-Henri Lévy (sûrement pas un paroissien modèle) dans l’hebdomadaire français Le Point, du 9 décembre (p. 150).

Pour terminer, en revenant dans notre système institutionnel, dans sa part la plus sobre et la plus rigoureuse, il faut retenir le cri d’alarme prononcé le 5 novembre à La Haye par le Président de la Cour de Justice de l’UE, Koen Lenaerts : « Les fondations de l’UE basée sur l’État de droit sont menacées » et « la survie du projet européen dans sa forme actuelle est en jeu » (EUROPE 12827/11).

Tout est lié. Notre tradition juridique implique aussi l’assistance à personne en danger. Autrement dit, l’omission de porter secours constitue un délit.

Le théâtre des drames en mer et le théâtre de nos institutions faîtières ressemblent de plus en plus à deux mondes distincts, deux continents qui s’éloignent, happés par la dérive.

Renaud Denuit

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