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Bulletin Quotidien Europe N° 12828

9 novembre 2021
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ / Interview dÉmocratie
Les eurodéputés veilleront à ce que la directive sur les procédures-bâillons soit « juridiquement réaliste », mais politiquement ambitieuse, promet Roberta Metsola
Bruxelles, 08/11/2021 (Agence Europe)

Le Parlement européen votera, jeudi 11 novembre, un rapport d’initiative consacré à la lutte contre les « procédures-bâillons » (ou SLAPPs) : des actions en justice souvent intentées à l’encontre de journalistes ou de militants dans le seul but de les intimider ou de les réduire au silence. Lorsque les eurodéputés ont commencé à travailler sur ce rapport en juillet, l’objectif était avant tout de maintenir la pression sur la Commission européenne pour obtenir un proposition législative (EUROPE 12753/19). Entretemps, celle-ci a confirmé qu’elle présenterait, en 2022, un projet de directive et des recommandations sur le sujet (EUROPE 12804/20). EUROPE a fait le point sur les attentes des députés avec Roberta Metsola (PPE, maltaise), co-rapporteur sur ce dossier. (Propos recueillis par Agathe Cherki)

Agence Europe – Les premiers appels du Parlement européen pressant la Commission de proposer une « directive européenne anti-SLAPP » remontent à janvier 2018. Qu’est-ce qui justifie ce besoin, finalement entendu par la Commission, d’intervenir au niveau européen ?

Roberta Metsola – On constate un grand vide au niveau national en ce qui concerne la protection des victimes de procédures bâillons. Pour ce Parlement, l’assassinat de Daphne Caruana Galizia à Malte et celui de Ján Kuciak et de sa fiancée, Martina Kušnírová, en Slovaquie ont été une véritable sonnette d’alarme. Près de cinquante poursuites judiciaires, dont un grand nombre entrent dans la catégorie des procédures-bâillons, avaient été ouvertes contre Daphne Caruana Galizia. Ses enfants en ont hérité ; ils les combattent actuellement et doivent gérer une pression financière énorme.

Donc, des journalistes dans l'Union enquêtent sur des affaires de corruption, sur des personnalités politiques qui ne respectent pas l’État de droit, sur des organisations criminelles, mais ils le font parfois au péril de leur vie et ne bénéficient d’aucune protection dans le cadre de leur travail.

Tout au long de l’élaboration de notre rapport, nous avons par ailleurs constaté que la situation s’aggrave. Et ce, dans de plus en plus de pays, y compris ceux où l’équilibre des pouvoirs est fort, où les institutions fonctionnent très bien. Même dans ces pays, nous avons rencontré des journalistes et des organisations qui nous assurent que la situation empire.

Qu’est-ce que les eurodéputés tiennent absolument inclure dans le projet de directive promis par la Commission ?

La première chose que nous demandons est une définition précise de ce qu’est une procédure-bâillon. On parle de « poursuite stratégique contre la participation publique », mais qu’est-ce que cela signifie ? Dans quelle mesure une action intentée en justice doit-elle être vexatoire, injuste et répétitive pour être considérée comme une procédure-bâillon ? Car il faut également veiller à trouver un équilibre entre ce qui constitue une procédure abusive et un recours légitime à la justice.

Ensuite, nous avons constaté une augmentation des procédures-bâillons transfrontalières, de plaignants qui se livrent à ce que l’on appelle le « forum shopping » : ils identifient quelle juridiction, dans quel pays, pourrait leur être plus favorable qu’une autre. Aux États-Unis, au Canada, en Australie, de bonnes mesures existent déjà pour éviter cela, mais pas dans l’UE. Il faudrait y remédier.

Nous attendons en outre des mesures non contraignantes pour pallier d’importants problèmes tels que le manque de formation de nos juges, de nos juristes ou encore l’absence de fonds permettant de soutenir les victimes de procédures-bâillons. Des mesures à cet égard ont été soutenues et utilisées dans d’autres domaines. Elles devraient également être mobilisées ici.

Dans une étude sur les SLAPP commandée par la Commission au réseau académique EU-CITZEN, il est précisé qu'une mesure telle que le renversement de la charge de la preuve – un temps envisagée par le Parlement – pourrait ne pas « survivre à un examen constitutionnel dans tous les États membres ». Ne craignez-vous pas que le projet d'introduire des mesures anti-SLAPP communes se trouve finalement entravé par des obstacles juridiques nationaux ?

La consultation des experts juridiques est en cours. Nous-mêmes avons été en contact avec des experts juridiques à travers l’UE, dans différentes universités, afin d’identifier les meilleures mesures envisageables. Car, bien sûr, il faut être à la fois ambitieux et juridiquement réaliste : comprendre que les vingt-sept structures fonctionnent différemment, comment les tribunaux sont organisés en matière de droit civil et de droit pénal, distinguer les affaires nationales et les affaires transfrontalières. Nous ne voulons pas d’instruments qui seraient ensuite rejetés par ces tribunaux.

En tant que juriste, je me réjouis que la Commission examine actuellement tous les obstacles potentiels. En tant que politique, en revanche, ce que je répondrais à cette question est que je n’aimerais pas voir les institutions utiliser d’éventuels obstacles juridiques pour masquer un manque de volonté politique.

Vous faites état d’une « très, très bonne coopération » entre les groupes politiques du Parlement sur ce dossier. Pensez-vous pouvoir compter sur une bonne coopération des États membres également ?

Comme toujours, vous aurez des États membres qui seront enthousiastes, des États membres qui diront que nous avons déjà des mécanismes en place, des États membres qui ne seront absolument pas coopératifs.

Mais le Parlement, de son côté, défend une position forte. Des eurodéputés de tous les pays disent ici aux gouvernements nationaux : « Maintenant, vous devez faire quelque chose ». Notre position est extrêmement claire, les gouvernements doivent le comprendre. Bien sûr, nous serons dépendants des résultats que les Présidences tournantes du Conseil de l'UE parviendront à obtenir, mais nous maintiendrons la pression.

La proposition de la Commission est attendue pour le deuxième trimestre 2022. C’est la France qui assurera alors la Présidence du Conseil. Pensez-vous pouvoir compter sur Paris pour lancer et faire avancer les travaux sur ce texte ?

J'ai eu jusqu'à présent de très bonnes conversations avec la future Présidence française. Nous avons beaucoup d'attentes à son égard et cela sera assurément l’une de nos demandes.

Consulter le rapport qui sera voté jeudi : https://bit.ly/3BTLJek

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