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Bulletin Quotidien Europe N° 12755

6 juillet 2021
Sommaire Publication complète Par article 32 / 32
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N° 041

Grand strategy in 10 kernwoorden

 

Confinez un universitaire comme Sven Biscop et vous obtiendrez un bouquin, en l’occurrence un guide, qui a le mérite d’être accessible à tous, pour autant que l’on ait la curiosité de s’intéresser à « la manière dont les grandes puissances déterminent le cours de la politique mondiale », selon la couverture de l’ouvrage dans sa version néerlandaise. En puisant dans l’actualité, l’histoire et la littérature, l’auteur analyse les grandes tendances qui se dégagent des dernières décennies et nous brosse le tableau de la compétition entre les quatre grandes puissances – États-Unis, Chine, Russie, Union européenne – qui influenceront le cours de l’histoire mondiale à moyen et long terme. Pour la dernière, souvent présentée à juste titre comme un nain stratégique, l’auteur rappelle qu’elle est encore au stade où elle essaie de créer une culture stratégique commune et, d’une certaine façon, ce guide s’adresse d’abord aux responsables européens qui tentent d’écrire une stratégie globale. Il pourrait même nourrir la réflexion en cours sur la « Boussole stratégique » de l’UE.

 

Ce guide s’organise autour de dix mots clefs qui constituent, pour l’auteur, l’essence même d’une ‘Grand strategy’ : (1) simplicité, parce que seul ce qui s’énonce clairement est susceptible d’être mis en œuvre efficacement ; (2) compétition, parce que les autres ont aussi une stratégie ; (3) rationalité, parce que les idéologies, les religions et les émotions sont mauvaises conseillères ; (4) sélectivité, parce qu’on a besoin d’alliés, sans être toujours en mesure de les choisir ; (5) puissance, parce que toute action requiert de la puissance politique, économique et militaire ; (6) créativité, parce que « la stratégie est à la fois une science et un art » ; (7) vigilance, parce qu’une stratégie doit être constamment mise à jour ; (8) courage, pour « oser agir ou ne pas agir en fonction de son propre intérêt » ; (9) immoralité, parce qu’il s’agit d’intervenir dans le monde tel qu’il est ; (10) normalisation, dans la mesure où il est possible d’établir avec d’autres une gouvernance mondiale.

 

Pour Sven Biscop, « il existe un risque réel que nous entrions dans une rivalité systématique et permanente » entre les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne et cette « rivalité permanente implique un risque permanent de guerre ». « Aucune grande puissance ne recherche une confrontation directe, du fait de la dissuasion nucléaire. Mais depuis des années, il y a un risque constant d'incidents militaires et, donc, d'escalade, compte tenu des démonstrations de force des grandes puissances en mer de Chine du Sud et de leurs interventions en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Europe orientale. Si la rivalité entre certaines ou toutes les grandes puissances devait s’étendre et devenir systématique, le risque de guerre augmenterait proportionnellement », ajoute l’auteur, qui estime que les quatre grands pourraient éviter une escalade des tensions en fondant leur stratégie globale sur quatre règles de base : (1) se reconnaître comme des « joueurs égaux » et développer une stratégie d’engagement dans leurs relations mutuelles ; (2) investir dans un ordre mondial reposant sur un « multilatéralisme efficace » et observer les règles adoptées d’un commun accord ; (3) respecter la souveraineté de tous les autres États ; (4) renforcer sa propre souveraineté (ce qui est plus difficile pour l’Union européenne) pour être en mesure de s’affirmer sur la scène internationale et d’entrer en négociation sur un pied d’égalité.

 

L’ouvrage se termine par une citation de Charles de Gaulle décrivant, en 1959, le rôle que ce dernier préconisait pour l’Europe : « Collaborer avec l’Ouest et l’Est, au besoin contracter d’un côté ou bien de l’autre les alliances nécessaires, sans accepter jamais aucune espèce de dépendance. (…) amener à se grouper, aux points de vue politique, économique, stratégique, les États qui touchent au Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées. Faire de cette organisation l’une des trois puissances planétaires et, s’il le faut un jour, l’arbitre entre les deux camps soviétique et anglo-saxon ». L’Europe rêvée du général a grandi sans jamais atteindre ce niveau d’indépendance, mais l’auteur veut y voir « précisément le rôle qu’elle devrait pouvoir jouer aujourd’hui entre les États-Unis, la Russie et la Chine ». C’est loin d’être gagné, mais sachons garder espoir. (Olivier Jehin)

 

Sven Biscop. Hoe de grootmachten de koers van de wereldpolitiek bepalen – Grand strategy in 10 kernwoorden. Kritak. Lannoo nv. ISBN : 978-9-401- 47606-5. 304 pages. 27,99 €

L’ouvrage a aussi été publié en anglais sous le titre Grand Strategy in 10 Words – A Guide to Great Power Politics in the 21st Century. Bristol University Press. ISBN : 978-1-529-21751-3. 262 pages. 21,99 GBP ou 29,84 €

 

 

Vers un nouveau paradigme autour de l'autonomie stratégique ouverte ?

 

« Autonomie stratégique ouverte ». Voilà une expression qui a le vent en poupe depuis la pandémie et les multiples pénuries auxquelles l’Union européenne a été confrontée ; un nouveau « buzz word » européen, comme aime à le souligner Eric Van den Abeele, chercheur associé à l’institut syndical européen ETUI, qui signe cette étude exhaustive autant qu’éclairante.

 

L’étymologie même du concept est complexe. Issue pour partie du vocabulaire de la politique étrangère et de sécurité commune et de la politique de sécurité et de défense commune, l’autonomie stratégique ouverte allie les concepts a priori antinomiques d’autonomisation et d’ouverture. Cet alliage sémantique improbable cherche à concilier les tenants d’un plus fort interventionnisme européen, incarné notamment par la France, épaulée avec plus ou moins d’entrain par l’Allemagne, et les apôtres du libre-échange que sont, entre autres, l’Irlande, les pays nordiques ou encore les Pays-Bas et la République tchèque. Une définition qui tend inévitablement vers le plus petit dénominateur commun et qui conduit l’auteur à s’interroger sur les perspectives d’un tel concept.

 

L’autonomie stratégique ouverte constitue-t-elle réellement l’amorce d’un nouveau paradigme européen dès lors que le concept ne se retrouve ni dans le ‘Pacte vert’ ni dans les outils de la relance ? Et si oui, comment réorienter le lourd paquebot institutionnel européen ? Surtout, la volonté politique est-elle là ?

 

Avant de s’atteler à l’analyse de ce concept qu’il juge « mouvant et imprécis », Eric Van den Abeele nous entraîne dans les méandres des dépendances de l’Union vis-à-vis des pays tiers, et notamment des trois géants que sont la Chine, la Russie et les États-Unis. L’auteur, qui souligne que ce nouveau concept tend à se structurer autour « d’écosystèmes », notion chère au commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, examine

les différentes voies susceptibles d’assurer l’autonomisation européenne, tout en préservant l’ouverture commerciale.

 

Il en va ainsi des Projets importants d’intérêt européen commun (IPCEI), ces « champions européens » pour contrer la concurrence internationale – souvent ô combien déloyale – dans des domaines stratégiques pour l’Union européenne (microprocesseurs, batteries, hydrogène, santé intelligente, etc.). Et pourtant, l’outil suscite bien des réticences, notamment parmi le « groupe des Douze » (emmené par le Danemark et composé notamment de la Suède, de la Finlande, des Pays-Bas, de l’Irlande, des États baltes, de la République tchèque, de la Slovaquie, de Malte et, plus surprenant, de l’Espagne). Pour Van den Abeele, il est dès lors nécessaire de réformer cet instrument pour restaurer la confiance parmi tous États membres. Pour ce faire, la Commission européenne doit assumer un réel rôle de coordonnateur afin de faciliter la participation de tous les États membres, alors que le dispositif est actuellement avant tout exploité par la France et l’Allemagne. C’est du reste le chemin sur lequel la Commission s’est engagée avec la consultation lancée le 23 février dernier.

 

L’autonomie signifie forcément une action dans le champ commercial. Ici, l’auteur regrette les insuffisances de la communication de la Commission européenne du 18 février 2021 visant à rééquilibrer les relations commerciales. Il y voit « beaucoup d’annonces, mais peu de décisions susceptibles de produire des résultats pratiques immédiats ». Toutefois, le « flou idéologique » enveloppant la communication de la Commission permet de créer une convergence autour de la table de négociation, Van den Abeele critique aussi vivement l’accord bilatéral sur les investissements entre l’UE et la Chine de janvier 2021. Un accord comportant bien des effets d’annonce et des affichages politiques, « mais peu de garanties ou d’avancées concrètes ». Les régimes de sanctions de l’UE à l’encontre de pays tiers ne suscitent guère plus d’enthousiasme chez l’auteur. En raison de leur nombre (plus de quarante), ils restent difficiles à manier et se réduisent aux violations des droits de l’Homme. Pour sortir de ce confinement, l’Union pourrait chercher à créer un tribunal multilatéral des investissements au sein de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international, suggère-t-il. Mais, pour l’heure, « rien n’indique que les négociations aillent dans ce sens ».

 

Quelques lueurs d’espoir viennent éclairer ce ciel bien sombre : la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (le désormais fameux CBAM), qui doit être dévoilée le 14 juillet prochain, pour lutter en particulier contre le phénomène des « fuites de carbone », et la présentation par la Commission européenne d’une amélioration du 'level playing field' sous la forme d’une proposition de règlement visant les subventions étrangères faussant le marché intérieur. Mais, sur ce dernier point, Van den Abeele craint de longues et fastidieuses négociations.

 

Enfin, dernier front à ouvrir : la normalisation. Là aussi, la concurrence menace. La primauté européenne sur certaines normes se voit de plus en plus disputée par la Chine et les États-Unis. Pourtant, la normalisation constitue une question stratégique pour l’UE, tant pour assurer la sécurité des produits entrant sur le marché intérieur que pour renforcer l’autonomie stratégique de l’Union et son potentiel technologique ou encore pour imposer ses standards éthiques à travers l’utilisation de normes harmonisées.

 

L’auteur déplore le manque de vision commune européenne. Par manque de clarté, le concept d’autonomie stratégique ouverte reste peu mobilisateur et la fenêtre d’opportunité est étroite et de courte durée, estime-t-il. Van den Abeele veut toutefois croire en un sursaut européen, notamment dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, pour rendre possible une réelle autonomisation dans le cadre de partenariats multilatéraux équitables et durables. Un vœu pieux ? (Pascal Hansens)

 

Eric Van den Abeele, Vers un nouveau paradigme autour de l’autonomie stratégique ouverte ? ETUI. ISSN 1995-4446. 64 pages. 15,00 €. Le texte peut aussi être téléchargé gratuitement sur le site de l’institut (http://www.etui.org )

 

Où sont les philosophes ?

 

Si le dernier numéro de la Revue générale est d’abord consacré à la place des philosophes dans le monde contemporain, il recèle aussi plusieurs professions de foi européenne, parmi lesquelles figure le texte du discours prononcé par Ursula von der Leyen le 25 janvier dernier à Bruxelles, à l’occasion du 90e anniversaire des Grandes Conférences catholiques.

 

Interrogé sur la valeur ajoutée de l’Union européenne à l’issue du Brexit et d’une pandémie qui a conduit au rétablissement partiel des frontières et à une nouvelle forme de compétition entre les États membres, Philippe Van Parijs répond sans ambages : « Rien de tout cela n’entame l’engagement européen du philosophe que je suis. Qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de toute autre institution, évaluer c’est toujours comparer ce qui est à ce qui devrait être, mais aussi à ce qui serait si l’institution n’existait pas. Ceci exige un exercice contre-factuel d’autant plus spéculatif que l’institution en question prend de l’âge. Mais rien jusqu’ici ne m’a amené à douter de la validité de l’hypothèse selon laquelle, en l’absence de l’Union européenne ou de quelque chose qui lui ressemble, les relations entre les nations européennes seraient moins paisibles, moins confiantes, moins bienveillantes, moins fécondes qu’elles ne le sont aujourd’hui. L’Union européenne, c’est pour moi la construction lente d’un ‘nous’ partagé, d’une communauté de justification, qui oblige chaque composante de l’Union à tenir compte plus ou moins équitablement des intérêts de toutes les autres. C’est un processus laborieux, hésitant, par lequel la délibération gagne peu à peu du terrain sur la négociation ». Et de poursuivre : « Il n’en découle bien sûr nullement que l’Union est aujourd’hui telle qu’elle devrait être. Il faut maintenir la pression, cultiver l’imagination et saisir chaque occasion pour contourner les obstacles, pour s’attaquer aux problèmes que l’intégration européenne elle-même a créés, pour créer, fût-ce indirectement, les conditions de nouvelles avancées, tout cela guidé non par une obsession de l’intégration pour l’intégration, mais par une conception cohérente de ce que la justice requiert entre Européens et au-delà ». Philippe Van Parijs promet un livre sur le sujet, au titre évocateur : « Europe’s Destiny ».

 

Un titre anglophone qui n’aura pas manqué d’irriter Béatrice Libert, qui pousse un coup de gueule contre « celles et ceux qui assassinent la langue française » et contre l’abus d’anglicismes, souvent monosyllabiques, qui polluent l’aire linguistique francophone, plus particulièrement en Belgique, Wallonie comprise, où l’anglais et plus encore un jargon anglo-saxon permet d’éviter l’emploi des trois langues officielles.

 

Le même numéro comprend aussi un article du jésuite Charles Delhez, qui rappelle que la Bible « est d’abord une parole d’homme dans laquelle les juifs et les chrétiens reconnaissent la Parole de Dieu ». « Les écrivains sacrés sont de vrais auteurs. Tout est de Dieu et tout est de l’homme, pourrait-on dire, mais selon des angles différents. Ce n’est donc pas la Bible qui est à la source du peuple d’Israël, pas plus que le Nouveau Testament n’est le point de départ de l’Église. Ni Israël ni l’Église ne sont nés d’une révélation inscrite dans un livre. Mais c’est l’histoire d’Israël, de Jésus et de l’Église qui est la source des Écritures : la communauté croyante crée les textes sacrés, dont l’étude, la méditation et l’interprétation entretiennent la tradition », souligne l’auteur, qui relève ici, à juste titre, une différence fondamentale avec l’Islam, qui confère le caractère dogmatique de vérité révélée au Coran. (OJ)

 

Frédéric Saenen (sous la direction de). Où sont les philosophes ? Revue générale. 2021/1. Mars 2021. ISBN : 978-2-390-61113-4. 251 pages. 22,00 €

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