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Bulletin Quotidien Europe N° 12627

22 décembre 2020
REPÈRES / Repères
Une année dévastatrice, une gouvernance contrastée

Aurons-nous nos premiers vaccins anti-Covid-19 avant une décision sur nos futures relations commerciales avec le Royaume-Uni ? La réponse est oui, alors que son contraire était, jusqu’il y a peu, jugé le plus probable.

En effet, après le feu vert de l’Agence européenne des médicaments, puis celui de la Commission européenne, les premières vaccinations pourraient commencer dès le 27 décembre dans toute l’Union. Quant aux pénibles négociations destinées à éviter un Brexit ‘dur’ au 1er janvier 2021, le Parlement européen devra approuver l’éventuel accord pour que celui-ci puisse entrer en vigueur provisoirement, dans l’attente des ratifications nationales ; à cette fin, il pourrait se réunir en séance plénière exceptionnelle les 28 et 29 décembre, pour autant, avait-t-il dit, que l’accord fût conclu le dimanche 20 à minuit au plus tard, compte tenu du temps nécessaire à la diffusion, à la lecture et à l’analyse de cet énorme dossier.

Or les pourparlers, très difficiles, sont prolongés au-delà de ce délai. Si un deal est conclu prochainement, les eurodéputés pourraient soit faire preuve de flexibilité, soit avoir un réflexe de rejet, arguant de l’humiliation publique de la première institution de l’UE. Donc, en cas d’accord, celui-ci ne serait validé que le 29 décembre. Si les négociations continuaient encore, l’on entrerait dans une phase de bricolage avec un arrêt des horloges, un accord provisoire… : les opérateurs économiques dégusteront. À cette situation politique complexe et imprévisible sont venus s’ajouter un état d’urgence sanitaire à Londres et dans une grande partie de l’Angleterre, et la décision de plusieurs États membres de suspendre liaisons aériennes et ferroviaires avec le Royaume-Uni (voir autres nouvelles).

L’annus horribilis se termine sur un constat tranché. Par les vaccins, c’est gagnant-gagnant ; avec le Brexit, il n’y a que des perdants ; et dans les deux cas, à très grande échelle. Les parlementaires britanniques commencent à s’émouvoir de l’impréparation administrative du grand chambardement ; sur le continent, des mesures ont été votées dans les temps, mais elles appellent une réciprocité de la part de Londres et force est de constater que la communication européenne a porté davantage sur les tribulations des négociations que sur les mesures concrètes, qui intéressent bien plus les entreprises et les citoyens.

La pandémie n’est pas maîtrisée : une souche mutante du virus a été détectée, sans doute plus contagieuse et non limitée au Royaume-Uni. Aucun État membre ne peut plus servir de modèle pour les autres et chaque exécutif fait de son mieux – de même que l’Union européenne, coordonnant ce qui peut l’être. Mais celle-ci a conduit la réplique collective par deux actions majeures : le Plan de relance européen (EUROPE 12626/1) et l’acquisition massive de vaccins par la Commission. Tous deux reposent sur une mise en commun de moyens de grande envergure : endettements et achats. On peut y voir un saut qualitatif vers une intégration plus poussée.

Malgré la pandémie, la machine à produire des décisions et des législations a continué à tourner, surtout au second semestre. Le Conseil européen de juillet s’est finalement accordé sur le Plan précité et sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 (EUROPE 12532/2). Ensuite le Parlement s’est révélé exemplaire. Il a effectué ce qui eût été le boulot normal de la Commission : identifier et intégrer de nouvelles ressources propres. Il a corrigé les erreurs du Conseil européen en relevant autant que possible les crédits relatifs à des enjeux clés : santé, recherche, espace, Erasmus, culture, environnement. Il s’est efforcé de rendre certaines législations plus conformes au Green Deal européen. En décernant le Prix Sakharov à l’opposition démocratique en Biélorussie, il a probablement fait plus pour sa cause que les sanctions décidées par le Conseil. On ne peut regretter que son vote sur la directive relative aux marchés d’instruments financiers.

La Commission a révélé son dynamisme par une abondance de propositions importantes : relèvement d’au moins 55% de la réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030, approuvé par le Conseil européen de décembre (EUROPE 12621/1) ; renforcement des outils de cybersécurité ; règlementation des GAFAM ; plan d’action européen pour la démocratie ; directive sur le salaire minimum ; stratégie pour la biodiversité, etc.

La Présidence allemande du Conseil a engrangé des succès par de nombreuses adoptions, en codécision ou non : Facilité de relance et de résilience, CFP, programmes pluriannuels sectoriels, budget 2021, règlement d’appui technique aux réformes structurelles, règlement sur la période de transition pour la PAC, règlement React-EU, programmes « Justice », « Droits et valeurs » et « Douanes », Fonds d’ajustement à la mondialisation, règlement sur les mesures en réaction contre les graves violations des droits humains, règlement sur le retrait des contenus terroristes en ligne, directive sur le recours collectif des consommateurs, révision de la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal, Année européenne du rail, registre sur la transparence, etc. Le 17 décembre, le Conseil a trouvé un accord politique sur la « loi climat ».

En revanche, des échecs ou des progrès insuffisants sont à pointer : préparation de l’adhésion de la Macédoine du nord et de l’Albanie, pacte sur l’asile et les migrations, procédure ‘article 7’, mécanisme d’interconnexion, égalité des genres, transparence fiscale par pays, règlement sur la confidentialité en ligne, Conférence sur l’avenir de l’Europe…

La Présidence allemande a tenu à débloquer les vetos hongrois et polonais sur le CFP et le Plan de relance européen. La solution trouvée remplit 3 des 13 pages des Conclusions du Conseil européen de décembre (EUROPE 12621/2), 3 pages où cette institution se comporte en législateur, contrairement au traité (article 15§1 TUE), à propos du règlement relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (déjà adopté en trilogue). Ainsi le Conseil européen annonce-t-il que la Commission élaborera des orientations sur la manière dont elle appliquera le règlement, en étroite collaboration avec les États membres, orientations qui ne seront établies dans leur version définitive qu’après l’arrêt de la Cour de Justice dans l’hypothèse où un recours en annulation du règlement serait introduit. « Tant que ces orientations n’auront pas été définitivement mises au point, la Commission ne proposera pas de mesure au titre du règlement ». Pour qui sait lire entre les lignes, le Conseil européen dit à la Commission « freinez ! » et à la Cour de Justice « accélérez quand même ! ». De plus, il « se félicite de l’intention de la Commission d’adopter une déclaration, à inscrire au procès-verbal du Conseil au moment où celui-ci statuera sur le règlement, dans laquelle la Commission s’engagera à appliquer les éléments visés au point 2 ci-dessus qui relèvent de ses compétences dans le cadre de l’application du règlement ». La Commission s’est effectivement exécutée (PV du Conseil du 14 décembre, p. 11).

Le règlement, non modifié, a été définitivement adopté le 16 décembre. La fin du texte (article 10) est claire : le règlement est « applicable à partir du 1er janvier 2021 », « obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre » (ce que dit exactement l’article 288 TFUE). La résolution du Parlement du 17 décembre (496 voix) est cinglante : « aucune déclaration politique du Conseil européen ne peut être considérée comme une interprétation de la législation » et « l’applicabilité du règlement ne peut être subordonnée à des lignes directrices » ; le PE « attend de la Commission, en tant que gardienne des traités, qu’elle garantisse la pleine application du règlement à partir de la date convenue par les colégislateurs ».

L’on arguera sans doute qu’au vu de l’énormité des milliards en jeu, la Realpolitik autorisait une entourloupe. Mais l’affaire constitue un précédent dont le Conseil européen pourrait se prévaloir à l’avenir. Un mauvais coucheur mettrait-il son veto ? Un apprenti dictateur froncerait-il les sourcils devant un règlement ? Hop ! La Commission, trop bonne, serait priée d’en différer la production d’effets juridiques. De quel crédit celle-ci jouira-t-elle alors, chaque fois qu’elle rappellera à un État membre ses obligations de mise en œuvre d’une législation ?

Au cours de l’année qui s’achève, les institutions représentatives des États membres auront mieux respecté le Parlement (à vérifier tout de même à propos du Brexit) que la Commission. Tactique à courte vue : seul le respect des traités et de l’équilibre du système institutionnel rend l’Union fiable et performante.

Renaud Denuit

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