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Bulletin Quotidien Europe N° 12532

21 juillet 2020
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N° 019

L’économie de la vie

Avec cet ouvrage, Jacques Attali propose son analyse de la crise sanitaire, économique, philosophique, idéologique, sociale, politique et écologique stupéfiante que nous sommes en train de traverser et préconise de « passer au plus vite de l’économie de la survie à l’économie de la vie ».

« L’humanité semble traverser un cauchemar. Et n’avoir qu’un désir, qu’une ambition, qu’une supplication : qu’il se termine et qu’on en revienne au monde d’avant. J’enrage devant un tel aveuglement, car même si cette pandémie disparaissait vite, d’elle-même ou grâce à un vaccin ou un médicament, nous ne retrouverions pas, comme par un coup de baguette magique, le mode de vie d’avant », écrit l’auteur, qui consacre le premier chapitre de son ouvrage à une synthèse, rapide, mais érudite, de l’histoire des maladies infectieuses de l’antiquité à nos jours. Il dresse ainsi un cadre historique dans lequel il vient inscrire son analyse, laquelle, explique-t-il, doit beaucoup à « une enquête » qu’il a menée auprès d’un grand nombre de personnalités et d’experts, dont il fournit une liste partielle à la fin de l’ouvrage.

Pour Jacques Attali, « le confinement, possible, mais non nécessaire, de plus de la moitié de l’humanité » a clairement été une erreur qui, en mettant à l’arrêt l’économie mondiale, a provoqué « la pire crise économique, sociale et bientôt politique des trois derniers siècles ». Il explique que cette mesure sans précédent est le fruit de l’imprévoyance et de l’inaction des gouvernements et d’une réaction de panique qui les a conduits à choisir le modèle de « la dictature chinoise » plutôt que de suivre celui, plus raisonnable et plus respectueux des libertés fondamentales, qui a été mis en œuvre notamment par la Corée du Sud. « La bonne décision en Europe, jusque fin février ou encore début mars, eût été de se lancer dans la fabrication massive de masques, de tests et de moyens de suivre les relations des contaminés, comme on l’a fait en Corée. (…) Comme on ne l’a pas fait, mi-mars, la pandémie explose », entraînant la panique et le confinement généralisé, souligne l’auteur, qui dénonce le mensonge impardonnable des responsables politiques lesquels, pour masquer leur incurie, prétendent alors que les masques sont inutiles et les tests inadaptés. Un mensonge d’autant plus criant aujourd’hui alors que ces mêmes responsables appellent à porter le masque lorsqu’ils ne le rendent pas obligatoire.

L’auteur dresse ensuite le tableau, forcément très noir, de la crise économique provoquée par cette gestion calamiteuse de la pandémie : destruction de 200 millions d’emplois et réductions de revenu pour au moins deux milliards de personnes, selon l’OIT ; 60 millions d’emplois menacés en Europe ; triplement du nombre d’Africains souffrant de sous-nutrition en 2020, soit 200 millions de personnes, selon le PAM ; une dette publique mondiale, privée et publique, approchant fin 2020 des 300% du PIB mondial.

À cela s’ajoute une inconnue géopolitique majeure, avec un risque d’instabilité internationale accrue, mais aussi, peut-être, une nouvelle fenêtre d’opportunité pour l’Europe. « Aujourd’hui, beaucoup pensent que cette crise conduira à la fin de la suprématie des États-Unis et à leur remplacement par la Chine comme nation dominante. Je n’y crois pas. Je pense au contraire qu’elle va accélérer une évolution dans laquelle les États-Unis et la Chine seront tous deux affaiblis, vers un monde sans maître. Un monde autrement plus dangereux qu’un monde dominé par un empire, quel qu’il soit. Un monde où l’Europe retrouve toute sa chance d’être libre, puissante et prospère », écrit Jacques Attali, qui affirme : « L’Union européenne pourrait même apparaître bientôt au reste du monde comme un meilleur modèle que le chinois ou l’américain : elle protège mieux ses citoyens socialement ; son niveau de vie est le plus élevé du monde ; elle ne rassemble que des démocraties ; son influence dans le monde est considérable. Son unité se renforce, dans la crise, quoi qu’en disent ses adversaires : elle a pris, on l’a vu, de nombreuses décisions pour renforcer son action économique et sociale commune. Enfin, sa monnaie, malgré toutes les attaques, est chaque jour davantage reconnue comme une monnaie de réserve internationale crédible ». Et de poursuivre : « Si l’Europe réussit à profiter de la faiblesse des deux grands pour s’unir et se rassembler, ce qui est loin d’être certain, un grand avenir s’ouvre à elle. Il faudrait pour cela qu’elle soit capable de mettre en place des institutions beaucoup plus fortes, beaucoup plus démocratiques, et un grand fonds d’investissement dans les secteurs prioritaires, ceux de l’économie de la vie ».

Car l’auteur, très critique à l’égard des GAFAM et de « l’artificialisation de la vie », avec ses « conséquences gigantesques sur l’environnement », ne croit pas en une décroissance qu’il juge absurde : « Pour atteindre l’objectif de limiter la hausse de la température d’ici la fin du siècle de 1,5°C, comme fixé par l’accord de Paris, il faudrait en effet réduire les émissions de gaz à effet de serre de 7,6% par an de 2020 à 2030. Or, c’est à peu près ce qui va être obtenu en 2020 au prix d’une formidable récession : les émissions de CO2  baisseront, sur l’ensemble de l’année 2020, de 5,5% (selon une étude de Carbon Brief) à 8% (selon l’AIE). Donc, pour atteindre l’objectif climatique par la décroissance, il faudrait que le PIB mondial baisse chaque année, pendant dix ans, autant qu’en 2020. Ce qui conduirait à la ruine absolue et au chômage généralisé ». Il rappelle en outre qu’il n’y a pas que le climat et que bien d’autres dangers menacent la planète et la vie sur terre, évoquant, sans employer cette expression, ce qui s’apparente à une crise de la biosphère.

En lieu et place de la décroissance, il préconise une réorientation de l’économie, avec (1) la reconversion des industries aéronautiques, automobiles, chimiques, des plastiques, de l’énergie carbonée, (2) une réorganisation du secteur touristique vers un tourisme de proximité plus respectueux de l’environnement et (3) des investissements massifs dans des secteurs prioritaires : l’agriculture durable et l’alimentation, la santé, l’éducation, la culture, l’habitat, avec une modification du paysage urbain, moins d’entassements, moins de congestion et plus de mobilité douce. Pour Jacques Attali, ce passage à une économie de la vie doit s’accompagner du passage d’une « démocratie à l’abandon », détruite par « soixante-dix ans de drogue ultralibérale » à une « démocratie de combat ». Celle-ci devra être représentative et modeste. Elle devra protéger la vie, garantir la justice sociale et tenir compte de l’intérêt des générations futures. Voilà un programme à méditer cet été, en continuant de prendre soin de soi et des autres.

Olivier Jehin

 

Jacques Attali. L’économie de la vie – Se préparer à ce qui vient. Fayard. ISBN : 978-2-213-71752-4. 239 pages. 18,00 €

 

L’éducation aux droits humains avec les jeunes

Avec cette deuxième édition de son manuel pour l’éducation aux droits humains (la première datait de 2002), les services de l’éducation et de la jeunesse du Conseil de l’Europe offrent un outil pédagogique riche et très pratique à l’ensemble des éducateurs, enseignants et animateurs qui cherchent des activités concrètes, ludiques et/ou interactives, pour promouvoir les droits humains auprès des jeunes.

L’éventail de 60 activités comprend principalement des jeux de rôle permettant aux jeunes de s’impliquer directement dans le traitement d’une question relative aux droits fondamentaux, notamment en lien avec l’Internet, la religion et le devoir de mémoire. Chaque activité, d’une durée variable allant de 60 à 190 minutes, est répertoriée par niveau (de 1 à 4) et prévue pour une taille de groupe, avec un scénario et des indications relatives au matériel et à l’organisation nécessaires. Elle est généralement suivie d’un temps de débriefing permettant à l’animateur d’analyser avec le groupe les attitudes observées ainsi que le résultat de l’activité et, le cas échéant, de fournir des informations complémentaires aux jeunes. Les trois derniers chapitres proposent à cette fin un ensemble d’informations sur les droits humains, les différents thèmes abordés dans les activités, les instruments internationaux relatifs aux droits humains, le militantisme et les actions qui peuvent être menées pour la promotion des droits.

De nouvelles thématiques, comme le handicap ou encore le terrorisme, ont été intégrées dans cette nouvelle édition. D’autres, comme l’égalité entre les femmes et les hommes et le travail ainsi que les droits sociaux, ont été réorganisées. À noter que, si la version française de la deuxième édition est la dernière parue, au fil du temps, Repères a été publié, avec des mises à jour, en pas moins de trente langues. Les dernières mises à jour remontent à 2015 pour l’anglais et le russe et à 2016 pour l’arabe. (OJ)

 

Patricia Brander, Ellie Keen, Vera Juhasz, Annette Schneider et autres. Repères – Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits humains avec les jeunes. Éditions du Conseil de l’Europe (http://book.coe.int ). ISBN : 978-92-871-9015-4. 481 pages. 28,00 €

 

Les métamorphoses des relations État-entreprise

Rédigé avant la pandémie, dont les effets, sans doute considérables, sur le fonctionnement des entreprises et l’évolution des relations État-entreprises sont encore en gestation, cet ouvrage analyse les métamorphoses des relations entre État et entreprise dans le cadre de la mondialisation, de la crise du politique et de la technologisation généralisée et accélérée de nos sociétés. Il est le fruit d’un collectif de chercheurs, de responsables d’entreprises privées ou publiques et de hauts fonctionnaires, réuni dans le cadre de séminaires organisés par l’Institut d’études avancées de Nantes. Au travers de quinze contributions, il privilégie une approche internationale pour souligner la diversité et les dynamiques des institutions étatiques et entrepreneuriales ainsi que leurs représentations sociales et culturelles.

Pierre Musso y décrit le « transfert d’hégémonie » qui s’est opéré au XXe siècle, réduisant progressivement l’État à « un appareil techno-gestionnaire, fonctionnel, par dissipation de sa dimension symbolique », alors que « l’entreprise se politise en investissant le champ symbolique par le biais de la technique, nouvelle religiosité des temps actuels ». Corinne Eyraud y signe un article très intéressant sur le rôle du Parti communiste chinois dans des entreprises qui demeurent très contrôlées, contrairement à l’image d’extension du secteur privé véhiculée par la propagande chinoise. Marc Chopplet s’interroge sur les effets du développement du cosmopolitisme. Karine Patte et Stéphane Rozès proposent une typologie des différences culturelles. Enfin, Jean Peyrevelade évoque les GAFAM, le Libra et le défi climatique avant de conclure sur la phase de transition dans laquelle nous sommes entrés et qui nécessite d’investir beaucoup « en protégeant, d’une part, les entreprises, d’autre part, les populations les moins favorisées ». Selon lui, « le libéralisme va nécessairement reculer (ce qui ne va pas sans risques) et le capitalisme, pour survivre, devra avoir l’intelligence de rentrer dans le rang ». (OJ)

 

Pierre Musso (sous la direction de). Les métamorphoses État-entreprise. Éditions Manucius. ISBN : 978-2-84578-710-3. 235 pages. 20,00 €

 

Effect of the Coronavirus Pandemic on East Mediterranean Gas Prospects

Antonia Dimou analyse les effets de la pandémie sur les opérations de prospection de gaz en Méditerranée orientale, avec le gel des forages programmés par le consortium franco-italien réunissant Total et ENI et de ceux d’Exxon Mobil et de Qatar Petroleum. Parallèlement, l’Égypte poursuit ses activités et la Turquie sa politique méditerranéenne agressive, dans le droit fil de l’accord signé avec le gouvernement d’union nationale libyen. L’auteur rappelle les multiples violations par la Turquie des eaux territoriales et de la zone économique exclusive de Chypre ainsi que de l’espace aérien grec, essentiellement condamnées par les Émirats arabes unis, l’Égypte, Chypre, la Grèce et la France, et estime qu’une « présence navale de l’UE en Méditerranée orientale pourrait être un premier pas » dans la défense des intérêts européens face à « l’agression turque ».

Un tel pas apparaît d’autant plus indispensable du fait du soutien américain à la Turquie, qui ne peut qu’encourager Erdogan à poursuivre sa politique en Méditerranée, en Libye et au Levant. Un soutien qui vient d’être réaffirmé par le secrétaire d'État américain adjoint pour le Moyen-Orient, David Schenker, dans une salve critique à l’égard de l’opération européenne Irini de contrôle de l’embargo sur les armes à destination de la Libye, rapporte Le Figaro. David Schenker a ainsi estimé au sujet des Européens que « les seules restrictions qu'ils font » portent sur « le matériel militaire turc ». « Ils pourraient au moins, s'ils étaient sérieux, je crois, dénoncer toutes les parties au conflit quand elles violent l'embargo sur les armes », a-t-il ajouté lors d'une conférence organisée le 16 juillet par le German Marshall Fund of the United States (EUROPE 12530/12).

L’article d’Antonia Dimou est paru dans le dernier numéro de la lettre électronique du centre chypriote pour les affaires européennes et internationales. (OJ)

 

Antonia Dimou. Effect of the Coronavirus Pandemic on East Mediterranean Gas Prospects. In Depth, volume 17, n° 4, juillet 2020. ISSN : 2421-8111. La lettre électronique bimestrielle du Cyprus Center for European and International Affairs peut être téléchargée gratuitement sur http://cceia.unic.ac.cy

 

Covid-19 et réchauffement climatique

Dans le dernier numéro de Futuribles, consacré aux effets de la pandémie et aux stratégies pour l’avenir, l’économiste Christian de Perthuis analyse les interactions de la crise sanitaire avec l’action climatique. Il souligne notamment que le Plan de relance économique, rendu indispensable par la crise, risque de faire passer le Green Deal de la Commission européenne au second plan alors qu’il conviendrait de les fusionner pour s’assurer que l’ensemble des investissements soient orientés vers la transition énergétique. « Le principe à appliquer est d’une grande simplicité : il faut subordonner l’accès des fonds publics au respect des normes (d’émissions de CO2 : Ndr), notamment dans l’industrie automobile », explique l’auteur, qui estime aussi qu’il faudra résister à la pression multiforme des compagnies aériennes qui voudront aménager la régulation CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) concernant l’aviation civile. Il préconise en outre l’élargissement de la tarification du carbone à l’ensemble des émissions de CO2 liées au transport et à l’usage des bâtiments. Avec la crise sanitaire, « le tic-tac a légèrement ralenti, mais l’urgence climatique demeure » et l’auteur s’inquiète d’un risque d’« amnésie collective » en sortie de crise. (OJ)

 

Christian de Perthuis. Covid-19 et réchauffement climatique. Revue Futuribles, n° 437, juillet-août 2020. ISBN : 978-92-84387-450-5. 152 pages. 22,00 €

 

Les Rendez-vous européens

« L’homme européen existe déjà, mais il n’a qu’une conscience limitée de lui-même », rappelle Simon Blin, étudiant en M2 droit européen à l’Université de Tours, dans un article consacré à l’appropriation de la citoyenneté européenne par les Européens. À cette fin, il propose d’organiser des « Rendez-vous européens » autour de la culture et du sport, réunissant de façon conviviale jeunes et moins jeunes durant une dizaine de jours, à chaque fois dans une autre ville d’Europe, une par État membre pendant vingt-sept ans. Ces « Rendez-vous européens », qui différeraient par leur contenu et leur organisation de ce qui se fait déjà avec les capitales européennes de la culture, devraient aussi fournir « l’occasion de penser et de repenser l’Europe ». C’est à lire dans la Revue de l’Union européenne, qui consacre par ailleurs une série d’articles aux enjeux révélés par la pandémie, à la jurisprudence constitutionnelle allemande, relative aux plans d’aide et/ou de relance et à leurs modalités de financement, ainsi qu’au Mécanisme européen de stabilité. (OJ)

 

Simon Blin. Les Rendez-vous européens. Revue de l’Union européenne, n° 639, juin 2020. Dalloz. ISBN : 978-2-99035-639-8. 63 pages. 50,03 €

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