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Bulletin Quotidien Europe N° 13353

20 février 2024
Sommaire Publication complète Par article 28 / 28
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N° 100

Qatargate

Avec cet ouvrage, les journalistes du Soir Louis Colart et Joël Matriche nous livrent une enquête particulièrement bien documentée sur le scandale du Qatargate, qui recouvre des faits de corruption et d’ingérence étrangère impliquant le Qatar et le Maroc. Un ouvrage qui se lit comme un roman policier. Avec une différence majeure : l’intrigue n’a rien d’une fiction et tous les acteurs sont bien réels. Et cette enquête journalistique s’appuie sur plus de 5 000 pages du dossier d’instruction, avec des retranscriptions d’interrogatoires et de dizaines d’écoutes pour certaines jamais dévoilées.

Le plus impressionnant au fil des pages est sans aucun doute l’ampleur des montants mis en œuvre pour influencer, avec plus ou moins de résultats, les positions au sein du Parlement européen et au-delà : plus de deux millions d’euros ! 669 950 euros seront ainsi retrouvés par la police belge chez l’Italien Antonio Panzeri, ancien député européen social-démocrate et président de la sous-commission 'Droits de l’homme', au moment où éclate le scandale ; 880 000 euros chez le couple formé par la vice-présidente socialiste grecque du Parlement, Eva Kaïli, et l’assistant italien Francesco Giorgi ; selon les déclarations du « repenti » Panzeri, le socialiste belge Marc Tarabella aurait touché entre 120 000 et 140 000 euros, dont la trace n’a pas été retrouvée (faits de corruption que l’intéressé, exclu par son parti, a toujours niés) ; toujours selon le repenti, une enveloppe de 250 000 euros aurait été partagée entre Eva Kaïli et la députée européenne de Forza Italia Lara Comi, qui, par le passé, a déjà dû rembourser au Parlement européen une somme indûment versée à sa propre mère pour un prétendu emploi d’assistante parlementaire (Lara Comi a aussi été poursuivie en Italie dans une affaire de corruption baptisée « la cantine des pauvres ») ; 250 000 euros seraient allés, toujours selon la même source, au Napolitain Andrea Cozzolino, chargé de la coordination des résolutions d’urgence pour le groupe S&D ; enfin, le leader syndical Luca Visentini a reçu 43 000 euros, reversés en partie (36 000 euros) aux confédérations syndicales internationale (CSI) et européenne (CSE). Et la montagne de billets aurait même pu s’élever encore, si le scandale n’avait pas éclaté : de l’aveu même de Francesco Giorgi, « il devait recevoir avec Antonio Panzeri 4,5 millions d’euros de la partie qatarie sur la législature 2019-2024 : 1,5 million pour 2018-2019, 500 000 euros en 2019, 500 000 euros encore chaque année jusqu’en 2024 ».

À quoi devait servir tout cet argent ? Pour le Qatar, il s’agissait notamment d’obtenir l’abandon des accusations relatives aux chantiers de la Coupe du monde de football 2022 et à leurs victimes ainsi que des résolutions mettant en cause le pays pour ce qui est du respect des droits de l’homme, d’une part, et, d’autre part, le vote favorable du Parlement pour l’octroi de visas Schengen à ses ressortissants. Avec, à la manœuvre, le ministre du Travail, Ali bin Samikh al Marri. Pour le Maroc, il s’agissait d’encourager le développement d’une plus grande intégration économique et politique et la reconnaissance du « statut marocain » du Sahara occidental. Et c’est un proche du roi, Yassine Mansouri, « l’espion en chef de Rabat » à la tête de la Direction générale des études et de la documentation, qui, « dès l’automne 2019, reçoit Panzeri et, selon ce dernier, libère les fonds nécessaires à la lubrification du Parlement européen ».

« D’une générosité en apparence sans limites, le Qatar devait en avoir pour ses pétrodollars : d’avril 2018 à décembre 2022, 199 actions en faveur de la monarchie du golfe Persique sont référencées par Giorgi dans (une) feuille de calcul qu’il partageait – en version papier ou par WhatsApp, précise-t-il aux policiers – avec le bras droit du Dr. al Marri », écrivent les journalistes. Avant d’ajouter plus loin : « Les intrigues dont aurait bénéficié le présumé client marocain ont, elles aussi, été consignées avec rigueur par Giorgi. Trente-quatre actions supposées avoir été menées au bénéfice de Rabat entre novembre 2019 et février 2022 sont ainsi listées et annotées ». Mais, poursuivent Louis Colart et Joël Matriche, « à en croire cette avalanche de mémos que Giorgi affirme avoir remis à leurs fidèles clients, quasiment toute activité parlementaire qui leur était favorable était donc de leur fait ». « Dotés d’un indéniable sens des affaires, Giorgi et Panzeri avaient intérêt à se survendre, à s’attribuer le mérite de toute action qu’ils auraient rêvé d’entreprendre eux-mêmes. (…) une fois confrontés aux enquêteurs, Panzeri et son ancien assistant deviennent inhabituellement modestes ; ils ne prétendent plus avoir bouleversé l’ordre du monde, tout au plus surfacturé des clients crédules », observent les auteurs.

Le 10 décembre 2022, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola « suit depuis vingt-quatre heures, à Malte, l’actualité qui frappe son institution ». « Déjà sonnée par l’arrestation de l’une de ses vice-présidentes (que le Pasok grec vient d’exclure manu militari), la Maltaise reçoit, via son secrétariat, cette lettre du juge d’instruction bruxellois la priant d’assister à la perquisition au domicile du député belge (une formalité requise : NDR). Elle saute dans un Airbus A320 à destination de Bruxelles pour poursuivre le week-end le plus délirant de son mandat. ‘Rien n’aurait pu me préparer à ça, j’ai immédiatement senti que je devais prendre mes responsabilités et j’ai fait ce que je devais faire, se souvient Roberta Metsola (…) Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que les jours et les semaines qui ont suivi ont été parmi les plus longs de ma vie », rapportent les journalistes en racontant la perquisition chez Marc Tarabella.

Quelques semaines plus tard, à Strasbourg, Roberta Metsola présentera un plan en quatorze points pour réformer et renforcer l’institution contre les ingérences et la corruption. Après plusieurs mois, ces réformes, pour certaines édulcorées, seront adoptées. L’interdiction de lobbying au sein de l’enceinte par un ancien député européen est ainsi ramenée de deux ans à six mois. Mais, comme le déclare la présidente aux auteurs : « La corruption est l’ennemie de la démocratie et, malheureusement, nous serons toujours confrontés à ceux qui sont prêts à payer et à ceux qui sont prêts à accepter ».

« La justice et la police belges ont subi des pressions inédites dans cette affaire. La ministre de l’Intérieur du Royaume a laissé entendre qu’un pays tiers avait mis la pression sur l’État belge. Le mandat d’arrêt délivré à l’encontre du Dr. al Marri, commanditaire présumé d’actions d’ingérence, a été suspendu quelques semaines plus tard, au nom d’on ne sait quelles motivations diplomatiques ou d’entraide judiciaire. Le juge d’instruction Claise a constaté que son domicile avait été ‘visité’ en son absence par de mystérieux intrus qui n’ont rien volé et ont tenté de ne laisser aucune trace de leur passage. Une campagne de fake news pro-Qatar a vu le jour sur les réseaux sociaux, tentant d’imposer un narratif du ‘Belgiumgate’ en lieu et place du ‘QatarGate’. Le procureur fédéral n’avait jamais vu cela de toute sa carrière », soulignent les auteurs. Et d’ajouter : « Plus qu’un ‘test’ pour nos démocraties, le QatarGate est un révélateur de bon nombre de problématiques. (…) Focalisées sur les tentatives d’ingérence de grandes puissances – Chine, Russie –, les institutions européennes n’ont pas vu qu’elles étaient infiltrées par des États de moindre importance. Des pays pour qui une résolution, un vote, un communiqué favorable du Parlement européen, oui, c’est important. Cela nous semble irréel de payer de telles sommes pour de si maigres bénéfices ? À en croire les conclusions – provisoires – de l’enquête judiciaire et les aveux de certains inculpés, ça a bien eu lieu. Sous nos yeux distraits ». (Olivier Jehin)

Louis Colart et Joël Matriche. Qatargate – Enquête et révélations sur le scandale qui ébranle l’Europe. Harper Collins. ISBN : 979-1-0339-1589-8. 213 pages. 20,90 €

Benchmarking Working Europe 2023

Dans ce riche tour d’horizon de la situation sociale et de la politique de l’emploi en Europe, les auteurs soulignent l’incapacité des gouvernements et des décideurs politiques, aux niveaux national et supranational, à « résoudre les tensions inhérentes » à quatre transitions – écologique et climatique ; technologique et numérique ; géopolitique ; économique et monétaire – qui, en se superposant, forment une « polycrise ».

Parmi les messages clefs, on peut retenir l’importance de réduire les inégalités, en particulier pour assurer l’acceptabilité sociale des mesures liées à la lutte contre le changement climatique. Si, après la pandémie de Covid-19, les marchés du travail se sont bien rétablis, cette rapide reprise a entraîné un manque de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs, souligne aussi l’étude.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué l’arrivée de nombreux réfugiés ukrainiens et l’inflation a généré une crise du coût de la vie, qui nécessite de « repenser l’aide sociale ». La revalorisation des revenus du travail a certes été plus élevée dans la majorité des États membres qu’elle ne l’a été en 2021 dans le contexte de la pandémie, mais elle n’a pas permis d’effacer les effets de l’inflation. Cela a eu pour conséquence une perte de pouvoir d’achat considérable pour les travailleurs. Pour les auteurs, la mise en œuvre rapide de la directive sur le salaire minimum demeure dès lors essentielle.

Les prix de l’énergie continuent de varier grandement d’un État membre à l’autre, « avec un manque de transparence pour les consommateurs », et ils ont fortement augmenté, aggravant une « pauvreté énergétique » qui était déjà substantielle – dans certains États membres, alarmante – même avant la crise de l’énergie. Près de 60 millions d’Européens étaient frappés de pauvreté énergétique fin 2022, selon les estimations. Même des développements positifs, comme les progrès de la mobilité électrique, peuvent accroître les inégalités, soulignent aussi les auteurs.

Enfin, les transitions écologique et numérique affectent les conditions de travail au travers de changements dans les méthodes de travail et les types de travail accomplis. Ces évolutions nécessitent une attention particulière dans la collecte des données en matière de sécurité et de santé au travail, y compris en termes d’inégalités. Et la législation européenne devra être adaptée et complétée en conséquence. (OJ)

Nicola Countouris e.a. (sous la direction de). Benchmarking Working Europe 2023 – Europe in Transition – Towards Sustainable Resilience. ETUI and ETUC. ISBN : 978-2-8745-2667-1. 174 pages.20,00 €. Cette étude peut être commandée en version papier ou téléchargée gratuitement à l’adresse : https://aeur.eu/f/awj

Le travail sous le prisme des évolutions technologiques et organisationnelles

Le Groupe de réflexion sur l’avenir du service public européen (GRASPE) consacre son dernier cahier aux effets des évolutions technologiques et organisationnelles sur le travail au 21e siècle, y compris dans la dimension « santé au travail ».

Si l’ensemble ne porte pas exclusivement sur la fonction publique européenne, les auteurs soulignent que cette dernière a subi une forme de « managérialisation » inspirée des théories du « new public management » développées dans les années 1970 à partir du Royaume-Uni. Avec une centralisation du pouvoir (à la place d’une démarche collaborative fondée sur l’expérience et le dialogue), le découplage des tâches, l’affaiblissement de la qualité de l’expertise technique par la priorité donnée à la mobilité et l’externalisation des tâches et des fonctions du service public vers des agences.

« Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui une déconnexion du travail et de sa localisation spatiale, d’autonomisation, mais aussi (…) une intensification du travail (avec) des risques non négligeables sur le bien-être et la santé au travail, sans compter l’érosion des lieux collectifs d’interaction des agents, qui sont la source de la créativité et de l’efficacité », écrivent les auteurs.

La sociologue Danièle Linhart, autrice du livre « L’insoutenable subordination des salariés », met en exergue de nombreux exemples de manipulation de l’image des entreprises auprès de leurs salariés, toujours dans le but d’augmenter la productivité. « L’objectif de ces techniques managériales est de réduire le risque de contestation, de confrontations entre l’entreprise et les employés. Pour ce faire, l’organisation se concentre sur l’individu. En mesurant les performances individuelles, on suscite chez de nombreux salariés une envie de plaire à leur entreprise ; ainsi, un employé qui ne se croit pas indispensable au sein d’une entreprise a plus de chance de travailler davantage pour le devenir afin de ne pas être mis à l’écart. Comme toutes les autres mutations managériales, elle se caractérise par la volonté d’augmenter la productivité. Cette pulsion omniprésente dans notre économie, ne profite à aucun employé, qu’il soit dans le management ou non », constatent les auteurs.

Et la pandémie a grandement accéléré les mutations du travail en imposant durablement le télétravail comme norme. « Ce dernier a complètement bouleversé les relations au travail et il est fort probable que les conséquences qu’il entraîne dans son sillage ne soient pas encore toutes connues. En revanche, ce que l’on connaît aujourd’hui, c’est l’ambivalence du télétravail. Si l’on note une nette augmentation de la productivité, ce n’est pas grâce à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais bien à cause de l’augmentation de la charge3 de travail qui pèse sur tous les travailleurs. On pourrait croire que le télétravail apporte plus de flexibilité des horaires et, donc, une charge de travail plus souple, mais, en réalité, la pression s’est accrue et les horaires se sont simplement étendus », expliquent enfin les auteurs. (OJ)

Le travail sous le prisme des évolutions technologiques et organisationnelles du 21e siècle. GRASPE. Cahier n° 48. Janvier 2024 125 pages. Le cahier peut être téléchargé gratuitement sur le site du Groupe de réflexion sur l’avenir du service public européen à l’adresse : https://aeur.eu/f/awk

 

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