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Bulletin Quotidien Europe N° 13182

16 mai 2023
Sommaire Publication complète Par article 33 / 33
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N° 083

EU Enlargement and Ukraine

La Fondation Jean Monnet publie le discours sur l’Ukraine et l’UE, prononcé par son président, l’Irlandais Pat Cox, le 22 mars 2023 à Dublin. Un texte qui mérite d’être lu attentivement. Son auteur n’a pas seulement été député européen libéral (Fianna Fail) pendant quinze ans et président du Parlement européen (2002-2004), mais aussi membre de la mission spéciale du Parlement européen en Ukraine en 2012-2013, conjointement avec l’ancien président polonais Aleksander Kwasniewski.

Pat Cox y souligne combien les intérêts stratégiques de l’Union européenne et de l’Ukraine sont alignés : « Après la guerre, une Ukraine isolée et appauvrie, piégée indéfiniment dans un no man’s land, ou prise dans un conflit gelé entre une UE anxieuse et une Russie menaçante serait une source permanente d’instabilité. Ce n’est pas l’intérêt de l’Ukraine et assurément pas celui de l’UE et de ses États membres orientaux, qui sont en première ligne ». Et de poursuivre : « L’aspiration de l’Ukraine à rejoindre l’Union européenne est une question d’importance stratégique pour l’UE et devrait être traitée comme telle. Pour sa propre survie, l’UE ne peut pas prendre le risque d’un vide politique volatil et menaçant sur son flanc oriental ».

Compte tenu des progrès déjà enregistrés par l’Ukraine et du caractère prioritaire que les autorités ukrainiennes paraissent, même en temps de guerre, accorder au processus d’adhésion, Pat Cox estime que « les négociations pourraient potentiellement être lancées vers la fin de cette année ». Mais pour que cette adhésion puisse avoir lieu, encore faut-il que l’Union s’y prépare. Outre le coût de la reconstruction après la guerre, dont nul ne sait à ce stade qui le financera, Pat Cox rappelle que l’Ukraine est le deuxième pays européen, après la Russie, par sa superficie, que son PIB n’est que légèrement supérieur à celui de la Pologne, avec un large secteur agricole, ce qui aura des conséquences importantes sur la taille et l’allocation du budget européen, en particulier en ce qui concerne la politique agricole commune et les dépenses de cohésion. Il rappelle aussi que l’UE n’est pas institutionnellement prête à un nouvel élargissement et qu’une révision des traités, avec en particulier une réforme des procédures de décision au Conseil, est indispensable pour éviter les blocages et garantir son fonctionnement à l’avenir. Pour parer aux ondes de choc et à l’insécurité qui émaneraient de l’instabilité de l’Ukraine, « l’UE doit tirer les leçons des trois mots de Mario Draghi qui ont sauvé l’euro et faire tout ce qu’il faut (Whatever it takes) », dit l’ancien président du Parlement européen.

Alors que l’Ukraine est en train de se transformer profondément dans la perspective de l’adhésion, elle doit pouvoir compter sur un large soutien de l’UE, mais cette dernière a aussi le devoir de critiquer l’Ukraine lorsque c’est nécessaire et « le cadeau ultime de l’adhésion doit être assorti de conditions », explique Pat Cox, avant d’ajouter : « Pour éviter la superficialité, l’adhésion ne devrait pas être turbocompressée. Pour éviter le découragement, elle ne devrait pas être indûment retardée. En ce qui concerne l’adhésion à part entière, l’UE devra trouver un équilibre entre la détermination de l’Ukraine à l’obtenir rapidement et la nécessité pour l’Union de bien faire les choses ». (Olivier Jehin)

Pat Cox. EU Enlargement and Ukraine. Fondation Jean Monnet. Série Débats et Documents, numéro 27, avril 2023. ISSN : 2296-7710. 18 pages. Publié en version papier, le texte peut aussi être téléchargé sur le site de la fondation : https://aeur.eu/f/6vr

The future of the English Language in the European Union

Après le Brexit, l’usage de l’anglais reste incontournable dans l’Union européenne, mais il appartient désormais aux Européens de se l’approprier en l’adaptant à leurs idéaux et besoins, explique Anne Parry dans cet article publié dans la revue « The Federalist Debate ».

En partant de l’exemple du lexicographe Noah Webster qui, à l’époque de la Convention constitutionnelle américaine de 1787, a été l’un des pères de la version américaine de l’anglais, Parry propose de définir un euro-anglais susceptible de renforcer l’identité européenne, complémentaire des identités nationales. Elle justifie ce parallèle par le fait que l’Union européenne est dans une situation analogue à celle des États-Unis à la fin du 18e siècle ; en d’autres termes, une phase constituante à visée fédérale.

Ce qu’il est convenu d’appeler l’euro-anglais à ce stade est un mélange de tournures qui dérivent d’images et d’expressions propres aux langues et cultures des différentes régions du continent, de faux amis, d’erreurs grammaticales ou de prononciation, et de concepts qui n’ont pas leur équivalent en anglais classique, en ce compris une partie du jargon institutionnel européen. Vu d’Angleterre, tout cela est logiquement perçu comme fautif. Mais cela peut aussi, s’agissant d’une langue vivante, devenir une nouvelle forme dialectale susceptible d’entrer dans le dictionnaire.

Pour accélérer cette évolution de façon collaborative, l’auteur propose d’associer tous les locuteurs de l’anglais dans l’UE et, plus particulièrement, les jeunes au travers d’une plateforme numérique intitulée « Conference on Euro-English ». Celle-ci comporterait trois sections : (1) sous la supervision d’un comité de linguistes, les élèves et étudiants des différents États membres pourraient être invités à imaginer, durant leurs cours d’anglais, des mots et expressions pour traduire des mots et concepts qui sont propres à leurs cultures ; ces propositions seraient partagées via la plateforme et, le cas échéant, présentées et défendues par leurs auteurs lors d’une conférence annuelle ; (2) une deuxième section serait consacrée aux termes en usage dans les institutions européennes, avec des vidéos de fonctionnaires ou de personnalités européennes en expliquant le sens ; (3) dans une troisième section, les étudiants et leurs professeurs pourraient participer à l’élaboration d’une histoire et d’une culture partagée, exprimée en euro-anglais. Annuellement, les meilleures contributions se verraient attribuer des prix lors d’une cérémonie axée sur la célébration de l’histoire et de la culture européenne.

Et l’auteur de conclure : « L’Union européenne est un phare de la démocratie dans un monde où des empires autoritaires menacent notre existence. Afin d’assurer notre avenir, nous avons besoin d’une société multilingue avec une identité forte et des institutions fortes. Une langue commune que nous identifions comme la nôtre sera une importante contribution à cet avenir commun ».

Parmi d’autres articles intéressants de ce numéro de la revue fédéraliste, on retiendra celui d’Antonio Padoa-Schioppa, professeur émérite d’histoire du droit à l’université de Milan, qui s’inquiète du fossé qui sépare aujourd’hui la France et l’Allemagne. S’il croit véritablement en une Europe politique et souveraine, Emmanuel Macron doit le montrer en déclarant que la dissuasion nucléaire française est un instrument de défense de toute l’Union, comme l’a demandé Schäuble, et en mettant le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU au service de l’UE. La France doit accepter en matière de sécurité et de défense un sacrifice de souveraineté analogue à celui de l’Allemagne lors de l’abandon du mark au profit de l’euro.

À lire, enfin, un article de l’ancien fonctionnaire européen Jean-Guy Giraud, qui souligne qu’après les élargissements qui se profilent, l’UE à 36 (les 27 + l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie + les six pays des Balkans) sera « une autre Europe ». Elle sera marquée par la place qu'occuperont des pays qui ont subi le joug communiste. Ces 19 pays représenteront 52% du total des États membres et 25% du total de la population de l’UE à 36 (environ 150 millions de personnes sur un total de 600 millions). L’union ne sera pas seulement plus diverse, elle présentera aussi des écarts de richesse considérables, souligne l’auteur, qui invite à tirer les leçons du précédent élargissement en renforçant les institutions au préalable. (OJ)

Anne Parry. The Future of the English Language in the European Union – Proposal for a Conference on Euro-English. The Federalist Debate. Mars 2023. ISSN : 1591-8483. 64 pages. Les textes de la revue sont accessibles sur le site : https://aeur.eu/f/6vs

Islam et libertés religieuses

Sous ce titre pour le moins interpellant, l’avocat et chargé d’enseignement au sein des universités de Paris-Créteil et de Picardie Chihab Mohammed Himeur nous présente l’islam sous son meilleur jour, en puisant dans le Coran, la tradition et l’histoire, ou ce que l’on en dit, les ressources de son plaidoyer très engagé. Intéressant à plus d’un titre, l’ouvrage mérite d’être lu, mais avec un indispensable esprit critique. Cela impose de garder à l’esprit que la plupart des religions sont apparues et se sont développées en des temps où les sources sont rares et souvent peu fiables. Toutes, même celles dont les textes sacrés appellent à la tolérance, la paix et l’amour du prochain, portent en elles des germes de discrimination et d’exclusion par la prétention à être l’unique vérité. Toutes, enfin, ont été instrumentalisées par les hommes, qu’ils soient religieux ou non, clercs ou laïcs, à des fins d’asservissement économique, de conquête territoriale, de répression, ou encore d’exercice d’un pouvoir totalitaire d’inspiration théocratique.

Dans la première partie de l’ouvrage, Chihab Mohammed Himeur cherche à valoriser l’islam en le comparant au christianisme et, plus particulièrement, au catholicisme. Et comme l’écrit dans sa préface le professeur Bertrand Mathieu (Sorbonne-Université), il grossit un peu le trait et se livre à quelques anachronismes, notamment « lorsqu’il compare le christianisme des Croisades et de l’Inquisition à l’islam tel qu’il est vécu, aujourd’hui, dans certaines sociétés arabes ». « De même, l’analyse de l’Al-Andalus est probablement un peu enjolivée, lorsque l’on sait que la tolérance à l’égard des juifs et des chrétiens était liée au statut particulier auquel ces derniers étaient soumis (« la dhimma »), statut certes protecteur, mais statut profondément inégalitaire et portant nombre de contraintes, dont une obligation drastique de ‘discrétion’ religieuse », poursuit Mathieu, avant de rappeler que « l’islam constitue une religion, mais aussi une idéologie, qui contrarie la conception universaliste des droits de l’homme ». Et d’ajouter : « Certes, l’auteur démontre que, comme toutes les religions, l’islam a des liens certains avec les droits de l’homme, mais il n’en reste pas moins qu’au-delà des différences quant à la nature et à la portée de ces droits, dans une logique religieuse, ces droits trouvent leur source dans la divinité et non dans l’homme lui-même. (…) La question qui reste alors posée est de savoir si l’islam est « soluble » dans une société qui s’inscrit dans la logique de l’idéologie des droits fondamentaux individuels ».

Himeur s’attache à défendre une vision libérale d’un islam tolérant, respectueux des libertés de conscience et de culte, et il critique les dérives de l’islam politique. Ainsi, rappelant qu’un sondage de 2020, réalisé par l’institut IFOP, montre que 74% des Français musulmans de moins de 25 ans interrogés affirment mettre l’islam avant la République, contre 25% chez les 35 ans et plus, il reconnaît que les prescriptions juridiques et les règles de conduite morale issues du Coran sont de plus en plus mobilisées pour justifier des « comportements et des actions qui vont à l’encontre du droit en vigueur dans la société ». Et d’ajouter : « C’est là que réside le vrai danger pour la démocratie ». (OJ)

Chihab Mohammed Himeur. Islam et libertés religieuses – Le combat des valeurs ? Bruylant. ISBN : 978-2-8027-7155-5. 232 pages. 93,00 €

Splendeurs et misères de l’argent

La Revue générale consacre son dernier numéro aux « splendeurs et misères de l’argent », avec un dossier qui s’ouvre par un éditorial du constitutionnaliste Francis Delpérée consacré au pouvoir de l’or, dont Voltaire disait : « Avec de l’or, on a des hommes et (…) avec des hommes, on a de l’or », ainsi qu’aux effets délétères du ‘Qatargate’. Dans le foisonnement intellectuel qui caractérise cette revue, on trouve à la fois, sous la plume de l’ancien Premier ministre Mark Eyskens, une fable fort amusante sur l’effacement des dettes, et un article de l’éditorialiste du Bulletin quotidien Europe, Renaud Denuit, qui parcourt toutes les dimensions du rapport des institutions européennes à l’argent, des ressources propres et du budget à l’union économique et monétaire, en passant par les fonds européens et, bien sûr, sans omettre la corruption et le pantouflage.

À lire aussi un article de l’écrivain Luc Delisse qui, sous le titre « La liberté en cash », nous rappelle combien notre monde ressemble chaque jour davantage à celui décrit par George Orwell dans « 1984 ». « L’argent liquide est la seule forme de liberté individuelle indépendante de la permission ou de l’aveuglement du pouvoir. La seule à laquelle on puisse recourir si l’on est traqué. Il n’est pas étonnant que son opportunité soit remise en question, son usage soigneusement restreint, sa possession de plus en plus découragée et sa disparition programmée à moyen terme. Ce n’est pas la fraude fiscale (crime en partie fantasmé) ni l’économie souterraine de la pègre qui justifie cet ostracisme croissant : c’est cette scandaleuse monnaie d’échange invisible dont le détenteur dispose et dont il faudra bien qu’il soit dépossédé tôt ou tard ». Et l’auteur poursuit : « Quand tout l’argent du monde sera numérisé, il n’y aura plus d’échappatoire. Vous serez livré pieds et poings au bon plaisir des gouvernements et d’instances qu’on appellera démocratiques par antiphrase. Le dernier maquis aura disparu. Le monde sera, enfin, définitivement quadrillé. Tant que la menace qui nous concerne n’est pas absolue, que le tropisme policier universel n’a pas encore tout envahi, l’argent liquide, par son usage même, constitue une forme de résistance. Ce n’est qu’une question d’années, de très peu d’années. Bientôt, les techniques de contrôle, de surveillance et de prédation de l’individu par le pouvoir auront atteint leur efficacité maximale ». (OJ)

Frédéric Saenen (sous la direction de). Splendeurs et misères de l’argent. Presses universitaires de Louvain. Revue générale, mars 2023. ISBN : 978-2-3906-1341-1. 254 pages. 25,00 €

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