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Bulletin Quotidien Europe N° 13054

1er novembre 2022
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N° 070

Eurafrique

Respectivement professeur de sciences politiques et professeur d’ethnologie (Ethnic Studies) à l’Institute for Research in Migration, Ethnicity and Society (REMESO) de l’Université de Linköping en Suède, Peo Hansen et Stefan Jonsson sortent de l’ombre un pan méconnu de l’histoire de l’Union européenne : les multiples idées et projets de constitution d’une union eurafricaine depuis les années 1920.

Aux yeux de nombreux décideurs français, « aucune communauté européenne n’était envisageable sans l’inclusion des colonies africaines de la France et des autres États » européens, rappellent les auteurs dans leur préface à l’édition française, avant d’ajouter : « En poursuivant cet objectif, la France échappait au dilemme d’avoir à choisir entre sa vocation européenne et ses ambitions impériales. Du point de vue français, l’Eurafrique était donc une innovation géopolitique permettant de placer Paris au centre du projet européen en s’appuyant sur sa domination de l’Afrique et d’assurer la perpétuation de cette domination en s’appuyant sur le projet européen ».

Si l’Eurafrique a fait long feu depuis belle lurette, la perspective de tirer des avantages géopolitiques de l’association des pays africains à l’Union européenne demeure vivace, comme le soulignent Peo Hansen et Stefan Jonsson : « L’Europe estime qu’en se rangeant aux côtés de l’Afrique, elle sera mieux armée pour faire face à la Russie, à la Turquie et à la Chine. Avec des adversaires à l’Est, l’alliance géopolitique de l’UE avec l’Afrique, « le plus grand bloc électoral au sein des Nations unies » (selon les termes de la Stratégie globale de l’UE : Ndr) donne l’image d’une puissance émergente entre l’Est et l’Ouest, allant du nord au sud. C’est dans ce contexte que ‘The Economist’ consacrait en septembre 2018 un article à cette thématique, sous le titre ‘La renaissance de l’Eurafrique : pourquoi l’Europe devrait se concentrer sur son interdépendance croissante avec l’Afrique’. Comme l’illustre le choix du mot ‘renaissance’, l’article soutient que l’Eurafrique faisait déjà partie intégrante des ‘Empires romain, carthaginois et vénitien’. Cependant il n’est nulle part fait mention de la manifestation historique la plus récente de l’Eurafrique : son association à l’Union européenne lors de la fondation de celle-ci en 1957 ».

« Au moment de sa création, la CEE comprenait non seulement la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne de l’Ouest, mais aussi les principales possessions coloniales de ses États membres. Dans le jargon officiel, ces dernières étaient désignées sous l’appellation ‘pays et territoires d’outre-mer’ (PTOM) et comprenaient principalement le Congo belge, l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF). L’Algérie, qui faisait alors partie intégrante de la France métropolitaine, en tant que départements, était officiellement intégrée à la CEE, même si elle demeurait exclue de certaines clauses du traité », rappellent les auteurs, qui ajoutent : « Aux yeux des promoteurs de l’intégration européenne, leur communauté dépassait donc de beaucoup les frontières du continent européen et constituait une nouvelle sphère d’influence géopolitique. De façon informelle ou officielle, les négociateurs de la CEE faisaient référence à cette sphère sous le terme d’Eurafrique, et l’une des principales intentions des défenseurs de l’intégration européenne était précisément de donner vie à cette entité. Celle-ci devait résoudre en premier lieu le problème colonial auquel la France, en particulier, mais également la Belgique avaient de plus en plus de mal à apporter une solution. L’idée était aussi de consolider les intérêts européens dans un ordre mondial qui voyait leur champ d’action se réduire comme peau de chagrin ».

C’est dans les années 1920 que se développe progressivement le projet eurafricain. Fervent partisan de cette idée, Richard Coudenhove-Kalergi appelle en 1929 à une gestion coloniale paneuropéenne de l’Afrique, en soulignant tout ce que les territoires africains ont à offrir : « L’Afrique pourrait fournir à l’Europe des matières premières pour son industrie, de la nourriture pour sa population, des terres pour ses excédents de population, du travail pour ses chômeurs et des marchés pour ses produits ». « Les arguments de Coudenhove-Kalergi en faveur de l’assimilation de l’Afrique convergent en un seul argument principal en faveur de l’unification de l’Europe », notent Hansen et Jonsson, qui évoquent « un calcul géopolitique » dans lequel « l’unification de l’Europe et l’effort commun européen pour la colonisation de l’Afrique sont deux processus qui se présupposent l’un l’autre ». « La mission de l’Europe en Afrique est d’apporter de la lumière au plus sombre des continents », écrit Coudenhove-Kalergi dans sa revue Paneuropa en février 1929. Et dans un style très colonial, aux accents clairement racistes, il ajoute : « Aussi longtemps que la race noire sera incapable de développer et civiliser sa portion de planète, la race blanche devra s’en charger. (…) L’Europe est la tête de l’Eurafrique, l’Afrique est son corps ».

« La planification d’un bloc eurafricain atteint son apogée en 1948 », lorsque la Grande-Bretagne entreprend de convier d’autres pays européens, mais aussi l’Afrique du Sud, à participer au projet eurafricain, indiquent les auteurs. Dans un discours à la Chambre des Communes, le ministre des Affaires étrangères, Ernest Bevin, explique : « L’organisation de l’Europe occidentale doit être financée. Cela nécessite une collaboration étroite avec le Commonwealth et les territoires d’outre-mer, non seulement britanniques, mais aussi français, néerlandais, belges et portugais. (…) Ils possèdent des matières premières, des denrées alimentaires et des ressources dont il est possible de tirer profit collectivement, à la fois pour les peuples des territoires eux-mêmes, pour l’Europe et pour le monde entier. (…) Pour que l’Europe occidentale équilibre sa balance des paiements et stabilise sa situation sur la scène internationale, il est essentiel que ces ressources soient développées et rendues accessibles ». À l’automne 1948, le même Bevin estime que, si une Union de l’Europe occidentale prenait en charge le développement des colonies africaines, « les États-Unis pourraient bien dépendre de nous et nous manger dans la main d’ici quatre ou cinq ans ». Et de préciser : « Les États-Unis sont dépourvus des minéraux essentiels et, en Afrique, nous les avons à notre disposition ». Mais, en 1949, la Grande-Bretagne choisit de tourner le dos au bloc européen. À l’inverse, « la France pense (…) que l’intégration européenne, ou eurafricaine, est plus que jamais nécessaire pour développer les relations commerciales avec les colonies et assurer les investissements absolument vitaux en Afrique que la France est incapable de mobiliser à elle seule », soulignent Hansen et Jonsson, qui rappellent aussi que les principaux textes issus du Congrès de La Haye, en mai 1948, prévoyaient déjà une association des territoires ultramarins à une future fédération européenne. « L’Union européenne devra bien sûr inclure dans son orbite les extensions, dépendances et territoires associés des puissances européennes en Afrique et ailleurs, et devra préserver les liens constitutionnels existants qui les unissent », pouvait-on notamment y lire.

Lors des négociations du traité de Rome (1954-1957), Gaston Defferre, alors ministre des Territoires d’outre-mer, fait de l’intégration des PTOM une condition sine qua non à la participation de la France au marché commun. En dépit de divergences techniques qui vont ralentir les discussions, l’association des colonies a le soutien de l’Allemagne, mais aussi des autres États, les Pays-Bas étant les plus réticents, parce qu’ils s’inquiètent des coûts potentiels pour leurs finances. Au lendemain de l’accord de Paris du 20 février 1957, le chancelier Adenauer reconnaît que tout projet géopolitique à prétention mondiale comporte un risque, mais il ajoute : « L’Europe libre doit être prête à faire face à ce risque, si elle ne veut pas se retrouver écrasée dans un proche avenir entre les peuples d’Asie et d’Afrique, si d’aventure ils devaient adopter une attitude hostile envers l’Europe ». Pour le ministre belge des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, la constitution d’une communauté regroupant l’Europe et l’Afrique constitue l’aspect le plus ambitieux du traité de Rome : « Je considère que ce qui a été fait à Paris concernant les territoires d’Afrique est d’une importance tout à fait exceptionnelle : 1. Un nouveau marché de plus de cinquante millions d’habitants s’ouvre ainsi aux pays européens. 2. Le traité déborde de son caractère purement commercial et économique, car c’est l’introduction d’une politique commune des pays d’Europe en Afrique », explique-t-il à Albert Housiaux, parlementaire socialiste et rédacteur en chef du journal ‘Le Peuple’. Quant au chef du gouvernement français, le socialiste Guy Mollet, en visite à Washington le 24 février, il déclare : « J’aimerais insister sur l’unité de l’Europe : elle est désormais un fait. Il y a quelques jours, nous avons franchi les derniers obstacles qui lui bloquaient la route, et aujourd’hui, une union encore plus large est née : l’Eurafrique, une association étroite dans laquelle nous allons travailler ensemble pour promouvoir le progrès, le bonheur et la démocratie en Afrique ».

En conclusion de cet essai richement documenté, Hansen et Jonsson affirment que « l’association eurafricaine avec la CEE est le couronnement d’un long effort pour rationaliser la gestion coloniale de l’Afrique et en faire une opportunité partagée pour les six États membres fondateurs et, potentiellement, pour l’Europe dans son ensemble ». « L’association des colonies africaines à la CEE définit la future direction que prendront les colonies africaines de la France et de la Belgique après leur indépendance au tournant des années 1960. En effet, avec l’arrangement eurafricain, la CEE exerce une influence déterminante sur le processus de décolonisation et son dénouement, marqués par la perpétuation de la dépendance et du clientélisme et par le maintien de l’Afrique dans son rôle traditionnel de réservoir de matières premières », écrivent les auteurs qui voient dans la convention de Yaoundé de 1963 et ses successeurs l’instrument de cette perpétuation et d’un néocolonialisme teinté d’aide au développement. Et les auteurs d’ajouter : « Aujourd’hui, alors que le projet eurafricain est largement tombé dans l’oubli, le contenu de la politique actuelle de l’Union européenne vis-à-vis de son ‘partenaire’ africain montre que son influence perdure sous la surface ». (Olivier Jehin)

Peo Hansen, Stefan Jonsson. Traduit de l’anglais par Claire Habart. Eurafrique – Aux origines coloniales de l’Union européenne. La Découverte. ISBN : 978-2-3480-5556-0. 369 pages. 24,00 €

Deforestation-free agri-food supply chains

Cette étude du think tank bruxellois Europe Jacques Delors, cosignée par l’ancien commissaire Pascal Lamy, Geneviève Pons, qui était chargée de l’environnement dans le cabinet de Jacques Delors, et l’analyste politique Sophia Hub, analyse le projet de règlement de l’UE visant à mettre en place des chaînes d’approvisionnement garantissant l’absence de déforestation, dans la dernière ligne droite avant l’adoption du texte définitif à la fin de l’année ou, au plus tard, début 2023.

L’étude rappelle que les forêts couvrent 31% de la surface terrestre du globe et sont cruciales pour la préservation du climat et de la biodiversité. L’agriculture est de loin (90%) la première cause de la déforestation et 10% de la déforestation en zone tropicale seraient directement imputables à la consommation de l’UE. L’UE est en effet l’un des plus gros importateurs de produits agricoles, tels que le bétail, l’huile de palme, le soja, le cacao, le caoutchouc, la fibre de bois et le café, qui sont les plus importants vecteurs de déforestation. Le soja, par exemple, est l’un des principaux vecteurs de déforestation et une large part de ce soja est utilisée pour l’alimentation animale. Selon le WWF, 90% du soja importé est caché dans les produits à base de viande. « Une évolution vers un régime plus durable, plus sain et davantage à base de protéines végétales pourrait contribuer à réduire l’empreinte environnementale de l’UE », soulignent les auteurs.

Une autre source de réduction de la consommation est sans aucun doute la réduction du gaspillage alimentaire, qui représente un cinquième de la production alimentaire. Cela passe par une meilleure information et éducation des consommateurs ainsi que par la réduction du gaspillage au stade de la vente au détail, notamment par une révision des dates de péremption.

Les auteurs affirment que le projet de règlement, dont l’élément principal est la mise en place d’une obligation de diligence raisonnée imposant aux entreprises de s’assurer que les produits qu’elles transforment ou commercialisent n’ont entraîné aucune forme de déforestation, « a le potentiel de produire un effet, si l’accent est mis sur la mise en œuvre d’un cadre législatif robuste et applicable, compatible avec les règles de l’OMC et aussi perçu comme acceptable par les (pays) partenaires commerciaux de l’UE ».

Lors de l’adoption de sa position, le 13 septembre 2022, le Parlement européen a renforcé le texte du projet de règlement. Il souhaite notamment que soit prévue une analyse d’impact, dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur du règlement, pour examiner une éventuelle extension de son champ d’application à d’autres écosystèmes naturels (mise en exploitation de zones naturelles non forestières : Ndr). Si les auteurs rappellent que l’inclusion d’écosystèmes supplémentaires rendrait la nouvelle réglementation - en particulier la collecte de données - plus complexe, et estiment dès lors qu’il est préférable dans un premier temps de se limiter à la déforestation, ils considèrent aussi que l’extension à d’autres écosystèmes doit être examinée le plus tôt possible pour prévenir des effets de fuite. Les auteurs reconnaissent que la nouvelle législation serait renforcée si, comme l’a souhaité le Parlement, elle s’imposait aussi aux institutions financières de l’UE. « Cela contribuerait à éviter toute situation dans laquelle le secteur financier de l’UE pourrait être impliqué dans des activités non durables liées à des produits interdits de mise sur le marché dans l’UE », écrivent-ils, avant d’ajouter : « L’approche basée sur les chaînes d’approvisionnement en matières premières, qui couvre les vecteurs directs de déforestation, choisie par le projet de règlement, est une étape bonne et nécessaire, mais les vecteurs systémiques plus indirects doivent être couverts au même niveau. Cela signifie, parmi d’autres, la finance et l’investissement ». Ils observent néanmoins que les institutions financières relèvent d’un système réglementaire différent et se demandent si le projet de règlement est l’endroit idéal pour leur imposer cette obligation. Un tableau comparant les positions respectives du Parlement européen et du Conseil à la proposition initiale de la Commission européenne est annexé à l’étude. (OJ)

Pascal Lamy, Geneviève Pons, Sophia Hub. Deforestation-free agri-food supply chains : will the new EU regulation be up to the challenge ? Europe Jacques Delors. Policy Paper. October 2022. 21 pages. La note d’analyse peut être téléchargée à l’adresse : https://aeur.eu/f/3ud

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