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Bulletin Quotidien Europe N° 12905

8 mars 2022
Sommaire Publication complète Par article 24 / 24
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N° 055

Quel multilatéralisme face aux enjeux globaux ?

 

Cet ouvrage collectif retrace l’histoire du multilatéralisme, en dresse l’état actuel et l’analyse sous presque tous les angles. Publié au second semestre 2021, il ne pouvait évidemment pas prendre en compte la crise majeure que constitue aujourd’hui l’invasion russe en Ukraine. Une guerre unilatérale conduite par le Kremlin sur le sol européen et qui a suscité une réponse multilatérale globale tendant à l’exclusion de la Russie de la communauté internationale dès lors que seuls 40 pays (exclusivement des régimes dictatoriaux ou des États dépendants ou dominés par la Russie) dans le monde refusent d’exiger le retrait des troupes russes d’Ukraine. Le multilatéralisme, fortement remis en question au cours des dernières années tant par les États-Unis sous Donald Trump que par les puissances autocratiques, revanchardes et agressives, ou encore par l’influence d’une Chine qui a une conception extrêmement restrictive des libertés civiles et politiques, est non seulement bien vivant, mais il demeure aussi à ce jour la principale arme des occidentaux face à Poutine. Une arme à l’efficacité incertaine face à l’hubris d’un autocrate et la sauvagerie de sa guerre totale contre l’Ukraine. L’aide apportée aux Ukrainiens est utile et les sanctions, d’une ampleur inédite, ont déjà des effets. Elles n’en demeurent pas moins sous-dimensionnées par rapport aux enjeux humain, démocratique et civilisationnel de cette guerre. Les responsables politiques européens peuvent faire preuve de davantage de courage et de solidarité. L’Union européenne devrait, à mon sens, tenir compte des circonstances particulières de cette crise et, au minimum, accorder sans délai le statut de candidat à l’adhésion à l’Ukraine.

 

Dans un article consacré à l’Europe et aux relations sino-américaines, l’ancien diplomate suisse Jean Zwahlen et le chercheur Olivier Bichsel (Université de Laval) soulignent que « la conjugaison du retrait américain à la montée en puissance de la Chine » a provoqué « une restructuration du multilatéralisme et de ses institutions ». Ce dernier pays « est plus que jamais impliqué dans l’ONU et fabrique ses propres ‘institutions multilatérales’ », constatent les auteurs, qui ajoutent : « Il est même allé jusqu’à tenter de créer ses propres tribunaux connaissant des affaires internationales (des cours maritimes, en l’occurrence). Il faut s’attendre à ce que le Parti communiste chinois sculpte, d’une façon ou d’une autre, le futur de notre monde. Le pays ambitionne une domination politique, idéologique, militaire, technique, économique et sociale. Le « nouvel empire du Milieu » peut compter sur ceux qu’il a su attirer, en particulier les pays en voie de développement, qui bénéficient désormais d’un puissant bienfaiteur. Ce bienfaiteur, peu intéressé par la règle de droit, légitime aujourd’hui des puissances qui n’auraient pu prospérer dans le monde d’avant. Ainsi, si les « Bolsonaro de ce monde » ont trouvé un écho dans les propos de l’ère Trump, ils sont pérennisés par un multilatéralisme de chiffres et non de principes promus par la Chine. Le Brésil, la Russie et l’Inde poursuivent à cet égard une trajectoire inquiétante, éloignée des raisons d’être du système post-1945. Et l’Europe ? Elle ne peut plus compter sur l’indéfectibilité de l’Alliance atlantique et demeure toujours plus confrontée à cette Chine conquérante. Plus encore, la présidence Trump a solidifié la position russe, laissant l’Union européenne dans un étau, sous la pression de trois pays : la Russie, les États-Unis et la Chine ».

 

« L’échec de l’Europe aura été d’échouer à intégrer la Russie dans cet état postmoderne des choses. Car son plus proche voisin, lui, n’est pas sorti de cette velléité de domination et d’expansion », observent Zwahlen et Bichsel, avant de poursuivre : « L’Union est instable parce que le monde qui l’entoure l’est : la subsistance de l’État postmoderne est de facto soumise à sa sécurité. On remarquera que les crises qui ont atteint l’Union ne sont jamais vraiment nées dans l’Union. Si elle en a toujours porté la responsabilité, l’Union n’a jamais été véritablement la source principale des problèmes mondiaux de ces vingt dernières années. En quelque sorte, l’Europe est intrinsèquement dans un état apaisé, mais constamment sous une pression extérieure. Cette pression provoque des frictions à l’intérieur du continent, qui corrompent la capacité de l’Union à avancer ». Et les auteurs de conclure, en détournant une citation de Kant : « Aujourd’hui, l’Europe ne doit plus se ‘référer tacitement à des prétentions, sans les déclarer, parce qu’(elle) est trop épuisé(e) pour continuer la guerre’. Il y a une réelle place pour une Europe collective et unie, boussole d’un nouveau multilatéralisme qui laisserait ‘briller une finalité qui fait s’élever, au travers de la discorde des hommes, et même contre leur volonté, la concorde’ ».

 

Non sans avoir souligné que les objectifs de promotion du multilatéralisme, des valeurs de l’Union européenne, perçues à Bruxelles comme de portée universelle, et des intérêts de l’Union, tels que mentionnés à l’article 21 TUE, ne sont guère aisés à combiner, Hugo Favier (Université de Bordeaux) constate aujourd’hui « une tendance à la prévalence de la défense des intérêts de l’Union et de son autonomie sur la question des droits de l’homme, de l’universalisme et du multilatéralisme ». « Certes, l’action de l’Union en la matière se veut en conformité avec ces préceptes idéalistes. Il n’en demeure pas moins que la montée en puissance du discours sur l’autonomie stratégique est significative d’une évolution de la façon dont l’Union conçoit son rôle sur la scène internationale. Enfin, elle atteste que la montée en puissance de la défense des intérêts, de l’indépendance et de l’intégrité de l’Union ne relève plus seulement de l’ordre de l’incantatoire, mais qu’elle a des conséquences opérationnelles », écrit Favier.

 

L’ancien diplomate belge Raoul Delcorde souligne que « dans un monde globalisé, l’interdépendance l’emporte sur la souveraineté ». L’auteur note aussi que « la représentation que l’on avait des biens publics a beaucoup changé depuis une dizaine d’années » : « La qualité de l’air, le contrôle des épidémies en sont des exemples. Il est devenu évident que ces biens ne sont pas divisibles entre les États. Les biens environnementaux, les biens économiques, les ressources naturelles ne se prêtent pas à une gestion souveraine sans provoquer de graves effets pervers. La déforestation au Brésil, les pandémies ou les politiques d’épuration ethnique ne touchent pas seulement les communautés nationales concernées, mais l’ensemble de l’humanité, du fait de leur diffusion et propagation et des conséquences en chaîne qui en découlent ». Delcorde estime que le concept de biens publics mondiaux « aide à admettre qu’à long terme, et moyennant une action concertée, l’intérêt mondial et l’intérêt national peuvent non seulement être conciliés, mais également se renforcer mutuellement ». « La production de biens publics mondiaux suppose des efforts d’un grand nombre d’États ou de tous les États, et ceux-ci peuvent en tirer des avantages. Cette caractéristique des biens publics mondiaux permet aussi la mise en œuvre d’approches « toujours gagnantes » face à des problèmes communs, plutôt que le jeu à somme nulle (« si je gagne, tu perds ») qui caractérise le plus souvent les négociations internationales actuelles », constate l’auteur, qui estime qu’« à une époque où s’exacerbent les divisions politiques entre les pays, les régions et les groupements, comprendre la spécificité des biens publics mondiaux aide à formuler des solutions globales aux problèmes de la planète ». Et d’ajouter : « La question majeure des relations contemporaines est donc celle de la production des biens publics mondiaux, de leur financement, de leur encadrement normatif ».

 

Raoul Delcorde rappelle aussi que « Pascal Lamy estime que la principale difficulté de la gouvernance mondiale contemporaine est d’ordre éthique ». « Les problèmes collectifs que nous allons devoir traiter dans l’avenir sont des problèmes de valeurs et de « préférences collectives », écrit l’auteur qui ajoute : « Il y a une grande diversité dans les échelles de valeurs selon les régions du monde considérées. Or, il faut un socle de valeurs communes pour arriver à des accords internationaux sur des questions globales. C’est le cas pour la gestion des crises sanitaires comme pour les crises environnementales. Aussi, selon Pascal Lamy, il convient, pour maîtriser la mondialisation et éviter l’apparition de conflits, que l’intégration géoéconomique mondiale soit accompagnée d’une certaine globalisation de l’éthique et des valeurs ; en d’autres termes, que l’économie soit « réencastrée » dans la société et la politique. L’économie doit être subordonnée aux besoins des hommes et non l’inverse ». (Olivier Jehin)

 

Olivier Delas, Olivier Bichsel et Baptiste Jouzier. L’après Covid-19 : quel multilatéralisme face aux enjeux globaux ? – Regards croisés : Union européenne – Amérique du Nord - Asie - Bruylant. ISBN : 978-2-8027-6978-1. 479 pages. 95,00 €

 

Le droit international applicable aux opérations de paix

 

Bruylant vient de publier en français ce « Manuel de Leuven » dont la version originale anglaise est parue fin 2017 chez Cambridge University Press. Fruit d’un long travail d’experts, de juristes et de militaires notamment, l’ouvrage s’adresse aux fonctionnaires nationaux comme à ceux d’organisations internationales, aux officiers supérieurs chargés de la planification et de la conduite des opérations de paix, aux cadres des organisations non gouvernementales qui mènent des activités humanitaires dans des zones d’opérations de paix ainsi qu’aux universitaires et chercheurs qui travaillent sur ces questions.

 

Le manuel aborde uniquement, mais de manière exhaustive, les opérations de paix dites « consensuelles », c’est-à-dire les missions traditionnelles de maintien de la paix et les opérations pluridimensionnelles incluant des aspects de maintien de la paix, de consolidation de la paix et de soutien au processus politique de résolution des conflits. L’ouvrage présente le droit pertinent et les bonnes pratiques qui y sont liées à travers 145 règles assorties de commentaires. Il s’intéresse aux différentes étapes de la planification et de la conduite des opérations et aborde « toutes les questions utiles, notamment la base juridique de telles opérations, les régimes juridiques applicables à la conduite des opérations, en particulier le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, les relations de la force de paix avec l’État hôte, l’État d’envoi et les autres parties prenantes, l’emploi de la force dans le cadre de la légitime défense et pour l’exécution de tâches définies dans le mandat, l’appui à la préservation d’un environnement stable et le maintien de l’ordre public ainsi que la promotion des droits de l’homme et de l’état de droit ». S’y ajoutent la protection des civils, le maintien de la discipline, la prévention des abus à l’encontre de la population, les immunités des personnels de la mission ainsi que les questions liées aux responsabilités internationale et pénale en cas de violation du droit international. (OJ)

 

Terry Gill, Dieter Fleck, William H. Boothby et Alfons Vanheusden. Manuel de Leuven sur le droit international applicable aux opérations de paix. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-6536-3. 407 pages. 60,00 €

 

Ungarns Umgang mit Nichtregierungsorganiationen

 

Dans le dernier numéro de la revue Südosteuropa Mitteilungen, Melanie Hien (Université de Regensburg) nous offre une analyse détaillée des différentes étapes de la lutte du régime Orban contre les organisations non gouvernementales. Hien rappelle comment Orban et le Fidesz ont suscité, après leur échec aux élections de 2002, la création de nouveaux mouvements sociaux (ou cercles civiques) qui ont contribué à les ramener au pouvoir en 2010. Ont suivi en 2011 une première restriction des financements des ONG à partir d’une nouvelle définition des organisations sans but lucratif, puis, en 2017, une loi restreignant, sous prétexte de transparence, les conditions d’accès aux financements étrangers. Celle-ci a néanmoins été partiellement modifiée en 2021, à la suite d’un arrêt de la Cour de justice européenne. L’auteur revient en outre sur le transfert en 2021 de onze universités et hautes écoles hongroises dans des fondations afin d’en conserver le contrôle (la loi organisant ces fondations ne pouvant être modifiée qu’à une majorité des deux tiers) en cas d’échec aux élections d’avril 2022. Ces différentes lois, auxquelles s’ajoutent également diverses mesures indirectes, ont non seulement miné la réputation des ONG, mais aussi fortement ralenti leurs activités. (OJ)

 

Melanie Hien. Ungarns Umgang mit Nichtregierungsorganisationen – ein Kampf von David gegen Goliath? Südosteuropa Mitteilungen, 05/2021. ISSN : 0340-174X. 120 pages. 15,00 €

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