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Bulletin Quotidien Europe N° 12706

27 avril 2021
Sommaire Publication complète Par article 30 / 30
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N° 036

La trajectoire des religions dans notre histoire

 

Dans ce bref, mais lumineux essai, l’ancien député européen (1989-2004) Philippe Herzog revient sur le rôle des religions dans notre histoire. « Croire qu’on peut les reléguer dans la sphère privée et s’en débarrasser dans la sphère publique est un préjugé d’autant plus dommageable que, si l’Europe se déchristianise, les religions sont en expansion dans le monde et l’Islam en particulier », souligne-t-il à juste titre.

 

« Aujourd’hui, dans le monde entier, des jeunes et leurs familles se posent de plus en plus la question du sens de la vie en découvrant les risques de catastrophes, avec parfois le sentiment d’une fin du monde. Le règne du nihilisme est encore vivace parce que les Lumières invoquées à l’Occident n’ont pas été régénérées ; elles ne font plus société, de sorte que la République laisse le terrain du sens aux extrémistes. Vouloir nous protéger dans le cadre d’un ordre public fondé sur la laïcité telle qu’elle fut conçue il y a un peu plus d’un siècle est justifié, mais quelque peu anachronique. Il n’est que de constater le faible intérêt des cours sur la laïcité et leur faible impact dans la conscience des jeunes », écrit l’auteur, qui a été professeur de sciences économiques à Paris X – Nanterre. « La conscience des nations est terriblement introvertie et le monde est un melting pot où chacun fait son marché à sa façon. En France comme ailleurs, l’éducation nationale et le formatage des programmes priorisent les croyances, les légendes et les préjugés nationaux. Qu’on ne s’étonne pas si l’Union européenne n’est vue que comme une institution que la plupart d’entre nous acceptent, mais sans affectio societatis, ce qui menace son existence », explique-t-il, ajoutant que : « L’histoire nationale devrait être systématiquement replacée dans l’histoire européenne et mondiale, faire l’objet d’un questionnement personnel, d’un apprentissage relié aux événements actuels et à l’imagination du futur. Les jeunes devraient apprendre à comprendre et aimer la diversité des cultures, à les comparer et à saisir la nature de leurs conflits ». Et il a raison. L’enseignement de l’histoire gagnerait à être replacé dans le contexte général européen et mondial, ce qui permettrait non seulement de mieux comprendre l’histoire en l’extirpant d’une lecture dominée par les préjugés contemporains, mais aussi de mieux s’approprier sa dimension européenne. Et, oui, la comparaison des histoires est un formidable outil de partage des cultures. Je me souviens d’un projet expérimental de jumelages scolaires autour de l’histoire lancé il y a près de trente ans par le Conseil de l’Europe et dont j’avais été le rapporteur. Les classes de primaire de pays différents avaient échangé des exposés d’une diversité et d’une richesse incroyables couvrant l’histoire familiale, locale, régionale ou nationale.

 

L’enseignement de l’histoire des religions doit y trouver sa place parce que, nous dit l’auteur, « elle est une initiation aux problèmes les plus profonds des créations morales et des représentations humaines ». « L’imitation, la révélation, l’imaginaire sculptent l’esprit autant que le savoir », ajoute Philippe Herzog avant de souligner que « foi et raison se sont couplées dans l’histoire pour donner sens à l’aventure humaine ». Très justement, il souligne aussi que « si les textes religieux sont des révélations, celles-ci doivent être soumises à interprétation ». « Elles gagnent à mon sens à être comprises comme des composantes de l’histoire sociale des cultures, et non pas de façon désincarnée comme des vérités éternelles, des essences abstraites qui planeraient dans le ciel », écrit-il. On regrettera qu’il ne fasse pas référence ici à l’apport majeur du judaïsme qu’est justement le refus d’une interprétation unique, lequel a ouvert la voie aux écoles d’interprétation, au débat et à la critique. En dépit de périodes d’obscurantisme, le christianisme en est l’héritier et la question en apparence rhétorique « Qu’est-ce que la vérité ? », que l’évangéliste Jean place dans la bouche de Pilate, devrait toujours raisonner en chacun, croyant ou non-croyant. Nombre de sectes, de courants prétendument orthodoxes ainsi que l’islam dans la plupart de ses composantes n’en affirment pas moins détenir la vérité en refusant toute interprétation différente de celle qu’ils en donnent.

 

« La Foi et la Raison ont fondé l’humanisme européen, inspirant la recherche d’un ordre social juste et source de progrès. Le contrat social, la laïcité, la loi civile sont au cœur de nos institutions. Mais celles-ci sont aujourd’hui ébranlées en profondeur par les grandes mutations de l’individualisation et de la technique. L’autonomie des individus et la pluralité des appartenances dans nos sociétés sont des exigences que l’ordre public a le plus grand mal à assumer. L’indifférence et la radicalité s’installent. Régénérer l’humanisme est nécessaire pour refonder les institutions », écrit encore Philippe Herzog. « Dans le contexte d’un capitalisme néolibéral qui prétend cultiver ses propres valeurs, une dépossession des outils intellectuels et des modes de socialisation dont disposait l’humain est en cours. Le marché étouffe le service public, le réseau informationnel s’interpose entre les humains et les isole en brisant des réciprocités d’apprentissage, de production et de vie. La faculté de choisir son temps et de se représenter l’avenir est aliénée. Ce capitalisme n’est pas seulement addictif pour la consommation ; bien qu’apparemment libertaire, il devient sous nos yeux un capitalisme de surveillance des individus à laquelle les États participent eux-mêmes », explique-t-il avant d’ajouter : « L’éthique et la vision de l’humanité sont donc en question. Toutes les sources spirituelles devraient pouvoir se conjuguer pour les régénérer ». (Olivier Jehin)

 

Philippe Herzog. La trajectoire des religions dans notre histoire. ASCPE (contact@entretiens-europeens.org). 62 pages. 10,00 €

 

Initiative européenne d’intervention : opportunités et limites

 

André Dumoulin consacre une longue étude à l’Initiative européenne d’intervention, dans laquelle il veut voir « un outil » qui « doit encore mûrir et trouver sa vitesse de croisière en 2021 et au-delà », mais qui serait susceptible de devenir (à quel horizon ?) « un tremplin culturel politico-militaire » pour la coopération européenne en matière de défense.

 

 « Au début de la prochaine décennie, l’objectif IEI est que les Européens disposent d’un corps de doctrine commun, de la capacité à intervenir militairement ensemble de façon crédible et des instruments budgétaires communs adaptés », explique l’auteur en soulignant que l’IEI « doit contribuer également à renforcer leur interopérabilité dans l’ensemble des scénarios d’engagement de leurs forces, mais aussi à rapprocher les visions géopolitiques et géostratégiques fortement disparates entre États au vu de leurs intérêts régionaux et mondiaux ». Et d’ajouter : « L’IEI doit permettre aussi de développer une culture stratégique partagée entre Européens, qui, si la situation l’exige, seront plus à même de s’engager ensemble demain. Elle reste dépendante de la volonté des États à y investir du temps et des engagements. Elle doit aussi être un soutien, un exemple ou un modèle à la dynamique nouvelle autour de l’importance de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne autant que sa souveraineté ».

 

Si chacun s’accordera à reconnaître avec André Dumoulin que l’IEI a pu être utile, dans une certaine mesure, à des coopérations récentes (interventions humanitaires suite à des ouragans en 2017 et 2019 dans la Caraïbe, forces spéciales Takuba au Sahel en 2020-2021, sécurité maritime dans le golfe Persique en 2019-2020), convenons aussi que l’IEI est une nouvelle manifestation de la propension incommensurable des Européens à inventer des cadres de coopération, imaginer de nouveaux outils, ajouter de nouvelles institutions, chaque fois qu’ils rencontrent une difficulté pour agir dans le cadre existant. Généralement lancées en fanfare et nourries par quelques activités à leur démarrage, ces structures ne produisent en réalité pas grand-chose, à l’instar de la Coopération structurée permanente dupliquant inutilement l’Agence européenne de défense, pour ne citer qu’un exemple. Les diplomates et les militaires européens n’ont eu de cesse, avec la complicité des politiques, de développer une vaste usine à gaz à laquelle l’IEI vient ajouter un peu plus de complexité. Plutôt que de rêver à de nouvelles coopérations, il est grand temps de rationaliser tout cela. Si la défense européenne est nécessaire au rétablissement de notre souveraineté, et je crois qu’elle l’est, réalisons-la pour de vrai, avec une armée fédérale européenne ayant des missions claires, sous le contrôle du Parlement européen.

 

L’auteur relève d’ailleurs que, « dans une enquête sur la souveraineté européenne (IPSOS, janvier 2021) auprès de citoyens européens de huit pays, le terme de « souveraineté européenne » évoque quelque chose de plutôt positif, en très léger retrait (52%) par rapport à la souveraineté nationale (57%) ». Et l’auteur de préciser : « La politique de sécurité et de défense commune est primordiale à hauteur de 67% tandis que la maîtrise des frontières extérieures de l’UE atteint 59%. Quant aux raisons justifiant le souhait de renforcer la souveraineté européenne, la menace terroriste vient en premier (37%), avant le changement climatique (34%), la menace sanitaire (31%), le manque de poids de son pays à l’échelle internationale (27%), la volonté de puissance de la Chine (20%), des États-Unis (17%) et des géants du numérique (14%), de la Russie (13%) et de la Turquie (7%) ». (Olivier Jehin)

 

André Dumoulin. Initiative européenne d’intervention : opportunités et limites. Sécurité & Stratégie 147. Mars 2021. 60 pages. Institut royal supérieur de défense. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site de l’institut : http://www.defence-institute.be

 

Diomède

 

Deuxième tome de la saga des Peruzzi, ‘Diomède’, publié en italien en 2015, vient de paraître en français et couvre une dizaine d’années, entre la chute du régime fasciste et la reconstruction de Littoria, devenue Latina. Il complète ainsi Canal Mussolini, qui racontait la migration de la famille Peruzzi depuis le nord-est de Ferrare, parmi trente mille autres personnes originaires de Vénétie, du Frioul et du Ferrarais, vers les marais pontins, au sud de Rome, qui venaient tout juste d’être asséchés. Avec Diomède, un rouquin débrouillard, on retrouve donc les descendants des premiers colons venus du nord, pris entre les feux des réminiscences fascistes, du débarquement anglo-américain et des troupes allemandes en déroute. Antonio Pennachi nous les conte comme à la veillée, dans une narration simple et directe, avec beaucoup d’humour et d’ironie, qui emprunte sans doute beaucoup aux dialectes régionaux, mais dont la traductrice me semble avoir cherché à rendre non seulement la truculence, mais aussi le phrasé. À certains égards, ces tranches de vie ne sont pas sans rappeler le cinéma italien des années cinquante.

 

Diomède’ a beau avoir le rôle-titre, il n’est finalement qu’un prétexte ou plutôt un fil d’Ariane qui conduit le lecteur à travers une vaste palette de lieux et de portraits où se mélangent personnages de fiction et personnalités bien réelles, roman familial cocasse et histoire politique concrète. Au fil des pages, on croise ainsi Mussolini et ses maîtresses, Pie XII et ses atermoiements, Togliatti et De Gasperi, au milieu d’une foule d’anonymes, acteurs ou victimes de ces années de guerre mondiale et, pour partie, de guerre civile en Italie. Faits et perception, contes et légendes s’entrecroisent. Car Pennacchi, né en 1950 à Latina, ouvrier pendant plus de trente ans, engagé à l’extrême gauche après une erreur de jeunesse au MSI, n’a de cesse d’interroger l’Histoire et sa perception, oscillant entre la condamnation des comportements et une forme d’empathie pour leurs auteurs. Avec une justification qui fait sens : « En l’absence de chronologie - sans tenter d’appréhender les raisons des autres et la mentalité des périodes en question -, on n’y comprend plus rien, on se fait des films et l’on prend ses préjugés pour la réalité ». « Chacun a ses raisons, hélas, y compris les pires criminels qui - au fond d’eux-mêmes - sont identiques à nous ». À méditer… (Olivier Jehin)

 

Antonio Pennacchi. Traduit de l’italien par Nathalie Bauer. Diomède. Globe. ISBN : 978-2-211-30257-9. 473 pages. 23,00 €

 

Dictionnaire enjoué des cultures africaines

 

Enjoué et subjectif, sans être exhaustif, ce petit dictionnaire peut être à la fois utile et ludique, pour ceux qui connaissent les cultures africaines comme pour ceux qui sont ouverts à la découverte. Bien écrit, ce qu’il doit à ses auteurs, tous deux romanciers, essayistes et professeurs de littérature française – Alain Mabanckou enseigne à l’Université de Californie et Abdourahman Waberi à la George Washington University –, l’ouvrage a aussi bénéficié d’une relecture de qualité. C’est devenu tellement rare que cela méritait d’être souligné. Il est, expliquent les deux compères, originaires respectivement du Congo et de Djibouti, et qui se sont rencontrés lors de leurs études en France, « un abécédaire buissonnier, une sorte de portrait ou, plus exactement, de mythographie qui donne à voir et à sentir le pouls d’un très grand continent dont la puissance culturelle est en train de se déployer sous nos yeux ». Et, en forme de profession de foi, ils ajoutent : « Nous sommes conscients que l’Afrique est dans le monde et que le monde est dans l’Afrique. Il en est de même pour tous les autres continents tant nos destins sont inextricablement liés pour le meilleur et pour le pire. Nous refusons de percevoir l’Afrique comme un réservoir de malheurs ou un continent frappé d’une malédiction atavique et caractérisée par des affrontements ethniques ».

 

De A comme Abacost (pour « À bas le costume ! »), la tenue vestimentaire zaïroise imposée par Mobutu à partir de 1972, à Z comme Zemidjian, un mototaxi béninois, l’ouvrage offre au lecteur une promenade autant dépaysante que culturelle, sociologique et politique. Il peut la faire en suivant l’ordre alphabétique, mais il a aussi la liberté de picorer où bon lui semble. Le tout, bien sûr, à son rythme.

 

L’ouvrage accorde beaucoup de place aux artistes et aux auteurs du continent et de la diaspora. Avec de très beaux hommages rendus à des personnalités aussi remarquables que le Martiniquais Aimé Césaire, le Malien Amadou Hampâté Bâ (dont ils reproduisent une magnifique « Lettre à la Jeunesse » datant de 1985), le Camerounais Mongo Beti, le Martiniquais Frantz Fanon, l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, qu’ils ont rencontré et dont ils nous offrent un portrait d’une grande justesse, ou encore le Sénégalais Léopold Sédar Senghor.

 

Mabanckou et Waberi ne renoncent pas pour autant à leurs convictions, à l’instar de cette condamnation sans équivoque du « développement » : « En voilà un mot de trop, un concept creux qui en énerve plus d’un dans notre entourage. Notre réticence à son égard est incommensurable, notre rejet total. Sous ce vocable, on a perpétué la domination de tout un continent pendant des décennies, on a continué à tenir la tête d’une grande partie de la population mondiale sous le boisseau ». Et d’ajouter : « L’aide au développement est une somptueuse arnaque. Bien loin de contribuer à atténuer les inégalités, l’argent versé par les pays riches aux pays du Sud sert d’abord à exercer une influence politique et commerciale tout en entretenant le cycle infernal de la dette ». Dans la même veine, les auteurs dénoncent, en s’appuyant sur une thèse d’Élise Huillery datant de 2008, le mythe des prétendus investissements coloniaux français en Afrique. Ils rappellent qu’à peine 0,29% des recettes fiscales de la métropole avaient été affectés à ces colonies et que les quatre cinquièmes des budgets alloués aux colonies françaises étaient consacrés aux dépenses militaires. (Olivier Jehin)

 

Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi. Dictionnaire enjoué des cultures africaines. Pluriel. Fayard. ISBN : 978-2-818-50631-8. 327 pages. 10,00 €

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