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Bulletin Quotidien Europe N° 12688

30 mars 2021
Sommaire Publication complète Par article 33 / 33
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N° 034

EU and NATO Strategy: a Compass, a Concept and a Concordat

 

Drôle et sérieux à la fois. Telle est l’analyse de la rivalité entre l’OTAN et l’UE que nous livre ici le professeur Sven Biscop. L’auteur décrit la défense européenne et l’Alliance atlantique comme « deux églises avec leurs prêtres zélés et leurs fidèles dévots » et il préconise de tirer parti de la coïncidence en 2021-2022 des travaux de l’UE concernant sa « boussole stratégique » et de l’OTAN sur son nouveau concept stratégique pour mettre un terme au schisme qui les divise. À cette fin, il propose un concordat fondé sur le principe « supporting and supported » impliquant un partage des tâches reposant sur l’efficacité de chaque organisation, l’une venant au soutien de l’autre et vice versa, selon les responsabilités ainsi définies. Ce partage technique des tâches pourrait être révisé dans le temps en fonction de l’évolution des stratégies et capacités des États membres des deux organisations.

 

L’auteur souligne le caractère paradoxal de la situation actuelle : « Les Européens se sentent faibles et dépendants des États-Unis ; aussi, ils reculent devant toute initiative qui pourrait fâcher Washington et, du coup, ils demeurent pour toujours faibles et dépendants des États-Unis ». Il rappelle aussi ce que l’on oublie souvent : en 1914 et 1939, le Royaume-Uni et la France sont entrés en guerre pour aider la Belgique et la Pologne alors que, comme le notait Montgomery, « lors des deux guerres mondiales, l’Europe a vu les États-Unis spectateurs depuis la ligne de touche pendant les deux premières années ». Or, la stratégie américaine se concentre désormais sur l’Asie : « Les Européens doivent tenir compte du fait que, si les États-Unis étaient engagés dans une crise majeure en Asie, les renforts américains pourraient, en cas de crise simultanée en Europe, arriver plus tard et avec des effectifs moindres que ceux prévus jusqu’ici », note l’auteur.

 

Cela ne signifie pas que l’on puisse envisager de transférer l’organisation de la défense territoriale à l’UE, selon l’auteur, qui explique qu’en l’état actuel de leurs capacités, les Européens pourraient, certes, résister face à une attaque de la Russie, mais ne seraient pas capables de reconquérir des territoires perdus. Il estime dès lors que le concordat devrait prévoir que la défense collective reste de la responsabilité de l’OTAN et que l’UE ne cherchera pas à étendre son rôle à la planification à la défense territoriale. Au sein de l’Alliance, les États membres de l’UE (qu’ils soient alliés ou partenaires) devraient renforcer considérablement leurs capacités conventionnelles en vue de disposer des ressources nécessaires pour faire face, notamment, à une potentielle attaque russe. Pour Sven, cela signifie porter la contribution des Européens de l’UE à 50% de toutes les capacités conventionnelles requises dans le NDPP.

 

L’UE devrait prendre le lead et l’OTAN se limiter à un rôle de soutien, en ce qui concerne les menaces non militaires, comme, par exemple, une cyberattaque. Alors que des discussions ont déjà eu lieu sur le rôle que l’OTAN pourrait être amenée à jouer dans le contexte d’une crise impliquant la Chine, Sven Biscop estime que c’est un sujet qui relève d’abord de la politique étrangère et, donc, de l’UE. En outre, l’OTAN devrait renoncer à son « zèle missionnaire » et abandonner à l’UE et ses États membres toutes les opérations expéditionnaires, en particulier sur le flanc sud. Bien que l’UE ne doive envisager d’interventions directes que lorsque ses intérêts vitaux sont directement en jeu (par exemple, lorsqu’une crise menace de : (1) se propager sur son territoire ; (2) interrompre ses communications ; (3) générer du terrorisme contre l’UE ; (4) engendrer un flux migratoire vers l’UE qui ne peut pas être géré sans mettre un terme à la crise), l’UE doit être prête à prendre le commandement même d’opérations de combat à grande échelle. Cette responsabilité de l’UE pour le flanc sud devrait inclure la sécurité maritime et des lignes de communication en Méditerranée et dans l’ouest de l’océan Indien. « Pour l’OTAN, le flanc sud sera toujours une attraction secondaire (a sideshow) », estime Sven Biscop qui ajoute : « La création, en 2017, du soi-disant 'Hub for the South', sous la responsabilité du commandement allié (JFC) de Naples, n’a pas changé cette réalité. En lieu et place, l’OTAN devrait créer un nouveau mécanisme autorisant à l’UE ou une coalition conduite par des États membres de l’UE un accès direct et flexible au JFC Naples lui-même, contournant ainsi l’accord moribond Berlin-Plus ».

 

L’auteur souligne à juste titre que ni le NDPP de l’OTAN ni le CDP de l’UE ne remplissent leurs objectifs. Il suggère que les États membres de l’UE fixent des objectifs contraignants et les intègrent dans le NDPP entre les objectifs nationaux et ceux de l’OTAN afin de disposer des capacités nécessaires aux opérations expéditionnaires autonomes de l’UE sur le flanc sud à l’intérieur de leur contribution de 50% à la posture de force de l’OTAN.

 

Même en tenant compte du fait qu’il n’existe en réalité qu’un seul réservoir de forces et qu’il faut trouver une solution pour harmoniser les objectifs, cette formule ne peut, à mon sens, que renforcer la dépendance de l’UE par rapport à l’OTAN. S’il devait y avoir un concordat, celui-ci ne devrait pas seulement être pensé à partir d’une situation existante, comme semble l’insinuer Sven Biscop, mais tenir compte des perspectives que se donnent les États et organisations respectives. De ce point de vue, il appartient d’abord à l’UE et à ses institutions d’identifier clairement le rôle qu’elles veulent voir jouer à l’Union européenne en matière de défense. Il est néanmoins plus que probable que ces institutions continuent à nous servir les mêmes discours incantatoires sans rapport avec le réel. Avec ou sans « boussole stratégique », la défense européenne risque fort de continuer à naviguer à vue entre les lacunes capacitaires, les réticences des États membres, l’absence de volonté politique, les remontrances américaines et la puissante force d’attraction que l’OTAN exerce sur les militaires. Avant tout concordat, nous avons besoin d’un miracle : la prise de conscience par les Européens qu’ils ont un large faisceau d’intérêts communs et qu’ils doivent en commun en assurer la défense. (Olivier Jehin)

 

Sven Biscop. EU and NATO Strategy: a Compass, a Concept and a Concordat. Security Policy Brief n° 141 de l’Institut Egmont (mars 2021). 8 pages. Cette analyse peut être téléchargée gratuitement sur le site http://www.egmontinstitute.be

 

La théorie fédéraliste

 

Cet ouvrage nous offre à la fois une histoire du fédéralisme, avec comme point de départ la Convention de Philadelphie et l’élaboration de la Constitution américaine de 1787, et une passionnante analyse de l’évolution théorique du concept fédéral depuis le 18e siècle.

 

Lucio Levi, professeur honoraire de sciences politiques à l’université de Turin, souligne dès l’introduction que les processus plus ou moins achevés tant au niveau de l’Union européenne que de certains de ses États membres (Allemagne, Belgique, Autriche, etc.) « représentent une réponse à l’agonie de l’État national et sont l’expression de la tendance à créer de nouvelles formes d’État à caractère fédératif dépassant, par le haut, le modèle d’État national, ainsi que par le bas, créant ainsi de nouveaux niveaux de gouvernement au-dessus et à l’intérieur même des nations ».

 

L’auteur rappelle que, dès 1795, Immanuel Kant soutint dans son projet de paix perpétuelle que seul le fédéralisme permet d’établir la paix. Tout au long du 19e siècle, de nombreuses critiques de l’État-nation comme facteur de conflits se firent entendre. Pour Pierre-Joseph Proudhon et Constantin Frantz, « le principe national et l’État unitaire n’étaient pas des facteurs de développement de la démocratie, mais de nouvelles formes d’oppression (…) ils n’étaient pas des facteurs de paix, mais des sources d’antagonismes et de violences sans précédent entre États ». Proudhon distingue « une nationalité spontanée, qui est le résultat de liens naturels entre les communautés locales, leur territoire et leur culture, et une nationalité organisée, qui est le résultat de liens entre l’État et les individus qui vivent sur son territoire et qui est l’expression du besoin d’uniformité sociale et culturelle et d’une loyauté exclusive envers l’État bureaucratique et centralisé ». « La nation française actuelle se compose d’au moins vingt nations distinctes, dont le caractère observé dans le peuple et chez les paysans est fortement tranché (…) Le Français est un être de convention, il n’existe pas (…) Une nation si grande ne tient qu’à l’aide de la force. L’armée permanente sert surtout à cela. Ôtez cet appui à l’administration et à la police centrales, la France tombe dans le fédéralisme. Les attractions locales l’emportent », écrit Proudhon, en décrivant avec justesse la France de son époque. Le 19e siècle a bien été en France celui de l’asservissement et de l’uniformisation des peuples, au besoin par la force, la mobilisation et les tranchées de la 1ère Guerre mondiale parachevant la destruction des identités locales au profit d’un mythe national. Les fictions nationales sont toujours source d’oppression. « Dans le pacte social, convenu à la manière de Rousseau et des jacobins, le citoyen se démet de sa citoyenneté et la commune, et au-dessus d’elle le département et la province, absorbés dans l’autorité centrale, ne sont plus que des succursales sous la direction immédiate du ministère. Les conséquences ne tardent pas à se faire sentir : le citoyen et la commune sont privés de toute dignité, le sans-gêne de l’État se multiplie et les charges du contribuable croissent en proportion. Ce n’est plus le gouvernement qui est fait par le peuple, c’est le peuple qui est fait par le gouvernement. Le pouvoir envahit tout, s’empare de tout, s’arroge tout, pour toujours », écrit encore Proudhon, décrivant sans le savoir la France d’aujourd’hui avec de nouvelles grandes régions, mais toujours frappées de la même tutelle étatique. Avec des nuances, la description vaut d’ailleurs aussi pour d’autres États centralisés, à l’instar de l’Espagne.

 

Dans le même esprit, l’Italien Carlo Cattaneo (1801-1869) affirmait : « Chaque peuple (il s’agit des peuples au sens culturel, distincts de la nation) peut avoir de nombreux intérêts à traiter avec d’autres peuples, mais il y a des intérêts que lui seul peut traiter, parce qu’il est le seul qui les sent, parce qu’il est seul à les comprendre. En outre, il y a aussi dans chaque peuple la conscience de son être, et aussi l’orgueil de son nom, et la jalousie de la terre de ses ancêtres. D’où le droit fédéral, c’est-à-dire le droit des peuples qui doit avoir sa place à côté du droit de la nation, à côté du droit de l’humanité ». Plaidant en 1871 pour les « États-Unis d’Europe », l’historien britannique John Robert Seeley estimait que la fédération européenne ne devrait pas être « simplement un arrangement entre gouvernements, mais une véritable union des peuples ». Et d’ajouter : « Je pense donc qu’on ne peut l’atteindre par de simples méthodes diplomatiques ou par la simple action des gouvernements, mais seulement par un mouvement populaire universel assez vaste pour imposer ce projet aux gouvernements, qui, dans de nombreux cas, y seraient par un intérêt instinctif amèrement hostiles ». Comment lui donner tort ?

 

Bien sûr, l’auteur ne manque pas d’évoquer le travail réalisé par Altiero Spinelli, depuis le Manifeste de Ventotene jusqu’au projet de traité d’Union européenne approuvé par le Parlement européen en 1984. Levi considère que la formule de « Fédération d’États-nations » proposée par Jacques Delors en 1995 représente « une tentative significative de définir la nature des institutions fédérales à l’époque post-nationale ». « Il ne s’agit pas d’effacer les nations (…) Il s’agit plutôt de les remanier en les transformant en l’un des niveaux de gouvernement devant être conservés avec son autonomie au sein d’un système fédéral multi-niveau », écrit-il, avant d’affirmer qu’il y a « des problématiques – en premier lieu les politiques de santé et de bien-être – qui doivent rester du ressort du niveau national ».

 

S’il existe de telles « problématiques », elles devraient être identifiées sur la base de l’efficacité et cela ne m’a jamais paru être le cas de la santé et du bien-être, dont la meilleure gestion ne peut provenir que d’un échelon local ou régional, c’est-à-dire au plus proche des besoins de chaque population. Tout échelon supérieur traitera toujours la question, non en fonction des besoins locaux, mais sur la base d’un système d’économie planifiée visant à atteindre la meilleure performance globale. Les défaillances bureaucratiques et les pénuries observées durant l’actuelle pandémie en sont une parfaite illustration. La santé est un domaine qui doit, à mon sens, être partagé entre l’échelon européen (mise sur le marché des médicaments et négociateur européen unique pour la fixation du prix des médicaments ; surveillance épidémiologique et recommandations relatives aux stocks et mesures sanitaires ; couverture des citoyens lors de leurs déplacements hors de leurs régions d’établissement, notamment) et l’échelon de gestion des infrastructures, équipements et personnels de santé et de l’assurance maladie, qui devrait être régional.

 

Enfin, alors que l’Europe est environnée de crises et de guerres, Levi ose cette phrase d’une grande naïveté : « Pour devenir indépendante en matière de sécurité et de défense, il sera suffisant à l’UE de se doter d’une petite armée professionnelle apte à la gestion des crises hors cadre, non seulement pour organiser des missions de peacekeeping, mais aussi d’assistance économique et de stabilisation politique (statebuilding) ». Une armée de boy-scouts ? (OJ)

 

Lucio Levi. La théorie fédéraliste. Presse fédéraliste. ISBN : 978-2-4914-2904-1. 281 pages. 25,00 €

 

25 Jahre nach Dayton: Hält der Frieden in Bosnien und Herzegowina?

 

Dans cet article très intéressant, paru dans la revue bimestrielle allemande consacrée à l’Europe du Sud-Est, Alexander Rhotert et Oliver Rolofs évoquent l’accroissement des tensions politiques en Bosnie-Herzégovine et la menace qu’elles représentent pour la paix. Les auteurs rappellent en particulier le rôle joué par le Serbe bosniaque Milorad Dodik (SNSD), qui tente par tous moyens de « torpiller l’intégrité du pays », et par le président du principal parti croate dans le pays, Dragan Čović (HDZ BiH). Le 24 novembre 2020, Dodik s’en est ouvertement pris au Haut représentant, l’Autrichien Valentin Inzko, qu’il a traité de « criminel » et de « monstre ». Les auteurs s’inquiètent de la radicalisation croissante des séparatistes serbes, d’une potentielle alliance de fait avec les nationalistes croates en vue d’une dislocation de la Bosnie et du retour à un état de guerre. Ils déplorent l’absence de réaction de l’UE, mais aussi le peu d’intérêt que la Présidence allemande de l’UE a témoigné à l’égard de la Bosnie, laissant le champ libre aux interférences russes. Pour assurer la stabilité, ils préconisent : (1) une nouvelle initiative de l’UE et des États-Unis (la connaissance du dossier par Joe Biden, qui s’en est déjà occupé par le passé, peut y contribuer) visant à reprendre la direction et donner un signal fort également aux autres puissances (Chine, Russie, Turquie et pays du Golfe) ; (2) le renforcement de la mission Althea à hauteur d’au moins une brigade ; (3) le renforcement du rôle du Bureau du Haut représentant ; (4) une meilleure utilisation par l’UE de ses instruments politiques (notamment les sanctions) en soutien des pouvoirs de Bonn ; (5) une pression de Bruxelles et de Washington suffisante pour obtenir de la Serbie et de la Croatie un réel appui à la pleine application de l’accord de Dayton. (OJ)

 

Alexander Rhotert, Oliver Rolofs. 25 Jahre nach Dayton: Hält der Frieden in Bosnien und Herzegowina? Südosteuropa Mitteilungen 06/2020. Südosteuropa-Gesellschaft e. V. ISSN : 0340-174X. 104 pages. 15,00 €

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