Le président du Parlement européen, David Sassoli, va inviter mi-avril les eurodéputés et le personnel de l'institution européenne à réfléchir sur le Parlement du futur, celui de l'après-Covid-19, dans le cadre d'une initiative baptisée 'Repenser la démocratie parlementaire' ('Rethink parliamentary democracy'). Lors d'un entretien accordé à EUROPE, il a plaidé pour l'octroi de nouvelles compétences à l'Union européenne en matière de santé publique, comme ce fut le cas après la crise de la vache folle aux débuts des années 2000. Et d'estimer nécessaire de prioriser les travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui, selon lui, ne devra pas forcément conclure ses travaux dans un an. (propos recueillis mercredi 24 mars par Mathieu Bion)
Agence Europe - Depuis votre élection en juillet 2019, la promesse de rapprocher le Parlement européen des citoyens a-t-elle été tenue ?
David Sassoli - En 2019, nous sortions d'élections où l'Europe devait se retrouver après un assaut nationaliste, souverainiste, particulièrement puissant. L'unique voie possible était de reconnecter les institutions aux citoyens.
Deux faits très importants se sont déroulés. Le premier, c'est la définition d'une vision à long terme pour l'Europe. Le Pacte vert européen a été une vision que l'Europe a offerte à nos sociétés afin d'œuvrer au sauvetage de la planète.
Puis nous sommes entrés dans la phase de la Covid-19, avec une planète qui s'est arrêtée. Le Parlement européen a maintenu l'Union européenne en vie. Aucune initiative de la Commission européenne n'aurait été concrétisée sans son aval.
Maintenant, nous faisons face à un troisième défi, celui de faire en sorte que le processus de vaccination soit adéquat. Naturellement, dans cette phase, nous sentons véritablement l'absence de vraies compétences européennes. Il y a eu une opération de substitution des rôles au profit des institutions européennes, mais sans que celles-ci en aient les compétences.
Et cela a créé de nombreux malentendus, retards, même de la naïveté. Voilà pourquoi nous ne sortirons de cette phase qu'avec une politique européenne pour la santé publique. Et donc, avec un transfert de pouvoirs de la sphère nationale vers l'Europe.
Avec un changement de traité ?
Nous avons besoin d'accomplir, pour la santé publique, la même démarche que celle qui avait été entreprise quand il y eut la crise de la vache folle.
Nous avons créé la politique européenne pour la santé animale, qui fonctionne. Aujourd'hui, nous devons le faire pour la santé humaine. Parce que, si cela n'émerge pas de la crise de la Covid-19, nous ne réussirons probablement à affronter aucun autre défi.
L'Europe joue-t-elle son avenir avec la vaccination contre la Covid-19 ?
Certainement. Nous devons être plus efficaces, c'est clair.
Mais la crise de la Covid-19 nous dit aussi que nous ne retournerons plus au monde d'avant. De nombreux paradigmes économiques doivent être revus, corrigés, parce que le monde d'avant a engendré beaucoup d'inégalités. Et nous, nous voulons qu'avec la sortie de crise, ces inégalités soient vaincues. Nous avons besoin de pouvoirs adéquats pour répondre à ces défis.
Bloquer les exportations de vaccins vers des pays tiers qui ne collaborent pas, est-ce justifié ?
Nous devons bénéficier de la part des entreprises (pharmaceutiques) d'un respect clair de leurs engagements à notre égard.
Et si elles ne respectent pas le contrat ?
Nous devons agir. (Mardi 23 mars), la Commission a dit que, dans le contrat avec AstraZeneca, qui est l'unique entreprise qui pose problème, l'entreprise s'était engagée à produire dans cinq sites de fabrication (EUROPE 12684/13). En revanche, un seul fonctionne. Cela constitue une violation du contrat, parce qu'il est évident que l'approvisionnement requis des doses de vaccins est beaucoup plus faible.
Un rapport de Transparency International critique le fonctionnement du Parlement, notamment l'existence d'organismes internes ne rendant aucun compte à la sphère politique, et le risque de conflits d'intérêts auquel s'exposent les eurodéputés percevant des revenus en plus de leur activité politique (EUROPE 12651/22). Comment remédier à cette situation ?
Nous devons travailler afin d'accroître la transparence. Le rapport de Transparency International relève aussi que des avancées ont été réalisées depuis la dernière législature. Certes, il faut aller plus loin.
Je crois que le Parlement doit se repenser. L'initiative d'ouvrir une grande discussion avec les députés et l'administration du PE sur le Parlement du futur sera très utile aussi pour augmenter le niveau de transparence. Là où il y a plus de transparence, la démocratie fonctionne mieux, non seulement dans ses mécanismes, mais aussi grâce à la confiance qu'elle génère.
Quel processus souhaitez-vous initier ?
Le moment est venu de réfléchir sur le Parlement et sur son rapport avec les citoyens. Nous avons adopté des mesures sur l'utilisation des technologies, sur les processus législatifs, les trilogues. Comment sera le Parlement de l'après-Covid-19 ? Celui d'avant ? Jetterons-nous à la poubelle tout ce qui a été fait auparavant ? Comment voulons-nous nous réorganiser ?
Je veux inviter tous les parlementaires à cette discussion, qui se déroulera de façon très ouverte, pluraliste, libre.
Je présenterai une proposition mi-avril et nous commencerons la réflexion immédiatement après, avec des ateliers ('focus' en italien). Ce chantier d'idées sera ouvert jusqu'à l'automne. Ensuite, nous remettrons ce travail aux organes du Parlement européen. Et je crois que cela pourra aussi être utile aux Parlements nationaux.
L'hémicycle issu des élections européennes de mai 2019 a-t-il engendré une majorité parlementaire pro-européenne qui fonctionne au quotidien ?
Nous avons une majorité européiste très forte au Parlement européen.
L'européisme n'est pas une idéologie, c'est un cadre institutionnel dans lequel nous développons un débat, des initiatives. C'est comme être républicain en France. C'est un cadre qu'ils étaient nombreux à vouloir démolir. Les souverainistes veulent le démolir. Trump a cherché à le démolir. Ensuite, il existe dans l'européisme toutes les sensibilités politiques. Au Parlement européen aussi, les sensibilités sont multiples.
Après le départ du parti hongrois Fidesz de la famille chrétienne-démocrate (EUROPE 12681/16), vous attendez-vous à une réorganisation des forces europhobes et souverainistes pour combattre l'Europe ?
Il y a une décision très claire du Parti populaire européen en faveur de l'État de droit. Nous verrons dans quelle famille la patrouille du Fidesz trouvera un accueil.
Mais la Covid-19 a vaincu le nationalisme. Parce qu'avec la Covid-19, tous les citoyens ont compris qu'on ne peut pas s'en sortir seuls. Quand on prend conscience qu'il y a besoin de solidarité, de coopération, le nationalisme est vaincu.
Le mérite actuel des institutions européennes est de reconnaître qu'on ne sortira pas seuls de la Covid-19. Et même le fait d'avoir confié des tâches aux institutions de l'UE, par exemple sur les vaccins, démontre cela. Si de telles tâches ne leur avaient pas été confiées, nous aurions assisté à une guerre entre les plus forts et les plus faibles.
Le coup d'envoi de la Conférence sur l'avenir de l'Europe a enfin été donné...
Le Parlement européen a obtenu tout ce qu'il demandait.
Mise à part la présidence...
Nous avons obtenu tous les éléments que le Parlement a demandés. Ce fut un long processus pour convaincre les autres institutions. La Conférence aura le mérite de se développer avec l'ensemble des institutions de l'UE. Mais tout ce qui est dans la résolution du Parlement de janvier 2020, le Parlement l'a obtenu. C'est un succès extraordinaire.
Il sera très important de définir l'agenda, quelques objectifs sur lesquels travailler. Et surtout, trouver les modalités pour impliquer la société civile, parce que nous voulons un processus ouvert aux citoyens.
Avec des résultats tangibles en seulement un an ?
Sur ce point, la communication a été mauvaise. La Conférence n'a pas une fin déjà fixée. Elle ne finira pas d'ici un an. Dans un an, durant la Présidence française (du Conseil de l'UE du premier semestre 2022), nous aurons une assemblée, un événement public où on fera la synthèse d'un an de travaux.
Je pense donc qu'identifier des objectifs à atteindre d'ici à un an permettra de les introduire lors de la deuxième partie de la législature.
Mais il n'est écrit nulle part que la Conférence durera un an.
Faut-il parler des candidats têtes de liste ('Spitzenkandidaten') aux élections européennes ?
Le Parlement met sur la table des thèmes divers : la question des Spitzenkandidaten, les listes transnationales, le droit de veto (au Conseil), la politique européenne de santé publique. Je pense qu'au moins ces thèmes devront trouver des réponses d'ici un an.
Le premier événement de la Conférence aura lieu le 9 mai. À son comité exécutif d'en établir les modalités.
Sait-on quand le Parlement retournera à Strasbourg ? Récemment, vous y avez fait un bref saut avant de revenir à Bruxelles...
Strasbourg est le siège du Parlement européen. Nous sommes pressés d'y retourner dès que possible. Malheureusement, la circulation du virus dans la région reste très élevée.
Le personnel du Parlement européen a-t-il été beaucoup touché ?
Nous avons eu un pic de cas très élevé entre octobre et novembre 2020. Depuis, nous avons repris la participation aux sessions plénières, avec une participation physique honorable.
La situation en Belgique est sérieuse, nous devons continuer le travail en présentiel et en distanciel.