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Bulletin Quotidien Europe N° 12407

21 janvier 2020
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N° 007

Le jihadisme français

Hugo Micheron, qui enseigne à Sciences Po, nous livre une passionnante radiographie des phases successives du jihadisme tel qu’il se développe sur et à partir du territoire français. L’ouvrage évoque aussi les liens et ses analogies avec le jihadisme en Belgique. Le titre est même un peu réducteur alors que l’ouvrage offre, en réalité, une analyse utile pour tous les pays européens concernés. Comme le rappelle dans la préface de l’ouvrage le politologue Gilles Kepel, le jihadisme s’est imposé comme une réalité pour l’ensemble des pays de l’Union européenne, même si, entre 2012 et 2018, 80% des jihadistes européens présents au Levant (5 000 au total) provenaient de quatre pays : France (2 000), Royaume-Uni (800), Allemagne (800) et Belgique (600).

Ce livre est le fruit de recherches sur le terrain menées en trois langues (français, arabe et anglais) entre 2014 et 2019. Il repose sur plus d’une centaine d’entretiens réalisés dans les quartiers en France et en Belgique, au Levant et dans les prisons (avec 80 jihadistes incarcérés et des personnels pénitentiaires). L’auteur s’est aussi rendu au Kurdistan irakien, au Liban et en Turquie entre décembre 2014 et janvier 2017. Dans ces pays, il a eu des entretiens en arabe avec des rebelles syriens, des réfugiés syriens ayant fui la vie à Raqqa sous l’État islamique et deux jihadistes libanais appartenant au groupe al-Nosra.

Comme le souligne Gilles Kepel, ce travail permet d’appréhender le jihadisme de l’intérieur, « en pénétrant au plus profond sa logique politique et religieuse, mais aussi ses déterminations culturelles et sociales ». « Reconstruction historique et géographique à la précision jamais atteinte, cet ouvrage propose une étude des mentalités d’autant plus précieuse qu’elle permet d’anticiper les prochains développements du terrorisme jihadiste tels que les envisagent les premiers concernés », poursuit le politologue, non sans souligner que l’auteur déconstruit « les théories obsolètes qui ont conduit aux errements de bien de nos dirigeants et de nos éditorialistes, depuis le fourre-tout de la « radicalisation » (et de la « déradicalisation » supposée lui répondre, a-t-on envie d’ajouter) jusqu’à la représentation illusoire de la prison comme un univers totalitaire coupé de la société ».

Cette histoire du jihadisme, avec ses vagues successives, ses phalanstères, ses idéologues, ses combattants, ses territoires et ses mirages, est riche en informations et rythmée par un très grand nombre de citations qui lui donnent un caractère dialogué et très vivant. Elle s’achève sur l’évolution des jihadistes dans l’univers carcéral et le rôle d’incubateur que joue la prison. Près d’un tiers de l’ouvrage est consacré à cette analyse qui montre comment le passage par la case prison prépare l’après-Daech. Les doctrinaires, qui s’y trouvent ou s'y trouvaient au moment des entretiens, « ont en commun d’analyser la débâcle jihadiste au Levant sous un jour critique », mais « pour la quasi-totalité des intéressés, cet échec est celui d’un groupe, l’EI, et nullement de l’utopie salafo-jihadiste dont ils se réclament », écrit Hugo Micheron. Pour eux, les membres de l’EI ont commis des erreurs et des excès qui ont entraîné leur défaite, mais « ils avaient au contraire le mérite de suivre ce qu’ils percevaient comme l’islam véridique ». Le combat doit se poursuivre en France et en Europe, où ils misent désormais « sur l’affaiblissement du modèle de l’intérieur, pour parvenir à l’éclatement du contrat social et à son discrédit complet ». La recette des doctrinaires, en partie expérimentée en prison, repose sur l’identification de zones à majorité musulmanes où développer la prédication salafiste en vue d’une homogénéisation permettant à terme d’atteindre une forme de sécession.

L’équation complexe qui conduit au jihadisme se nourrit de spécificités françaises (histoire, sociologie, rapport aux religions), mais elle dépasse de beaucoup l’Hexagone, constate l’auteur en soulignant qu’elle s’inscrit dans un « mouvement de « désécularisation » des sociétés européennes qui s’accélère depuis le début du XXe siècle ». Et d’ajouter : « La fissuration du modèle démocratique se présente comme un horizon probable, si la seule réaction collective apportée aux dynamiques décrites en France, en Europe, dans les prisons et au Levant consiste à détourner le regard. Il en sera de même si rien d’autre que le renforcement de l’ordre sécuritaire et la stigmatisation n’est formulé en guise de réponse définitive. Le problème posé par le jihadisme, dans toutes ses composantes, doit être intégré dans une politique de long terme et non plus improvisée entre deux attentats ».

« Si les tendances enclenchées durant les deux dernières décennies s’amplifient, des mouvements de sécession à coloration religieuse pourraient voir le jour dans certaines parties du territoire, déjà en proie à l’homogénéisation communautaire. Interconnectés par Internet et par les innombrables liaisons humaines, les microcosmes salafo-jihadistes pourraient revêtir une cohérence d’ensemble temporaire à l’issue d’un nouveau soulèvement en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Europe », craint Hugo Micheron en se faisant l’écho des espoirs que nourrissent les doctrinaires salafo-jihadistes et d’un risque qui ne peut être exclu. « La fatalité n’est pas de mise », s’empresse-t-il toutefois d’ajouter, en rappelant que le phénomène jihadiste demeure minoritaire, que « les musulmans en sont les premières proies et font face à un défi majeur » et qu’il ne faut surtout pas tomber dans le piège tendu par les salafistes depuis deux décennies, à savoir : confondre l’idéologie salafiste avec l’islam. (Olivier Jehin)

 

Hugo Micheron. Le jihadisme français – Quartiers, Syrie, Prisons. Gallimard. ISBN : 978-2-07-287599-1. 406 pages. 22,00 €

 

Le système de crédit social chinois

La revue Futuribles accueille dans son premier numéro de l’année 2020 un article d’Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More, consacré au système de crédit social chinois (SCS), sorte de Big Brother passé de la fiction à la réalité. Alors que l’adjectif « orwellien » revient avec insistance sous la plume de chercheurs et de commentateurs occidentaux, l’auteur tente avant tout de décrypter le système et la manière dont il s’inscrit dans le contexte culturel et politique chinois.

Le SCS est présenté par le gouvernement chinois comme un moyen d’accroître le niveau d’intégrité morale des citoyens en vue de faciliter et de fluidifier les transactions économiques et financières. Sa mise en place contribuerait ainsi à l’avènement d’une société chinoise « plus civilisée » et « plus harmonieuse ». Si sa généralisation est prévue en 2020, le système semble s’orienter vers une solution laissant plus de latitude aux collectivités locales. 43 municipalités ont testé jusqu’à présent divers systèmes plus ou moins aboutis. Pour rappel, chaque citoyen est doté d’un capital de points et s’en voit attribuer de nouveaux sur la base de ses bonnes actions (influence positive sur l’entourage, dons de sang, aide aux personnes âgées, soutien au gouvernement sur les réseaux sociaux, etc.) ou en perd par de mauvaises (défaut de paiement, manger dans le métro, tricherie dans le cadre des jeux en ligne, appartenance à un culte non reconnu, rumeurs diffusées sur Internet, etc.). Selon la place acquise dans le système, le citoyen est qualifié d’exemplaire, d’excellent, d’honnête, de relativement honnête ou de malhonnête. Entre les deux dernières qualifications se situe une catégorie « niveau d’avertissement » (selon le système de la ville de Rongcheng, qui comprend ainsi six catégories). Un bon score devrait permettre d’obtenir divers avantages (crédits bancaires facilités, droits prioritaires pour certains emplois publics, accès aux établissements scolaires réputés, etc.) À l’inverse, les mauvais scores pourraient conduire à des refus de crédits bancaires, des refus d’accès aux services sociaux, des limitations dans les voyages, l’impossibilité d’acheter des biens et services de prestige, etc. Souvent présenté comme faisant appel essentiellement aux technologies du numérique, le système repose, en fait, dans l’établissement des décisions de perte de points, sur tous les moyens disponibles : signalement, délation, vidéosurveillance, décisions de justice, réseaux sociaux, etc. Fin mars 2019, 13,49 millions de personnes ont été jugées « indignes de confiance » et placées sur des listes noires ; 20,47 millions de demandes de billets d’avion et 5,71 millions de demandes de billets de train à grande vitesse ont été rejetées pour « malhonnêteté ».

Selon l’auteur, ce système semblerait bénéficier d’un fort soutien de la population chinoise. Il est considéré comme efficace par les autorités qui constatent notamment qu’il aurait permis de réduire fortement les arriérés de salaire des travailleurs migrants, traditionnellement exploités dans le secteur du bâtiment. « Au-delà de son utilité pour l’économie, le SCS est une manifestation de cette foi du gouvernement chinois dans sa propre puissance susceptible d’informer le corps social et de lui imposer la vertu qui lui manque », note l’auteur.

Emmanuel Dubois de Prisque souligne que le SCS s’inscrit dans une longue histoire du contrôle social en Chine. « Dans sa volonté de civiliser la société chinoise et d’augmenter le niveau de vertu des citoyens, il se situe dans la tradition confucéenne. Mais dans sa volonté de faire des récompenses et des châtiments le cœur de la gouvernance en Chine, il s’inscrit dans la tradition du légisme. De fait, ces deux traditions, que les sinologues opposent parfois l’une à l’autre, ont fait l’objet d’une synthèse dans la pratique du pouvoir en Chine et se complètent harmonieusement », constate-t-il.

Ce système procède d’une conception de la vie commune qui fait du pouvoir politique le lieu d’un jugement sans appel sur les personnes, même si, en 2019, les autorités ont fait un premier pas vers une possibilité de réhabilitation des personnes ainsi stigmatisées. Concevable en Occident ? Pas vraiment. Comme l’observe l’auteur, « Dans un contexte judéo-chrétien, seul Dieu sonde les reins et les cœurs, et l’existence d’un ordre spirituel vient en quelque sorte relativiser les jugements du monde. (…) Bien sûr, avec la répudiation de notre héritage judéo-chrétien, la possibilité existe de voir cette distance entre jugement du monde et jugement de Dieu disparaître. (…) Cependant, la modernité politique occidentale a sacralisé une forme de « neutralité axiologique » dans l’action politique, qui laisse dans l’ombre une définition substantielle du bien commun au profit d’une recherche du bien-être et des meilleures modalités possible d’un vivre-ensemble entre citoyens ne partageant pas nécessairement la même conception du bien ».

Toutefois, estime l’auteur, « il serait dangereux et fallacieux de se contenter de considérer le SCS comme un anti-modèle absolu qui permettrait aux sociétés occidentales de se mirer dans le miroir avantageux de leurs pratiques vertueuses dans le domaine du respect des droits des personnes ». Nos sociétés sont aussi confrontées à la montée des incivilités, note-t-il. On pourrait y ajouter un sentiment croissant d’insécurité, une extension du recours à la vidéosurveillance et de nombreuses autres mesures prises à la faveur de la lutte contre le terrorisme. Et l’auteur de se demander : « Comment dès lors écarter l’hypothèse selon laquelle une demande sociale pour la mise en place d’un SCS à l’occidentale puisse émerger ? » Même si elle mérite un débat, cette hypothèse est en tout état de cause soutenue par la crise de confiance et de contestations qui traverse nos démocraties et qui peut conduire les citoyens à faire demain le choix de pouvoirs forts, voire autoritaires. (OJ)

 

Emmanuel Dubois de Prisque. Le système de crédit social chinois – Comment Pékin évalue, récompense et punit sa population. Futuribles, numéro 434, janvier-février 2020. ISBN : 978-2-84387-447-5. 152 pages. 22,00 €

 

Dictionnaire professionnel maritime

Voilà un outil pratique qui s’adresse aussi bien aux marins professionnels qu’aux plaisanciers et à tous ceux qui ont un intérêt pour la mer, la navigation, la sécurité et la sûreté maritime. Ce dictionnaire propose une synthèse des définitions fondamentales des termes employés dans les mondes maritime et para maritime. Rédigé en français par un marin, Laurent Galy, professeur de l’enseignement maritime, il présente l’originalité de proposer des sigles, des termes et des expressions d’usage pratique en anglais, langue internationale maritime. Riche en références bibliographiques, il offre également la possibilité de retrouver l’origine réglementaire ou assimilée d’une définition. (OJ)

 

Laurent Galy. Dictionnaire professionnel maritime. Collection « Les hommes et la mer ». Presses universitaires de Rouen et du Havre. ISBN : 979-10-240-1346-6. 662 pages. 32,00 €

 

L’Afrique de l’Ouest dans le cyberespace : enjeux de sécurité et de souveraineté

Avec cette note, Coline Méchinaud propose d’examiner l’ensemble des défis auxquels sont confrontés les pays d’Afrique de l’Ouest dans le contexte du développement du cyberespace : la cybercriminalité en développement, les liens avec le terrorisme, la manipulation des élections et les réactions parfois abruptes des pouvoirs en place dans certains pays, l’acquisition ou le contrôle de données depuis l’étranger. En résumé, les États d’Afrique de l’Ouest ont désormais pris conscience de leur vulnérabilité et de l’importance d’acquérir la maîtrise de leur espace numérique, mais ils demeurent démunis pour peser dans les nouveaux rapports de force qui sont en train de s’installer. Les investissements des groupes chinois et américains représentent de réelles opportunités économiques et semblent indispensables au développement rapide de leurs capacités numériques. Dans le même temps, ils font planer le risque d’une « cybercolonisation ». L’absence de frontières physiques dans le cyberespace rend illusoires les réponses purement nationales, mais les progrès de la coopération régionale demeurent lents et lacunaires. Cela vaut en particulier dans les domaines de la cybersécurité où le centre européen de lutte contre la cybercriminalité EC3, qui officie sous l’égide d’Europol, pourrait être un modèle intéressant à reproduire, estime l’auteur. (OJ)

 

Coline Méchinaud. L’Afrique de l’Ouest dans le cyberespace : enjeux de sécurité et de souveraineté. Note d’analyse du GRIP (http://www.grip.org ). 18 pages. Cette note peut être téléchargée gratuitement à l’adresse https://www.grip.org/fr/node/2852.

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