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Bulletin Quotidien Europe N° 13282

31 octobre 2023
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N° 093

L’Union européenne et la paix

Voilà un ouvrage qui intéressera, à n’en pas douter, les juristes, étudiants en sciences politiques et chercheurs, mais aussi les institutions et organismes impliqués dans la définition ou concernés par l’évolution des politiques européennes comme des relations internationales. Il regroupe 25 contributions d’universitaires qui ont été actualisées entre la fin 2022 et le début de l’année, pour tenir compte des évolutions les plus récentes, avant une publication intervenue en mars dernier.

Comme l’explique Laurence Potvin-Solis (université Paris-Est-Créteil), l’ouvrage « traite tant de l’objectif de paix poursuivi par l’Union européenne que des moyens et instruments au service de cet objectif en questionnant les méthodes de l’Union et les avancées vers une Fédération européenne ». « Il interroge la volonté des États membres de poursuivre ‘en commun’ face aux défis et enjeux de paix dans un contexte marqué par la fragilité croissante de la paix, la diversification des risques, les enjeux post-Brexit et la mise en question de l’essence même du projet européen face aux multiples crises à l’œuvre au niveau international et européen », ajoute-t-elle, avant de poursuivre : « Il intègre les impacts multisectoriels du conflit armé russe en Ukraine et invite à prendre la mesure du départ de la Russie du Conseil de l’Europe. Il appelle à mener une démarche à la fois prospective et rétrospective de la liaison dialectique entre l’Union européenne et la paix inscrite dans le socle constitutionnel de l’Union et le statut d’État membre ».

Dans son article consacré à la contribution des valeurs de l’Union européenne à la paix et la sécurité, Sophie Perez (université de Toulon) revient longuement sur l’utilisation que fait l’Union de sa politique commerciale et commune et de sa politique de coopération avec les pays tiers pour promouvoir ses valeurs et contribuer à la stabilité. Elle souligne la grande variété des instruments utilisés à cette fin : dialogues politiques sur les droits de l’homme, dialogues politiques sectoriels, système de préférences généralisées, régime ‘Tout sauf les armes’ ou encore des stratégies comme le ‘Global Gateway’, qui vise à « stimuler les liaisons intelligentes, propres et sûres dans les secteurs du numérique, de l’énergie et des transports et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde » et tend à promouvoir « les normes les plus élevées » en matière de protection de l’environnement, de questions sociales et de bonne gouvernance.

On peut néanmoins regretter que, dans cet article fort bien documenté, Sophie Perez ne s’interroge pas sur les raisons de l’échec assez évident de cette démarche, alors même qu’en dix ans (2012-2022), l’accord de Cotonou a été suspendu pas moins de 15 fois en réaction à des renversements violents de gouvernements, à une escalade de la violence ou à des violations des droits de l’homme. Sur toute la période depuis l’accord de Yaoundé, les instruments successifs ont sans doute aidé, dans une certaine mesure, à rétablir des formes constitutionnelles de gouvernement, mais ils n’ont jamais contribué à l’émergence de systèmes réellement démocratiques ou, plus modestement, de bonne gestion des affaires publiques ni empêché les coups d’État en Afrique. Comme le rappellent ceux qui viennent de se succéder au Mali, au Burkina Faso et, au cours des derniers mois, au Niger et au Gabon. Si l’ambition de faire prévaloir la stabilité, l’État de droit et les droits de l’homme repose sans nul doute sur une intention légitime et un intérêt mutuel, elle a longuement été battue en brèche par les anciens pouvoirs coloniaux et, trop souvent, a servi, en dépit des projets positifs de la coopération UE-ACP, de façade à la poursuite des politiques néocoloniales de certains États membres. La contestation de « l’ordre occidental » et de « l’universalité des valeurs » par la Chine, la Russie et, d’une manière plus générale, les BRICS n’arrangera rien. Il est plus que temps de prendre en compte l’évolution des « opinions publiques » africaines et de repenser la relation à partir d’un modèle de co-construction sincère.

Dans un autre article consacré aux droits de l’homme dans l’action de l’Union européenne pour la paix, le développement, la démocratie et l’État de droit en Afrique, Reine Wakote (université de Lorraine) et Mutoy Mubiala (université de Kinshasa) soulignent d’ailleurs que « les réactions africaines relatives à l’agression du territoire ukrainien par la Russie incitent à interroger le véritable enracinement de la promotion de la paix et des droits de l’homme par l’Union européenne en Afrique ». « Une telle question s’impose d’autant plus que le conflit ukrainien semble agir comme accélérateur de la dégradation de la relation entre l’Union européenne et les États africains », poursuivent-ils en référence aux derniers coups d’État.

Cecilia M. Baillet (université d’Oslo) propose une analyse du « droit à la paix » et rappelle que les États de l’Union européenne ont échoué par deux fois à bloquer l’adoption de la Déclaration sur le droit à la paix, d’abord au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juillet 2016, puis lors du vote de l’Assemblée générale en novembre de la même année. À cette occasion, 116 États, en majorité d’Amérique latine, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie (dont le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie) ont voté en faveur du texte, alors que 34 pays comprenant les États européens, le Canada, les États-Unis, Israël et l’Australie ont voté contre et que 16 autres se sont abstenus.

Pierre-François Laval (université Lyon 3 Jean Moulin) rappelle que la guerre actuellement menée par la Fédération de Russie en Ukraine a généré un grand nombre de sanctions internationales, de formes diverses et d’intensité variable. Dans le cadre de l’Union européenne, les mesures restrictives, d’abord adoptées en réaction à l’annexion de la Crimée en 2014, ont été marquées par leur intensification, à compter de l’invasion de février 2022. Selon lui, « la stratégie juridique désormais mise en place par les institutions européennes interroge à plus d’un titre, à commencer par la fonction même des sanctions adoptées contre les autorités russes ». « Tout laisse à penser que la mise en jeu de la responsabilité étatique n’est plus le seul objectif poursuivi et que l’action européenne se développe désormais sur un mode plus fondamentalement punitif », avec une efficacité très relative et, dans certains cas, des mesures à la légalité douteuse du point de vue du droit international, explique l’auteur.

Dans un article intitulé « La paix en Europe à l’épreuve de la guerre en Ukraine », Florent Parmentier (CEVIPOF) rappelle que « la période de l’après-1989 était marquée par la volonté de réunifier l’Europe afin d’assurer la paix sur le continent ». Mais, « progressivement, la Russie s’est éloignée de cette ambition pacifique, jusqu’au point de rupture ». « Le 24 février 2022 constitue le retour d’une guerre conventionnelle de grande ampleur en Europe, remettant en cause l’esprit de l’Europe élargie, l’unipolarité américaine au niveau mondial et les ‘dividendes de la paix’ qui étaient considérés comme acquis par les Européens », écrit l’auteur qui poursuit : « Conquérir la paix, c’est parvenir à reconstruire un ordre international, parfois même rebâtir une nouvelle civilisation, sur les ruines parfois encore fumantes du passé. C’est à ce titre qu’il convient de se garder d’une approche téléologique, qui ferait d’une Europe réunifiée et pacifiée un aboutissement définitif de l’Europe continentale ». Et de conclure : « Contre toute attente, inévitablement, la reconstruction de l’Ukraine et la paix devront se faire avec la Russie, si elles doivent s’envisager de manière durable ».

Sur un tout autre registre, Anna Stadler (université Paris 2 Panthéon-Assas) estime que « l’Union européenne s’illustre comme un véritable acteur du cyberespace dans les domaines intégrés ». Mais avec de grandes faiblesses : « Par une conjonction d’une cyberconflictualisation chaotique du cyberespace, nécessitant une réponse proprement internationale, des limites posées à sa compétence et des choix effectués par les États membres, elle ne parvient pas à s’imposer dans les domaines soumis à la coopération ». Et l’auteur d’enfoncer le clou : « Révélant et accentuant une crise identitaire profonde, cette fracture dans son appréhension du cyberespace – ce dernier étant spécifiquement caractérisé par l’interconnexion des différents secteurs d’activité – la fragilise et fait d’elle un simple espace soumis à des cyberconflits qui la dépassent ».

L’ouvrage contient aussi une large partie consacrée à la protection des droits fondamentaux par Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne ainsi qu’un article sur le soutien apporté par l’Union européenne à la Cour pénale internationale. (Olivier Jehin)

Laurence Potvin-Solis (sous la direction de). L’Union européenne et la paix. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-7156-2. 619 pages. 92,00 €

Five Pathways to a More Democratic Europe

Fruit d’un groupe de travail sur la démocratie européenne, comprenant notamment diverses personnalités, dont le travailliste britannique et ancien député européen, Richard Corbett, l’ancien ministre français Harlem Desir, l’ancienne commissaire européenne Cecilia Malmström ou encore les actuels députés européens Eva-Maria Poptcheva (Renew Europe, espagnole) et Sophie in ’t Veld (Renew Europe, néerlandaise), propose quelques idées originales, souvent controversées, et recycle nombre de bonnes idées jamais concrétisées.

Le rapport présente cinq axes d’améliorations, dont le premier porte sur la transparence et la probité, avec notamment : (1) l’établissement d’un registre paneuropéen des lobbies au travers d’une loi européenne sur les lobbies, s’appliquant à la fois aux institutions européennes, et, sur les questions européennes, au lobbying dans les États membres, afin de corriger une situation dans laquelle le travail des représentants d’intérêts se voit progressivement mieux encadré au Parlement et à la Commission, alors que les effets des activités de lobbying qui influencent les travaux du Conseil passe sous les radars parce qu’elles se déroulent dans les capitales ; (2) un travail de préparation à la bonne gouvernance dans les pays candidats en amont de l’élargissement ; (3) une amélioration de la transparence des trilogues ; (4) une transparence plus grande des travaux législatifs du Conseil rendant accessibles les documents et les positions nationales ; (5) à la suite du Qatargate, établir une autorité de supervision éthique de l’UE indépendante des autres institutions. La Commission l’a proposé, mais sans prévoir de conférer à cette autorité des compétences d’enquête ou de sanction, déplore le rapport.

Le deuxième axe porte sur la gestion des crises. Au cours des nombreuses crises qui se sont succédé, l’UE s’est montrée capable de réagir avec efficacité, mais elle l’a fait en recourant à des procédures intergouvernementales et à l’article 122 TFUE pour adopter des actes de nature législative, voire décider de dépenses susceptibles, comme c’est le cas désormais avec Next Generation EU, d’impacter le budget général au travers du service de la dette, qui gonfle avec l’envolée des taux d’intérêt. Le rapport propose notamment de donner un droit de codécision au Parlement européen lors du recours à l’article 122.

Troisième axe : valoriser les élections européennes. On y retrouve le souci d’encourager chaque parti national à faire référence à son parti européen pendant la campagne ou encore de parvenir à un accord sur une journée unique pour le scrutin ainsi que l’introduction de listes transnationales qui, même au sein du groupe, reste controversée. Concernant la procédure de désignation du président de la Commission, les membres du groupe semblent avoir rencontré quelques difficultés à trouver une formule consensuelle. Le rapport suggère néanmoins que le Parlement et le Conseil européen devraient se mettre d’accord sur la procédure avant les prochaines élections afin de parvenir à un accord interinstitutionnel qui viserait soit à institutionnaliser le système des Spitzenkanditaten, qu’ils préfèrent renommer « lead candidate » ou « party candidates », jugeant le terme allemand moins compréhensible pour une majorité d’Européens (tous censés parler l’anglais, peut-être !), soit à introduire un collège électoral composé d’un même nombre de représentants du Conseil européen et du Parlement européen (en gros 27 de chaque) qui élirait le président. Le tout assorti de l’idée qu’en cas de liste transnationale, celle-ci devrait partout être conduite par le candidat du parti. Optimistes, les auteurs du rapport veulent croire qu’il est encore temps de parvenir à un accord avant les élections de juin prochain.

Le quatrième axe porte sur la relation des parlements nationaux avec l’Europe. Cela comprend notamment : (1) des incitations aux parlements nationaux à échanger sur les meilleures pratiques de contrôle parlementaire sur l’activité de leurs gouvernements à l’échelon européen ; (2) l’introduction d’un mécanisme permettant à un groupe de parlements nationaux de présenter des propositions relatives à des initiatives législatives directement à la Commission ; (3) mettre en place une session de travail régulière entre les parlements nationaux et le Parlement européen, soit à Bruxelles soit dans le pays assurant la présidence semestrielle du Conseil.

Enfin, le cinquième axe ne pouvait échapper à l’inévitable « démocratie participative », avec notamment (1) le lancement d’un grand débat européen pour pousser les autorités nationales à accepter l’introduction de cours sur la démocratie et le processus de décision dans les écoles primaires ; (2) la création d’une « assemblée permanente des citoyens », dont on a du mal à comprendre à quoi elle pourrait bien servir alors qu’elle aurait tout au plus un rôle consultatif et qu’il y a déjà beaucoup d’intervenants plus onéreux qu’efficaces dans ce registre, avec en particulier le Comité des régions et le Comité économique et social ; (3) l’introduction d’un « preferendum » à l’échelle de l’Union, sorte de référendum à choix multiples censé convaincre les récalcitrants de sa nature non plébiscitaire. (OJ)

Kalypso Nicolaidis, Nicolai von Ondarza, Sophia Russack. The Radicality of Sunlight – Five Pathways to a More Democratic Europe. Ce rapport du groupe à haut-niveau du Centre for European Political Studies (CEPS) et de la Stiftung wissentschaft und politik (SWP) sur le renforcement de la démocratie européenne a été publié en octobre et peut être téléchargé sur les sites respectifs du CEPS et de la SWP.

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