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Bulletin Quotidien Europe N° 13237

29 août 2023
REPÈRES / Repères
Réduire la taille de la Commission européenne ? C’est possible (1/2)

Que cela plaise ou non, la machine à élargir l’Union européenne s’est remise en marche pour des raisons géopolitiques bien connues. Le chiffre de 36 États membres, dans un avenir indéterminé, est souvent cité : dans la nouvelle entité, l’on trouverait les six pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie) ainsi que trois de la zone orientale (Géorgie, Moldavie et Ukraine). Il n’y aucune certitude que tous ces États soient effectivement acceptés dans l’UE. Dans ce contexte, rappelons que la Turquie a toujours le statut de pays candidat. Et comme l’Histoire est faite de surprises, il ne faut pas exclure que finalement, la Suisse, par un virage à 180 degrés, fasse acte de candidature, ce qui pourrait difficilement lui être refusé. 

L’objectif ici n’est pas de produire des probabilités par pays. Au demeurant, il est généralement admis, sur la base du simple bon sens, que l’Union devra être réformée pour être plus efficace en un monde changé. L’on parle donc beaucoup de mettre fin à la pratique de l’unanimité au Conseil de l’UE dans un maximum de domaines et de renforcer les pouvoirs du Parlement européen. Quant à la Commission européenne, les idées les plus récentes ont porté sur l’amélioration de sa légitimité, par le système des Spitzenkandidaten, voire l’élection de son Président au suffrage universel évoquée dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (proposition 38). Or, le problème de la Commission est moins celui de sa légitimité que celui de sa taille, dont découle son fonctionnement au quotidien. Cette question n’est plus effleurée, car elle constitue un casse-tête. Mais ce n’est pas en l’esquivant que l’on prépare utilement l’avenir. 

Depuis les premières Communautés, tant la Haute Autorité de la CECA que les exécutifs de la CEE et de la CEEA devaient être composés de personnalités compétentes, indépendantes, intègres, agissant dans l’intérêt général européen. C’est encore vrai aujourd’hui : un commissaire européen, lié par son serment devant la Cour de Justice, n’est pas en fonction pour faire avancer les intérêts de son propre pays ; tout au plus peut-il éclairer les débats du Collège en évoquant, au besoin, la situation dans ‘l’État membre qu’il connaît le mieux’. 

Cependant, ces personnalités ne venaient pas de nulle part, mais d’un pays. Et il fallait construire, au sein de ces exécutifs, un équilibre géographique, qui était donc aussi un équilibre entre des populations. Comme pour la composition de l’Assemblée parlementaire, le critère démographique fit son entrée dans les débats du Conseil, puis au niveau des exécutifs. Dans la Haute Autorité de la CECA, composée de neuf membres, trois provenaient de chacun des ‘petits pays’ et six venaient de chacun des ‘grands pays’, le maximum était de deux par nationalité. La population italienne, par exemple, était représentée pour moitié par l’un des commissaires italiens et pour moitié par l’autre. Souvent, les deux commissaires de même nationalité provenaient d’horizons politiques différents. Cette norme fut reprise dans la composition de la Commission de la CEE. En revanche, le traité instaurant l’Euratom, que six pays avaient signé, disposa que la Commission de cette Communauté se limitait à cinq membres ; aucun Luxembourgeois n’y siégea jamais. C’était le signe que le réquisit de la ‘représentation nationale’ n’était pas absolu et que le critère de l’efficacité, le cas échéant, pouvait prévaloir. 

En additionnant les membres des trois exécutifs, l’on arrivait au nombre de 23. Une première décision de rationalisation, hautement pertinente, fut la fusion des exécutifs, coulée dans un traité et effective à partir de 1967 : ce fut la Commission des Communautés européennes, composée désormais de neuf membres. Le nombre de commissaires ne fut ensuite augmenté qu’au fil des élargissements successifs, selon la logique décrite plus haut : quatre de plus après le premier élargissement (1973), un avec l’entrée de la Grèce (1981), trois après l’arrivée de l’Espagne et du Portugal (1985), trois encore en 1995 avec l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède, soit un total de 20 à ce moment-là. 

En janvier 2000, le grand élargissement était en préparation ; la Commission, dans une contribution à la conférence intergouvernementale à venir, lança l’idée d’un commissaire par pays, ce qui impliquait que les ‘grands’ renonçassent à ‘leur’ second commissaire. Ils y étaient disposés, pourvu que l’institution fût réorganisée et le Collège hiérarchisé ; le critère de l’efficacité primait ainsi sur celui de la ‘gloire nationale’. 

Durant la Présidence française du Conseil au second semestre 2000, Paris proposa de plafonner le nombre de membres du Collège à 20, mais ne fut pas suivie sur ce point. Les petits pays tenaient à ‘leur commissaire’ (EUROPE 7802/1). Le traité de Nice arbitra en faveur de la formule d’un national de chaque État membre, tout en disposant que, lorsque l’UE compterait 27 États membres, le nombre de commissaires serait inférieur au nombre d’États membres, en procédant à une ‘rotation égalitaire’ à définir par le Conseil, à l’unanimité. La Commission ‘Prodi’, entrée en fonction en 1999, était une équipe de 20 personnes, qui devinrent 30 au 1er mai 2004, date de l’entrée en vigueur du grand élargissement. Ce fut seulement avec la Commission ‘Barroso I’, en novembre 2004, que les ‘grands’ perdirent ‘leur’ second commissaire, ce qui donna un Collège de 25 membres, puis de 27 avec l’arrivée de la Bulgarie et la Roumanie (2007). 

La question de la taille de la Commission était revenue à l’agenda dans les préparatifs du traité constitutionnel. Une première version prévoyait une Commission de 15 membres ; elle fut rejetée durant les travaux. Le compromis dégagé fut le suivant : la première Commission nommée en application de la ‘constitution’ serait composée d’un national de chaque État membre, mais au-delà, l’institution serait composée d’un nombre de membres correspondant aux deux tiers du nombre d’États membres, sauf si, à l’unanimité, le Conseil européen en décidait différemment. Ainsi dans une Union à 27, il n’y aurait eu que 18 commissaires : un sérieux amaigrissement ! 

Après le rejet du traité constitutionnel, les auteurs du traité de Lisbonne reprirent ce dispositif, avec effet au 1er novembre 2014, tout en précisant que la rotation devait être égalitaire et refléter l’équilibre démographique et géographique de toute l’Union. 

En juin 2008, le peuple irlandais rejeta le nouveau traité par référendum. Selon une analyse des motivations des électeurs, leurs craintes portaient, parmi beaucoup d’autres, sur la perte de ‘leur’ commissaire. Dans ses conclusions de juin 2009 (EUROPE 9925/2, 9803/10), le Conseil européen décida qu’il y aurait à l’avenir autant de commissaires que d’États membres pourvu que le traité fût ratifié, ce qui fut acquis par le second référendum irlandais en octobre. Place était ainsi faite, sans limitation dans le temps, aux Commissions ‘obèses’, le pic étant atteint, avec 28 membres, entre l’entrée de la Croatie et la sortie du Royaume-Uni. 

L’on constate donc qu’à l’époque, un large et solide consensus avait été acquis pour une diminution sérieuse de la taille de la Commission, les ‘grands’ États participant à la rotation comme les ‘petits’. Alors que les premiers avaient fait un geste particulièrement généreux, ce fut parmi les seconds, et de surcroît un seul (5 millions d’habitants), que le système fut contesté, ce qui entraîna son abandon. 

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France revint à la charge pour une Commission réduite (EUROPE 12045/35). La Chancelière allemande, Angela Merkel, n’y était pas opposée, mais elle avait du mal à imaginer une Commission dont l’Allemagne serait absente – et on pouvait la comprendre. L’on resta dans le flou sur le sujet. On y est toujours. 

S’il faut sûrement éviter un système de cooptation de technocrates n’ayant jamais eu affaire à des électeurs, il est souhaitable que tous les gouvernements nationaux ainsi que leurs opinions publiques comprennent le statut tout à fait spécifique de la Commission, qui n’est pas leur propriété. Mais comme ce sont les représentants des États qui négocient les traités, l’on ne peut espérer de progrès sans prendre en compte leur façon de penser. Pour débloquer la situation, il est possible de mitiger, et non d’annuler, le réflexe interétatique en développant une approche fondée sur l’impératif, déjà mentionné plus haut, de l’équilibre démographique et géographique. (À suivre). 

Renaud Denuit

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