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Bulletin Quotidien Europe N° 12842

30 novembre 2021
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N° 049

Diplomaties européennes

 

À mi-chemin entre fresque historique et analyse comparée, cet ouvrage retrace l’évolution des acteurs et des pratiques diplomatiques européennes du 19e siècle à nos jours. L’auteur, professeur d’histoire des relations internationales à l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, nourrit ce parcours de nombreux flashbacks qui plongent jusqu’aux origines antiques des fonctions de représentation, sans omettre les pratiques médiévales et celles qui, à l’époque moderne, façonnent progressivement la figure et le métier du diplomate. Une fonction, avec ses codes et ses rites, ses règles et ses immunités, qui se développe d’abord entre Européens. Un apanage exclusivement masculin, jusqu’au 20e siècle, comme le rappelle Laurence Badel, qui consacre un chapitre à l’entrée, aussi lente que tardive, des femmes européennes en diplomatie.

 

À l’issue d’un long parcours à travers tous les aspects de la diplomatie, y compris ses dimensions économiques ou culturelles et la diplomatie publique, Laurence Badel souligne les dernières évolutions des fonctions diplomatiques. « Une nouvelle fonction a émergé : la communication. La figure de l’État, « monstre froid » insensible aux émotions d’une opinion publique un peu abstraite, a cédé la place à celle de l’État empathique et plus attentif à la diversité de sphères publiques et privées auprès desquelles une diplomatie culturelle redéfinie lui permet de mieux communiquer », constate l’auteur, avant d’ajouter : « Une fonction a été réhabilitée : la protection, peut-être la moins valorisée de toutes, aujourd’hui passée au premier plan des préoccupations à la suite d’événements au retentissement mondial : le tsunami dans l’océan Indien en décembre 2004, le séisme d’Haïti en janvier 2010, l’éruption du volcan islandais au printemps 2010, les Printemps arabes en 2011, le naufrage du bateau de croisière Costa Concordia en janvier 2012, l’intensification de la crise migratoire en 2014-2015, etc. Les sites des ministères, des ambassades et des consulats valorisent les services offerts aux citoyens (état civil, visas, sécurité). Beaucoup de ministères ont créé des centres de crise (…) pour assumer une « diplomatie de l’urgence ». Protéger, assister et rapatrier les ressortissants nationaux expatriés ou de passage restent, aujourd’hui comme hier, des fonctions essentielles au sein de l’Union européenne, confortées par la directive adoptée en 2015 pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l’Union non représentés dans des pays tiers. L’enjeu semble être dorénavant de mettre en place une « diplomatie pour les gens » (diplomacy for people) ».

 

« À la lumière de mon expérience de praticien de la négociation européenne pendant de nombreuses années, notamment dix ans passés comme ambassadeur, représentant permanent de la France à Bruxelles, il me semble que les principales figures et instruments historiques de la diplomatie, si bien explorés par Laurence Badel, restent pleinement pertinents et mobilisés dans le travail européen : représenter, défendre un intérêt ou une position nationale, convaincre, influencer, inspirer, gagner des alliés, réduire le camp des opposants, concéder le subalterne pour soi lorsqu’il est important pour d’autres, échanger, et presque toujours rechercher la définition d’une règle juridique commune, qui constituera la solution durable à la question débattue, qu’elle soit agricole, financière, industrielle ou touchant à l’environnement », écrit Pierre Sellal dans la préface de l’ouvrage. Et l’ancien représentant permanent auprès de l’Union européenne poursuit : « Deux éléments cependant caractérisent et distinguent la diplomatie européenne. En premier lieu, la négociation y produit du droit, directement (ou après une transposition) applicable sur le territoire de chaque État membre ; le négociateur, l’ambassadeur, se retrouve ainsi à exercer une fonction de légiste dans son propre pays. La deuxième particularité, c’est sa participation à la « méthode communautaire », qui repose sur une dialectique subtile entre compétence de Bruxelles et responsabilité des États, appelant un dialogue quotidien entre des représentants de chaque gouvernement, installés à Bruxelles, à la fois entre eux et avec le collège des commissaires. S’y est même ajouté, avec l’extension des compétences et du rôle dévolus au Parlement européen, un travail parlementaire, supposant dialogue et négociation avec élus et groupes politiques, alors qu’au niveau national, la discussion parlementaire est le plus souvent réservée à l’autorité gouvernementale ».

 

Alors que Laurence Badel observe que « l’Union elle-même se présente comme un système de représentations multiples qu’elle tente, depuis une dizaine d’années, d’homogénéiser et d’unifier grâce au Service européen d’action extérieure sans vraiment y parvenir », Pierre Sellal souligne que « l’image de faiblesse relative de la politique étrangère européenne » découle de « la réticence certaine » des États membres « à abandonner ou déléguer leurs capacités nationales dans ce domaine ». Et d’ajouter : « Une part de l’explication est liée sans doute à l’association si forte de la politique étrangère à la souveraineté (…). Il en résulte un attachement tout particulier, et désormais presque unique dans les politiques européennes (avec la seule fiscalité), à la règle du consensus pour la prise de décision. Frilosité et résistance qui ne sont pas le propre ou l’exclusivité des « grands pays » comme d’aucuns avaient pu le redouter (…). Force est en effet de constater que c’est bien plus souvent l’un des « petits » ou « moyens » États membres qui, en faisant obstacle à l’unanimité nécessaire, empêche une décision ou une expression diplomatique de l’Union européenne (…). Une deuxième explication, qui procède pour partie de la première, vient de l’inadéquation de la « méthode communautaire » appliquée à la politique étrangère. Celle-ci (…) repose avant tout sur le rôle d’une institution, la Commission, dotée d’un pouvoir d’initiative, dans une interface constante avec le collectif des États membres. En d’autres termes, c’est l’institution qui suscite la politique, dans les domaines relevant de la compétence communautaire au sens originel de l’expression. Implicitement, les promoteurs d’une politique étrangère européenne ont imaginé que créer un « service européen pour l’action extérieure », avec à sa tête un haut représentant pour la politique étrangère, serait à l’origine d’une dynamique comparable. Les résultats, sans être inexistants, n’ont pas été à la hauteur de cette ambition, en partie du fait que la politique étrangère touche au plus intime de l’image que chaque pays se fait de son identité. En outre, faute de maîtriser l’ensemble des instruments constitutifs d’une politique étrangère de plein exercice, au premier chef la possibilité du recours à la force, l’Union européenne rencontre une limite évidente dans ce qu’elle peut entreprendre vis-à-vis d’un partenaire ou pays qui, lui, userait de tels moyens ou en brandirait la menace ».

 

Ces extraits nous rappellent la nécessité de réformer en profondeur le fonctionnement de l’Union européenne. Le rôle de législateur confié, même partiellement, à des diplomates (non élus) contribue au déficit démocratique et à la contestation croissante de l’Union européenne. Le Parlement européen ou un vrai système bicaméral réunissant des représentants élus devrait, à mon sens, se voir confier une compétence législative exclusive. Et, à défaut d’une véritable fédéralisation de l’Union, la décision à la majorité qualifiée devrait devenir la règle pour les éventuelles matières qui continueraient à relever d’une forme de coopération intergouvernementale. (Olivier Jehin)

 

Laurence Badel. Diplomaties européennes – XIXe-XXIe Siecle. Presses de Sciences Po. ISBN : 978-2-7246-2690-2. 540 pages. 35,00 €

 

Résistance et conscience européenne

 

« Les europhobes d’aujourd’hui alimentent leur haine de la construction européenne et de l’idée d’Europe par une relecture fautive et intempestive de l’histoire. Il s’agit de porter atteinte à l’honorabilité des pionniers de cette histoire, mais aussi à la sincérité et à l’importance des buts que l’Europe était censée poursuivre, après la tragédie du nazisme et de la guerre qui l’avait couverte de ruines et de honte. Cette relecture procède d’une démarche révisionniste qui sélectionne les éléments de cette histoire très complexe pour tendre à la réduire à une manipulation du gouvernement américain et à un « complot libéral ». Uniquement à charge, elle traque les « sources impures » de l’Europe d’après-guerre. Elle isole et diabolise des figures comme Jean Monnet ou Robert Schuman afin de ramener le projet européen à un projet américain imaginé pendant la Guerre froide par des Français dénués de tout sens patriotique et dépourvus de dignité, poursuivant un combat idéologique », constate Robert Belot, professeur d’histoire contemporaine à l’université Jean Monnet (Saint-Étienne) en introduction à cet ouvrage.

 

Instrument de controffensive, Résistance et conscience européenne retrace l’itinéraire d’Henri Fresnay, fondateur du plus important mouvement de la Résistance française, ministre du général de Gaulle à la Libération et l’un des dirigeants de l’Union européenne des fédéralistes. « Cette étude se concentre sur la période 1940-1947 pour échapper aux relectures téléologiques qui font partir l’histoire de l’Europe à partir de la Guerre froide », indique l’auteur, qui explique : « En 1944, la collection engagée dans la lutte contre le nazisme et Vichy, Les Cahiers du Rhône, éditée à Neuchâtel en Suisse, fait paraître une étude historique et critique sur ‘L’Allemagne et la réorganisation de l’Europe’. Dans sa préface, Albert Béguin fait valoir qu’il existe « le désir d’une Europe » et qu’il faut tendre à « fonder dans la communion d’esprit ce qu’on n’a pu établir par la violence ». Là est la source séminale de ce qu’on a appelé postérieurement la « construction européenne ». Les résistances européennes n’ont pas été seulement un combat psychologique et militaire pour l’indépendance nationale : elles ont été largement à l’origine d’une nouvelle vision de l’Europe et ont voulu traduire politiquement ce ‘désir d’Europe’ ».

 

Le rêve fédéraliste que Fresnay partageait avec Spinelli ne s’est pas réalisé et l’Europe s’est construite différemment, sur un mode hybride dont on mesure aujourd’hui les fragilités. Mais, comme le souligne Robert Belot, « si tous les résistants n’ont pas été européistes, les résistants que Fresnay représentait, comme l’ont écrit Élie Barnavi et Kryztof Pomian, « ont servi de trait d’union entre les européistes de l’entre-deux-guerres et ceux d’après la Victoire » : ils ont maintenu la flamme d’une autre Europe pendant la nuit hitlérienne et leur engagement fédéraliste après la guerre a permis de développer une conscience européenne et de maintenir un devoir-être de gouvernance collaborative entre les États-nations qui, peu à peu, est devenu réalité concrète ». (OJ)

 

Robert Belot. Résistance et conscience européenne – Henri Fresnay, de Gaulle et les communistes (1940-1947). Presse fédéraliste. ISBN : 978-2-4914-2905-8. 394 pages. 25,00 €

 

L’Europe, ses acteurs et leurs stratégies

 

On peine à reconnaître l’Europe et ses acteurs dans cette compilation de douze communications d’universitaires appartenant au réseau ERECO (European Research Community). Avec des sujets aussi divers que les effets de la Covid-19 sur les stratégies d’achat en France et en Californie, les compétences digitales en Europe ou encore les firmes chinoises dans les Balkans occidentaux, on cherche en vain un fil rouge ou une forme de logique dans cette suite d’articles. Un article sur le comportement du consommateur en Slovaquie et en France (Universités de Grenoble et de Bratislava) confirme que « les attitudes de consommateurs slovaques et français sont largement favorables à la consommation responsable (respect de l’environnement et préservation de la santé : Ndr) et (que) ce sont les distributeurs qui éprouvent des difficultés à les suivre ». Plus surprenant, un article très favorable à la libéralisation des services d’intérêt général qui, sans en apporter la démonstration, affirme que « cette dernière apporte des effets bénéfiques sur le plan de l’efficacité et de la qualité de prestation des services ». (OJ)

 

Ghislaine Pellat et Xavier Richet (sous la direction de). L’Europe, ses acteurs et leurs stratégies – Visions managériales croisées. L’Harmattan. ISBN : 978-2-3432-3005-4. 268 pages. 27,00 €

 

Ein Ziel von deutschem Rassismus: Menschen aus Südosteuropa und der Türkei

 

La revue Südosteuropa Mitteilungen consacre son dernier numéro au racisme ordinaire en Allemagne, avec notamment un article de Juliana Roth (Ludwig-Maximilians-Universität München) qui évoque la réapparition en Allemagne de formes de racisme exprimé ouvertement et de façon décomplexée. L’auteur souligne l’accroissement continu au cours des dernières années des propos et des actes racistes et estime que la lutte contre le racisme passe par l’amélioration des compétences interculturelles des individus. Comme nombre d’auteurs qui militent de façon parfaitement légitime contre le racisme, Roth tombe malheureusement dans le travers, également raciste, qui consiste à incriminer exclusivement « les blancs », alors qu’il existe des formes de xénophobie ou de racisme dans toutes les sociétés humaines. Lale Akgün, qui a été membre SPD du Bundestag de 2002 à 2009, revient sur la condition des trois millions de personnes d’origine turque en Allemagne. Elle explique avec beaucoup de finesse, et non sans humour, les spécificités culturelles et historiques allemandes qui ont conduit à accueillir à partir de 1961 des travailleurs hôtes (Gastarbeitern) qui n’étaient pas supposés s’installer ni bénéficier d’un droit au regroupement familial. Évoquant une conversation avec Helmut Schmidt, l’auteur constate que ces personnes n’avaient, dans l’esprit des hommes politiques et plus largement de la population, pas vocation à devenir Allemands. L’Allemagne n’est plus aujourd’hui le pays ethniquement, culturellement et religieusement homogène d’autrefois et il est devenu urgent de changer de logiciel afin d’adapter la société à la diversité, estime Akgün, qui conclut : « L'avenir doit être façonné par une société démocratique suffisamment forte pour supporter les différences et dont les membres se rencontrent sur un pied d'égalité. Il n’a jamais été question d’amour ». (OJ)

 

Hansjörg Brey (sous la direction de). Ein Ziel von deutschem Rassismus: Menschen aus Südosteuropa und der Türkei. Südosteuropa Mitteilungen 04/2021. ISSN : 0340-174X. 96 pages. 15,00 €

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