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Bulletin Quotidien Europe N° 12638

19 janvier 2021
Sommaire Publication complète Par article 31 / 31
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N° 029

Un voile sur le monde

 

Avec cet ouvrage, la journaliste franco-tunisienne Chantal De Rudder nous entraîne dans une vaste enquête sur le voile, ses diverses formes, ses significations, ce qu’il dit des sociétés ou communautés qui l’imposent comme des femmes qui choisissent le port du voile, ce qu’on prétend lui assigner comme ce qu’il sert à cacher. Elle le fait, sans concession et en toute indépendance, dans le respect de l’humain, sans se départir d’une dimension féministe, de son attachement à la liberté d’expression et, plus généralement, aux droits fondamentaux. Son enquête ou récit, qui se lit comme un bon roman, est richement documenté, nourri de souvenirs, de reportages qui ont marqué sa carrière de grand reporter au Nouvel observateur et d’entretiens menés sur le terrain au cours des dernières années. Portraits, humour et humeurs en agrémentent une lecture qui nous fait voyager d’Iran en Espagne, en passant notamment par l’Arabie saoudite, la Belgique, le Danemark et le Royaume-Uni.

 

Chantal De Rudder ne fait pas que décrypter les logiques historiques et politiques qui se muent derrière ce petit morceau de tissu (le foulard que portaient dans les années 60-70 certaines femmes) devenu grand avec la prolifération dans toutes les sociétés européennes de hijabs et de niqabs, mais elle interroge celles qui les portent sur leurs motivations et nos sociétés, souvent naïves, sur leurs réactions. Elle nous rappelle ce que nos politiques et beaucoup d’intellectuels occidentaux n’ont pas voulu savoir ou se remémorer et s’ingénient aujourd’hui à ignorer de peur d’être accusés d’islamophobie : le voile intégral ne constitue pas une prescription religieuse, le Coran ne faisant mention que de l’obligation pour les femmes de se couvrir la gorge, autrement dit ces atours que même Tartuffe ne saurait voir ! Porter un voile sur la tête et les cheveux était une pratique, effet de mode ou prescription religieuse dans les temples selon les cas, remontant à une époque antique, bien longtemps avant Jésus et le Prophète. Cette pratique était tellement ancrée qu’après l’avènement du christianisme, les femmes devaient avoir la tête couverte à l’église et que les religieuses en conservent encore la trace vestimentaire aujourd’hui, du moins dans les congrégations qui leur font porter un « uniforme ». Comme le rappelle Chantal De Rudder, jusqu’à il y a une trentaine d’années, les femmes ne portaient, même dans les pays d’Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, que tout au plus un petit carré d’étoffe et n’en étaient pas moins musulmanes et, avec l’exception des contrées ou sévissent le wahhabisme, le salafisme, les Frères musulmans, talibans et autres mollahs conservateurs, nombreuses sont les femmes de ces pays qui refusent des pratiques vestimentaires qui leur sont étrangères et qui voient avec effarement ce qui se passe aujourd’hui en Europe.

 

En trente ans, le voile et la femme voilée sont devenus, tout comme les procès d’intention conduits au nom d’une prétendue islamophobie, des instruments de communication visant à normaliser un islam politique qui cherche à imposer des valeurs et des règles tirées de la charia. La présence de femmes voilées de la tête aux pieds dans les rues et dans les manifestations vise, à l’instar de la gay pride pour l’homosexualité, à faire admettre l’idéologie totalitaire islamiste, note l’auteur.

 

« Voile et blasphème, blasphème et voile, les nations occidentales ne cessent de buter sur ce couple infernal mis au point par Khomeiny pour répandre la zizanie en Occident », souligne aussi Chantal De Rudder avant d’ajouter : « Une fois au pouvoir, l’ayatollah – à qui la France avait imprudemment donné refuge, lui permettant ainsi de parfaire sa connaissance des sociétés européennes à l’heure des Trente Glorieuses et de l’immigration musulmane massive – lança sa pomme de discorde sur un vieux continent qu’il savait en pleine mutation démographique. Khomeiny est mort, pas la division qu’il a réussi à semer et qui continue de piéger notre « vivre-ensemble » depuis des décennies maintenant ». (Olivier Jehin)

 

Chantal De Rudder. Un voile sur le monde. Éditions de l’Observatoire. ISBN : 979-19-329-0429-9. 301 pages. 21,00 €

 

 

Le Moyen-Orient et le monde

 

Dans cet ouvrage collectif consacré au Moyen-Orient compliqué et à ses interactions avec le monde, on trouve notamment un excellent article de l’historien et sociologue Hamit Bozarsian, qui revient sur le rôle central joué par la domination occidentale dans la formation, puis les transformations du monde arabe depuis près de deux siècles. L’auteur y souligne que, dans la région, « les débats sur l’Occident semblent plus que jamais stériles, tant ils se nourrissent de l’imaginaire d’un monstre éternel, mais désincarné, faible puisque « dépravé » et « efféminé », et pourtant constamment redynamisé par son atavisme anti-islamique ». Et d’ajouter : « Cet anti-occidentalisme constitue en effet un écran de fumée occultant, d’ailleurs maladroitement, la responsabilité des détenteurs de pouvoirs, des élites et, plus généralement, des sociétés arabes et musulmanes dans leur propre tragédie. Combien de temps pourront-ils continuer de nier que les guerres les plus traumatiques du monde musulman furent non pas externes, mais bien internes, à l’instar de la fitna (« discorde ») qui éclata après la mort du Prophète ou des guerres qui opposèrent les empires ottoman et persan au XVIe siècle, dévastèrent l’Iran et l’Irak dans la décennie 1980 ou transformèrent la Syrie en « un cimetière à ciel ouvert » dans les années 2010 ? De la réponse à cette question dépendra l’avenir des sociétés arabes et musulmanes ».

 

Le politologue Frédéric Charillon constate la « faillite de la pensée stratégique, de la pratique diplomatique et du savoir-faire militaire de l’Amérique et de ses alliés européens » dans la région. « Les initiatives euro-méditerranéennes de Barcelone en 1995, pour accompagner un processus de paix qui n’existait déjà plus, ont achoppé sur un agenda régional trop dramatique pour les propositions techniques de l’Union européenne », souligne l’auteur, qui poursuit : « La tentative sarkozyenne, en 2008, de relancer une ‘Union pour la Méditerranée’ sans suffisamment consulter au préalable les partenaires européens, s’est heurtée au drame palestinien (opération israélienne Plomb durci à Gaza fin 2008), puis aux révolutions de 2011. Aujourd’hui, l’Europe ne prétend plus jouer de rôle, sauf à rappeler son attachement à des principes, sans illusion sur sa capacité à les sauver encore ». Quant aux États-Unis, ils semblent vouloir quitter un Moyen-Orient qui ne leur réussit pas, laissant le champ libre à d’autres, la Turquie, la Russie et l’Iran en particulier. Pour autant, « les puissances régionales non arabes ne semblent pas prêtes à prendre le relais du rôle longtemps revendiqué par l’Amérique », écrit Charillon, qui estime que « l’avenir de la région pourrait se jouer davantage dans l’issue des protestations populaires (comme au Liban, ou, plus loin, en Algérie), dans l’impact des séries télévisées, dans le renouveau intellectuel ou l’activisme en ligne, que dans les plans géopolitiques tracés à Washington, les coups de poker tentés à Moscou, les discours réitérés à Bruxelles ».

 

L’Union européenne se donnera-t-elle les moyens de faire respecter le droit au Proche-Orient ? En cherchant à répondre à cette question, la journaliste Isabelle Avran a beau jeu de rappeler la faiblesse d’une UE marquée par des divisions internes qu’entretiennent ou suscitent certains acteurs étrangers, à l’instar du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, prêt, au besoin, à sacrifier la mémoire de la Shoah pour disposer d’une minorité de blocage au Conseil. Elle n’en estime pas moins qu’en cas de nouvelles annexions, l’Union européenne sera appelée à choisir : « Soit elle se contentera de déclarations dont la fermeté n’aura d’égale que l’inefficacité faute de joindre l’efficacité aux mots, avec des conséquences incalculables, soit elle défendra résolument le droit contre la loi de la jungle pour laisser enfin une chance à une paix durable ». (OJ)

 

Bertrand Badie et Dominique Vidal (sous la direction de). Le Moyen-Orient et le monde – L’état du monde 2021. La Découverte. ISBN : 978-2-3480-6402-9. 260 pages. 20,00 €

 

 

Ce qui vient

 

Avec « Ce qui vient », on entre de plain-pied dans « la quatrième dimension ». Le journaliste Stéphane Paoli nous offre ce que j’affectionne et que je qualifie volontiers d’ovni littéraire. Aussi surprenant par son érudition, qui nous transporte loin des lieux communs de l’actualité politique, que par la qualité du style qui le sert, cet essai se laisse lire d’une traite. Toute tentative de résumer ce kaléidoscope d’entretiens est inévitablement vouée à l’échec et je ne m’y aventurerai pas. Telle une araignée, l’auteur tisse une toile entre les savoirs et les perspectives de quinze personnalités aux spécialités les plus diverses (astrophysique, anthropologie, génétique, géologie tectonique, informatique, etc.) pour éveiller la conscience du lecteur à l’infini des évolutions probables et des hypothèses sans certitude.

 

Alors, à quoi pourrait ressembler le monde qui vient ? En voici, puisés au fil des pages, quelques traits. « Ce qui vient est que les animaux (…) sont en train de contraindre, ou d’inviter, les scientifiques à modifier les cadres épistémologiques dans lesquels ils travaillent. L’intention, autrement dit la volonté, le désir d’agir, fait partie du registre des animaux et s’articule avec nos propres intentions », nous dit l’auteur, nous invitant à revoir une centralité de l’homme dans la nature et l’univers que la physique, elle aussi, récuse.

 

« Ce qui vient est une machine à remonter le temps. L’Agence spatiale européenne (ESA) lancera en 2022 la mission Euclid, dont l’objectif sera d’observer pendant six ans un tiers de la voûte céleste, au-dessus et au-dessous du plan de la Voie lactée. La profondeur du regard d’Euclid permettra de revenir dix milliards d’années en arrière, puisque, la vitesse de la lumière étant finie (300 000 kilomètres/seconde), regarder loin, c’est voir le passé de l’univers. La sonde Euclid va cartographier en trois dimensions 12 milliards de galaxies et leurs mouvements. La répartition de la matière noire et celle des galaxies raconteront l’histoire de l’expansion de l’univers et diront si l’énergie noire est due ou non à une énergie inconnue et, donc, s’il faut ou non réviser la théorie de la relativité d’Einstein ».

 

Ce qui vient est « le retour de ce que des communautés chamaniques nomment ‘le temps du mythe’, celui où se constituent de nouvelles formes de relations et d’intelligibilité réciproques, qui rendent possible la cohabitation ». « Ce qui vient, c’est l’autre visage du Janus Internet, celui qui, dans l’horizontalité des réseaux, construit un nouveau paysage politique nourri de la multiplicité des images fixes et vidéo, celles du chaos climatique, des multiples cultures et de leurs imaginaires. Sous maintes formes, elles ont commencé la remise en cause de l’alliance historique entre libéralisme politique et libéralisme économique, elles interpellent les dictatures et les ‘démocratures’, néologisme édifiant, elles dénoncent l’absence de récit alternatif, elles envisagent des changements de coordonnées hors du champ droite-gauche ». « Ce qui vient, plus efficace que le thème des inégalités pour concerner la société planétaire, est la menace environnementale et sa dimension générationnelle. Le changement de paradigme doit être le fait de la jeunesse pour un retour au commun et à sa construction sociale contre l’individualisme, à la solidarité entre les âges, à l’ouverture du marché à des modes d’échanges nouveaux, à la réinscription de la nature dans la vie quotidienne ».

 

« Ce qui vient – c’est l’anthropologue Marc Augé qui parle – c’est que l’ennui vient aujourd’hui de ce qu’il n’y a pas d’offres autres que celles d’un prosélytisme religieux violent ». Et d’ajouter : « Je crois que, si je dis que les religions vont disparaître, on me rira au nez. Mais, je crois quand même que la forme que prennent les mouvements religieux montre un état de paroxysme, signe d’une fin prochaine ». Du même : « Nous sommes en train de constituer une société humaine à géométrie nouvelle, planétaire. C’est une hybridation culturelle accélérée. Même les crises parlent de ce qui est en jeu. L’Europe n’est certes pas bien portante, mais il faut se rappeler (…) ce qu’elle était quand j’étais jeune, dans les années 1940. C’était le rêve allemand. Il y a eu des progrès. Il est possible que les convulsions actuelles précèdent une naissance ».

 

Et pourquoi ne pas conclure sur cette autre citation de Marc Augé : « L’optimisme raisonnable est plus raisonnable que le pessimisme. Je fais le pari de l’intelligence. Dans l’Histoire, c’est quand même l’intelligence qui gagne et, si on compare les siècles, on peut croire à la notion de progrès. Je suis fatigué des dandys qui nous condamnent à la catastrophe ». (OJ)

 

Stéphane Paoli. Ce qui vient. Éditions Les liens qui libèrent. ISBN : 979-10-209-0894-0. 282 pages. 20,00 €

 

 

Pour un nouveau cadre institutionnel de la politique de défense commune

 

« Vingt-deux ans après Saint-Malo, onze ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le constat s’impose : ni la PESC ni la PSDC n’ont eu les résultats escomptés, pourtant énoncés avec une grande économie de mots en 1998 : ‘L’Union européenne doit pouvoir être en mesure de jouer tout son rôle sur la scène internationale’ », écrit Frédéric Mauro dans cette note d’analyse. Il serait difficile de lui donner tort. Pour sortir de cette situation où les diplomates ont étouffé, avec certaines complicités politiques et militaires, tout effort de développement de la défense européenne, condamnant l’Union européenne à « n’être qu’une puissance du verbe, faible avec les forts et forte avec les faibles », l’auteur préconise la mise en place d’un Conseil de sécurité européen. Il s’agirait d’une « formation restreinte du Conseil européen » permettant une prise de décision rapide et efficace. Seules les décisions en matière de déclenchement d’opérations militaires (les missions proprement dites) seraient prises à l’unanimité, laissant de ce fait les 90% de décisions restantes, qui n’ont pas d’impact majeur à court terme, être prises à la majorité. Frédéric Mauro estime aussi qu’il faudrait « recentrer le SEAE sur les questions purement diplomatiques et laisser les affaires militaires aux militaires, de préférence sous l’autorité politique d’un Haut représentant (ou commissaire) à la Défense, dont le poste serait à créer ». Un authentique quartier général européen pour les opérations et une forme de contrôle parlementaire impliquant le Parlement européen compléteraient cette architecture. (OJ)

 

Frédéric Mauro. Pour un nouveau cadre institutionnel de la politique de défense commune : la mise en place d’un conseil de sécurité européen. IRIS. Cette note d’analyse peut être téléchargée gratuitement sur le site de l’Institut de relations internationales et stratégiques : http://www.iris-france.org

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