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Bulletin Quotidien Europe N° 12622

15 décembre 2020
Sommaire Publication complète Par article 39 / 39
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N° 027

Rallumer les étoiles

 

Le sénateur français (LREM) André Gattolin et le journaliste Richard Werly (Le Temps) brossent « le tableau d’un continent blessé par tant de tempêtes et d’ouragans au cours de son histoire et toujours confronté à cet impitoyable constat : l’Europe est un mythe que nous avons su bâtir, mais que nous ne savons plus chérir ». Ils le font avec l’ambition d’identifier des pistes pour « donner à cet ensemble de 450 millions d’habitants, unis par une souveraineté partagée si difficile à mettre en œuvre, le sentiment pérenne d’une appartenance commune ». À cette fin, les auteurs proposent notamment d’ouvrir les chantiers d’une « histoire partagée », de la démocratisation des institutions et de l’augmentation des capacités budgétaires de l’Union.

 

En dépit des réformes successives, le Parlement européen ne dispose toujours pas d’un véritable pouvoir d’initiative législative et « les décisions les plus importantes de la construction européenne se prennent trop souvent dans le conclave des réunions du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, par compromis âprement négociés et en réaction à des crises soudaines auxquelles les États membres ne parviennent à faire face ». André Gattolin milite dès lors pour l’instauration de listes transnationales pour les élections européennes et l’organisation, en même temps que ces élections, de « référendums consultatifs sur des questions et des orientations bien identifiées qui mériteraient d’être soumises à l’ensemble des Européens ».

 

Si Gattolin salue la « très bonne nouvelle » d’un quasi-doublement de la capacité budgétaire de l’Union au cours des quatre prochaines années pour atteindre environ 2% de son PIB global, il estime qu’il faut se garder de tout triomphalisme, parce que cette augmentation destinée à répondre à la crise de la Covid-19 a vocation à demeurer temporaire, alors qu’il « sera indispensable de porter les ressources de l’Union à hauteur de 3% de son PIB global d’ici 2050 » pour relever les défis technologiques, résister à la concurrence internationale et assurer la pérennité du modèle social européen.

 

« Depuis quelques années, les dirigeants européens ajoutent à la promesse originelle de paix et de prospérité celle d’« une Europe qui protège ». Une promesse habile et juste sur le fond, qui répond aux inquiétudes liées à la mondialisation et au nouveau désordre planétaire », note Gattolin en relevant combien ce slogan sonne creux face à la réalité : « L’Union européenne, sans capacité militaire sérieuse, sans police fédérale, sans politique fiscale harmonisée ni véritables politiques sociales, n’est guère crédible en matière de protection ».

 

« Pour permettre de mieux appréhender l’Europe là où on vit, l’enseignement des langues et la connaissance historique partagée sont fondamentaux. L’apprentissage, dès le plus jeune âge, de deux langues européennes, en plus de celle maternelle, est une priorité. Un chantier scientifique et pédagogique d’ampleur doit sans tarder être ouvert dans le domaine de l’enseignement de l’histoire de l’Europe, de ses cultures et ses civilisations. Il faut simultanément décloisonner les narrations souvent idéologisées des histoires nationales officielles et donner plus d’aspérités et de richesse à l’histoire de l’Europe – qui, actuellement, se réduit trop souvent à une chronologie institutionnelle et acritique des grandes étapes de la construction européenne », affirme aussi Gattolin. Et il a parfaitement raison. Pour autant, comme le rappelle Alain Lamassoure dans un entretien accordé à Richard Werly, l’enseignement de l’histoire, en dépit des efforts menés par le Conseil de l’Europe, reste un sujet de propagande et de controverses. L’ancien ministre des Affaires européennes, qui a longtemps été membre du Parlement européen, y dresse un intéressant état des lieux de l’enseignement de l’histoire que l’observatoire HOPE devra affiner tout en servant d’espace de dialogue et d’échange sur les bonnes pratiques. Cet observatoire a été créé le 12 novembre 2020 sous la forme d’un accord partiel réunissant 17 États membres du Conseil de l’Europe. (Olivier Jehin)

 

André Gattolin, Richard Werly. Europe – Rallumer les étoiles. Nevicata. ISBN : 978-2-87523-142-0. 124 pages. 9,00 €

 

Une constitution pour les États-Unis d’Europe

 

« La dégradation du contexte international et la désagrégation de l’UE doivent inciter les citoyens européens à relancer l’union politique de l’Europe. Elle seule peut nous donner les capacités nécessaires pour apaiser nos relations avec notre voisinage et nos partenaires : cela nécessite une Europe puissante et donc unie. C’est ce que veulent les citoyens européens. Ceux-ci tiennent à leurs différences, car ils savent qu’elles les enrichissent, mais, au chaos et à l’impuissance, ils préfèrent l’unité dans la diversité et la cohérence », affirme André Flahaut dans la préface de cet ouvrage. S’il reconnait que l’Europe fédérale demeure à ce jour une utopie, l’ancien ministre belge de la Défense (1999-2007) et président de la Chambre des représentants (2010-2014) n’en estime pas moins que « nous devons rapidement convaincre les dirigeants d’au moins deux des États membres de l’UE et de l’OTAN de créer les États-Unis d’Europe (EUE) et une défense européenne réelle, efficiente, crédible et respectée ». Avec la conviction que, tôt ou tard, les autres pays s’y associeront.

 

Et c’est bien dans cette démarche que s’inscrit Jean Marsia, qui a notamment été directeur de l’enseignement académique de l’École royale militaire (2003-2009) et conseiller défense du Premier ministre. L’auteur part du constat que « la souveraineté des États membres et le mode de gestion intergouvernementale de l’UE l’ont conduite à la paralysie, à la gabegie financière, à l’impuissance opérationnelle, à l’absence de crédibilité politique ». Et de poursuivre : « L’Europe de la défense n’a guère progressé depuis 2005, tandis que le respect de l’État de droit et la zone Schengen régressent. Ses États membres sont de plus en plus nombreux à verser dans l’autoritarisme, comme dans les années 1930, à la faveur de l’incapacité des démocrates. Chacun sait les terribles conséquences de certains très mauvais choix électoraux faits à l’époque. Évitons ce genre de scénarios. Si elle se dotait d’institutions adéquates, l’Europe pourrait convaincre les grandes puissances d’adapter, comme elle-même devrait le faire, leur comportement à l’intérêt général. Elle a la taille et le poids économique et démographique nécessaires pour ce faire, ce que n’ont pas ses États membres ».

 

« C’est ‘l’union de plus en plus étroite’ que nous devons viser : passer de la désunion de l’UE à la fédération, aux EUE », affirme Jean Marsia, en soulignant qu’il est « impératif de renverser ce qui est devenu, à cause de Mme Thatcher et de la faiblesse des autres leaders de l’époque, la logique de l’UE : chaque État membre recherche son avantage, au détriment de l’intérêt commun ». « Appeler au fédéralisme en ces heures critiques où la pandémie fait des milliers de victimes et où les gouvernants européens cèdent à la tentation de se protéger par la fermeture des frontières et le confinement des Européens est sans aucun doute utopique, mais l’utopie est moins mortifère que l’inaction, le conformisme, l’égoïsme et le narcissisme de ces gouvernants », ajoute l’auteur avant de proposer un projet de constitution fédérale qui est un curieux patchwork

 

L’auteur à la fibre gaulliste va puiser aux sources de la Ve République, un régime présidentiel avec un président élu au suffrage universel direct à l’échelle européenne pour un mandat de sept ans. À l’américaine, ce président prête serment et nomme aux plus hautes fonctions, y compris un gouvernement (avec un Premier ministre et sept ministres ; pourquoi sept ?), ces nominations étant soumises à l’approbation du Parlement. Le président est le chef des armées et conduit les politiques de défense et des affaires étrangères et a, dans ces matières, comme principal interlocuteur un Sénat composé de membres désignés par les États membres. La politique intérieure est mise en œuvre par le gouvernement sous le contrôle du Parlement dont les membres sont élus tous les cinq ans au suffrage universel direct sur la base d’un système électoral européen unique gommant les différences qui subsistent actuellement dans le cadre de l’élection des députés au Parlement européen.

 

Et Jean Marsia de rêver d’un président qui pourrait non seulement opposer un veto aux lois votées par le Parlement et le Sénat, mais aussi dissoudre le Parlement, alors qu’il faudrait une majorité des deux tiers des deux assemblées pour le révoquer. Cet hyper président n’aurait en outre que l’obligation d’informer le Parlement, dans les 48 heures, du lancement d’une opération militaire, sans que ce dernier ne puisse se prononcer sur son opportunité pendant les quatre premiers mois de l’opération. Il est des rêves qui méritent de le rester. (OJ)

 

Jean Marsia. Une constitution fédérale pour les États-Unis d’Europe – Pourquoi et comment ? Société européenne de défense AISBL. ISBN : 978-2-96025-530-0. 274 pages. 17,00 €

 

L’homme en rouge

 

« L’homme en rouge » n’est pas vraiment un roman, même s’il se lit comme un roman ou se laisse parcourir comme une fresque dont le foisonnement des détails semble infini. Une fresque ou un gigantesque cabinet de curiosités. À moins que ce ne soient plusieurs cabinets de curiosités entre lesquels nous sommes appelés à circuler à la redécouverte de la Belle Époque. Il y a bien sûr celui de l’homme en rouge qui collectionne les œuvres et les conquêtes féminines. Mais autour de lui gravitent d’autres collectionneurs, d’art comme de ragots, de femmes ou d’hommes. Et puis il y a l’éditeur qui nous offre un ouvrage superbement illustré, avec des toiles, parfois en couleur, des photos et une collection de vignettes Felix Potin. Dans notre temps marqué par les réseaux sociaux et la téléréalité, Julian Barnes nous entraîne dans une expérience de voyeurisme -2.0 dans le Paris des années 1900.

 

L’homme en rouge, peint par John Sargent en 1881, s’appelait Samuel Pozzi. Chirurgien et père de la gynécologie française, il fut très apprécié des dames de la bonne société comme des comédiennes, dont Sarah Bernhardt, et des artistes. Il offre un titre et un prétexte à cet ouvrage qui fait une large place à bien d’autres personnages de l’époque, excentriques ou scandaleux : Edmond de Goncourt, Oscar Wilde, Robert de Montesquiou… « Institution vague, aussi bizarre que le duel », le dandysme, dans lequel Baudelaire voyait « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences », y est omniprésent.

 

« J’écrivais ce livre pendant ce qui allait se révéler être la dernière année avant la sortie de la Grande-Bretagne, par égarement et masochisme, de l’Union européenne. Et la maxime du docteur Pozzi (« le chauvinisme est une des formes de l’ignorance ») me venait fréquemment à l’esprit tandis que l’élite politique anglaise, incapable de s’imaginer dans la tête des Européens (ou peu disposée à le faire, ou trop bête pour le faire), se comportait encore et encore comme si ce qu’elle voulait elle-même et ce qui allait se produire étaient probablement la même chose », écrit Julian Barnes dans une note. Et d’ajouter : « Malgré tout, je refuse d’être pessimiste. Ce temps passé dans la lointaine, décadente, trépidante, violente, narcissique et névrotique Belle Époque m’a laissé plutôt confiant. Surtout grâce au personnage de Samuel Jean Pozzi. Dont les ancêtres vinrent d’Italie en France. Dont le père épousa une Anglaise en secondes noces. Dont le demi-frère épousa une Anglaise à Liverpool. Qui faisait confectionner ses costumes et ses tentures avec des tissus expédiés de Londres. (…) Qui était rationnel, scientifique, progressiste, international et s’intéressait constamment à tout ; (…) qui emplissait son existence de médecine, d’art, de livres, de voyages, d’amis et connaissances, de politique et d’autant de sexe que possible (de cela on ne peut tout savoir) ».

 

« La Belle Époque fut une période de grande richesse pour les plus fortunés, de pouvoir social pour l’aristocratie, de snobisme débridé et complexe, d’impétueuse ambition coloniale, de patronage artistique, et de duels dont le degré de violence reflétait souvent une irascibilité personnelle plus qu’un honneur bafoué », souligne encore l’auteur, qui s’interroge toutefois sur notre propension à juger le passé : « Qu’y a-t-il dans le présent qui le rende si impatient de juger le passé ? Il y a toujours une tendance à la névrose dans le présent, qui se croit supérieur au passé, mais ne peut tout à fait surmonter une anxiété persistante à l’idée qu’il pourrait ne pas l’être. Et derrière cela, il y a une autre question : qu’est-ce qui nous permet de juger ? Nous sommes le présent, c’est le passé : cela suffit généralement pour la plupart d’entre nous. Et plus le passé s’éloigne, plus il devient tentant de le simplifier. Si grossière que soit notre accusation, il ne répond jamais, il reste silencieux ». À méditer… (OJ)

 

Julian Barnes. L’homme en rouge. Titre original : The Man in the Red Coat. Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin. Mercure de France. ISBN : 978-2-7152-5402-2. 304 pages. 23,80 €

 

États-Unis : la fin d’un mythe

 

Le dernier numéro de la revue Futuribles propose une intéressante analyse des évolutions sociopolitiques et des tendances démographiques (sur la base du dernier recensement) aux États-Unis. Dans sa chronique européenne, l’ancien fonctionnaire européen Jean-François Drevet nous rappelle que les États européens, Allemagne incluse, ont fait preuve d’une grande ingéniosité dans le passé pour trouver des solutions à des niveaux d’endettement qui n’avaient rien à envier à celui qui découlera de la crise pandémique actuelle. (OJ)

 

François de Jouvenel. États-Unis : la fin d’un mythe. Futuribles. Numéro 439, novembre-décembre 2020. ISBN : 978-2-84387-452-9. 130 pages. 22,00 €

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