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Bulletin Quotidien Europe N° 12584

20 octobre 2020
Sommaire Publication complète Par article 37 / 37
Kiosque / Kiosque
N° 023

Une farouche liberté

Cet entretien donne une dernière fois la parole à l’avocate Gisèle Halimi, qui nous a quittés le 28 juillet 2020, le jour de son anniversaire, à l’âge de 93 ans. Il retrace soixante-dix ans de combats au service de la justice et de la cause des femmes. Il est aussi, sous la plume de la journaliste Annick Cojean, un dernier hommage à cette femme qui « voulait changer le monde en plaidant ».

« Le droit était son instrument, l’insoumission sa marque de fabrique et les mots, maniés avec éloquence, ses principaux alliés », rappelle Annick Cojean avant d’ajouter : « Elle défendait, elle accusait et elle cognait. Les lois jugées injustes et archaïques, les tribunaux militaires accusés de prendre le droit en otage, la hiérarchie judiciaire masculine et machiste, les tabous toujours funestes aux femmes. Rebelle, passionnée, infatigable. Et libre. Farouchement libre ».

Gisèle Halimi se raconte, avec ses souvenirs, ses combats, ses émotions et ses mots, depuis sa première rébellion face à l’injustice de la condition féminine. On est en Tunisie en 1937. Elle a dix ans et entame une grève de la faim pour se libérer de l’obligation de servir ses frères et d’effectuer des tâches ménagères auxquelles ils ne sont pas astreints. Pendant la guerre d’Algérie, elle dénonce la torture et plaide la grâce des condamnés à mort. Mais c’est la cause des femmes et le refus obstiné d’un destin prétendument assigné par le genre qui sera le fil conducteur d’une vie de combats contre la culture patriarcale et une « justice fondamentalement misogyne ». Une lutte qui porte des fruits, comme lors du procès d’Aix-en-Provence en 1976, qui conduira à l’extension de la définition du viol et à sa reconnaissance comme un crime, ou celui de Bobigny en 1972, qui ouvre la voie de la dépénalisation de l’avortement. Autant de combats où elle croise de nombreuses personnalités et noue des liens d’amitié, comme avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Là encore, les souvenirs s’égrènent au fil des pages, jusqu’au dernier Noël en famille avec Guy Bedos. De son bref passage en politique, elle semble surtout retenir sa rencontre avec Simone Veil. Une rencontre qui la conduit à évoquer cette « Europe des peuples et non plus seulement des États », en laquelle elle avait mis beaucoup d’espoir, y compris celui de construire un droit unique européen meilleur pour les femmes, sur la base d’une harmonisation par le haut. « Une chose est sûre : l’Europe ne se fera pas sans les femmes. Mais de l’avenir des femmes peut naître celui de l’Europe », estimait Gisèle Halimi avant d’appeler les femmes à cesser de consentir à leur propre oppression.

Consciente d’avoir, avec d’autres, « déblayé le terrain », elle espère qu’une relève viendra : « Le combat est une dynamique. Si on arrête, on est foutues. Car les droits des femmes sont toujours en danger ». Et d’ajouter : « Désunies, les femmes sont vulnérables. Ensemble, elles possèdent une force à soulever des montagnes et convertir les hommes à ce mouvement profond. Le plus fascinant de toute l’histoire de l’humanité ».

Olivier Jehin

 

Gisèle Halimi avec Annick Cojean. Une farouche liberté. Grasset. ISBN : 978-2-246-82423-7. 158 pages. 14,90 €

 

La route des Balkans

Avec ce deuxième roman, la franco-allemande Christine de Mazières nous entraîne sur la route des Balkans en réveillant en nous les images et les sons qui défilaient sur les écrans en 2015. Énarque, comme son mari, maire de Versailles, Christine de Mazières est membre de la Cour des comptes, et c’est peut-être ce parcours qui entraîne chez elle le besoin d’ancrer sa narration dans une suite de faits historiques. Elle n’en réussit pas moins à nous livrer ici le récit haletant de vies qui se démêlent et s’entremêlent. L’écriture est limpide, souvent poignante, et ne manque pas de poésie. Aux images d’actualité, émouvantes, mais souvent anonymes et presque désincarnées, le roman donne des noms et des histoires, rendant aux tragédies de l’exil leur part d’humanité. Il en va ainsi de deux jeunes syriennes « déracinées, invisibles, fugitives » croisant sur la route d’autres femmes, hommes et enfants happés par cette « vie entre deux, suspendue entre deux vies ». Parce qu’il y a toujours une vie d’avant, avec ses joies, ses drames et ses désespoirs. Parce qu’il y a toujours l’espoir d’une vie meilleure, là-bas au bout de la route, dans une Europe inconnue et parfois fantasmée, que beaucoup n’atteindront jamais. Christine de Mazières croise aussi l’histoire récente des migrants avec celle de l’exode des populations allemandes fuyant l’Armée rouge à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, nous offrant ainsi sa lecture du formidable élan de solidarité qui a été celui des Allemands, même si l’accueil des réfugiés a aussi suscité des tensions en Allemagne. Au passage, elle brosse un tableau sensible de la chancelière et de « l’instant de vérité » que constitue son « Wir schaffen das ». À lire absolument ! (OJ)

 

Christine de Mazières. La route des Balkans. Sabine Wespieser Éditeur. ISBN : 978-2-8480-5346-2. 182 pages. 18,00 €

 

Nervenkrieg um Energie-Ressourcen im östlichen Mittelmeer

Dans ce numéro de la revue Südosteuropa Mitteilungen, qui couvre également l’impact de la crise pandémique dans les Balkans et sur les camps de réfugiés en Grèce, le politologue Heinz-Jürgen Axt nous livre une analyse rigoureuse de la « guerre des nerfs » qui se déroule actuellement en Méditerranée orientale autour des ressources en gaz et en pétrole. Une guerre dont le principal protagoniste est la Turquie, avec la signature en 2019 de deux accords avec le gouvernement libyen (GNA), dont le principal vise à établir une délimitation commune de leurs plateaux continentaux au centre de la Méditerranée, avec une reconnaissance par la Libye d’une étendue qui permet à la Turquie d’empiéter sur les espaces revendiqués par la Grèce, pour la Crète et d’autres îles, à l’ouest, et sur le plateau continental de Chypre, à l’est, soit, au total, pour la Turquie, un espace maritime de 460 000 km². Le second accord porte sur la coopération et l’aide militaire au GNA dans sa lutte contre les forces du général Haftar et constitue une forme de « compensation » offerte par la Turquie pour le premier accord, estime le professeur Axt tout en constatant la violation par la Turquie de l’embargo des Nations unies sur les armes à destination de la Libye. S’il rappelle que le principal motif de l’accord de délimitation vise à faire obstacle à la coopération en cours de développement entre la Grèce, Chypre, l’Égypte et Israël pour l’exploitation des ressources énergétiques présentes au sud et à l’est de Chypre, Axt souligne aussi que nul ne sait aujourd’hui quel est le volume réellement exploitable ni à quel coût, le risque étant bien réel que le pipeline envisagé pour exporter le gaz via la Grèce vers le reste de l’Union se transforme en « pipe dream ». Le professeur souligne aussi que l’accord maritime turco-libyen pose plusieurs problèmes en droit international, dont la non-prise en compte des intérêts des pays tiers riverains n’est pas le moindre. « Les deux accords entre la Turquie et la Libye ont augmenté les risques en Afrique du Nord, en Méditerranée orientale et au Proche-Orient », constate Heinz-Jürgen Axt, tout en soulignant que la Turquie est finalement toujours plus isolée. (OJ)

 

Heinz-Jürgen Axt. Nervenkrieg um Energie-Ressourcen im östlichen Mittelmeer. Revue Südosteuropa Mitteilungen. 01-02/2020. ISSN : 0340-174X. 184 pages. 15,00 €

 

Greco-Turkish Relations and Cyprus

Le dernier numéro de la lettre électronique bimestrielle In Depth est consacré aux relations entre la Grèce, la Turquie et Chypre et fait une large place aux aspirations hégémoniques de la Turquie, à ces revendications maritimes ainsi qu’aux dernières provocations à connotations religieuses, avec notamment le changement de statut de la basilique Sainte-Sophie. On y trouve en particulier un article des professeurs Theophanous et Karyos (Université de Nicosie) qui tire un certain nombre d’enseignements des précédentes crises turco-grecques en 1976 et 1987. Dans les deux cas, la Turquie a utilisé la « diplomatie de la canonnière » tout en recherchant une médiation internationale en vue d’une négociation reposant, au moins en partie, sur les préconditions turques. Selon les auteurs, cette grille de lecture peut aussi s’appliquer à la crise actuelle : « La Turquie utilise une nouvelle fois la ‘diplomatie de la canonnière’ pour empêcher un événement attendu de devenir un fait accompli : la poursuite du programme d’exploration sous-marine de la République de Chypre sans la participation de la Turquie au processus décisionnel (via les Chypriotes turcs). Dans le même temps, Ankara utilise la ‘diplomatie de la canonnière’ pour miner le renforcement des partenariats tripartites dans la Méditerranée orientale (Grèce-Chypre-Israël, Grèce-Chypre-Égypte) et les forcer à reconnaître un rôle dominant à la Turquie ». Et d’ajouter : « Les implications pour la Grèce et Chypre sont claires. Ces deux pays réussiront à atteindre un compromis honorable avec la Turquie s’ils parviennent à contrebalancer la suprématie d’Ankara dans la région. À défaut, la Turquie continuera à utiliser la puissance militaire pour imposer sa volonté à Athènes et Nicosie ».

Pour Constantinos Filis (Panteion University), il est clair que la Turquie essaie, par ses menaces constantes, par une présence constante dans la région sous la forme de survols, de violations de l’espace aérien, d’exercices aériens et navals et, récemment, au moyen de navires de surveillance sismique et de plateformes de forage, de forcer la Grèce à venir à la table de négociation et de pousser les Chypriotes grecs à accepter les conditions d’Ankara. L’auteur pointe aussi des violations du droit international et un discours agressif à l’encontre de l’Occident, de l’UE et des États-Unis, « avec l’unique exception du président Trump, qu’Erdogan considère comme un ami ». Il n’en souhaite pas moins un « nouveau rapprochement entre l’UE et la Turquie (…) avec des engagements spécifiques incluant de bonnes relations de voisinage avec la Grèce et Chypre ». Pour y entraîner la Turquie, il faudrait trouver des carottes : la mise à jour de l’union douanière et de la déclaration conjointe de mars 2016 sur la migration, l’accroissement de l’aide financière. Il faudrait aussi prévoir l’utilisation du bâton, « non pour punir la Turquie et sa population, mais pour mettre en place un cadre de règles et ouvrir la voie à un dialogue concret sur la base du droit international », ajoute Filis, en observant qu’« Erdogan gagne en confiance chaque fois qu’il voit l’UE ou les États-Unis faire montre d’un surprenant degré de tolérance par rapport aux actions de la Turquie (en Syrie, par exemple) ».

Le professeur d’économie Andreas Stergiou (Université de Thessalie) souligne que la production de gaz attendue dans la zone située au sud et à l’est de Chypre ne pourrait, dans la meilleure hypothèse, fournir que moins d’un huitième de la consommation de l’UE. Il rappelle aussi que Turkish Petroleum, qui effectue les forages au large de Chypre, ne dispose ni du capital ni des compétences pour en assurer l’éventuelle exploitation. L’ensemble de ces activités ne vise donc, selon lui, qu’à « semer le trouble et à contraindre le reste de la Méditerranée orientale à se soumettre » au leadership de la Turquie en matière d’énergie. « La Turquie porte sans ambiguïté l’ambition d’être reconnue comme une superpuissance régionale. Elle ne peut pas rejoindre une coopération multilatérale comme un membre à égalité avec les autres. C’est plutôt un pays qui dicte les termes aux autres », constate Stergiou, qui souligne que, si la crise actuelle devait dégénérer en confrontation militaire, il n’y aurait pas de gagnant. Pour la Turquie, cela conduirait à « la fin irrévocable » de sa candidature à l’Union européenne (laquelle, il est vrai, n’a pas encore été officiellement actée), à un gel de sa participation à l’OTAN et à d’autres sanctions dommageables. Quant à la Grèce, elle subirait une débâcle militaire et une nouvelle crise économique sans précédent avant même que la précédente ait pris fin, craint l’auteur qui ne croit pas que la France soit prête à venir aider militairement la Grèce contre la Turquie. (OJ)

 

Andreas Theophanous (sous la direction de). Greco-Turkish Relations and Cyprus. In Depth. Volume 17, Issue 5, septembre 2020. La lettre électronique est téléchargeable gratuitement sur le site Internet du Cyprus Center for European and International Affairs de l’Université de Nicosie (http://cceia.ac.cy )

 

L’antieuropeismo nella politica americana è destinato a restare

Dans cet article, le doctorant Francesco Violi estime qu’il existe aujourd’hui une véritable attitude anti-européenne au sein du Grand Old Party et qu’elle se maintiendra bien au-delà du mandat actuel de Donald Trump. Cette attitude de la droite américaine est l’expression d’une idéologie fondée sur l’opposition à toute forme de contrat social et à toute intervention publique dans l’économie. Du fait de son modèle et de ses prétentions à réguler l’économie, à protéger les données personnelles ou encore à lutter contre le dérèglement climatique, « l’Union européenne est un obstacle à éliminer ». « Le fait qu’un tel discours soit aussi fort dans l’un des deux partis du système étatsunien constitue un risque plus grave pour l’Union que le revanchisme russe de Poutine (…) et l’émergence de la Chine », estime l’auteur, qui ajoute que l’Europe ne devrait pas, dans de telles conditions, laisser plus longtemps les États-Unis exercer un rôle hégémonique dans le système atlantique. Elle doit, au contraire, devenir plus autonome et, selon Violi, cela passe, d’une part, par « une politique de sécurité et de défense unie » sous le contrôle du Parlement européen, avec une politique industrielle de défense propre et un budget conséquent et, d’autre part, par « un saut constitutionnel ».

La revue fédéraliste de Milan contient aussi un intéressant article du biologiste Massimo Malcovati, qui voit dans le Green Deal, la politique numérique et la nouvelle stratégie industrielle les outils de la reconstruction économique de l’Europe en sortie de crise pandémique, sous réserve de l’attribution à l’Union européenne d’une « capacité fiscale au moins partielle » pour financer cet effort. L’auteur plaide aussi pour une meilleure coordination européenne des politiques économiques nationales. (OJ)

 

Francesco Violi. L’antieuropeismo nella politica americana è destinato a restare. Revue Il Federalista. Anno LXII, 2020, numéro 1-2. ISSN : 1970-688X. 152 pages. http://www.ilfederalista.eu

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