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Bulletin Quotidien Europe N° 12358

29 octobre 2019
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N° 002

Artisans de l’Europe

Publié à l’occasion de la présidence française du comité des ministres, cet ouvrage célèbre les 70 ans du Conseil de l’Europe, né en 1949 sur un continent dévasté par la guerre, avec pour ambition première de réunir les États européens dans un ensemble pacifié et démocratique, respectueux des droits de l’Homme. Les travaux de cette organisation paneuropéenne, qui réunit aujourd’hui 47 pays et entend protéger 830 millions de personnes, ont permis, au fil de son histoire, de développer des instruments irremplaçables comme la Convention et la Cour européennes des droits de l’Homme, la Convention culturelle ou encore la pharmacopée européenne. « Le Conseil de l’Europe c’est l’Europe à hauteur d’homme et à dimension de continent. C’est une entreprise d’humanité », résume Emmanuel Macron, qui signe la postface de cette collection de 30 témoignages qui nous rappellent le rôle éminent joué par cette organisation dans l’abolition de la peine de mort, la lutte contre la torture, les traitements inhumains et dégradants, les châtiments corporels, les violences à l’égard des femmes et des enfants, la traite des êtres humains ou encore le racisme et les diverses formes de discrimination.

Les textes qui constituent l’ouvrage ont été rédigés par des personnalités (secrétaires généraux, secrétaires généraux adjoints, président de la Cour européenne des droits de l’Homme) ou des agents de l’organisation plus anonymes, dans des styles très différents, allant de l’anecdotique à l’historique, du témoignage sur un événement particulier à la description d’un processus, le tout parsemé de commentaires ou de convictions personnelles. Il s’ouvre sur les souvenirs de l’un des premiers agents du Conseil de l’Europe, Félix Kappler, lors de l’été 1949, avant d’enchaîner les événements qui ont jalonné l’histoire du continent et de l’organisation, avec en particulier la chute du rideau de fer et la guerre dans les Balkans.

Dans un chapitre intitulé « La patrie de la démocratie bafouée », Peter Leuprecht, secrétaire général adjoint entre 1993 et 1997, nous raconte l’histoire du coup d’État de 1967 en Grèce et de la dictature des colonels, avec les souvenirs de ses rencontres avec ces « redoutables dictateurs d’opérette » lors des visites effectuées dans le pays avec le parlementaire néerlandais Max van der Stoel, acteur principal des dénonciations et des pressions qui permirent d’aboutir à une « suspension de facto » de la Grèce, fin 1969. Pour lui, « il est incontestable que l’action du Conseil de l’Europe a apporté une contribution essentielle à l’isolement et, finalement, à la chute de la dictature en Grèce » en juillet 1974. « Quant au rôle joué par les États-Unis et l’OTAN, il donne à réfléchir. Comme si souvent dans d’autres pays, les États-Unis ont défendu le régime militaire et dictatorial en Grèce ; les colonels étaient considérés comme des alliés fidèles de l’OTAN. Le gouvernement américain a fait des pieds et des mains pour empêcher l’action du Conseil de l’Europe contre le régime grec », écrit-il. Et d’ajouter : « Fait qui ne manque pas de piquant : pour leur coup, les colonels ont usé et abusé d’un plan secret de l’OTAN pour les cas de soulèvement communiste. Or, il n’y avait pas de soulèvement ni de menace d’un tel soulèvement. Dans la propagande officielle, l’OTAN est présentée comme une école de démocratie, notamment pour les forces armées de ses États membres. Ce n’est absolument pas ce qu’elle a été en Grèce à cette époque ».

L’ancien ambassadeur russe Alexandre Orlov revient sur le rôle joué par Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 80 et sur le concept de « maison commune » proposé lors d’un discours prononcé à Strasbourg en juillet 1989 par le dernier président de l’Union soviétique. Il y souligne « la dette morale et politique que l’Europe et le monde ont envers celui qui a permis que des changements aussi révolutionnaires se fassent de façon pacifique ». « Sa vision d’une « maison européenne commune » semble aujourd’hui inaccessible, mais elle reste pour moi d’actualité, pour dépasser les tensions, les confrontations et les incompréhensions qui se sont manifestées et même exacerbées, depuis quelques années. Aujourd’hui, vingt-trois ans après l’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe, mon attachement à cette institution qui représente les valeurs communes de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’Homme est intact. Je suis convaincu qu’il est urgent de recréer une dynamique positive de dialogue et de coopération entre tous les pays de notre vieux continent, afin de poursuivre l’édification d’un espace juridique commun qui constitue la seule voie susceptible de garantir la paix et la stabilité à l’Europe », affirme l’ancien ambassadeur russe.

C’est aussi le rapprochement entre les deux anciennes parties du continent qu’a choisi d’évoquer Catherine Lalumière, secrétaire générale de 1989 à 1994, qui avoue qu’à son arrivée à Strasbourg, « les caractéristiques du Conseil (lui) paraissaient extrêmement floues », avant de reconnaître l’importance des valeurs et du rôle du Conseil de l’Europe et d’affirmer sa conviction que la construction européenne ne pourra être solide et perdurer que si l’on arrive à rassembler les deux morceaux du projet initial. « Aujourd’hui, les citoyens européens ne savent plus très bien où ils en sont. Ils ne voient pas clairement les objectifs. Ils ne comprennent pas bien les choix présentés par l’Europe. Et finalement, je pense qu’il nous faut reconstituer ce projet européen dans sa totalité afin qu’il puisse répondre aux attentes. Il faut que le sens du projet soit clair et ne se limite pas à réaliser un grand marché ou une zone de libre-échange. Le projet européen inclut aussi des valeurs spirituelles, des manières de penser et des manières de vivre qui comprennent non seulement les grandes libertés publiques, les droits de l’Homme et l’État de droit, mais aussi la solidarité, la justice sociale, le respect de l’autre… sur lesquelles le Conseil de l’Europe n’a cessé de travailler, mais que, malheureusement, l’UE a, jusqu’à présent, laissées au second plan », estime Catherine Lalumière.

Gabriella Battaini-Dragoni, secrétaire générale adjointe depuis 2012, profite de cet ouvrage pour rappeler l’importance de la convention culturelle qui rassemble aujourd’hui 50 pays (les 47 États membres du Conseil de l’Europe, plus le Saint-Siège, la Biélorussie et le Kazakhstan). La culture, écrit-elle, « peut – et doit – résister à certaines tendances de la société : d’un côté l’intolérance inspirée par un égoïsme aveugle ou, d’un autre côté, la tolérance excessive de l’exploitation inconsidérée des ressources ou des technologies ». « Il semble évident que personne ne songerait à essayer d’harmoniser la culture européenne. Réduire sa grande diversité impliquerait son appauvrissement et, finalement, sa mort », souligne-t-elle, avant de rappeler la citation prêtée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». Et d’ajouter : « À l’heure où des voix s’élèvent, face à la résurgence des nationalismes et la montée des populismes, pour réclamer une refondation et même une renaissance de l’Europe, il est peut-être temps de (re)mettre la culture au cœur du projet européen ».

« Le dernier chapitre de cet ouvrage reste à écrire. Le Conseil de l’Europe, comme d’autres institutions multilatérales, est contesté, parfois même de l’intérieur, par des forces nationalistes et populistes. De grands États membres remettent en cause les engagements pris au moment de leur adhésion, certains membres de l’Union européenne font des entorses à nos principes communs. L’État de droit est menacé, les libertés sont en péril. L’autorité même de la Cour est contestée au nom des souverainetés nationales », constate Emmanuel Macron, avant de conclure : « Il était donc salutaire de rappeler, grâce à cet ouvrage, combien la construction européenne avait demandé d’engagement, de ténacité et de patience. Et combien elle en demande encore ». Olivier Jehin.

 

Denis Huber (sous la direction de). Artisans de l’Europe. 30 témoignages pour 70 ans d’histoire 1949-2019. Éditions La Nuée Bleue. ISBN : 978-2-7165-0880-3. 352 pages. 20,00 €

 

Brexit – Der Binnenmarkt im Rückwärtsgang

Avec ce petit ouvrage rempli d’exemples concrets et accessible à tous, l’ancien député européen Karl von Wogau (il l’a été durant trente ans, de 1979 à 2009), raconte le démantèlement des douanes et le développement du marché intérieur. Publié à compte d’auteur, ce livre, émaillé de souvenirs personnels et d’anecdotes, doit être le premier d’une trilogie, l’auteur envisageant d’évoquer prochainement deux autres sujets auxquels il s’est consacré lorsqu’il était député : la monnaie unique et la défense européenne.

Au-delà de l’argumentaire en faveur du marché intérieur et du rappel des efforts qui ont été nécessaires pour le rendre possible, l’ouvrage souligne aussi le retour en arrière que constitue le Brexit et les conséquences qui en découleront : réapparition de la paperasserie douanière, de contrôles et de files d’attente à des postes de contrôle, augmentation des effectifs des douanes, obligation pour les entreprises de respecter des normes et des règles susceptibles d’évoluer différemment, etc. L’ampleur et le coût de ces conséquences restent à l’heure actuelle incertains, mais elles auront inévitablement un impact sur la compétitivité des entreprises.

Selon Karl von Wogau, il est désormais nécessaire de remettre l’Europe sur ses pieds et cela suppose de développer trois dimensions, sur la base de vitesses différentes : le marché intérieur, qui doit aussi être, sous certaines conditions, ouvert aux voisins de l’Union européenne, en particulier le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège ; la zone euro, avec des règles de participation strictes ; une Union de défense avec une « véritable » armée européenne, qui doit être financée à partir du budget de l’Union européenne. (O.J.)

 

Karl von Wogau. Brexit – Der Binnenmarkt im Rückwärtsgang. Amazon Fulfillment. ISBN : 978-1-794-35787-7. 119 pages. 12,99 €

 

L’extrême droite en Europe occidentale (2014-2019)

Bien que cette étude laisse de côté la vaste gamme de mouvements et de groupuscules d’extrême droite dont il conviendrait également d’examiner l’évolution, le centre de recherche et d’information sociopolitiques (CRISP) présente une radioscopie de l’extrême droite en Europe de l’Ouest au cours des quinze dernières années, marquées par une progression des résultats électoraux des formations politiques nationales-populistes et d’extrême droite. Une progression qui est le fruit d’efforts de dédiabolisation avec, à la clef, des formes de légitimation ou de normalisation, totale ou partielle et toujours contestée, de ces partis, qu’il s’agisse du Rassemblement national en France, de la Lega en Italie ou encore du Vlaams Belang en Belgique, pour n’en citer que trois. Mais une progression, qui conduit également à une influence politique croissante dans le débat national et qui se traduit, dans un certain nombre de pays (Autriche, Finlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Suisse), par la participation à une coalition gouvernementale et qui, dans d’autres (Danemark et Pays-Bas), repose sur le soutien externe à un gouvernement minoritaire.

De nombreux facteurs et parfois leur combinaison expliquent cette progression. Ils varient d’un pays à l’autre : crise économique, peur de la mondialisation, effets de la crise migratoire, place laissée vacante dans le débat politique, professionnalisation ou fragmentation des mouvements politiques, popularité de leurs leaders. « Les cas irlandais, islandais, portugais et – jusque récemment en tout cas – espagnol montrent à quel point des pays fortement affectés par une crise économique peuvent, malgré cela, être épargnés par l’extrême droite. À l’inverse, des pays peu affectés par une crise économique, comme la Norvège et la Suisse, voient prospérer des formations politiques appartenant à ce courant politique », souligne en conclusion cette étude, qui peut paraître infirmer l’explication classique du développement de ces partis, mais rappelle aussi que la culture politique ou l’histoire de chaque pays peut, selon le cas, faciliter ou freiner leur développement. Enfin, cette étude nous rappelle que, si les formations radicales ou extrémistes diffèrent dans leurs discours et dans leurs objectifs, elles trouvent dans une posture antisystème, souverainiste et eurosceptique un moyen de tirer avantage des scandales qui sont trop régulièrement mis à jour dans différents pays et de l’incapacité des institutions et des partis politiques traditionnels à achever la construction européenne.

La situation présentée dans cette étude réalisée par Benjamin Biard est celle arrêtée début septembre 2019. Elle analyse l’évolution dans dix-huit pays, soit trois de plus (Finlande, Islande et Malte) que dans l’étude précédente du CRISP sur le même sujet, publiée en 2004. (O.J.)

 

Benjamin Biard. L’extrême droite en Europe occidentale (2014-2019). Courrier hebdomadaire n° 2420-2421. CRISP (http://www.crisp.be ). ISBN : 978-2-87075-217-3. 104 pages. 12,40 €

 

La merveilleuse histoire de l’Europe

Voilà un bien bel ouvrage. Qu’il s’agisse de son format, du rédactionnel qui se lit vraiment comme une histoire ou encore du graphisme et des illustrations que l’on doit à des élèves de la Haute École des Arts du Rhin, ce petit livre, qui s’adresse (d’abord) aux jeunes générations, est une belle réussite. Il nous fait traverser les 70 dernières années, qui ont vu « des avancées rapides, prodigieuses et insuffisantes » après nous avoir fait parcourir toute l’histoire depuis le mythe d’Europe. Il nous rappelle aussi que « l’unité de l’Europe est certes géographique, mais (qu’) elle est surtout le fruit d’une éthique, d’un profond désir de paix et d’une tradition humaniste née sur les bords du Rhin ».

« Je ne crois pas en n’importe quelle Europe, je crois en un projet qui place au cœur les citoyens européens. Je ne crois pas que l’Europe soit un simple marché. Je crois en une véritable démocratie européenne qui garantit les droits fondamentaux et l’égalité des citoyens du continent. Ce fut l’utopie de nombreuses générations, ça doit être la réalité de notre génération. Il reste encore tant de combats à mener, tant de victoires à saisir pour voir émerger cette démocratie européenne, pour lui donner les moyens de répondre aux défis de notre époque. Ces défis s’appellent humanisme, fraternité et écologie » écrit Hervé Moritz, président des Jeunes européens, qui signe la postface. Et de conclure : « C’est à nous tous, citoyens de l’Europe, à nous, jeunes du continent, de prendre le flambeau, de porter ce combat, de repousser les tentations nationalistes pour prendre la relève des fondateurs de l’Europe. Ayons confiance dans une démocratie pleine et entière, ouverte et inclusive, pour répondre aux défis de notre époque. À nous de continuer à écrire la merveilleuse histoire de l’Europe. Soyons une génération engagée de refondateurs de l’Europe ». (O.J.)

 

Jean-Louis de Valmigère (sous la direction de). La merveilleuse histoire de l’Europe. Editions Hervé Chopin (http://www.hc-editions.com ). ISBN : 978-2-3572-0435-5. 122 pages. 14,50 €.

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