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Bulletin Quotidien Europe N° 13408

14 mai 2024
Sommaire Publication complète Par article 35 / 35
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N° 106

Le financement des biens publics mondiaux

Comme à son habitude, la Revue d’économie financière nous livre à travers ce numéro un vaste tour d’horizon des débats, enjeux et perspectives d’un dossier crucial, en l’occurrence la gestion des biens publics mondiaux. À telle enseigne que cette recension sera bien incapable de couvrir les nombreuses problématiques qui y sont traitées.

Le monde est confronté à une « polycrise » sans précédent qui « affecte la fourniture – et la durabilité – des biens publics mondiaux : le climat, la nature, la stabilité financière, etc. », nous rappelle d’emblée Charlotte Gardes-Landolfini (FMI), en soulignant combien « l’interconnexion croissante entraîne à la fois une augmentation des défis critiques communs et une variété de dilemmes pour les résoudre ». À la définition des ‘biens publics mondiaux’, promue par la Banque mondiale au début des années 2000, le directeur de recherche du CNRS, Gaël Giraud, préfère celle moins ambiguë des ‘biens communs mondiaux’, développée par Elinor Ostrom, notamment du fait qu’elle permet de mieux prendre en compte les interactions entre différents agents, tant privés que publics, avec les biens en question. Il rappelle ainsi que les multinationales ou des initiatives privées, comme celle de médecins français qui ont développé une plateforme (Drugs for Neglected Diseases Initiative - DNDi) pour offrir des traitements à des patients non solvables dans les pays du Sud, peuvent, dans certains cas, être parties aux problèmes qui affectent les biens communs, mais méritent aussi d’être impliqués dans leur résolution, avec, comme corollaire, la nécessité identifiée dès 2002 par l’ancien directeur Europe de la Banque mondiale, Jean-François Rischard, d’inventer de nouvelles institutions internationales hybrides.

Le chercheur Ruchir Agarwal (Harvard Kennedy School) et le diplomate norvégien John-Arne Røttingen évoquent les risques et menaces qu’entraînent, sciemment ou non, les « destructeurs clandestins » à partir de six exemples concrets : la pandémie de Covid-19, les armes biologiques et chimiques, la géo-ingénierie (gestion du rayonnement solaire ainsi que le captage et stockage de carbone), l’intelligence artificielle, la prolifération nucléaire, les cybermenaces. Sans nier que des acteurs étatiques puissent avoir un comportement destructif, les auteurs soulignent que « les acteurs non étatiques peuvent créer, exploiter ou entraver des menaces sur les biens publics mondiaux de nombreuses façons ». « Ils peuvent, par exemple, créer ou accentuer des menaces en vendant des produits d’espèces sauvages qui transmettent des maladies zoonotiques, déployer des systèmes d’IA présentant des risques sociaux ou existentiels ou encore utiliser des armes nucléaires en causant des destructions massives. Ils pourraient également exploiter ces menaces en tirant profit de biens ou de services illicites qui s’y rapportent, en perturbant les systèmes d’information ou en manipulant ces questions à des fins politiques ou idéologiques. Par ailleurs, ils peuvent entraver des solutions de biens publics mondiaux en sapant des normes ou des règles, en s’opposant aux autorités responsables ou en résistant à la mise en œuvre de mesures de prévention », écrivent les auteurs, qui préconisent d’établir et de renforcer des « plateformes de collaboration » entre différents acteurs non étatiques, tels que multinationales, organisations non gouvernementales et citoyens, au niveau national comme international. Cette implication accrue, conjuguée avec le développement de codes de conduite, de mécanismes incitatifs et de sanctions, pourrait, selon eux, contribuer à pallier « l’absence de gouvernance et de mécanismes de coordination mondiaux efficaces ».

Au-delà des problèmes de gouvernance, plusieurs articles soulignent l’insuffisance et l’extrême fragmentation des financements actuellement disponibles pour préserver les biens publics mondiaux. Le président de l’Agence française de développement, Philipe Le Houérou, souligne l’opacité qui entoure les fonds environnementaux et climatiques et appelle à faire le ménage parmi la centaine de fonds concernés.

« On connaît la planète Terre, il est urgent que l’on s’intéresse de plus près à la planète mer », écrit Robert Calcagno, directeur général de l’Institut océanographique de Monaco, dans un article qui souligne les enjeux océaniques. L’auteur revient sur la territorialisation de la haute mer consécutive à l’entrée en vigueur en 1994 de la convention de Montego Bay et l’extension à 200 miles nautiques (370 km) de la zone économique exclusive, mais aussi sur les efforts entrepris depuis pour fixer des règles dans les 64% restants de la haute mer, où les actes de prédation et pollution sont en constante augmentation. L’auteur juge encourageante la signature en mars 2023, après quinze ans de discussions, du traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines au-delà des juridictions nationales. Parce qu’il comporte un engagement à protéger 30% de l’océan et permet la création d’aires marines protégées en haute mer. Mais encore faut-il qu’il puisse entrer en vigueur après avoir recueilli 60 ratifications, « ce qui peut prendre plusieurs années ». (Olivier Jehin)

 Association Europe-Finances-Régulations. Le financement des biens publics mondiaux. Revue d’économie financière n° 151, 3e trimestre 2023. ISBN : 978-2-3764-7087-8. 385 pages. 35,00 €

Le financement de la dépendance

« La population européenne vieillit. L’augmentation de l’espérance de vie, conjuguée à la baisse des taux de natalité, devrait entraîner une augmentation de l’importance des personnes âgées dans l’Union européenne », constate le professeur d’économie Pierre Pestieau (HEC, Uliège et UCLouvain) à l’entame de ce numéro de la Revue d’économie financière consacré à la dépendance. Et de préciser : « Le nombre des plus de 65 ans devrait augmenter de 41% au cours des trente prochaines années. De plus, le nombre des plus de 80 ans devrait augmenter encore plus, de 88%, en 2050. En conséquence, le ratio de dépendance des personnes âgées devrait augmenter de manière significative, passant de 34% en 2019 à 59,2% en 2070, soit une augmentation de plus de 70% pour l’ensemble des pays de l’UE ».

« Dans une étude récente portant sur les États-Unis, Gupta e.a. (2022) étudient les effets de l’actionnariat privé sur le bien-être des patients dans les maisons de retraite. Ils montrent que cet actionnariat augmente la mortalité à court terme des résidents de 10%, soit 20 150 vies perdues au cours de la période d’échantillonnage de douze ans. Ce phénomène s’accompagne d’une baisse d’autres mesures du bien-être des patients, telles qu’une mobilité réduite », constate l’auteur, avant de souligner que, dans le même numéro, son confrère belge Matthias Dewatripont (ULB) plaide en faveur d’une transformation des entreprises cotées en bourse en « entreprises à mission, structures juridiques qui permettent de poursuivre explicitement, à côté des intérêts des actionnaires, propriétaires légaux de l’entreprise, ceux des résidents ou du personnel des EHPAD (selon l’acronyme en usage pour les maisons de retraite en France : Ndr.) ». Parce qu’en dépit des nombreux scandales de traitements inhumains et dégradants qui ont plus particulièrement frappé ces dernières années la France, où l’exploitation capitaliste du grand âge comme du reste la gestion néolibérale du système hospitalier ont fait des ravages, la remise en question reste très limitée.

L’auteur s’y refuse d’ailleurs, par une belle pirouette : « Faut-il pour autant favoriser le ‘rester chez soi’ et l’aide informelle ? Rien n’est moins sûr dans des cas de dépendance lourde. D’abord, des situations de maltraitance domestique sont aussi à déplorer. Ensuite, le burn-out, qui en partie explique la maltraitance, crée chez les aidants familiaux des problèmes de santé aux coûts individuels et sociaux trop souvent méconnus. De nombreuses études rapportent un état de santé physique et mental dégradé chez les aidants et détectent aussi dans cette population des risques de surmortalité ». Commentaire : Qui pourrait contester que les cas de « dépendance lourde » puissent nécessiter une forme de prise en charge particulière ? Mais pourquoi diable celle-ci devrait-elle passer par des entreprises à but lucratif ? En quoi, les maltraitances domestiques – qui affectent du reste aussi dans bien des situations des femmes ou des enfants – viendraient-elles excuser celles qui interviennent dans des EHPAD ? Et, enfin, pourquoi ne pas envisager un accompagnement des personnes âgées à domicile et des aidants familiaux, comme cela se pratique dans plusieurs pays du nord de l’Europe ?

« Selon Santé Publique France, au cours de la première vague, au printemps 2020, le nombre de décès liés à la Covid-19 dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) représentait environ 44% du total des décès liés à la Covid-19 en France. Selon l’institut canadien d’information sur la santé (ICIS), ce nombre de décès représentait environ 66% du total des décès en Espagne, mais 34% en Allemagne et seulement 15% aux Pays-Bas », rappellent Mathieu Lefebvre (Université de Strasbourg) et Jérôme Schoenmaeckers (ULiège), qui ont analysé les données de l’enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (SHARE) afin de déterminer s’il existe une surmortalité chez les résidents des EHPAD par rapport à ceux qui vivent à leur domicile. « Nos résultats montrent que résider dans un EHPAD augmente le risque de mortalité », écrivent-ils, avant de détailler : « Si l’on considère les pays européens séparément, nous observons une surmortalité dans les pays d’Europe du Nord, d’Europe centrale et d’Europe de l’Est de notre échantillon. En particulier, nous constatons une surmortalité en Suède, en Belgique, en Allemagne et en Suisse, en République tchèque et en Estonie. À l’inverse, nous ne constatons pas de surmortalité statistiquement significative dans les pays du Sud : Italie et Espagne. En examinant les mécanismes possibles à l’origine de ces résultats, nous identifions le rôle des dépenses publiques pour les soins de longue durée et les ressources globales consacrées aux maisons de retraite, mais également la place de la famille comme substitut à ces institutions. En outre, la part des maisons de retraite à but lucratif dans un pays semble avoir un effet sur la mortalité ». (OJ)

Association Europe-Finances-Régulations. Le financement de la dépendance. Revue d’économie financière n° 152, 4e trimestre 2023. ISBN : 978-2-3764-7090-8. 305 pages. 35,00 €

Le réchauffement climatique dans les Alpes

Dans cet article paru dans la revue Futuribles, le géomorphologue et glaciologue Bernard Francou nous offre une analyse concrète et détaillée du déclin des glaciers et de l’enneigement ainsi que de ses conséquences sur la ressource en eau.

« Les petits glaciers (moins de 3 km²), comme celui de Saint-Sorlin dans le massif des Grandes Rousses, qui ne dépasse pas 3 400 mètres et s’étend sur environ 500 mètres de dénivelé, sont appelés à disparaître vers 2050 », indique l’auteur. Or, ces glaciers à l’échelle alpine sont les plus nombreux et constituent environ les trois quarts des glaciers encore existants. « Les grands glaciers (plus de 5-10 km²), dont les têtes de bassin dépassent les 3 800-4 000 mètres et qui s’étendent sur plus d’un millier de mètres de dénivelé, ont une durée de vie qui pourrait atteindre l’horizon 2080, voire dépasser de peu 2100, mais au prix d’une perte de masse de 70 à 90%. Entrent dans cette catégorie les deux plus grands glaciers français, Argentière (14 km²), qui devrait avoir disparu complètement peu avant 2100, et la mer de Glace (35 km²). Le plus grand glacier des Alpes, celui d’Aletsch (120 km²), en Suisse, pourrait demeurer jusqu’à la fin du siècle, mais au prix d’une perte de masse de 70 à 80% en 2100 », poursuit l’auteur, qui souligne aussi que même « si l’on stabilise les températures à leur niveau actuel au cours des prochaines décennies, les grands glaciers perdent, d’ici 2100, 40 à 50% de leur masse ».

Ce phénomène conjugué à la diminution des précipitations neigeuses n’est pas sans effet sur la fonction de stockage de l’eau des régions de montagne et devrait entraîner la poursuite de la baisse des débits estivaux des rivières alpines et du Rhône alors que la majorité des travaux montre « une tendance à des bilans hydriques de plus en plus déficitaires en été dans la partie sud de la France, en raison d’une baisse des pluies en été, déjà sensible depuis plusieurs décennies sur le pourtour méditerranéen, et d’une montée de l’évapotranspiration, qui est la conséquence directe de la hausse des températures ». À l’horizon 2070, avec des augmentations de températures de 3,5° en hiver et de 6,5° en été, « les régions montagneuses de la moitié sud de la France verraient les débits estivaux de leurs cours d’eau baisser dans des proportions supérieures à 50% », observe encore Bernard Francou, avant de conclure : « Sans verser dans l’alarmisme, cela doit conduire vers une gestion plus raisonnée de la ressource en eau, notamment celle qui vient des montagnes, car avec le changement climatique en cours, cette ressource ne peut plus être considérée comme inépuisable ».

À noter que le même numéro de Futuribles contient aussi un article de l’ancienne fonctionnaire européenne Catherine Veilledent, qui présente le régime de conditionnalité en matière de financements européens, récemment mis en place pour faire pression sur les gouvernements qui, comme cela a été le cas en Pologne et surtout en Hongrie, remettent en question l’État de droit et la primauté du droit européen. (OJ)

Bernard Francou. Le réchauffement climatique dans les Alpes. Futuribles n° 459, mars-avril 2024. ISBN : 978-2-8438-7474-1. 128 pages. 22,00 €

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