login
login

Bulletin Quotidien Europe N° 13368

12 mars 2024
SOCIAL - EMPLOI / Social
Les ministres de l'Emploi et des Affaires sociales des États membres s'accordent enfin sur la directive relative aux travailleurs des plateformes numériques
Bruxelles, 11/03/2024 (Agence Europe)

Les ministres de l’Emploi et des Affaires sociales des États membres de l’UE ont fini par approuver, lundi 11 mars, l’accord trouvé le 8 février avec le Parlement européen sur les travailleurs des plateformes numériques (EUROPE 13347/8). Cela sans aucun changement.

Cette nouvelle directive, présentée fin 2021 par la Commission, crée une présomption légale de salariat qui pourra potentiellement bénéficier à plus de 5 millions de travailleurs dans l’UE (sur 28 millions), que la Commission estime classés à tort comme indépendants.

S'exprimant à l'issue de la réunion, le commissaire européen à l'Emploi, Nicolas Schmit, a salué « un grand jour pour les travailleurs indépendants. Les nouvelles règles de l'UE donneront aux travailleurs des plateformes davantage de droits et de protections sans entraver la capacité des plateformes à se développer. » Il a aussi qualifié cet accord d'« historique », constituant aussi la première régulation européenne de la gestion algorithmique dans le monde du travail.

Le Conseil de l'UE a enfin trouvé « un accord solide », s'est félicité le vice-premier ministre belge et ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne, notamment pour ces millions de personnes « se trouvant dans la zone grise de la protection sociale ».

Il est aussi « soutenu par 25 États membres », a-t-il encore salué, assurant que ce texte ne s'attaquera pas à une nouvelle économie « en plein essor », indispensable aux économies et sociétés des États membres, mais permettra d'apporter une « sécurité juridique qui correspond vraiment à cette forme de travail sur le terrain ».

Cette issue positive a été rendue possible par la décision du gouvernement estonien d'accepter cet accord, mais aussi par une « surprise de dernière minute » en provenance d’Athènes, comme l’a décrite Pierre-Yves Dermagne.

Le gouvernement grec, qui, jusqu’ici, avait toujours rejeté les accords trouvés, a pu en effet également, « par esprit de compromis », approuver la dernière négociation, a dit la ministre Domna-Maria Michailidou, tout en exprimant des préoccupations, alors que l'industrie du tourisme emploie beaucoup de travailleurs en plateformes.

Deux renversements de position qui ont ainsi permis à la Présidence belge du Conseil de l’UE de conclure à une « majorité qualifiée » en faveur de ce texte.

La France et l’Allemagne sont donc les seuls deux pays membres à ne pas avoir soutenu l’accord, le ministre allemand, Hubertus Heil, ayant à nouveau rapidement indiqué l’obligation de son pays de s’abstenir sur ce texte, faute de soutien des Libéraux de Christian Lindner.

Paris, en revanche, est resté en désaccord avec le fond du texte, même si la France a indiqué pouvoir soutenir dans les prochains jours cet accord lors de la validation formelle au Conseil de l’UE, si « un addendum » y était accolé.

Le représentant français au Coreper, Cyril Piquemal, a en effet rappelé que « la France a plaidé, depuis le début des négociations, pour que le mécanisme de présomption légale proposé par la directive soit clair et repose sur des critères permettant de couvrir les faux travailleurs indépendants sans remettre en cause la situation des travailleurs véritablement indépendants ».

Alors que le texte a évolué et laisse désormais les États membres déterminer eux-mêmes les faits caractérisant le contrôle et la direction sur lesquels repose le déclenchement de la présomption légale de salariat, le Représentant français a demandé que la présomption légale ne s’applique pas « automatiquement à toutes les situations de travail de plateforme, mais à celles pour lesquelles est constaté un lien de subordination caractérisé par un contrôle et une direction ».

Il « devrait aussi revenir aux seuls États membres de déterminer ces notions de 'contrôle' et 'direction', comme cela est prévu à l’article 5.1 de la directive, et la présomption 'effective' de salariat doit constituer une facilitation procédurale effective visant à garantir aux travailleurs concernés un accès effectif à l’ensemble des droits découlant de leur statut d’emploi ».

Pour la Commission ou la Présidence belge, le texte sur la table est toutefois tout à fait de nature à répondre à « toutes les préoccupations exprimées par les États membres ». Le commissaire Nicolas Schmit a d'ailleurs jugé lundi, à l'issue des travaux, « ne pas voir l'intérêt d'ajouter des déclarations aux déclarations », alors que la Commission avait déjà précisé ses vues sur l'effectivité de la procédure de présomption à la mi-février.

De son côté, la ministre espagnole du Travail, Yolanda Diaz, tout en soutenant l’accord sur la table, a aussi critiqué la volonté de la France de s'aménager une dérogation et a rappelé sa déception quant au manque d’ambition de l'accord.

Le pays a ainsi fait à nouveau référence à la déclaration faite à la mi-février, lorsque l'accord avait été rejeté par les États membres (EUROPE 13352/1). Madrid y avait regretté l’ambition initiale de la proposition de la Commission et la faiblesse de la présomption.

Classé parmi les pays dits ‘progressistes’ sur ce texte, le Luxembourg a aussi dit ses craintes, lundi, quant à un système de ‘shopping list’ pour les plateformes qui pourraient cibler les pays membres à la législation la plus favorable.

Pour rappel, le texte approuvé lundi par les ministres a supprimé la logique de critères fixes pour déclencher la présomption de salariats et donne la possibilité aux États membres de définir, en fonction de leur droit du travail et de leurs systèmes de conventions collectives, les faits indiquant un contrôle et une subordination du travailleur par une plateforme.

Cette présomption pourra être activée par le travailleur, ses représentants ou par une institution nationale du travail.

La plateforme pourra contester cette procédure, mais aura alors à prouver qu’elle travaille avec des gens authentiquement indépendants, toujours sur la base du droit du travail national.

Le texte crée aussi une toute première régulation européenne de l’intelligence artificielle dans le monde du travail en imposant davantage de transparence sur la gestion algorithmique et en interdisant un certain type de décisions, comme la suspension des comptes.

Il sera également interdit aux plateformes de traiter par les algorithmes des données d’ordre émotionnel ou psychologique.

Plusieurs secteurs restent toutefois bien exclus de cette directive, comme le secteur des taxis traditionnels. En fonction des transpositions nationales, les 'travailleurs du clic' (modérateurs de contenus) pourraient aussi être exclus.

La rapportrice du PE, Elisabetta Gualmini (S&D), s’est dite « très heureuse et fière. Nous avons gagné - pour les travailleurs des plateformes et les bons employeurs, contre le lobbying agressif des géants des plateformes exploiteurs, soutenus jusqu'au bout par le président français, Emmanuel Macron, et ses libéraux. À l'approche des élections européennes, dans moins de 100 jours, les Européens s'en souviendront ».

« Nous avons négocié un accord historique qui donnera aux travailleurs des plateformes dignité, protection et droits. Il préservera également le véritable statut d'indépendant, empêchera la concurrence déloyale et introduira des règles inédites en matière de gestion des algorithmes », a-t-elle salué.

Les syndicats européens se sont aussi réjouis d’une directive qui permettra de nouveaux droits pour ces travailleurs, comme l’accès à des congés payés ou des congés maladie.

« Tout au long des négociations, le président français aura tenté de torpiller la présomption de salariat. Pour servir Uber plutôt que les travailleurs», a réagi de son côté la députée française de La Gauche Leïla Chaibi, rapportrice fictive.

 Les plateformes mécontentes

« Ce texte, bien qu'il représente une amélioration par rapport aux versions précédentes, ne parvient pas à une approche harmonisée à travers l'UE, créant encore plus d'incertitude juridique pour les chauffeurs de covoiturage. Ces chauffeurs ont massivement exprimé leur désir de rester indépendants et nous appelons les États membres à s'assurer que les travailleurs des plateformes aient la possibilité de conserver l'indépendance à laquelle ils sont très attachés lors de l'élaboration des lois nationales ». (Solenn Paulic)

Sommaire

SOCIAL - EMPLOI
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
INSTITUTIONNEL
POLITIQUES SECTORIELLES
ACTION EXTÉRIEURE
SÉCURITÉ - DÉFENSE
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ
CONSEIL DE L'EUROPE
BRÈVES