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Bulletin Quotidien Europe N° 13238

30 août 2023
REPÈRES / Repères
Réduire la taille de la Commission européenne ? C’est possible (2/2)

La Commission tire sa légitimité du Parlement européen, non des gouvernements. Elle n’est pas illégitime si tous les États membres n’y sont pas représentés simultanément, ce qu’eux-mêmes admirent en signant les traités de Nice et de Lisbonne. Elle sera davantage légitime si sa composition reflète adéquatement des populations ou des groupes de populations. La piste ici proposée, inédite, consiste d’abord à identifier des zones de populations dans l’Union européenne, ensuite à repenser le principe de rotation. La cartographie et la statistique vont nous aider puissamment. 

L’Allemagne compte 84,358 millions d’habitants, la France 68,070 et l’Italie 58,850. Ces trois pays sont les plus peuplés de l’Union. Pris ensemble, ils sont représentatifs de 211,278 millions d’Européens sur les 448,4 que compte actuellement l’UE, soit 47%, ce qui est considérable. Ils s’étendent du Nord au Sud et de l’Ouest à l’est de l’Union, constituant un équilibre géographique en soi. Tous trois sont des États fondateurs, de surcroît loyaux et membres de la zone euro. L’on imagine le problème de légitimité d’une Commission où ces populations ne seraient pas représentées totalement – et même partiellement. 

Compte tenu de ces éléments, il est tout à fait raisonnable de ne pas imposer à ces trois États la rotation quinquennale des fonctions de commissaire européen. Autrement dit, la jouissance de cette permanence est fondée sur deux critères objectifs cumulés : premièrement, avoir une population d’au moins 55 millions d’habitants et deuxièmement, être un État fondateur (ceci aurait son importance dans l’hypothèse d’une entrée de la Turquie, qui compte plus de 84 millions d’âmes). 

Nous avons ainsi défini les trois premières zones démographiques, que l’on pourrait appeler le ‘trépied invariant’ : la zone 1 (Allemagne), la zone 2 (France) et la zone 3 (Italie) ; à chacune de ces zones correspond un commissaire, ni plus ni moins. 

Les 12 autres zones font l’objet d’un régime différent, mais commun. Elles sont toutes constituées de binômes de populations. Au sein de chacune de ces zones, la rotation s’appliquera, d’une mandature à l’autre, pour la fonction de commissaire, en respectant l’ordre alphabétique des deux États. Partons du Sud-Ouest et suivant la carte de l’Europe dans le sens des aiguilles d’une montre. 

La zone 4, ibérique, comprend 48,059 millions d’Espagnols et 10,467 millions de Portugais (total : 58,526). Dans la zone 5, dite ‘Centre-Ouest’, 11,754 millions de Belges et 660 000 Luxembourgeois font une entité (total : 12, 414). La zone 6 (Nord-Ouest) rassemble 17,811 millions de Néerlandais et 5,194 millions d’Irlandais (total : 23,005). Dans la zone 7 (Nord), il y a 5,932 millions de Danois et 10,521 millions de Suédois (total : 16,453). La zone 8 (Nord-Est) regroupe 5,564 millions de Finlandais et 1,366 millions d’Estoniens (total : 6,930). Avec la zone 9 (Est), ce sont 1,883 million de Lettons et 2,857 millions de Lituaniens qui sont partenaires (total : 4,740). 

La zone 10, dite ‘Centre-Est’, comprend 36,753 millions de Polonais et 10,827 millions de Tchèques (total : 47,580). Dans la zone 11 (Centre) vivent 5,428 millions de Slovaques et 9,597 millions de Hongrois (total : 15,025). Descendons vers la zone 12 (Centre-Sud I) qui ‘marie’ 9,104 millions d’Autrichiens et 2,116 millions de Slovènes (total : 11,220). Puis, dans la zone 13 (Centre-Sud II), nous recensons 3,850 millions de Croates et 19,051 millions de Roumains (total : 22,901). En zone 14, dite ‘Sud-Est’, voici 6,447 millions de Bulgares et 10,394 millions de Grecs (total : 16,841). Enfin, terminons le voyage en zone 15 (Sud), composée de 920 000 Chypriotes et 542 000 Maltais (total : 1,462 million). 

L’alternance au sein de chaque zone devra être parfaitement égalitaire, selon le principe d’un mandat quinquennal complet dévolu à l’un, puis à l’autre. Dans le groupe des douze, la zone ‘Sud-Ouest’ est la plus peuplée, en raison du poids démographique de l’Espagne ; celle-ci serait donc fondée, avant l’entrée en fonction d’un commissaire portugais, à demander une compensation sous la forme d’un poste élevé dans une autre institution (présidence de la BCE ou du Conseil européen, par exemple). 

Pourquoi, dans ce schéma, deux pays éloignés ne peuvent-ils constituer une zone ? Simplement parce que l'on connaît le mieux ce qui se passe chez son voisin. Ainsi, un commissaire de nationalité grecque est-il plus équipé pour évoquer, si nécessaire, la situation de la Bulgarie, que celle du Danemark. 

Pour l’ensemble des zones 4 à 15, le total de la population s’élève à 237,097 millions d’habitants et la représentation moyenne d’une zone est de près de 20 millions (19,758 exactement). Cette moyenne est portée à plus de 70 millions dans le ‘trépied’ (les zones 1 à 3). Ainsi les peuples peu nombreux restent surreprésentés dans le nouveau système, mais cette surreprésentation est beaucoup plus juste et moins choquante qu’avec la formule d’un commissaire par État membre. Bien évidemment, au sein de chaque zone, l’État membre dont c’est le tour a toute latitude pour présenter son candidat ou sa candidate au président de la Commission, de préférence en s’étant concerté avec l’autre État du binôme, dont la population sera représentée par le premier durant un quinquennat. 

Quinze zones, cela veut dire une Commission resserrée à 15 membres : une véritable équipe, plus cohérente, moins coûteuse pour le budget administratif et de surcroît prête pour un éventuel futur élargissement. En appliquant la même règle aux nouveaux États membres, si par exemple ils sont 6, cela donnerait une Commission à 18, donc une croissance maîtrisée. Il serait sage de faire coïncider les prises d’effet des élargissements avec le début d’une mandature. 

Toutes ces dispositions pourraient figurer dans un nouveau traité modificateur. Indiscutablement, ce nouveau système ne change rien à la désignation du président de la Commission, qui fait l’objet, comme chacun sait, d’une procédure spécifique ; le vivier reste le même. Par ailleurs, il serait insensé de voir dans cette réforme l’émergence d’un quelconque ‘directoire’ de l’UE. Les commissaires de nationalité allemande, française ou italienne n’auront aucun droit supplémentaire, pas même à celui d’une vice-présidence. Il appartiendra au Président de l’institution de répartir les portefeuilles en traitant de façon égalitaire tous les membres du Collège. Rien ne changera non plus dans la rotation semestrielle des présidences du Conseil de l’UE. 

Les États membres sont égaux au Conseil européen et dans leur représentation au Conseil. Mais regardons la réalité en face : ils ne le sont plus quand le paramètre démographique est pris en compte, que ce soit pour la composition du Parlement européen ou le recours au vote à la majorité qualifiée au Conseil. La dimension démographique, qui constitue un critère objectif, doit désormais être prise en compte aussi pour la Commission, chargée de l’intérêt général, tout en veillant à ce que les acteurs de moindre dimension ne soient pas humiliés. 

Nous avons ainsi l’occasion de réfléchir à une piste nouvelle, imaginative et équilibrée, pour éviter à l’avenir des Commissions obèses, hyperhiérarchisées, où se cachent des portefeuilles trop minces et un capital temps dilapidé en multiples coordinations internes et luttes intestines. Continuer sur la lancée actuelle conduirait à une perte de crédit de l’institution, sinon au ridicule. Si d’autres ont de meilleures idées pour arriver au même but, qu’ils les fassent connaître. 

Renaud Denuit

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