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Bulletin Quotidien Europe N° 13228

25 juillet 2023
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N° 088

Europe, les trois menaces

Le Groupe de réflexion sur l’avenir du service public européen (GRASPE) explique dans cet article pourquoi « l’avenir de l’Union européenne paraît sérieusement compromis par une conjonction de menaces internes et externes ».

Au plan interne, il s’inquiète d’une « droitisation générale de l’opinion européenne ». « Partout la social-démocratie recule et les écologistes marquent le pas. Ce mouvement se double d’un phénomène tout aussi inquiétant : les digues ont cédé entre la droite traditionnelle et l’extrême droite », observent les auteurs, qui ajoutent : « L’extrême droite est ainsi au pouvoir ou associée au pouvoir en Suède, en Finlande, en Lettonie, en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie et en Italie et elle le sera aussi probablement demain en Espagne. Le FPÖ domine le paysage politique autrichien et l’AfD est devenue le second parti allemand dans les sondages. Tandis qu’en France, la politique d’Emmanuel Macron et l’incapacité de la gauche à offrir une alternative crédible renforcent chaque jour le Rassemblement national ». Et de souligner que « cette vague de fond de droitisation résulte largement des dégâts commis au sein des sociétés européennes par 40 ans de mondialisation dérégulée et de politiques européennes essentiellement guidées par un culte naïf de la concurrence et du libre-échange ».

Quand on regarde les deux acteurs majeurs de l’Union, l’avenir semble encore s’assombrir. « En Allemagne, la coalition au pouvoir est extrêmement fragile et en chute libre dans les enquêtes d’opinion. De plus, elle est verrouillée par la présence en son sein du petit parti libéral FDP, désormais lui aussi proche de l’extrême droite et très hostile à tout progrès en matière de solidarité européenne, de social ou d’environnement. Quant à la droite allemande, les héritiers d’Angela Merkel ont été battus au sein de la CDU au profit d’ultralibéraux qui ne veulent pas non plus entendre parler de solidarité européenne », écrivent les auteurs. Avant d’ajouter : « Du côté de la France, Emmanuel Macron n’a plus de majorité à l’Assemblée nationale et il est à la merci des Républicains, devenus eux aussi très proches de l’extrême droite. Ceux-ci revendiquent même désormais de s’affranchir des Traités européens. Et de toute façon, au-delà de ses grands discours, Emmanuel Macron n’a guère été en mesure de faire avancer des dossiers européens concrets du fait de son incapacité à construire des coalitions. En pratique, son gouvernement a plutôt cherché d’ailleurs à freiner ou à bloquer plusieurs projets européens sous la pression des lobbies industriels ou agricoles ».

Or, avec la guerre menée par la Russie en Ukraine, « la question de l’élargissement de l’Union européenne à la Moldavie et à l’Ukraine ainsi qu’à la plupart des pays des Balkans occidentaux se pose de façon urgente désormais ». Si « la situation géopolitique oblige en effet à les intégrer rapidement à l’Union », il est évident qu’à vingt-sept, « les institutions européennes actuelles sont déjà largement dysfonctionnelles » et qu’à plus de trente, « leur fonctionnement serait à coup sûr quasiment paralysé ». Une refonte des Traités s’impose donc en préalable à tout élargissement. Cependant, « à supposer qu’on parvienne à enclencher ce processus, il est difficile d’imaginer, dans le contexte interne actuel de l’Europe, qu’il puisse déboucher sur des progrès substantiels en matière de solidarité, d’écologie et de démocratie », constatent à juste titre les auteurs.

Les risques découlant de ce climat politique interne s’additionnent aux menaces provenant d’un contexte géopolitique très dégradé. « Tout d’abord, l’épisode ukrainien n’a pas modifié la vision stratégique des Américains, qui considèrent, toutes tendances politiques confondues, la Chine comme leur adversaire principal. Ils n’acceptent pas qu’elle soit devenue elle aussi une grande puissance et souhaitent lui contester ce statut. Et la concurrence politique interne aux États-Unis conduit à une surenchère permanente dans la confrontation avec la Chine », constatent les auteurs, qui rappellent que les Européens, qui ont tissé des liens économiques étroits avec la Chine, mais aussi des dépendances qu’ils cherchent aujourd’hui à réduire, sont très divisés sur l’attitude à adopter. D’une part, ces divisions profitent à la Chine. D’autre part, elles risquent de conduire à « une politique mi-chèvre mi-chou » qui fera perdre les Européens des deux côtés. Alors que « la guerre contre l’Ukraine a mis en lumière l’ampleur du fossé existant entre l’Occident, et donc l’Europe, et ce qu’il est désormais convenu d’appeler le ‘Sud Global’ ».

Et la pérennité du rapprochement entre l’Union européenne et les États-Unis est loin d’être assurée : « Les dernières ‘mid-term’ ont montré, s’il en était besoin, que le pays reste divisé à 50/50. Si une administration républicaine devait succéder à celle de Joe Biden, même si ce président n’est pas Donald Trump, le soutien massif des États-Unis à l’Ukraine et leur implication dans l’OTAN pourraient être rapidement remis en cause », constatent les auteurs. Or, « les Européens ne sont guère en mesure d’augmenter du jour au lendemain leurs capacités autonomes de défense. Sans l’aide américaine, la situation pourrait donc changer rapidement sur le front ukrainien et d’autres, comme la Turquie d’Erdoğan, pourraient être tentés de tirer profit à leur tour de cette faiblesse européenne pour raviver leurs rêves d’empire ».

Enfin, « les stratégies mises en œuvre pour accélérer la transition énergétique en Europe, avec le Green Deal et le Fit for 55, et aux États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act (IRA), divergent radicalement et induisent (…) une logique d’affrontement commercial entre les deux côtés de l’Atlantique. Sur tous ces terrains, les relations entre les États-Unis et l’Europe risquent donc fort de se dégrader dans les mois qui viennent », estiment les auteurs.

S’y ajoutent des perspectives économiques difficiles. L’Allemagne risque d’être sévèrement et durablement affectée par les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine, associées à la montée en puissance des véhicules électriques, « segment sur lequel son industrie est très en retard, à la fois sur les constructeurs américains et sur les constructeurs chinois ». « L’industrie allemande est entrée de ce fait durablement dans une zone de fortes turbulences » et « cet affaiblissement prévisible du cœur industriel de l’Europe se combine avec les effets du retard considérable accumulé dans tous les domaines de la haute technologie (économie des plateformes, intelligence artificielle, semi-conducteurs, technologies vertes, biotechs…) du fait de l’absence de politiques industrielles européennes souveraines », observent les auteurs, qui ajoutent : « Après quarante ans de politiques guidées essentiellement par le culte de la concurrence et du libre-échange, l’Europe est en voie de vassalisation technologique très avancée ».

En dépit de ce diagnostic catastrophique, l’article se termine en appelant à « une forte dose d’optimisme de la volonté (Gramsci) pour réussir à faire progresser quand même la construction européenne dans une direction plus écologique, solidaire et démocratique au cours des années qui viennent ». Après tout, « l’Europe et les Européens ont déjà montré que, dans l’adversité, ils étaient capables de sursauts qu’on pensait pourtant impossibles a priori ».

À noter que le même numéro des cahiers du GRASPE contient aussi un article très bien documenté sur le nouveau pacte sur la migration et l’asile. (Olivier Jehin)

Georges Vlandas (sous la direction de). L’Union européenne dans les médias – Atonie générale, sursaut récent. GRASPE. Cahier du Groupe de réflexion sur l’avenir du service public européen n° 47, juillet 2023. 159 pages. La revue peut être téléchargée gratuitement sur le site : https://aeur.eu/f/87b

Les Balkans

Au travers de cet ouvrage, les journalistes Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin nous font parcourir les Balkans en 100 questions, en démontrant que « les problèmes et les défis qui se posent aujourd’hui aux pays de l’Europe du Sud-Est ne relèvent pas d’une ‘exceptionnalité’, voire d’un ‘exotisme’ balkanique ». « Au contraire, qu’il s’agisse de la dérive autoritaire des États, de la démagogie nationaliste alimentée par des élites intellectuelles en déliquescence, de la banalisation de courants racistes, xénophobes ou révisionnistes, de la précarisation toujours plus poussée du travail, du violent contrôle des frontières, du pillage des ressources naturelles, les Balkans ont souvent anticipé les tendances qui se sont ensuite généralisées au reste de l’Europe », écrivent-ils dans leur introduction.

« Alors que l’UE soutient bien souvent des autocrates corrompus au nom de la ‘stabilité’ régionale, beaucoup de Balkaniques ont perdu tout espoir de voir leurs pays se rapprocher de ces fameux ‘standards’ européens – un État de droit fonctionnel, un système de protection sociale à peu près efficace. Las d’attendre que l’Europe vienne à eux, ils s’en vont massivement et le mouvement d’exode qui vide le sud-est européen représente le principal défi pour l’avenir des pays de la région, même ceux membres de l’Union européenne, comme la Grèce ou la Croatie », soulignent les auteurs.

Toutefois, cette diaspora rapporte : « En 2021, les transferts de fonds de la diaspora s’élevaient à 1,2 milliard d’euros au Kosovo, soit 18,5% du PIB. En 2020, ils représentaient 1,27 milliard en Albanie, soit 9,8% du PIB, 1,63 milliard en Bosnie-Herzégovine (9,3% du PIB), 524 millions d’euros au Monténégro (9,3% du PIB) », notent les auteurs, non sans souligner que ces données sont certainement inférieures à la réalité, « car beaucoup de fonds sont transférés hors des réseaux bancaires, par des apports directs lors des retours au pays ».

Alors que le processus d’adhésion s’est enlisé et que la guerre fait rage en Ukraine, « la présence du Kremlin peut être observée en Serbie, même si l’Union européenne reste de loin le premier partenaire commercial de Belgrade, mais aussi en Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine et au Monténégro, où Moscou dispose de puissants relais d’influence, notamment au sein de l’Église orthodoxe serbe », rappellent les auteurs. Et, « si la Serbie s’est gardée d’adopter les sanctions européennes contre la Russie, elle a voté la résolution des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine et s’oppose à ‘l’effondrement de l’intégrité territoriale de tout État membre de l’ONU’ », selon des propos tenus par le président Vucic en mars 2022. « Une prudence dont ne s’encombre pas Milorad Dodik, redevenu président de la Republika Srpska en 2022, qui compare la situation des Russes en Ukraine à celle des Serbes de Bosnie-Herzégovine et qui agite régulièrement la menace de la sécession de l’entité », soulignent les auteurs, qui évoquent aussi les influences de la Turquie et de la Chine dans la région. (OJ)

Jean-Arnaut Dérens, Laurent Geslin. Les Balkans – Carrefour sous influences. Tallandier. ISBN : 979-1-0210-5554-4. 350 pages. 19,90 €

L’Union européenne dans les médias

Cette étude de la Fondation Jean Jaurès se concentre sur la situation en France, où à peine 57% des personnes interrogées disent avoir vu ou entendu récemment un sujet d’actualité concernant l’Union européenne, ce qui place la France au dernier rang des vingt-sept États membres pour l’accès à l’information européenne.

« Sur les sept années étudiées de 2015 à 2022 (…), on compte quatre années où l’actualité de l’Union est traitée dans 3% au moins de l’ensemble des sujets de journaux télévisés des chaînes historiques de télévision », constate Théo Verdier. La performance des chaînes privées est nettement inférieure. « Sur une heure d’information audiovisuelle (télévision et radio) diffusée en France entre 2020 et 2022, les auditeurs sont exposés en moyenne à 94 secondes ayant trait à l’actualité de l’Union européenne ». Sans surprise, ce sont les réseaux de la radio France Bleu et de la chaîne de télévision France 3 qui restent les plus gros pourvoyeurs d’information européenne, en particulier dans les régions frontalières et côtières, avec des sujets touchant à la pêche, l’agriculture et les transports. En conclusion, l’auteur souligne qu’il est à craindre que les élections européennes de 2024 concluent une séquence de médiatisation intensive entamée avec la guerre en Ukraine en 2022. Mais « l’État dispose de leviers qu’il lui convient d’activer de manière plus affirmée qu’il ne l’a fait jusqu’ici à travers des indicateurs chiffrés, à mettre en place tant pour les chaînes privées que publiques » afin d’accroître la visibilité de l’Union européenne, rappelle Verdier. (OJ)

Théo Verdier. L’Union européenne dans les médias – Atonie générale, sursaut récent. Fondation Jean Jaurès, juin 2023. 17 pages. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site de la fondation : https://aeur.eu/f/87c

Slavernij aan de Schelde

Dans cet ouvrage, le journaliste David Van Turnhout (Gazet van Antwerpen) retrace les enquêtes qu’il a menées entre 2019 et 2022 sur le trafic et l’exploitation d’êtres humains en Flandre, avec ses ramifications en Europe.

Au travers de plusieurs affaires, il dévoile un pan de cet esclavage contemporain, qui ne se limite pas aux seules rives de l’Escaut. On y rencontre notamment l’histoire d’un soudeur bengalais exploité au Qatar, avant d’arriver en Pologne où il trouve un travail relativement bien payé, mais qu’il va quitter pour se retrouver sous l’emprise d’une société italienne qui lui fait miroiter un meilleur emploi. Cette entreprise, Irem General Contractor, va dans un premier temps le cantonner dans un village de conteneurs en Hongrie, d’où il ne peut sortir, car aucune démarche légale, pourtant promise, n’a été effectuée pour lui, avant de le transférer en Belgique où il va être logé à Borgerhout et travailler chez le pétrochimiste Sabic de l’autre côté de la frontière, à Bergen op Zoom, aux Pays-Bas.

Si David Van Turnout nous fait voir les différentes facettes de cette exploitation - absence de statut légal, salaires médiocres lorsqu’ils sont effectivement versés, conditions et durée de travail illégales, logement insalubre -, il nous rappelle aussi les conditions qui sont à la base de la migration : 31,5% des 160 millions de Bengalais vivent en situation de pauvreté, dont 11 millions qui souffrent de la faim. Environ 700 000 Bengalais s’expatrient chaque année, principalement (82%) vers les pays arabes et contribuent annuellement à hauteur de 15 milliards de dollars à l’économie indienne par les sommes qu’ils envoient à leurs familles.

Au fil des pages, on découvre l’étendue du phénomène, qui touche diverses sociétés importantes, parmi lesquelles le chimiste autrichien Borealis, où ce sont 55 travailleurs philippins, 17 Bengalais et 105 Turcs qui sont exploités, ou encore le chimiste allemand BASF (52 travailleurs illégaux). Ces groupes se cachent souvent derrière des agences de recrutement et des conventions qui leur permettent de dégager leur propre responsabilité. Et le comble est sans doute que ces Bengalais ont, au départ, dû payer 7 000 euros à un bureau de recrutement en Inde avec l’espoir d’un salaire mensuel de 2 500 euros pour rembourser et aider par la suite leur famille au pays. Mais, à l’arrivée, la réalité est bien différente, avec 1 250 euros pour 190 heures par mois, soit des journées de 9 heures et un salaire horaire de 6 euros.

À lire pour comprendre que ce phénomène n’est pas l’affaire de pays lointains. Au 21e siècle, l’esclavage existe toujours, tout près de nous. (OJ)

David Van Turnhout. Slavernij aan de Schelde – Economische uitbuiting en mensenhandel in het hart van Europa. Manteau. ISBN : 978-9-0223-3987-9. 189 pages. 22,50 €

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