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Bulletin Quotidien Europe N° 13209

27 juin 2023
Sommaire Publication complète Par article 43 / 43
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N° 086

Le droit d’auteur européen en transition numérique

L’avocat Alain Strowel nous livre, au travers de cet ouvrage, une passionnante histoire du droit d’auteur qui, au fil des pages, s’enrichit de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, mais aussi de celles de la Cour européenne des droits de l’homme et des tribunaux de différents États. Avec une belle qualité d’écriture, le professeur Strowel (il enseigne à l’université Saint-Louis et à l’UCLouvain) démontre, chose peu courante, que les ouvrages de droit ne sont pas condamnés à être indigestes.

Le droit d’auteur (et sa version anglophone, le copyright) est né il y a deux siècles, d’abord en Angleterre, avec le Statute of Anne de 1709, puis aux États-Unis, par la première loi fédérale de 1790, et en France, où se succèdent des décrets royaux en 1777 et révolutionnaires entre 1791 et 1793, rappelle l’auteur, avant d’ajouter : « La naissance du droit d’auteur n’aurait pu advenir avant que la propriété et l’auteur ne soient placés au pinacle des idées. La diffusion au cours du 18e siècle de deux visions de l’homme, l’homme-propriétaire et l’homme-auteur, (en) est un des préalables symboliques ».

« Institution cardinale du monde de la culture et de la création », le droit d’auteur « doit encore achever sa transition numérique », observe Strowel, qui rappelle que « depuis l’irruption de l’Internet au milieu des années 1990, le droit d’auteur est interpellé par les multiples développements numériques, les plateformes de contenus, l’intelligence artificielle, la massification des données ».

Le droit d’auteur est aussi bien plus qu’un complexe échafaudage juridique : « C’est un bel objet de réflexion pour ceux qui s’intéressent au champ de la création, aux disruptions des anciens modèles commerciaux par les nouvelles technologies, aux défis des plateformes numériques, aux revendications d’accès à la culture, mais aussi aux demandes des artistes pour une juste rémunération et une adéquate reconnaissance, aux critiques fondées sur le droit à la libre expression et à l’information… Le droit d’auteur tend à cristalliser autour de lui ces diverses forces et poussées (en sens souvent contraires). Droit exclusif aux contours délimités par les évolutions législatives et jurisprudentielles, il se déploie aussi et surtout comme une institution qui détermine les prises de décision et de risque sur les marchés culturels, mais aussi dans le secteur technologique. En même temps, il est plus que jamais tributaire des évolutions technologiques, qu’il s’agisse des outils d’intelligence artificielle, du partage des données, des systèmes décentralisés comme les blockchains. C’est aussi un instrument qui structure les rapports de pouvoir entre créateurs, éditeurs, distributeurs, innovateurs et consommateurs de produits culturels au moment où l’économie et la société continuent leur transformation numérique », écrit l’auteur dans ce qui s’apparente au résumé de trente années de recherche, mais aussi des thèmes et des tensions qui se déploient dans son ouvrage.

Pour Alain Strowel, « Européen convaincu » selon ses mots, « le droit d’auteur doit (…) dépasser les périmètres nationaux et devenir un droit vraiment européen ». Un des avantages évidents d’un titre de droit d’auteur unitaire serait la possibilité d’obtenir des injonctions transfrontalières couvrant l’ensemble de l’UE en cas de violation du droit d’auteur. Et Strowel milite donc pour la création, à terme, d’un droit d’auteur de l’UE. En pratique, il serait utile, dans un premier temps, de codifier le droit existant à partir des dispositions pertinentes des directives, de la jurisprudence de la Cour de justice et de règles interprétatives. Ce nouveau code du droit d’auteur, au caractère non contraignant, serait « un premier pas précieux vers une plus grande intégration européenne ». Dans un second temps, la Commission européenne pourrait proposer un règlement établissant un titre unitaire, qui pourrait être facultatif, à l’instar du règlement de 2002 sur les dessins et modèles communautaires. Un règlement qui laisse coexister deux systèmes en définissant un régime unitaire applicable à un droit de propriété non enregistré (le dessin ou modèle communautaire non enregistré) qui complète les droits nationaux (enregistrés) sur les dessins et modèles. Utopie ou piste de réflexion pour la prochaine législature ? (Olivier Jehin)

Alain Strowel. Le droit d’auteur européen en transition numérique. Larcier. ISBN : 978_2_8079-3310-1. 393 pages. 97,00 €

Les monnaies numériques et les cryptoactifs

La revue de l’association Europe Finances Régulations cherche, dans son dernier numéro, à radiographier la nébuleuse que constituent les monnaies numériques et les cryptoactifs.

Parmi d’autres contributions, on y trouve un intéressant article de la députée européenne Aurore Lalucq (S&D, française) qui souligne que « si les cryptoactifs ont souvent été présentés comme des solutions innovantes permettant de répondre aux défaillances des systèmes bancaires et financiers, ils n’ont pas tenu cette promesse ». En réalité, on doit même s’interroger sur leur utilité : « Ils ne jouent pas le rôle de monnaie, du fait de leur volatilité, et ne représentent pas une nouvelle classe d’actifs décorrélée des autres marchés financiers puisqu’ils se sont effondrés avec la remontée des taux d’intérêt ». Pire, le secteur des cryptoactifs a été marqué au cours des dernières années par de nombreuses arnaques et faillites. Aurore Lalucq dénonce le caractère faussement protecteur de la loi PACTE en France, qui ne requiert qu’un enregistrement des prestataires de services d’actifs numériques. Et si le règlement MICA introduit des dispositions utiles, il reste encore bien des trous dans la raquette.

Nicolas de Sèze (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) souligne la grande diversité d’approches concernant la monnaie numérique de banque centrale (NMBC) suivant les pays. Ainsi le projet chinois d’e-yuan a été lancé dès 2014 et conçu comme une version numérique de la monnaie émise par la banque centrale (PBoC), avec des caractéristiques communes avec la monnaie fiduciaire : cours légal, finalité (qui permet une réutilisation immédiate par le bénéficiaire), non rémunération, absence de frais. Selon la PBoC, à la fin d’août 2022, 360 millions de transactions avaient été effectuées en e-yuan, pour une valeur totale de 100 milliards de yuans (14 milliards d’euros) et les paiements étaient acceptés par 5,6 millions de commerçants. D’autres banques centrales (France, Suède, Japon) ont lancé diverses formes d’expérimentations. À l’inverse, certaines y réfléchissent (Suisse, BCE) ou hésitent encore (Canada, Royaume-Uni, États-Unis).

Dans son article sur les MNBC et les stablecoins, Isabelle Martz (Groupe Société Générale) esquisse une analyse vue d’une banque, à la fois en tant qu’agent économique témoignant des changements en cours, en lien avec ses clients, et en tant qu’acteur possible de certaines transformations. « Le monde des blockchains est risqué et difficilement accessible aux non-initiés : un minimum d’éducation technologique et financière est nécessaire. C’est aussi un monde encore fragmenté, car les blockchains sont encore peu interopérables entre elles et avec les univers traditionnels », observe l’auteur, qui estime toutefois que « le domaine des titres et des marchés financiers apparaît comme très prometteur car la technologie blockchain devrait faciliter la gestion du cycle de vie complet : émission de titres ‘tokénisés’, réception et transmission d’ordres, règlement contre livraison et gestion des actifs (conservation, comptabilité, fiscalité), avec en particulier l’automatisation de traitements via les contrats intelligents, comme les paiements de coupons ou dividendes ». « Grâce à la blockchain, ces processus pourraient être réalisés de façon moins intermédiée, plus rapide, en continu (24 heures sur 24, 7 jours sur 7) et moins chère », ajoute-t-elle, en rappelant que la taille du marché mondial des actifs « tokénisés » (hors cryptomonnaies) pourrait, selon certaines estimations, atteindre au moins 16 000 milliards de dollars d’ici à 2030. Par ailleurs, Martz considère qu’« un stablecoin émis idéalement à l’échelle européenne aurait de nombreux avantages : être accepté par tous les clients des banques, assurer la liquidité et optimiser l’interopérabilité avec les autres solutions de paiement, définir des règles de protection des clients contre la fraude et les litiges au même niveau que les solutions traditionnelles, mutualiser les dépenses liées à la construction de la solution et des services associés (comme - pourquoi pas ? - un lien avec une solution d’identité numérique) ».

« Si les blockchains apparaissent comme révolutionnaires, elles prendront, comme Internet, des années à déployer toutes leurs capacités », écrit Isabelle Martz, avant d’ajouter : « C’est un monde en chantier, où penser d’abord à l’utilité sociale de ce que l’on bâtit est une priorité ». Ce serait sans aucun doute la bonne priorité, mais quelle « utilité sociale » peut-on trouver à l’accélération des transactions financières ?

Et l’auteur de conclure : « Investir dans la finance sur blockchain, c’est investir dans ce qui est la colonne vertébrale d’une nouvelle économie en construction. Les banques seront légitimes et utiles dans cet univers, comme tiers régulés et de confiance, capables d’aider leurs clients à comprendre les enjeux, à simplifier et sécuriser l’accès à cette nouvelle économie, faire le lien entre le monde traditionnel et le nouveau monde numérique et créer de l’interopérabilité. Face aux incertitudes et même si nous avons le sentiment d’avoir le temps, une approche pragmatique et expérimentale est la meilleure façon pour les acteurs économiques de gagner en compétence et comprendre les nouveaux enjeux afin de saisir les opportunités et de rester acteur. Car, compte tenu des enjeux sociaux, économiques et politiques, nous ne devons pas laisser développer cet univers par d’autres ». Elle est là, en fait, l’utilité sociale vue depuis la banque : rester pleinement acteur d’un monde de la finance en mutation et saisir toutes les opportunités de faire davantage de bénéfices. (OJ)

Sylvain de Forges (sous la direction de). Les monnaies numériques et les cryptoactifs. Revue d’économie financière. N° 149, 1er trimestre 2023. ISBN : 978-2-3764-7081-6. 322 pages. 35,00 €

Les populismes européens 

« Le moment populiste actuel s’inscrit (…) dans une polycrise inédite, produite depuis 2020 par la superposition de la pandémie de Covid-19 et du déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, fin février 2022, sur ce qu’il reste encore des soubresauts de la crise financière de 2008 », écrit Gilles Ivaldi, chercheur à Sciences Po Paris, dans cet article paru dans la revue Futuribles. « Dans ce contexte - poursuit l’auteur -, les populistes de tous bords ont connu des fortunes diverses, au point que certains observateurs ont cru y déceler les signes avant-coureurs d’une possible ‘fin du populisme’. En réalité, nous avons été témoins de ce qu’il convient d’appeler un cycle populiste hybride, résultat de la coexistence, dans un même espace de compétition politico-électorale, de deux forces contraires nourries des inquiétudes et des insécurités produites par la polycrise : la première constituée de ce que l’on désigne communément comme un effet drapeau, favorisant la stabilité des allégeances politiques traditionnelles et le soutien aux grands partis de gouvernement ; la seconde, plus polarisante et propice à l’expression de votes de protestation en faveur de forces anti-establishment, au premier rang desquelles les mouvements populistes ».

Ivaldi rappelle qu’à l’occasion de la crise sanitaire, en février 2021, la vague 12 du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF avait enregistré une forte hausse de la satisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie en France (+7 points), en Allemagne (+12 points) ou au Royaume-Uni (+7 points). La confiance dans le gouvernement avait bondi de 8 points en France et jusqu’à 12 points outre-Rhin. « Pendant la pandémie, le retour en force du volontarisme politique et de l’intervention de l’État (…) a, tout au moins dans une première phase, pu agir comme un antidote au populisme », écrit l’auteur, avant de constater qu’à l’inverse, les élections récentes en Europe ont témoigné de « l’excellente vitalité des partis populistes » : face à Emmanuel Macron, au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a établi un nouveau record en totalisant 41,5% des voix ; en Italie, Giorgia Meloni a remporté les élections de septembre 2022 avec 26% des suffrages ; en Suède, les Démocrates suédois se sont hissés à la seconde place des législatives, durant le même mois, avec 20,5% des voix ; en Hongrie, le Fidesz a totalisé 54% des voix aux législatives d’avril 2022. Ailleurs, en Autriche, en Finlande, aux Pays-Bas, « la droite radicale populiste a le vent en poupe » et en Pologne, le PiS « continue de faire la course largement en tête, avec 36% des intentions de vote ».

La dernière vague du Baromètre de la confiance politique, réalisée en février 2023 en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, enregistre une dégradation sensible : « En France, la confiance dans l’Assemblée nationale a chuté de 10 points sur la période, à 28% ; en Allemagne, la baisse est de 12 points pour le Bundestag (46% de confiance) et au Royaume-Uni, elle est de 14 points pour les Communes (27%). En Italie, seulement 27% des personnes interrogées disent avoir confiance dans la Chambre des députés nouvellement élue en septembre 2022 ».

La satisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie reste la plus forte en Allemagne (60%) et au Royaume-Uni (47%), mais elle y enregistre des baisses respectives de 7 et 14 points depuis février 2021. Elle demeure plus faible en Italie (41%) et surtout en France, où seulement 35% des répondants estiment que la démocratie fonctionne bien, ce qui n’est pas surprenant dans le contexte du passage en force de la réforme des retraites.

« La dernière vague du Baromètre de la confiance politique atteste de la persistance d’attitudes de repli national et d’inquiétudes face à l’immigration, et d’une forte demande d’autorité, qui font écho à l’offre politique (des droites radicales). Autour de 60% des citoyens interrogés en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni pensent ‘qu’il y a trop d’immigrés’ et que leur pays ‘aurait besoin d’une bonne dose d’autorité et d’ordre’ ; entre 35 et 50% des enquêtés estiment que leur pays doit se protéger davantage du monde ; un peu plus d’un tiers des personnes interrogées adhèrent également à l’idée d’avoir ‘un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ni des élections’ », constate Ivaldi, qui souligne aussi que parmi les leaders de la droite populiste, Giorgia Meloni bénéficie de l’image la plus positive en termes d’honnêteté, d’empathie, de compétence et de volontarisme politique. Et de conclure : « Le cycle politique dans lequel nous entrons pourrait donc marquer une nouvelle étape dans ce lent processus d’érosion démocratique nourri, sans doute, demain, de nouveaux succès populistes ». De quoi s’inquiéter sérieusement à l’approche des prochaines élections au Parlement européen ! (OJ)

Gilles Ivaldi. Les populismes européens – Poussée de la droite radicale et fin du moment hybride. Futuribles n° 454, mai-juin 2023. ISBN : 978-2-8438-7469-7. 128 pages. 22,00 €

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