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Bulletin Quotidien Europe N° 13145

21 mars 2023
Sommaire Publication complète Par article 35 / 35
Kiosque / Kiosque
N° 079

Après le Brexit

Le numéro 148 de la Revue d’économie financière, consacré au Brexit, s’ouvre sur un article rédigé par l’ancien fonctionnaire européen David Wright, qui s’attache à décrire les causes qui ont conduit au divorce euro-britannique. Entré à la Commission en 1977, l’auteur a été l’un des premiers Britanniques à intégrer les institutions européennes. Il est actuellement président de la plateforme européenne des services financiers EUROFI et a, en témoigne son article, conservé un engagement sincère envers l’Union européenne.

Comme d’autres avant lui, l’auteur souligne notamment que « pratiquement aucun grand homme britannique influent n’a eu le courage, au cours des vingt dernières années cruciales, de s’opposer aux mensonges européens manifestes et extrémistes colportés par Nigel Farage, du parti (…) UKIP, et par la droite hostile et anti-européenne du parti conservateur ». Et de poursuivre : « L’opinion publique a été attisée par une presse partiale et hostile, sous l’influence de l’Australien Rupert Murdoch, farouchement anti-européen, et de Lord Rothermere, partisan de droite et propriétaire du Daily Mail. Au Royaume-Uni, l’histoire européenne a aussi été éradiquée des programmes scolaires. (…) Les avantages de l’intégration et de la paix européennes pour le Royaume-Uni ont été effrontément ignorés – ils n’ont jamais été politiquement salués, ni appréciés, ni expliqués ».

Pour quel résultat ? Le Royaume-Uni « affiche désormais l’un des taux de croissance les plus faibles du G20, une inflation très élevée due à son économie de marché, une dévaluation importante de la livre sterling, une productivité stagnante, des finances publiques qui se détériorent », constate Wright avant d’évoquer le calamiteux passage au pouvoir de Liz Truss et d’affirmer que « la grave instabilité politique et économique provoquée par le Brexit est vouée à se poursuivre ». À l’inverse, « il est difficile de ne pas soutenir, bien qu’à contrecœur, que le Brexit a facilité l’intégration européenne », écrit l’auteur, qui estime, non sans raison, que l’adoption du Plan de relance européen Next Generation EU de 800 milliards d’euros « n’aurait jamais été possible avec le Royaume-Uni à la table de négociation ». Conclusion : le Brexit est « une tragédie pour le peuple britannique, dont les effets néfastes se feront encore sentir pendant des générations ».

Fin 2022, le niveau des revenus générés par les flux financiers entre le Royaume-Uni et l’Union européenne était quasiment inchangé par rapport à 2016, observent Srobona Mitra et Mahmood Pradhan (FMI), avant d’expliquer : « Les exportations britanniques de services financiers ont même augmenté (…), bien que, selon certains chiffres, la part de ces exportations vers l’UE ait diminué. Dans le même temps, l’utilisation du secteur financier britannique par les grands pays de l’UE n’a pas non plus diminué. (…) Ces liens sont encore plus profonds pour la compensation des produits dérivés et vont bien au-delà de ce qu’indiquent les données des balances des paiements. Près de deux ans après le retrait officiel du Royaume-Uni du marché unique, environ 85% des swaps de taux d’intérêt de l’UE sont encore compensés au Royaume-Uni. Ce n’est guère étonnant. C’est là le reflet des liens transfrontaliers profonds et de longue date entre différents services financiers et de l’une des grandes réussites du marché unique ».

« Par la place privilégiée qu’elle occupe sur le marché international des eurodollars – et étant une plaque tournante pour le commerce mondial des devises et les dérivés de taux d’intérêt de façon plus générale –, Londres joue un rôle dominant dans la finance européenne », écrivent ces auteurs, en estimant que « son rôle de marché mondial n’a pas changé avec le Brexit » et que « les entreprises britanniques continuent d’y avoir des coûts plus faibles, car elles bénéficient de compensations d’instruments financiers et de devises à grande échelle ». Et d’ajouter : « Cela est d’autant plus vrai qu’une très grande proportion des bilans d’établissements bancaires européens est libellée en dollars américains, pour lesquels Londres offre le marché de couverture le plus efficace ».

Mitra et Pradhan soulignent aussi qu’au sein de l’UE, « dans le secteur bancaire, l’intégration financière stagne tout au plus et la fragmentation est plus forte ». « Les créances transfrontières entre pays de la zone euro sont revenues à leur niveau d’avant 2005 et ce repli », écrivent-ils, en ajoutant que « les créances transfrontières entre les banques d’Allemagne, de France, d’Espagne et d’Italie (…) montrent une inversion majeure de l’intégration financière, malgré une légère augmentation observée ces deux dernières années ». Cette fragmentation au sein d’une « Union bancaire incomplète » a un coût réel : « Elle entraîne un écart important des coûts d’emprunt pour les ménages et les entreprises entre les États membres ». L’initiative de l’Union des marchés de capitaux, bien que bien avancée, est loin d’offrir aux entités de l’UE un marché commun des capitaux intra-UE ainsi que la liquidité du marché et les avantages des réseaux offerts actuellement par Londres, soulignent les auteurs.

Plusieurs auteurs saluent le pragmatisme ou la souplesse dont ont su faire preuve la Banque centrale européenne et les autorités de surveillance nationales dans le cadre du processus de relocalisation d’activités financières dans l’UE des suites de la perte du passeport permettant à un établissement financier installé dans un État membre de fournir des services sur l’ensemble du territoire de l’UE à partir de cet État membre. Pour Andrea Enria, président du Conseil de surveillance prudentielle de la BCE, « ce processus de relocalisation est désormais pratiquement achevé ». Il souligne que « sur un échantillon de neuf des plus grandes banques internationales, les actifs comptabilisés aux bilans de leurs entités juridiques établies dans la zone euro sont passés de quelque 275 milliards d’euros à plus de 1 300 milliards d’euros à la fin du premier trimestre 2022, soit une hausse de près de 500% ». On a aussi constaté une augmentation du nombre d’établissements de crédit agréés : « La BCE, qui est la seule institution de l’UE habilitée à délivrer les agréments bancaires dans la juridiction du Mécanisme de surveillance unique, a agréé quinze nouveaux établissements de crédit (six établissements d’importance significative, placés sous sa supervision directe, et neuf moins significatifs) alors que les activités de seize établissements de crédit existants (deux établissements d’importance significative et quatorze moins significatifs) ont été étendues ».

Évoquant un mouvement de relocalisation, indéniable, mais limité, l’ancien gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, estime que l’importance de ces relocalisations (l’organisme New Financial évoque un transfert de bilans bancaires de l’ordre de 900 milliards de livres, ce qui correspond à la hausse mentionnée par Enria, et de 7 400 emplois) varie considérablement d’une firme à l’autre, qu’elles ont profité à Dublin, Paris, Luxembourg, Francfort, Amsterdam et, dans une moindre mesure, à Madrid, Bruxelles et Stockholm, sans faire émerger un centre financier clairement dominant. « Le Brexit a abouti pour le moment à un paysage multipolaire, où un petit nombre de centres financiers a réussi à attirer une masse significative d’activités », constate l’auteur, en soulignant aussi une certaine spécialisation : Dublin pour les gestionnaires d’actifs ; Francfort pour les entités juridiques bancaires ; Amsterdam pour les plateformes de négociation. (Olivier Jehin)

Après le Brexit. Association Europe Finances Régulations. Revue d’économie financière n° 148, 4e trimestre 2022. ISBN : 978-2-3764-7072-4. 286 pages. 32,00 €

Retour sur l’affaire Speidel

Robert Belot revient sur cette affaire qui défraya la chronique en 1957, lors de la nomination du général allemand Hans Speidel au poste de commandant des forces terrestres du théâtre Centre-Europe, dans le cadre de l’OTAN. Les communistes et les gaullistes lancèrent alors une vaste campagne de presse pour dénoncer cette nomination, qu’ils jugeaient scandaleuse, parce que l’officier allemand avait été chef d’état-major du général Otto von Stülpnagel, commandant en chef des troupes allemandes en France de 1940 à 1942. Le fédéraliste Henri Frenay, dont Belot est un spécialiste (voir aussi Kiosque n° 75), se lança dans cette bataille au moyen d’une pétition signée par d’autres résistants et de diverses tribunes dans lesquelles il « condamn[ait] une fois de plus la logique qui consiste à ‘faire peser sur chaque soldat allemand, c’est-à-dire sur tout un peuple, la responsabilité des crimes nazis’ ». Cette page d’histoire, aujourd’hui méconnue, mais qui suit de peu le rejet, en 1954, de la Communauté européenne de défense, est intéressante en ce qu’elle nous rappelle « la prégnance en France d’un sentiment anti-allemand potentiel, qui témoigne de la permanence d’une culture nationale anti-européenne ». Le temps a fait son œuvre, mais, à écouter certains débats récents, on peut légitimement se demander s’il n’en reste rien.

« Il faut réévaluer à sa juste valeur l’effort que les pionniers de l’Europe ont dû faire pour échapper à leur culture nationale, pour surmonter leur propre histoire, tout en construisant un nouveau paradigme historique. Pour le cas français, on doit noter que l’opinion n’était pas prête à ce bouleversement, tant les Français ont cru qu’ils avaient gagné seuls (ou presque) la libération de la France et la Seconde Guerre mondiale. La persistance de la méfiance fut certainement plus forte que le désir de réconciliation et la peur de la métanoïa allemande est toujours présente dans les esprits », écrit Belot, qui rappelle que, dès 1948, « les Français d’obédience communiste créent le mouvement, en apparence dépolitisé, des ‘Combattants de la paix et de la liberté’ ». Et de poursuivre : « Le camp opposé serait donc le camp de la guerre, de la bombe atomique et de ‘l’impérialisme’, incarné par l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord. L’Allemagne américanisée est le pivot du ‘mauvais’ camp. Le surdimensionnement de cette menace permet à l’URSS de récupérer le capital positif de l’héritage antifasciste et de faire passer les États-Unis et leurs obligés pour des continuateurs du nazisme ». Toute ressemblance avec la propagande russe actuelle ne saurait être purement fortuite !

Pour Belot, « les Français (et ils ne sont pas les seuls, NDLR) n’en ont pas fini avec le fantasme catastrophique de la persistance de la renaissance d’une Allemagne nazie ou, tout le moins, dominatrice ». « Aujourd’hui, c’est Walter Hallstein, universitaire devenu officier de la Wehrmacht en France sous l’occupation, architecte de la CECA et premier président de la Commission de la Communauté économique européenne (1958-1967), dont on réinvente le passé, qui est devenu la tête de Turc des anti-européens primaires qui se répandent sur les réseaux sociaux : il passe pour la figure emblématique de la dominance allemande ou de la survivance du nazisme alors que son rôle a été majeur pour faire progresser l’Europe du marché commun en faisant coïncider les intérêts de l’Allemagne avec ceux de la France, persuadé qu’il existait ‘un sentiment européen’ source de la paix sur le continent européen », écrit l’auteur. Et il poursuit : « La non-reconnaissance de ce que l’Allemagne est devenue sert toujours à entretenir l’argumentaire, ou plutôt l’imaginaire de la disqualification du projet européen. Au début du troisième millénaire, c’est l’un des points communs aux souverainistes de droite et de gauche accrochés au mythe de la ‘seule France’ et fascinés par le préjugé selon lequel ‘l’histoire particulière de l’Allemagne continue de peser subrepticement sur le fonctionnement de sa démocratie, aux plans intérieur comme extérieur’ ». (OJ)

Robert Belot. La mémoire anti-allemande en France – Henri Frenay et l’affaire Speidel (1957). Presse fédéraliste. ISBN : 978-2-4914-2911-9. 171 pages. 15,00 €

Au cœur du modèle chinois

L’économiste François Chimits rappelle, dans cet article de la revue Futuribles, que « l’équipe dirigeante actuelle, autour de et portée par Xi Jinping, n’ambitionne rien moins que d’établir un nouvel alliage entre forces du marché et interventionnisme étatique en vue de la primauté de la puissance chinoise à l’horizon 2049 ». « À la suite des tensions commerciales et technologiques avec les États-Unis, l’indépendance technologique est élevée au rang de priorité absolue dès 2019. La victoire officielle sur l’extrême pauvreté en 2020 conduit Xi Jinping à inscrire le concept de prospérité commune à l’agenda du nouveau modèle économique. Il insiste sur le fait que cela ne doit pas donner lieu à l’assistanat (qui grève, selon lui, les économies avancées), mais il s’agit bien de prioriser les classes moyennes en établissant un système de sécurité sociale et en limitant les accumulations excessives de richesse. Enfin, la Covid-19 donne lieu à une affirmation de l’objectif de résilience des chaînes d’approvisionnement et du système économique en général, ce qui se traduit notamment par une importance nouvelle accordée au marché intérieur », écrit l’auteur, qui souligne toutefois que, « sur le front de la démographie, les injonctions politiques n’ont pas su enrayer l’inquiétant effondrement d’une natalité déjà en berne ».

« Le nouveau modèle chinois doit permettre la ‘renaissance de la nation chinoise’. Cette renaissance semble prendre la forme à l’international d’une affirmation des positions de la RPC, couplée à une rhétorique agressive envers les pays aux valeurs libérales, ce qui alimente la montée d’un inquiétant ultranationalisme chinois. Cette rhétorique, poussée à l’extrême de l’outrance et de l’agressivité par certains diplomates, n’est pas une anomalie ponctuelle, mais une volonté endossée en haut lieu trouvant écho dans les organes du parti. Le parti entretient ainsi savamment un sentiment d’humiliation nationale et l’une des premières grandes décisions de Xi Jinping en poste fut de produire une circulaire interne pour marquer le rejet absolu des valeurs occidentales que sont la liberté d’expression, la séparation des pouvoirs ou la démocratie libérale », souligne Chimits, avant d’ajouter : « Cette radicalité se retrouve dans la véhémence de la propagande en Chine contre les positions du G7 suite à l’invasion russe de l’Ukraine. Ces pays y sont dépeints en agresseurs sournois n’ayant pas laissé d’alternative à la Russie ».

Les positions chinoises sont aussi de plus en plus en contradiction avec l’esprit des institutions internationales : l’affirmation du soutien public à certains secteurs et certaines entreprises nationales s’oppose frontalement à l’esprit de l’OMC ; les financements chinois en faveur du développement se distinguent des standards établis par l’OCDE et le FMI par leur grande opacité et l’obligation de les utiliser pour des entreprises et des produits chinois ; à l’ONU, la Chine rejette fermement toute critique sur son respect des droits humains. « Le comportement à tout le moins peu coopératif de la Chine face aux défis internationaux les plus saillants de ces dernières années (Covid-19 et ruptures des chaînes d’approvisionnement, Afghanistan, guerre en Ukraine, tensions alimentaires) ne fait que renforcer la prise de conscience que Pékin n’a pas pour projet de devenir un ‘partenaire responsable’ », estime Chimits, qui ajoute : « Étant donné la posture radicale de Pékin face au G7, une spirale de sanctions et contre-sanctions semble à craindre ». (OJ)

Au cœur du modèle chinois. Futuribles. Numéro 452, Janvier-Février 2023. ISBN : 978-2-8438-7467-3. 128 pages. 22,00 €

Quand musique rime avec Belgique

Dans le dernier numéro de la Revue générale, consacré à la musique, on trouve notamment un bel hommage au regretté Marc Danval, mais aussi un très riche article sur la littérature française médiévale de Sandra Otte, qui souligne que « la littérature que nous connaissons aujourd’hui n’aurait pu exister sans celle qui l’a précédée ». « C’est au Moyen-Âge qu’est née la littérature en langue dite vernaculaire, la fin’amor et l’amour courtois, le genre du roman, la légende arthurienne, les romans de chevalerie, etc. », rappelle Otte, avant d’ajouter : « Oublier la littérature médiévale, c’est oublier l’origine et les racines de notre littérature et de nombreuses productions artistiques, et, par conséquent, d’une part de notre culture ». (OJ)

Quand musique rime avec Belgique. Presses universitaires de Louvain. Revue générale. N° 2022/4, décembre 2022. ISBN : 978-2-3806-1313-8. 250 pages. 22,00 €

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