login
login

Bulletin Quotidien Europe N° 13034

4 octobre 2022
Sommaire Publication complète Par article 36 / 36
Kiosque / Kiosque
N° 068

À l’aube de la 6e extinction

Voilà un livre de poche, pour à peine 7,70 euros, qui mérite d’être lu et très largement diffusé. Bruno David, paléontologue et biologiste, président du Muséum national d’histoire naturelle, y décrypte la crise de la biosphère qui est en train de prendre forme sous nos yeux. Dans un langage simple et avec beaucoup de pédagogie, il explique les mécanismes et les interactions qui sont à l’œuvre dans cette crise, dont le terme ne peut être pronostiqué, mais pourrait bien se traduire par une 6e extinction. Éviter le naufrage est sans doute encore possible, si la préservation de la biodiversité prenait enfin le pas sur l’obsession de croissance. Et comme l’explique Bruno David, chacun d’entre nous, à son échelle et sans trop se priver, peut dans son quotidien, contribuer à ralentir cette « crise silencieuse qui avance à une vitesse phénoménale ».

« Les climats anciens ont oscillé fortement, beaucoup plus que la tendance de ces dernières décennies, mais (…) la biosphère n’a quasiment jamais vécu d’oscillations climatiques de la même vitesse que celle observée aujourd’hui, même si les ampleurs ont pu être beaucoup plus importantes », souligne l’auteur, en notant « qu’au rythme où vont les choses, en 2050, le climat de Londres pourrait ressembler à celui de Madrid aujourd’hui, soit un saut de 1 200 kilomètres en 30 ans ».

Parallèlement, « le récent constat de l’IPBES (équivalent pour la biodiversité de ce qu’est le GIEC pour le climat) est sans appel. En mai 2019, il annonçait que 500 000 à un million d’espèces allaient décliner et, à terme, être menacées d’extinction dans les prochaines décennies », rappelle l’auteur.

« Comme tous les êtres vivants, nous exerçons une pression sur la planète, simplement avec des impacts plus importants. C’est donc en questionnant nos comportements quotidiens que nous serons en mesure de les faire évoluer et d’influer différemment sur la biodiversité qui nous entoure et au crédit de laquelle nous vivons », écrit l’auteur, qui déplore au fil des pages l’incapacité de nos sociétés et l’indécision de nos gouvernements à agir pour la santé, la biodiversité et contre les comportements économiques qui accélèrent le changement climatique. Parmi d’autres exemples, il rappelle ainsi l’absurdité du choix des chemins de fer suisses, qui ont fait recouvrir les façades d’un bâtiment, construit récemment à Zurich, de pierres venant d’une carrière du sud de l’Allemagne, mais taillées en Chine. 50 000 tonnes de pierres ont ainsi parcouru 43 000 kilomètres. Évoquant la combinaison à très fort impact environnemental ‘consommation, transport et mondialisation’, l’auteur écrit à juste titre : « une entreprise comme Amazon qui a bâti son phénoménal succès sur le déplacement massif de toutes sortes de marchandises d’un continent à l’autre est une véritable nuisance écologique ».

Au sujet des perturbateurs endocriniens, Bruno David rappelle qu’une étude de Santé publique France parue en 2019 a montré que six substances présumées toxiques étaient présentes dans l’organisme de tous les Français. Et il ajoute : « L’image la plus saisissante est celle du plastique que nous ingérons sous forme de microparticules. Chaque semaine, cela représente cinq grammes, soit l’équivalent d’une carte de crédit ! Barbara Demeneix, professeur au Muséum, en décrit avec une précision glaçante les effets neuro-développementaux dans son ouvrage ‘Cocktail toxique’, où elle évalue le coût des conséquences négatives des perturbateurs endocriniens à plusieurs centaines de milliards d’euros par an en Europe et pose la question : l’économie doit-elle passer avant la santé ? » Quant aux OGM, ils « ne tiennent pas souvent leurs promesses et ne se révèlent pas nécessairement plus rentables que leurs équivalents traditionnels ». Pourquoi ? « Parce que les démiurges des OGM ont une approche mécanistique du vivant, une approche dangereuse, car le vivant n’est pas une machine. Le vivant affiche une propension à réagir de manière imprévisible. Depuis 3 800 millions d’années il est même ‘fait pour ça’ ! » Nous serions-nous éloignés de notre sujet ? Non, bien sûr. Les transports de marchandises sont extrêmement polluants et affectent directement la biodiversité, notamment en mer. Il en va de même des microplastiques ingérés par les animaux, notamment les poissons que nous consommons. Une récession vient. Serait-il possible de penser dès maintenant à une relance axée sur le bien-être et l’environnement ?

C’est d’autant plus urgent que la pression exercée par l’homme sur son environnement va en s’accroissant. Or, « la planète, même en évitant de consommer trop de viande, même en réduisant les déplacements, même en renonçant aux produits superflus, même en se passant de serveurs pour nos flux numériques, même, même… ne pourra accueillir dans des conditions compatibles avec un équilibre environnemental pérenne 12 milliards d’habitants (alors que les projections en anticipent déjà 10 milliards en 2050, Ndr). Il faut donc envisager avec sérénité une décroissance démographique acceptée et indolore, et non imposée ni par les circonstances environnementales ni par une quelconque dictature », estime l’auteur.

« A-t-on le droit de détruire ce qui a mis des millions d’années à se construire, d’accepter que nos petits-enfants ne connaissent la neige, les éléphants ou les ours que par les archives, en ayant parfaitement conscience de le faire ? », interroge Bruno David, en s’empressant de répondre : « Nous avons un contrat éthique vis-à-vis des générations futures. Nous avons hérité d’une planète plutôt en bon état, avec un certain nombre d’espèces qui la peuplent. Et cela nous oblige. Il nous incombe une vraie responsabilité ». Et d’ajouter : « La diversité de la vie est notre assurance-vie. Si nous ne la conservons pas, nous nous condamnons. Donc, pour des raisons purement égoïstes nous pouvons nous interroger sur notre avenir. Je n’ai en revanche aucune inquiétude pour l’avenir de la vie sur Terre. C’est pour l’avenir de l’Homme que l’on peut se faire du souci. Il y aura toujours des bactéries, des virus, des champignons ou des animaux qui survivront à la crise. Tant qu’il y aura de l’eau liquide, il y aura de la vie sur Terre. La question est : avec ou sans nous ? »

Et l’auteur de conclure : « Il faut être réalistes, garder les pieds sur terre et accepter ce que nous sommes, une espèce biologiquement adaptée de manière fine et précise à son environnement, la Terre, troisième planète du système solaire. À moins de trouver une improbable sphère bleue strictement jumelle et de disposer d’un moyen de transport tout aussi improbable pour nous y rendre, aucune échappatoire n’existe. Alors, arrêtons de rêver. Il n’y a pas de planète B ! » (Olivier Jehin)

Bruno David. À l’aube de la 6e extinction – Comment habiter la Terre. Le Livre de Poche. ISBN : 978-2-2531-0468-1. 253 pages. 7,70 €

L’Europe fédérale, cette utopie vivante

Tous ceux qui ont rencontré Domenico Rossetti di Valdalbero connaissent son attachement à l’Europe et aux idées fédéralistes. En rédigeant cet essai, il s’est de toute évidence laissé porter par son enthousiasme. Trop, peut-être, parce que cet élan, plein de générosité, conduit à un discours, sans véritable organisation, propice aux redondances, à l’instar de ces citations qui reviennent encore et encore, comme des mantras. À l’excès, jugeront d’aucuns, tant cette « utopie vivante » qu’est l’Europe fédérale, selon les propres mots de l’auteur, peine à trouver le chemin d’une concrétisation. L’Europe sera fédérale ou ne sera pas. Mais dans combien de temps ? Car, comme l’explique très bien Domenico, le temps presse, si les Européens veulent restaurer ensemble dans un nouvel État fédéral une souveraineté qu’ils ont perdue au niveau national. Et si cette volonté venait à exister, comment procéder ? L’ouvrage évoque quelques pistes pour avancer sur la voie d’une intégration renforcée.

« Pacifiquement, nous avançons vers plus d’intégration, mais nous marchons à petits pas, à trop petits pas au XXIe siècle par rapport aux Grands de ce monde. En une dizaine d’années, la Chine a construit plus de kilomètres de lignes à haute vitesse que l’Europe en quarante ans. Huit des dix plus grandes capitalisations boursières du monde sont américaines. Il nous faut faire un saut plus rapide vers plus d’approfondissement européen, si nous voulons compter dans le monde de demain », écrit Domenico Rossetti di Valdalbero, qui est chef d’unité adjoint au sein de la DG Recherche de la Commission européenne.

« Nous n’avons d’autre choix valable que le fédéralisme. Nos deux institutions fédérales, la Cour de justice de l’UE et la Banque centrale européenne le montrent, en remplissant leur mission. Par contre, la méthode intergouvernementale de l’UE a trop souvent montré ses limites, ses lenteurs et, souvent, son inefficacité », écrit avec raison l’auteur, qui rappelle la définition que donnait Denis de Rougemont du fédéralisme : « il n’est ni l’unification au mépris des diversités ni le refus de tout pouvoir central, le repli sur soi, voire le séparatisme, mais bien la synthèse de l’union et de la diversité ».

L’auteur identifie quatre « grands sauts » qui doivent contribuer à parachever l’intégration européenne : (1) instaurer un véritable système d’élections démocratiques des leaders des institutions européennes, qui pourrait s’appuyer sur des primaires au sein des grands partis politiques européens, en s’inspirant du système des Spitzenkanditaten, mais, ajoute Domenico, « il faut passer des débats élitistes aux débats contradictoires publics et en ‘prime time’ sur les grandes chaînes de télévision ». « L’adhésion populaire se mérite et requiert des efforts considérables de proximité avec les citoyens » ; (2) faire de l’Union l’entité souveraine par excellence dans les matières qui requièrent son intervention, comme la gestion des flux migratoires et la sécurité intérieure de l’Union : « Dans une zone de libre circulation, la centralisation des informations, la mutualisation des moyens et la rapidité des décisions sont indispensables. Des gardes-frontières et des garde-côtes européens devraient être en place depuis que la libre circulation des personnes est une réalité » ; (3) doter l’Union de ressources propres et d’un Trésor digne de ce nom : « Le budget fédéral américain représente 20% du PIB des États-Unis, celui de l’Allemagne 10% et celui de l’UE 1% (2% avec le Plan de relance post-Covid, Ndr). (…) Il serait risible, voire ridicule d’imaginer que les 50 États d’Amérique ou les 16 Länder allemands se réunissent tous les sept ans en se disputant comme des chiffonniers pour quémander les dollars ou les euros nécessaires à la gestion des politiques d’intérêt commun. C’est pourtant ce qui se passe au niveau européen », écrit l’auteur ; (4) prolonger au-delà de la relance Covid, l’émission de bons d’État européens pour financer des infrastructures et des mécanismes d’aide sociale dans un souci de solidarité européenne.

S’il est impossible de faire ce saut dans l’intégration européenne à vingt-sept, l’auteur préconise de « développer un noyau dur – à partir des six pays fondateurs ou à partir de la zone euro ». Et il ajoute, avec à mon sens beaucoup d’optimisme : « Le moteur franco-allemand doit donner la première impulsion. L’Allemagne est la seule capable de faire avancer le débat sur le Trésor européen et la France est la mieux à même de diriger les négociations sur la sécurité intérieure de l’Union ».

« Tout nouvel élargissement devrait se faire avec l’accord explicite d’une majorité de citoyens européens. Une consultation, à tenir le même jour et avec la même question partout en Europe est primordiale pour rapprocher l’Europe des peuples et de ses citoyens », affirme encore Domenico Rossetti di Valdalbero, qui soutient également le développement d’une défense européenne offrant un pilier européen à l’Alliance atlantique. (OJ)

Domenico Rossetti di Valdalbero. L’Europe fédérale, cette utopie vivante. L’Harmattan. ISBN : 978-2-1402-6160-2. 165 pages. 18,00 €

Hungary after the General Elections

Dans cet article paru dans la revue allemande Südosteuropa Mitteilungen, les politologues Sonja Priebus (docteur en sciences politiques, Université de Magdebourg) et Zsuzsanna Végh (Central European University, Budapest) analysent le déroulement et les résultats des élections hongroises du 3 avril 2022.

Les auteurs rappellent que les élections législatives, remportées par la coalition Fidesz-KDNP de Viktor Orbán avec une majorité des deux tiers, offraient pour la première fois la possibilité aux électeurs de voter pour une alliance des partis d’opposition. Dans le même temps, les électeurs étaient invités à se prononcer par référendum sur la protection des enfants contre la promotion des questions de genre et LGBTQ, lequel a été invalidé en raison d’une trop faible participation.

Alors que l’on attendait un meilleur score d’une opposition regroupée, l’alliance a obtenu de moins bons résultats que la somme de ses composantes lors des précédentes élections. Ce sont toutefois les électeurs du Jobbik qui ont fait défaut en préférant voter pour la coalition Fidesz-KDNP ou la liste d’extrême-droite Notre Patrie, expliquent, chiffres à l’appui, les deux chercheurs. Le scrutin confirme aussi le fossé croissant entre la capitale, où la coalition Orbán n’a obtenu que deux sièges (contre 5 en 2018) alors que l’opposition en a gagné 17 (19 en comptant deux districts extérieurs Pécs et Szeged), et le reste du pays, qui vote très largement pour le Fidesz. Hormis la rhétorique conservatrice habituelle et les difficultés de l’opposition à avoir accès aux médias, la très large victoire d’Orbán s’expliquerait aussi, selon les auteurs, par les craintes soulevées par la guerre en Ukraine.

En invoquant la défense de la souveraineté nationale, le pouvoir a déjà renforcé les prérogatives du Premier ministre. « Dans le nouveau gouvernement, tous les services civils de sécurité nationale ont été transférés des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères au cabinet du Premier ministre », soulignent les auteurs, qui signalent aussi la création d’un nouveau « National Information Centre » dirigé par le chef de cabinet du Premier ministre, souvent qualifié de « ministre de la propagande ». Le jour même de l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, la majorité parlementaire Fidesz-KDNP a approuvé un amendement à la loi fondamentale introduisant un état d’urgence (state of danger), lequel permet une concentration des pouvoirs avec des mesures d’exception, y compris la limitation des libertés fondamentales lorsqu’un pays voisin connaît une guerre, un conflit armé ou une crise humanitaire sur son territoire, comme c’est le cas aujourd’hui en Ukraine. Cet état d’urgence a été immédiatement proclamé par Orbán et est entré en vigueur le 25 mai.

Si les relations avec le PiS polonais ont souffert du refus du gouvernement hongrois de condamner Poutine et de rompre ses liens politiques et économiques étroits avec la Russie, Priebus et Végh estiment qu’il n’y aura pas de rupture complète et durable entre le Fidesz et le PiS tant que les deux alliés poursuivront leur tendance à l’autocratisation interne, l’un ayant besoin de l’autre pour faire face à d’éventuelles sanctions européennes. Le renforcement du pouvoir d’Orbán va accroître la pression sur les derniers bastions démocratiques, en particulier les organisations non gouvernementales et les derniers médias indépendants, estiment les auteurs, qui jugent « improbable que le gouvernement Orbán copie complètement le modèle russe et transforme la Hongrie en un régime autocratique à part entière », en raison de sa dépendance aux subsides européens. « L’expérience suggère, toutefois, que les contraintes imposées par l’UE ne suffisent pas à renverser la tendance », ajoutent les auteurs, avant de conclure : « La future re-démocratisation du pays dépendra dès lors largement de la résilience des forces démocratiques en Hongrie, en premier lieu (first and foremost) l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, mais aussi la société civile ». (OJ)

Sonja Priebus, Zsuzsanna Végh. Hungary after the General Elections – Down the Road of Autocratisation ? Südosteuropa Mitteilungen 03/2022. ISSN : 0340-174X. 112 pages. 15,00 € 

Sommaire

Invasion Russe de l'Ukraine
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
ACTION EXTÉRIEURE
INSTITUTIONNEL
POLITIQUES SECTORIELLES
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ
RÉPONSE EUROPÉENNE À LA COVID-19
BRÈVES
Kiosque