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Bulletin Quotidien Europe N° 13004

23 août 2022
Sommaire Publication complète Par article 27 / 27
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N° 065

Compassion

C’est dans une sorte de voyage parallèle entre Bruxelles et Katmandou que nous emmène Isabelle Garzon dans ce roman. Un récit qui mêle adroitement la découverte du bouddhisme par Caroline, initialement partie faire du trek au Népal pour évacuer le stress de sa vie de fonctionnaire à la Commission européenne, et l’enquête menée par Nicolas dans les méandres des institutions européennes pour sauver sa sœur menacée de renvoi pour absence injustifiée.

Si un avertissement souligne que « l’imagination de l’auteur a prévalu » pour faire du monastère de Kopan « le cadre romanesque (de) son interprétation personnelle des préceptes bouddhistes », l’ouvrage nous ramène pleinement à la réalité de la vie quotidienne dans la bulle bruxelloise, avec ses complexités procédurales et techniques (il est ici question des perturbateurs endocriniens et du bisphénol A), ses réseaux d’influence mêlant les genres (des conservateurs du PPE aux lobbyistes de l’industrie chimique, en passant par l’Opus Dei), ses politiques, ses diplomates, ses syndicalistes et l’inévitable journaliste, nommé Jérôme Parmentier, qui n’est pas sans faire penser à un célèbre confrère du quotidien Libération.

Tout est fiction, mais tout en fait pourrait être parfaitement réel. Car Isabelle Garzon connaît son sujet sur le bout des doigts. Elle a travaillé à la Commission européenne pendant vingt-six ans, dans différentes directions générales, dont celle de la pêche, mais aussi au sein du cabinet de Pascal Lamy. Cela donne une dimension pédagogique au roman à l’attention de tous ceux qui ne connaissent rien de ce microcosme. Mais il y a bien plus. Car aussi européenne soit-elle dans l’âme et dans la vie – elle est désormais directrice des études au sein du think tank bruxellois Europe Jacques Delors - Garzon ne fait pas de concession et ose montrer au lecteur les opacités du système institutionnel, les collusions, « le terrain miné par les pressions politiques et institutionnelles » sur lequel même les fonctionnaires les plus loyaux et les plus engagés – et surtout ceux-là – finissent par connaître le burn-out ou tomber dans l’alcool, s’ils n’ont pas, comme Caroline, l’inspiration salvatrice d’aller s’aérer l’esprit ailleurs.

Au Népal, Caroline va s’accepter, pendant que Nicolas, à Bruxelles, découvre qu’il ne connaissait pas vraiment sa sœur. Avec l’assistance des amis de Caroline, il réussira à sauver sa sœur et même à battre les réseaux d’influence, ouvrant par là même la voie à une meilleure protection de la santé et de l’environnement. Comment ? C’est à découvrir au fil des pages de ce roman, qui nous offre une excellente transition entre vacances et reprise du collier. (Olivier Jehin)

Isabelle Garzon. Compassion. Éditions Vérone. ISBN : 979-1-0284-1548-8. 323 pages. 26,00 €

European Energy Security and Greece’s Key Role

L’ancien ministre grec de l’Environnement, de l’Énergie et du Climat (2009-2015), Yannis Miniatis, souligne, dans cette note d’analyse parue dans le dernier numéro de la revue Südosteuropa Mitteilungen, que la transition énergétique va nécessiter, d’ici 2030, six fois le volume actuel de minéraux critiques, une multiplication par quatre des investissements dans les énergies propres et un effort considérable pour gagner en indépendance par rapport au gaz russe et aux matériaux critiques d’origine chinoise. Dans ce contexte, il estime que la Grèce a un rôle clef à jouer pour la sécurité énergétique de l’Europe, via l’exploitation de ses réserves de gaz en mer ionienne et au large de la Crète (d’une valeur estimée à 250 milliards d’euros) et de ses interconnexions (Trans-Adriatic Pipeline, Interconnector Greece-Bulgaria, EastMed pipeline, EuroAsia Interconnector) avec les Balkans, l’Europe orientale et la Méditerranée orientale.

« D’ici 2040, selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande en technologies d’énergie propre va nécessiter six fois le volume actuel de graphite, cuivre, lithium, cobalt et d’autres minéraux critiques. Cela engendre de nouvelles préoccupations de sécurité énergétique, y compris en termes de volatilité des prix et de coûts additionnels pour la transition, si la production n’arrive pas à répondre à la demande croissante. Au total, l’économie mondiale aura besoin d’un accroissement de l’hydrogène à faible empreinte en carbone, de 0,4 million de tonnes actuellement à 40 millions de tonnes en 2040. Accroissement des véhicules électriques vendus, de 2,5 millions aujourd’hui à 50 millions en 2030. Accroissement des investissements dans l’électricité propre de 380 milliards USD aujourd’hui à 1,6 trillion en 2030. L’Europe doit gérer ses nouveaux risques de dépendance et de sécurité énergétique, issus de l’importation à partir de pays tiers de matières premières et de métaux nécessaires aux infrastructures vertes et digitales. Dans le même temps, l’UE doit élaborer un plan stratégique complet à la fois pour disposer de sources alternatives et éviter une sur-dépendance de pays tels que la Chine », écrit Maniatis qui s’inquiète également des risques d’accroissement des inégalités sociales et de la pauvreté, d’instabilité et de migration induits par la transition, notamment dans les pays d’Afrique du Nord. Il appelle l’UE à soutenir une politique active des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, mais aussi des banques centrales – FED, BCE – des fonds européens et de la BERD) sous forme de prêts, de garanties et d’aides à l’énergie verte et la transformation digitale dans ces pays. Plus globalement, il milite pour un « Bretton Woods du Climat » afin de coordonner au niveau mondial un financement par les institutions financières internationales des principaux projets d’économie circulaire et de décarbonation partout dans le monde.

Critique envers la Commission européenne, qui s’est contentée de compiler dans une boîte à outils les mesures déjà prises par les États membres face à la crise du gaz, l’auteur réitère la proposition qu’il avait faite lors de la crise russo-ukrainienne du gaz en 2014 d’établir un fonds de compensation à l’échelle européenne pour aider les États membres qui, à l’exception de l’Allemagne, rencontrent des difficultés à payer un prix équivalent à celui d’autres importateurs comme la Chine, le Japon ou la Corée pour les cargaisons de gaz naturel liquéfié. Un tel fond devrait, selon lui, être doté de 30 milliards d’euros. (OJ)

Yannis Maniatis. European Energy Security and Greece’s Key Role. Südosteuropa Mitteilungen. 02/2022. ISSN : 0340-174X. 112 pages. 15,00 €

Occident-Russie : la fracture

Dans son dernier numéro, la Revue générale consacre son dossier à la guerre en Ukraine et Francis Delpérée, qui en signe l’éditorial, rappelle aux lecteurs, particulièrement à ceux qui conserveraient des doutes sur les responsabilités des Occidentaux, que les faits parlent d’eux-mêmes : « Un État – la Russie, puisqu’il faut l’appeler par son nom – a porté la guerre de manière délibérée dans un autre État – l’Ukraine. Il a nié son indépendance. Il a violé son territoire. Il s’est comporté comme s’il se trouvait en terrain conquis. Il n’a eu égard ni aux personnes ni aux biens. Carnage et saccage ont fait bon ménage ». Pour l’éditorialiste, les citoyens ukrainiens se sont « sacrifiés – le mot n’est pas trop fort – pour préserver autant que possible l’intégrité de leur pays (et) pour promouvoir, envers et contre tout, la conception qu’ils se faisaient de la démocratie et de la liberté ». Et Delpérée de former un vœu : « Que leur message, simple au demeurant, nous inspire. Qu’il réveille les citoyens européens endormis. Qu’ils les sortent de leurs certitudes : à l’abri des frontières de l’Europe et sous le parapluie américain, ils n’auraient rien à craindre, la société démocratique serait installée pour toujours et leurs droits seraient intangibles. Que les yeux se dessillent. La liberté est fragile. Pas seulement à 2 000 km d’ici. Mais dans toute contrée ».

« L’étendue inédite des mesures (restrictives) et le dommage économique qu’elles provoquent auront-ils un effet dissuasif ? », s’interroge Tanguy de Wilde (UC Louvain). Il y voit un échec par rapport au passé récent et un espoir, avec une dose de perplexité, pour l’avenir : « Les sanctions avaient été annoncées, mais leur perspective n’a pas été dissuasive pour Moscou. C’est un échec pour la menace restrictive contenue dans l’effet d’annonce. Les sanctions sont désormais appliquées et la perspective de leur levée doit dès lors avoir une vertu persuasive. Persuader la Russie de changer d’attitude avec une promesse : la levée graduelle des mesures. On en est loin. Et toute évolution de la situation sur le terrain, allant vers un cessez-le-feu et des négociations, risque de relever du casse-tête : comment favoriser le processus diplomatique, s’il est bien réel, en maintenant ou en allégeant la pression ? »

« Voulant légitimer l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ont évoqué, entre autres raisons, la ‘défense des orthodoxes’ et la protection de ‘chrétiens persécutés’. Soutien traditionnel de la politique étrangère du Kremlin dans le passé, l’Église orthodoxe russe a, par la bouche de son primat, le patriarche de Moscou, Cyrille (Gundiaev), béni les soldats ‘défenseurs de la patrie’ contre des ‘forces étrangères’ qui voudraient ‘détruire l’unité de la Sainte Russie’. Cyrille, dont le territoire canonique inclut l’Ukraine, a même évoqué un affrontement métaphysique entre le christianisme et des ‘manifestations sataniques’ comme les revendications LGBT. D’autres clercs et laïcs orthodoxes en Russie répètent cette rhétorique de croisade et, dans les églises, les médias ou sur les réseaux sociaux, pourfendent ‘l’apostasie ukrainienne’, la ‘russophobie pathologique de l’Ouest’ ou encore l’agression ‘americano-otanienne’ contre ‘le dernier bastion de la foi’ », rappellent Theodoros Koutroubas et Serge Model en introduction à un article intitulé : « Et Dieu dans tout ça ? »

Koutroubas et Model soulignent que « pour des raisons historiques, canoniques ou politiques, les orthodoxes ukrainiens sont divisés aujourd’hui en trois branches concurrentes », à savoir : - l’Église orthodoxe ukrainienne (UOC-MP), autonome, mais gardant un lien avec le patriarcat de Moscou ; - l’Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine (OCU), établie en 2018 avec le soutien du patriarche de Constantinople ; - l’Église orthodoxe ukrainienne – patriarcat de Kiev (UOC-KP), dissidence de la seconde liée à la figure controversée du patriarche autoproclamé Philarète. Si cette dernière, qui ne regroupe que 2 à 4% des fidèles, « disparaîtra probablement au décès du prélat nonagénaire », les auteurs soulignent que l’OCU, qui « avait suscité l’ire de Moscou et causé un schisme intra-orthodoxe », a vu sa popularité renforcée par l’invasion russe : « Elle serait passée de 35 à plus de 48% de fidèles ». « Si l’on ne voit pas encore de rapprochement entre ces trois Églises, leurs réactions à l’invasion russe témoignent de l’union nationale du pays », observent Koutroubas et Model, en constatant notamment que « la moitié des évêques de l’UOC-MP ont cessé de prier pour le patriarche russe et (que) certaines paroisses ont rejoint les Églises concurrentes ».

« En soutenant l’invasion de l’Ukraine, Cyrille a sans doute perdu une très grande partie de sa légitimité dans ce pays. Il a également rendu invivable la situation des Ukrainiens appartenant à l’Église autonome sous son patriarcat : des politiciens ukrainiens envisagent d’interdire légalement cette juridiction, tandis que l’OCU appelle tous les orthodoxes du pays à rompre leurs liens avec ceux qui continuent à mentionner dans la divine liturgie le nom du patriarche soutenant l’ennemi », expliquent les auteurs, qui ajoutent : « Quand bien même une victoire russe forcerait certaines paroisses à réintégrer l’UOC-MP, la continuation de l’existence de cette dernière dans l’État ukrainien apparaît désormais très difficile, et une recomposition de l’orthodoxie en Ukraine inévitable. Les paroisses de l’Ukraine formant un tiers de l’Église russe, leur perte dépouillerait d’autant le patriarcat de Moscou. Il est intéressant de noter dans ce contexte que l’Église gréco-catholique, rivale traditionnelle de l’Église orthodoxe en Ukraine, pourrait également sortir renforcée du conflit ».

À noter que la revue contient aussi une interview de Jean-Claude Juncker, dans laquelle l’ancien président de la Commission européenne rejette à la fois l’idée que l’Union européenne puisse être « une sorte d’'États-Unis fédéral' » et la perspective d’une « souveraineté européenne », même s’il prend soin de l’attacher à un « sens national du terme ». À la lecture de cet entretien, je me suis demandé pourquoi des responsables politiques comme l’ancien Premier ministre luxembourgeois avaient voulu appeler « Union européenne » ce qui, à leurs yeux, n’avait vocation qu’à être un grand marché ? Pourquoi tant de baratin sur l’intégration, les valeurs et la citoyenneté européenne alors que la coopération au sein du Conseil de l’Europe était largement suffisante ? Pourquoi une telle dépense d’énergie en vue d’une autonomie stratégique européenne et pourquoi avoir même osé l’évocation d’une « armée européenne » alors que toute souveraineté européenne est illusoire et que la vassalisation des immuables États-nations d’une Europe morcelée est tellement plus appréciable ? (OJ)

Frédéric Saenen (sous la direction de). Occident-Russie : la fracture. Presses universitaires de Louvain. Revue générale. N° 2022/2. Juin 2022. ISBN : 978-2-3906-1243-8. 251 pages. 22,00 €

La Boussole stratégique de l’UE répond-elle aux énigmes existentielles de la défense européenne ?

Dans cette note d’analyse sur la ‘Boussole stratégique’, Federico Santopinto rappelle qu’au cours des vingt dernières années, « les États membres ont tenté à plusieurs reprises de relancer leur projet de défense commune via la rédaction de textes stratégiques, sans par la suite consentir d’efforts dans la mise en œuvre ». Aussi, cet exercice risque-t-il de « rester vain tant que les Européens ne se résoudront pas à affronter les énigmes existentielles qui accompagnent leur politique de défense commune », estime le chercheur, qui ajoute : « Avant de se demander ce que l’Union doit faire (…), encore faut-il qu’ils s’accordent sur ce qu’elle est censée être. Or, ce n’est certainement pas la nouvelle Boussole stratégique qui le dira ». En d’autres termes, la défense européenne s’inscrit-elle dans une logique de coopération ou d’intégration ? Et Federico d’enfoncer le clou : « Tant que les Européens ne clarifieront pas, en premier lieu pour eux-mêmes et en second lieu pour leurs alliés, ce que leur politique de défense commune est censée représenter au sein de la construction politique européenne, ils ne seront pas en mesure de comprendre ce que l’Union doit faire et ce qu’elle ne doit pas faire. Et, ils ne seront pas non plus davantage en mesure de départager les attributions respectives de l’UE et de l’OTAN ». (OJ)

Federico Santopinto. La Boussole stratégique de l’UE répond-elle aux énigmes existentielles de la défense européenne ? Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité. Éclairage. 11 juillet 2022. Cette note d’analyse peut être téléchargée sur http://www.grip.org

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