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Bulletin Quotidien Europe N° 12995

19 juillet 2022
Sommaire Publication complète Par article 37 / 37
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N° 064

Poutine, l’Ukraine, les faces cachées

Diplomate sous Gorbatchev, puis porte-parole de la Pérestroïka, l’écrivain d’origine russo-ukrainienne Vladimir Fédorovski dresse dans cet ouvrage le portrait complexe du président Poutine. Si l’Ukraine et la guerre qui y est menée par le Kremlin servent de contexte tragique à la parution de cet essai aux accents de roman d’actualité, l’auteur cherche principalement à déchiffrer la personnalité et la pensée de Vladimir Poutine en faisant appel à cinq figures qui se complètent pour façonner le leader guerrier d’aujourd’hui : l’enfant meurtri, le sportif tacticien, l’espion fourbe, l’homme politique blessé et le tsar fantasmé.

« L’Ukraine, historiquement parlant, est le plus grand échec de Poutine. Dans l’absolu, Kiev pouvait être un trait d’union entre la Russie et l’Occident. Poutine a dépensé plus de 18 milliards d’euros pour renforcer son influence sur l’Ukraine, il a tenté d’acheter les oligarques ukrainiens, il a fait passer le gaz russe pour alimenter l’Europe… Ce fut complètement contre-productif. Les oligarques ont pris les milliards et les ont placés aux États-Unis et ils sont restés totalement indifférents à l’influence russe. Bien plus : avec le mouvement Maïdan et la « révolution de la dignité » en 2014, Poutine considère que les Américains ont organisé avec les Occidentaux et les nationalistes (les « néonazis », comme il les appelle) un coup d’État pour renverser le président légitime, Viktor Ianoukovitch, et le remplacer par ses successeurs : Petro Porochenko puis Volodymyr Zelensky. Il a ensuite essayé de camoufler cet échec par le rattachement de la Crimée en 2014, puis par l’action militaire contre Kiev en 2022 », écrit en introduction l’auteur, qui se dit déchiré par cette guerre.

Pour Fédorovski, qui se présente comme « l’un des fossoyeurs de la guerre froide » et qui a le sentiment que tout son travail a été anéanti, « la situation est beaucoup plus dangereuse que pendant la guerre froide ». « Il y avait alors des accords, des limites, et nous savions toujours distinguer la propagande de la politique réelle. Maintenant, nous avons un tel mélange des genres que cela devient compliqué à gérer », écrit-il, avant de poursuivre : « Sur le plan géopolitique, on s’oriente vers une rupture définitive entre la Russie e l’Occident. Deux blocs sont en train de se créer. Poutine renforce l’OTAN et pour l’instant, l’OTAN renforce Poutine, même si l’on constate des fléchissements dans l’opinion publique russe. Ce n’est pas officiel, mais la Chine a assuré les arrière-fronts de la Russie en Asie. (…) Sur le plan économique, je suis plutôt prudent sur le résultat des sanctions. Le pouvoir d’achat des Russes va sans aucun doute considérablement diminuer, mais leur situation était nettement plus dramatique sous Eltsine. (…) Les sanctions touchent essentiellement les oligarques, une centaine de personnes qui contrôlent 50% des richesses nationales. (…) Sur le plan politique, les Occidentaux pensent qu’il y aura une alternative pro-occidentale en Russie. C’est une illusion, au mieux un pari risqué. L’infléchissement de l’organisation économique que va susciter la crise géopolitique peut au contraire être un moyen pour Poutine de maîtriser le pouvoir des oligarques. En tout cas, avec les fortunes qu’ils ont amassées, ils peuvent survivre sans l’Occident et cela peut favoriser le nationalisme de certains d’entre eux ».

Selon l’auteur, trois clefs permettent de comprendre le fonctionnement de Poutine : (1) « C’est un garçon de la rue, les autres enfants le craignaient. Il agit comme la pègre de Saint-Pétersbourg : il ne pardonne jamais, il ne recule pas, c’est un psychorigide. C’est de là que vient son jusqu’au-boutisme » ; (2) « C’est un excellent judoka qui bouscule l’adversaire, transforme sa force à son profit. Et comme tous les Russes, c’est un joueur d’échecs » ; (3) « C’est un espion qui se meut dans les rapports de force. Il a appris le triple langage, il est capable de faire croire à ses interlocuteurs qu’il est comme eux ».

Vladimir Fédorovski estime que « dans une nécessaire désescalade, il faut avoir en tête que non seulement (Poutine) a été blessé par ce qui, selon lui, est la faiblesse d’un Gorbatchev et d’un Eltsine, non seulement il se rêve en nouveau Tsar, mais il faut également tenir compte des facteurs psychologiques qui ont marqué sa jeunesse, sa pratique sportive, sa carrière d’espion, son ascension politique, et ont fait de lui un tacticien fourbe qui ne recule pas ». Et de poursuivre : « Une phrase éclaire sa vision : ‘Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur. Celui qui la regrette n’a pas d’intelligence…’ L’œuvre à laquelle Poutine s’acharne, pétrie de nostalgie, de brutaux rapports de force et de pugnacité, est celle de la continuité d’une Grande Russie, celle qui s’étend des figures magistrales du tsarisme à Staline lui-même. Vladimir Poutine n’ambitionne pas moins que de se hisser auprès des figures les plus marquantes de cette Russie éternelle – La Grande Catherine, Alexandre 1er, Alexandre II, puis Staline – et, dans ce but, il maîtrise avec brio le roman national et n'hésite pas à le manipuler ».

« Une alternative au système Poutine verra-t-elle le jour ? Est-elle même possible ? », interroge l’auteur, qui s’empresse de répondre : « Le paysage politique paraît totalement maîtrisé, et verrouillé. Pour cause, la moindre concurrence mettrait grandement en danger l’ensemble du système mis en place par Poutine et la crédibilité d’une vision autoritaire du pays. L’affaire Navalny a cruellement démontré le sort réservé aux tentatives de déstabilisation du pouvoir en place ». Et Fédorovski d’ajouter : « L’influence de l’Occident est perçue comme un danger pour la Russie et Alexeï Navalny paraît largement soutenu par l’Occident. Il devient par là même l’image de ce dont les Russes ont horreur : cet Occident qui a renié ses valeurs judéo-chrétiennes et cherche encore à s’infiltrer au sein de la Russie éternelle ».

Fédorovski estime aussi qu’il y a « une forme d’aveuglement général de la part de l’Occident, envers l’alliance économique et militaire qui se tisse entre la Chine et la Russie, envers le fait que la Russie ne veut plus de l’Occident, qu’elle considère comme vassalisé par les États-Unis et islamisé ». Avec en toile de fond que « les Russes se sentent méprisés par une attitude supérieure de l’Occident ». Et l’auteur de conclure : « Le sort de Poutine sera déterminé par sa capacité ou son incapacité à répondre aux besoins fondamentaux de sa population (…). Pour se maintenir au pouvoir, la guerre devient inévitablement une manière d’entretenir le sentiment patriotique de la nation, mais la guerre coûte cher, elle aussi, et le prix du pétrole ne suffira pas pour maintenir le niveau de vie des générations qui viennent ». (Olivier Jehin)

Vladimir Fédorovski. Poutine, l’Ukraine, les faces cachées – Un monde de tous les dangers. Galland. ISBN : 978-2-9407-1921-1. 222 pages. 18,00 €

Staying on Course in Troubled Waters

Compilation de textes (articles mis en ligne sur son blog, discours, tribunes publiées dans la presse) rédigés ou attribués au Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, cet ouvrage retrace les événements marquants de la politique étrangère de l’Union européenne en 2021, « année difficile », caractérisée par un accroissement des inégalités et une exacerbation des défis géopolitiques sur fond de pandémie.

« Les conflits, tensions et luttes d’influence qui existaient avant la pandémie sont toujours là, en même temps que divers dossiers internationaux. Les plus importants d’entre eux sont la crise environnementale – qui ne se limite pas au changement climatique – et l’impact multidimensionnel de la digitalisation », écrit Josep Borrell dans son introduction, avant d’ajouter : « Les conflits et les guerres civiles sont plus nombreux ; ils durent plus longtemps, sont souvent internationalisés par des interventions par procuration (‘proxy forces’ dans le texte anglais, couvrant l’emploi de mercenaires ou de forces étrangères : Ndr) et plus difficiles à résoudre. Les politiques de puissance sont de retour sur l’agenda partout dans le monde. De nouveaux empires (souvent autoritaires) étendent leur influence et défient les valeurs et intérêts européens ».

Josep Borrell se félicite néanmoins de l’arrivée de l’administration Biden, qui a permis un changement de ton et de substance dans les relations UE/États-Unis : « L’UE et les États-Unis sont maintenant sur la même page (en ce qui concerne) le changement climatique, les négociations avec l’Iran/JCPOA, la taxation des entreprises mondiales, etc. L’administration Biden a compris que l’alliance avec l’Europe est un moyen pour les États-Unis de rester parmi les pays leaders dans le monde. L’Europe n’est pas un fardeau pour les États-Unis, mais un atout ».

Le Haut Représentant rappelle que l’Europe voit la Chine comme un acteur mondial majeur, qui est à la fois un partenaire, un compétiteur et un rival systémique. L’administration Biden partage ce point de vue, même s’il existe des différences des deux côtés de l’Atlantique sur la part de ces différentes caractéristiques, reconnaît-il.

Josep Borrell réaffirme que le renforcement de l’Alliance atlantique nécessite le renforcement de son pilier européen. « Nous avons besoin de construire un dialogue entre les États-Unis et l’UE sur toutes les questions stratégiques. Nous avons progressé dans cette voie en 2021 et nous devons maintenant lui donner un maximum de substance. La multiplication des crises que nous observons est un bon indicateur de cette nécessité et de son urgence », estime aussi le Haut Représentant.

Quant à la « Boussole stratégique », elle « n’est ni une boule de cristal pour la prédiction de l’avenir ni une balle en argent qui rendra par magie l’Europe capable de développer une politique de défense commune en une nuit », mais « un guide pour la préparation, la (prise de) décision et l’action qui propose des étapes concrètes », rappelle Josep Borrell, qui se dit « pleinement conscient des limites des approches purement militaires ». Et il ajoute : « Nous devons tirer les leçons (…) de l’Afghanistan et d’autres interventions. L’UE ne sera jamais une puissance militaire classique ; ce n'est ni notre ambition ni ce dont le monde a besoin. Toutefois, si on veut jouer un rôle politique et façonner les événements mondiaux, on a besoin d’une boîte à outils qui permet aussi la présence sur le terrain. Si on retire cette option de la table, d’autres rempliront le vide – comme nous l’avons vu en Libye et ailleurs ».

Si l’interdépendance a longtemps été perçue comme facteur de coopération, elle est aujourd’hui instrumentalisée à des fins stratégiques dans des domaines aussi divers que les technologies, les métaux rares ou encore la migration. Aussi, l’Europe doit-elle « réduire sa vulnérabilité dans tous les domaines où quelques pays peuvent manipuler nos dépendances et restreindre nos options et choix », affirme Josep Borrell, qui estime enfin que « nous sommes souvent en mode réactif » et qu’il est nécessaire pour l’Europe de retrouver le sens de l’initiative et de chercher à bâtir des coalitions. À ce manque manifeste d’initiative s’ajoutent une bureaucratie et une inefficacité découlant de procédures beaucoup trop lentes, auxquelles le Haut Représentant appelle, a mezza voce, à remédier. (OJ)

Josep Borrell Fontelles. Staying on Course in Troubled Waters – EU Foreign Policy in 2021. Office des publications de l’Union européenne. ISBN : 978-92-9463-089-6. 465 pages.

The extent of the European Parliament’s competence in Common Security and Defence Policy

Dans cette étude, Carolyn Moser (Max Planck Institute) et Steven Blockmans (CEPS) examinent en détail l’étendue de la compétence du Parlement européen sur les questions qui relèvent de la sécurité et de la défense. S’ils soulignent que celle-ci est extrêmement limitée au regard des traités, exception faite des sujets relatifs à l’industrie et à la recherche, ils estiment aussi que, du point de vue du contrôle démocratique, le Parlement ne peut pas être définitivement tenu à l’écart des décisions de la Politique étrangère et de sécurité commune et qu’il dispose d’une marge de manœuvre pour obtenir une meilleure implication, sous réserve de recours devant la Cour de justice et d’efforts internes pour gagner en efficacité.

Pour Moser et Blockmans, le contrôle démocratique se heurte essentiellement à un accès insuffisant à l’information sur les processus, négociations et décisions prises par le Conseil dans le cadre de la politique (intergouvernementale) de défense et de sécurité commune. Or, par deux arrêts concernant un accord avec l’île Maurice (2014) et un autre avec la Tanzanie (2016), la Cour de justice a constaté que le Conseil avait méconnu le droit du Parlement d’être immédiatement et dûment informé à toutes les étapes de la procédure, comme le prévoit l’article 218(10) TFUE. La Cour a notamment affirmé que « précisément parce que le Parlement s’est vu conférer (…) un rôle limité dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, la fourniture d’information est essentielle pour permettre à l’institution ‘d’exercer le contrôle démocratique sur l’action extérieure de l’Union européenne et, plus spécifiquement, de vérifier que ses pouvoirs sont respectés scrupuleusement par suite du choix d’une base légale pour une décision portant conclusion d’un accord’ ». En conséquence, les auteurs estiment que le Parlement devrait tout mettre en œuvre pour faire valoir ses droits à l’information, y compris en faisant recours à l’arbitrage de la Cour. « La (quasi) absence du PE dans l’élaboration de la ‘Boussole stratégique’, un document public qui, de toute évidence, fera l’objet d’une mise en œuvre par le biais d’une ou plus de décisions du Conseil, offre une base matérielle propice à l’implication de la Cour », écrivent Moser et Blockmans. Parallèlement, le Parlement devrait chercher à obtenir une révision de l’accord interinstitutionnel sur les informations sensibles et donner de meilleures garanties quant à l’usage de ce type d’informations (salle de consultation sécurisée, communications cryptées, habilitations de sécurité des fonctionnaires y ayant accès).

Les deux chercheurs rappellent aussi que la sous-commission ‘Sécurité et Défense’ pourrait être transformée en une commission autonome et ils estiment que le Parlement pourrait utilement chercher à mieux organiser son travail pour gagner en efficacité. Il devrait également continuer à user de ses prérogatives budgétaires pour étendre le contrôle parlementaire sur la politique de sécurité et de défense commune. À cette fin, le Parlement pourrait notamment réitérer les arguments et la demande de mettre fin aux mécanismes extra-budgétaires employés pour financer des organes de l’UE tels que l’Agence européenne de défense et la Coopération structurée permanente. Ces éléments figuraient dans le rapport Gahler/Gonzalez Pons de 2017 qui préconisait la création d’une section spécifique dans le budget de l’Union. Enfin, si le Parlement utilise pleinement ses prérogatives dans les domaines qui relèvent de l’industrie et de la recherche, Moser et Blockmans observent que les questions relatives aux marchés publics sont un peu perdues de vue. Ils suggèrent donc de « demander à la Commission pourquoi la révision des deux directives (de 2009 sur les marchés publics de défense et les transferts de technologie) n’est pas à l’agenda en dépit du manque d’effets qu’ont eu les deux directives sur l’établissement d’un marché européen de la défense ». (OJ)

Carolyn Moser, Steven Blockmans. The extent of the European Parliament’s competence in Common Security and Defence Policy. European Parliament. Directorate-General for External Policies. In-Depth Analysis. PE 702.559. June 2022. 44 pages. Pour accéder à cette étude : https://aeur.eu/f/2oa

Sommaire

REPÈRES
Invasion Russe de l'Ukraine
ACTION EXTÉRIEURE
POLITIQUES SECTORIELLES
SOCIAL - EMPLOI
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
RÉPONSE EUROPÉENNE À LA COVID-19
BRÈVES
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