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Bulletin Quotidien Europe N° 12967

9 juin 2022
Sommaire Publication complète Par article 32 / 32
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N° 061

Dans l’urgence climatique

 

« Notre planète s’achemine vers un réchauffement de + 2,7°C en 2050, bien loin de l’objectif maximal de 1,5°C espéré en décembre 2015 lors de la COP21. En ce début 2022, résonnent encore la déception de la COP26 et le constat de l’« égoïsme » des États, qui continuent à recourir massivement aux énergies fossiles pourtant connues pour être à la source des dérèglements constatés, sans qu’aucune autorité mondiale ne s’impose pour arrêter cette dérive fatale », soulignent Michel Derdevet et Clémence Pèlegrin, qui ont coordonné cet ouvrage collectif et pluridisciplinaire réunissant les contributions de 21 auteurs. Un ouvrage qui a pour objet « d’expliquer, de manière transparente et accessible, les grands enjeux posés par la transition énergétique qui, trop souvent, sont dissimulés par des propos moralisateurs qui n’aident pas à comprendre les véritables défis à affronter ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y parvient, dans un format « poche » et pour un prix modique.

 

Dans un chapitre intitulé « Abondance, rareté, équité », l’économiste français Christian de Perthuis souligne l’importance de construire un monde ZEN (zéro émission nette), ce qui nécessite, d’une part, de « nous débarrasser de notre addiction aux énergies fossiles » et, d’autre part, de renforcer les puits de carbone naturels – l’océan et la biosphère – et de réduire les émissions de méthane et de protoxyde d’azote dont la première source est l’agriculture. « L’enjeu porte ici sur 20 à 25% des émissions mondiales (…). Pour les réduire et restaurer la capacité d’absorption du CO2 rejeté dans l’atmosphère, le levier principal consiste à réaliser la transformation agroécologique : basculer vers des pratiques agricoles écologiquement intensives, qui protègent le milieu forestier et qui reposent sur la valorisation de la diversité du capital naturel, autrement dit la biodiversité », explique l’auteur avant de poursuivre : « L’un des plus grands défis de la construction du monde ZEN sera de coordonner ces deux transformations qui mettent en jeu des logiques différentes. La transition énergétique vise à lutter contre l’abondance d’énergie fossile qui a permis d’accroître massivement celle des biens et des services à notre disposition. La transition agroécologique consiste à investir dans l’abondance du vivant, abondance mise à mal par l’érosion de la biodiversité. L’accélération de la transition énergétique exige la mise en place d’une économie de rationnement quand la transition agroécologique s’inscrit dans la logique d’une bioéconomie qui investit dans la diversité du vivant ».

 

À l’instar d’autres auteurs, Christian de Perthuis souligne le risque d’accroissement des inégalités sociales : « Quand on impose le rationnement de l’énergie fossile sans mesures correctrices, on aggrave mécaniquement les inégalités préexistantes. Primo, les riches disposent de ressources pour s’adapter aux contraintes imposées par la réglementation. De plus, si leur empreinte carbone est nettement plus élevée que celle des pauvres, en proportion de leur revenu, le coût de l’énergie représente une charge bien plus faible. Tout renchérissement des énergies fossiles pèse donc bien plus lourd sur le budget des pauvres. Comme l’a illustré l’épisode des ‘Gilets jaunes’, l’utilisation de ce type d’instrument sans mesures redistributives peut se payer sur le plan politique et retarder la nécessaire programmation du rationnement ». Et l’auteur ajoute : « La bonne leçon est qu’il faut accompagner la montée en régime de la tarification carbone en redistribuant son produit. Une tarification carbone redistributive consiste en premier lieu à rediriger le produit de la taxe vers les bas revenus. Cela peut prendre la forme d’un paiement uniforme per capita ou d’un versement ciblé sur les déciles les plus faibles de revenu pour économiser l’argent public. Cette redistribution ne compense pas les inégalités spatiales résultant du plus ou moins grand éloignement des centres urbains, qui ont été une composante importante de la fronde des ‘Gilets jaunes’. Intégrer un critère spatial à la redistribution financière serait techniquement complexe et surtout contre-productif, car cela inciterait à l’habitat dispersé. Pour lutter contre les inégalités spatiales, il est préférable de cibler des aides spécifiques à la mobilité bas-carbone et à l’amélioration de l’habitat dispersé ».

 

Le politiste néerlandais Dirk Buschle revient sur la dimension géopolitique du Green Deal. « Croire que le Green Deal ne vise qu’à mettre en œuvre l’Accord de Paris de 2015 et à maintenir la hausse des températures mondiales en dessous de 1,5°C serait un grave malentendu », écrit-il, rappelant « l’importance des raisons de seconde intention pour lesquelles nous nous sommes lancés dans une aventure sans précédent : devenir pionniers de la prochaine phase de développement technologique et économique et ne pas être désavantagés face à d’autres puissances mondiales comme la Chine et les États-Unis ». « Dans le même temps, il est clair, d’un point de vue géopolitique, que le meilleur des mondes alimenté par des énergies renouvelables n’est pas la fin de la dépendance, mais constitue plutôt un nouveau départ », affirme Buschle, qui explique : « Tout d’abord, le soleil brille davantage et le vent souffle plus fort dans d’autres régions du monde. Cela ne limite pas seulement la capacité de l’Europe à produire suffisamment d’électricité verte pour satisfaire sa demande croissante : cela détruit également tout rêve de gagner en indépendance dans la production du deuxième combustible du Green Deal qu’est l’hydrogène vert. Toutes les stratégies, y compris celle de l’Union européenne, admettent que les importations d’hydrogène à grande échelle seront inévitables. En outre, la technologie nécessaire à la production d’énergie renouvelable dépend de l’accès à un certain nombre de minéraux critiques et de terres rares qui sont exploités en dehors de la sphère d’influence européenne ». S’il reconnaît néanmoins que « l’Europe peut s’avérer globalement gagnante de la décarbonation », l’auteur estime que « nous devrions probablement nous inquiéter du sort des perdants, en particulier des États pétroliers et gaziers qui dépendent des revenus de l’exportation de combustibles fossiles, et des problèmes et conflits que leur déstabilisation pourrait provoquer à l’échelle régionale et mondiale ». (Olivier Jehin)

 

Michel Derdevet (sous la direction de). Dans l’urgence climatique – Penser la transition énergétique. Gallimard. Collection Folio Actuel. ISBN : 978-2-0729-7290-4. 288 pages. 8,20 €

 

Les nouvelles doctrines des banques centrales

 

Le dernier numéro de la Revue d’économie financière, paru en mars 2022, est consacré aux « nouvelles doctrines des banques centrales » et riche d’une quinzaine d’articles, réunissant 24 auteurs, banquiers centraux, économistes et universitaires.

 

Philip R. Lane, membre du directoire de la BCE, y décrypte la nouvelle stratégie de politique monétaire publiée par la Banque centrale européenne en juillet 2021. L’auteur estime que la fixation d’un objectif de 2% d’inflation à moyen terme « permet (…) à la politique monétaire de prendre en compte des considérations telles qu’une croissance économique équilibrée, le plein-emploi et la stabilité financière ». L’ancienne présidente de la commission des affaires économiques et monétaires, Pervenche Berès, revient sur la responsabilité de la BCE devant le Parlement européen et le délicat équilibre à trouver entre indépendance et crédibilité, dialogue monétaire et légitimité démocratique.

 

« ‘La politique monétaire ne peut pas tout’. Cette limitation doit protéger les banques centrales d’une attente excessive qui, en les éloignant de leur mandat, porterait atteinte à leur crédibilité. Mais elle ne doit pas les empêcher de participer à affronter les défis à venir : montée de l’endettement public, ralentissement de la croissance potentielle, changement climatique, montée des inégalités », estiment François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, Vincent Bignon et Bruno Cabrillac. « L’inflation est à nouveau au cœur d’un intense débat : celui-ci est passé en quelques mois des questionnements sur la faiblesse structurelle d’une ‘inflation manquante’ - durant plus d’une décennie – aux craintes d’un retour d’une inflation excessive et durable », observent les auteurs, qui consacrent une large place aux deux défis majeurs que constituent le changement climatique et la lutte contre les inégalités. S’ils estiment que « la politique budgétaire et fiscale doit rester le principal outil pour lutter contre les inégalités, car elle est, par nature, plus ciblée que la politique monétaire et est plus légitime politiquement au regard des enjeux de la redistribution », les auteurs considèrent que « la politique monétaire peut et doit prendre en compte ces enjeux dans le cadre de son mandat ».

 

« En poursuivant son mandat de stabilité des prix, la banque centrale contribue dans la durée à réduire les inégalités de revenus (…). La baisse continue, sur le long terme, de l’inflation depuis les années 1980 a mieux préservé le pouvoir d’achat des plus pauvres. La question est régulièrement posée avec la politique monétaire accommodante menée depuis la crise de 2007. Cette politique a contribué à réduire les inégalités de revenus principalement via l’accroissement de l’emploi (…). De 2013 à 2019, la zone euro a créé plus de onze millions d’emplois, dont trois millions proviennent des effets de la politique monétaire. Par ailleurs, en période de récession, comme celle de la crise de la Covid, la politique monétaire a évité de nombreuses destructions d’emplois. Inversement, la baisse de la rémunération de l’épargne a davantage touché les plus favorisés », affirment les auteurs, qui semblent oublier, dans ce plaidoyer pro domo, que les « plus favorisés » ont été plus affectés par la fluctuation, globalement très favorable, des cours de bourse que par la rémunération de l’épargne. Ils reconnaissent néanmoins que « la baisse des taux d’intérêt est l’un des facteurs de la hausse des prix des actifs immobiliers et des actions, ce qui a accru les inégalités », mais ils observent que « cette augmentation des prix immobiliers profite à l’ensemble des propriétaires de leurs logements, qui représentent plus de la moitié des ménages de la zone euro ». La moitié la moins favorisée ? (OJ)

 

Association Europe-Finances-Régulations. Les nouvelles doctrines des banques centrales. Revue d’économie financière n° 144. 4e trimestre 2021. ISBN : 978-2-3764-7060-1. 308 pages. 32,00 €

 

Vers une guerre des normes ?

 

« Le recours au lawfare se dessine comme une tendance lourde des relations internationales qui se renforcera à court et moyen terme », écrit Amélie Férey dans cette étude qui identifie les différents axes de manipulation des normes et du droit international par les acteurs étatiques en vue d’établir, de pérenniser ou de renverser un rapport de force dans le but de contraindre un adversaire.

 

Le lawfare peut prendre la forme d’une réinterprétation d’un principe de droit en faveur d’un ou plusieurs acteurs de la compétition stratégique. L’auteur rappelle que la Turquie emploie cette méthode dans ses tentatives de modifications des zones économiques exclusives en Méditerranée. Il en va de même pour les revendications chinoises sur la mer de Chine. Une deuxième catégorie de lawfare consiste en l’émission de nouvelles normes par le moyen du lobbying juridique mis au service d’une stratégie de puissance. « La controverse actuelle sur la régulation du cyberespace illustre les stratégies mises en œuvre par les États, qui peuvent contourner les mécanismes collectifs de discussions internationales », souligne Férey, qui explique : « Les États-Unis ont ainsi proposé un guide interprétatif du droit des conflits armés dans le cyberespace, dit Manuel de Tallinn, dont l’ambition est de contrer la position commune de la Russie et de la Chine, pour qui le droit international humanitaire n’a pas vocation à s’appliquer dans ce nouveau champ de conflictualité. À l’inverse, la Chine utilise ses leviers d’influence au sein d’organisations internationales pour promouvoir une architecture d’internet qui corresponde à ses intérêts, par exemple au sein de l’Union internationale des communications ». La troisième pratique consiste à utiliser les cours nationales ou internationales pour limiter la liberté d’action d’une partie. L’auteur y range l’utilisation par l’Autorité palestinienne des différents mécanismes juridiques à sa disposition pour contraindre Israël au respect du droit international, l’application extraterritoriale du droit américain, l’incarcération d’un cadre français d’Alstom aux États-Unis ou encore l’offensive juridique menée par les États-Unis contre l’entreprise chinoise Huawei. La quatrième et dernière catégorie s’intéresse aux effets réputationnels. « En tant qu’éléments permettant de construire ou de défaire une légitimité, le droit constitue un outil d’influence de premier plan », note Amélie Férey qui ajoute : « Accuser une puissance de ne pas respecter la légalité internationale, même en l’absence de preuve, peut, par exemple, fragiliser la légitimité d’une opération militaire en cours ou faire planer le doute sur une position de politique étrangère ». (OJ)

 

Amélie Férey. Vers une guerre des normes ? Du lawfare aux opérations juridiques. Institut français des relations internationales. Centre des études stratégiques. Focus stratégique n° 108. Avril 2022. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site http://www.ifri.org

 

La clause d’assistance mutuelle

 

Cette note analyse le potentiel de la clause d’assistance mutuelle (art. 42.7 TUE) et ses limites. Estelle Hoorickx et Carolyn Moser rappellent que le déclenchement de la clause n’est pas chose aisée et que l’obligation morale d’assistance qu’elle impose aux États membres laisse à leur discrétion la nature de l’aide apportée à l’État qui fait l’objet d’une agression armée sur son territoire. La clause ne crée pas d’obligation des États membres à l’égard de l’Union et de ses institutions, mais les auteurs estiment qu’on peut « supposer que, si une institution européenne devait être victime d’une agression armée, l’État hôte déclencherait la clause à sa place ». « Il devrait ensuite décider de mettre en œuvre cette disposition de manière bilatérale – l’État hôte prenant la direction des opérations et assurant la liaison avec les autres États membres – ou de conférer ce rôle à un organe ou à une institution de l’UE », expliquent Hoorickx et Moser, avant d’ajouter que « la Boussole stratégique préconise (…) que l’état-major militaire de l’UE (…) joue un rôle dans la mise en œuvre de l’article 42.7 TUE, mais uniquement à la demande des États membres ». (OJ)

 

Estelle Hoorickx et Carolyn Moser. La clause d’assistance mutuelle du Traité sur l’Union européenne permet-elle de répondre adéquatement aux nouvelles menaces ? Institut royal supérieur de défense. e-note 40. 11 mai 2022. Cette note peut être téléchargée gratuitement sur le site de l’institut : http://www.defence-institute.be

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