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Bulletin Quotidien Europe N° 12895

22 février 2022
Sommaire Publication complète Par article 33 / 33
Kiosque / Kiosque
N° 054

Unequal Europe

 

Ce rapport du centre de recherche ETUI de la Confédération européenne des syndicats présente une radiographie très complète des inégalités en Europe et de leur récente évolution dans le contexte de la pandémie due au coronavirus.

 

« L’inégalité a longtemps été regardée comme divisive et socialement corrosive, mais depuis un certain temps, c’est désormais plus qu’une intuition ; les données n’ont pas seulement montré qu’il s’agit là d’effets de grande envergure, mais aussi que les différences entre les sociétés sont importantes, que même de petites différences dans le volume d’inégalité importent et que, même si les pauvres sont le plus touchés, l’inégalité affecte presque tout le monde », écrit Kate Pickett qui souligne une confluence de la pandémie avec les inégalités socioéconomiques et de santé préexistantes. Si la pandémie a bien affecté toutes les classes de la société, les inégalités préexistantes ont accru la magnitude des effets négatifs de la pandémie : « Plus de personnes sont tombées malades, plus de personnes ont été plus malades (…) et plus de personnes sont mortes à cause de ces modèles préexistants d’inégalité ». Ainsi, les travailleurs à faibles revenus ont souvent été dans l’impossibilité de se protéger de l’infection, soit parce que leur travail était considéré comme essentiel et qu’ils n’étaient pas en mesure de se confiner chez eux, soit parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de ne pas aller travailler.

 

Chaque crise entraîne des promesses de réformes qui souvent restent lettre morte. Cela risque à nouveau d’être le cas avec la crise pandémique. Mais l’auteur n’en appelle pas moins à une révolution démocratique, économique et sociale. Au-delà d’une réforme fiscale visant à taxer davantage les plus riches, Pickett évoque l’introduction d’une forme de revenu minimum universel, mais aussi une meilleure représentation des employés à l’intérieur des entreprises et le transfert annuel d’actions de l’entreprise à un fonds contrôlé par les employés. Cette restructuration du capitalisme devrait s’inscrire dans une démarche plus inclusive qui tienne compte des inégalités et des préoccupations de tous les citoyens. « L’inégalité est aussi au cœur de la crise du climat » et il est vain de croire qu’il sera possible de réussir la transition énergétique sans en tenir compte, explique Pickett en soulignant que la crise des gilets jaunes en France a parfaitement montré comment un sentiment d’injustice peut bloquer l’acceptation par l’opinion d’une mesure fiscale présentée comme ayant pour finalité de réduire la consommation de carburants.

 

« Un autre obstacle tout aussi grand sur la voie de la durabilité est le consumérisme et la surconsommation qui, entraînés par une compétition entre les statuts sociaux intensifiée par les inégalités, induisent des pressions et des demandes pour des revenus toujours plus élevés et conduisent les gens à voir dans la durabilité une menace pour les standards de vie plutôt qu’une opportunité de trouver une façon de vivre plus équilibrée et plus épanouissante », explique Pickett, tout en reconnaissant qu’il existe aussi au sein de la population une véritable demande de changement : « Au Royaume-Uni, des enquêtes suggèrent que seulement une personne sur dix voudrait revenir à la vie d’avant (la pandémie ou ‘old normal’ en anglais). Cela ressemble à un fort mandat pour le changement. Et ce que les gens veulent ce n’est pas seulement des services publics et de santé plus forts et de meilleurs traitements et salaires pour les travailleurs essentiels ; ils veulent aussi une société plus fraternelle, qui prenne soin des personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou physique, qui offre aux gens un meilleur équilibre vie-travail et davantage de contrôle sur leur travail (y compris où et combien de temps ils travaillent) et qui prenne soin de l’environnement ».

 

Dans un article collectif consacré au marché du travail, Wouter Swysen e.a. regrettent que le plan d’action relatif au socle européen des droits sociaux (approuvé à Porto en mai 2021) ne corrige pas la primauté du fonctionnement et de l’inclusivité du marché du travail sur les conditions de vie et de travail. Ils estiment que la priorité devrait plutôt être accordée à la formation et à l’adaptation des compétences des travailleurs aux évolutions engendrées par les transitions numérique et verte. Les auteurs émettent aussi des doutes sur la prise en compte du socle européen des droits sociaux dans les plans nationaux (NRRP) approuvés au titre de la mise en œuvre de la Facilité pour la reprise et la résilience (l’enveloppe européenne post-Covid-19 de 672,5 milliards d’euros).

 

Torsten Müller e.a. estiment que la proposition de directive sur le salaire minimum, actuellement en discussion, risque, en fin de compte, de n’avoir de directive que le nom. Pour qu’elle puisse effectivement contribuer à réduire les inégalités et la pauvreté, la directive devrait au minimum faire obligation aux États membres de prendre des mesures pour garantir que le salaire minimum ne soit pas inférieur au double seuil de décence, soit 60% du salaire médian et 50% du salaire moyen, et que le taux de couverture de la négociation collective atteigne au moins 70%. Les auteurs considèrent que la directive n’aura de sens que si elle permet de réduire le nombre de personnes gagnant un salaire minimum qui vivent dans la pauvreté. « La proposition de directive sur le salaire minimum est l’une des dernières chances de prouver aux millions de travailleurs qui n’ont pas une vie décente avec ce qu’ils gagnent que des initiatives comme le socle européen des droits sociaux et, plus récemment, l’engagement social pris à Porto ne sont pas qu’un décor de vitrine. Un échec de la directive proposée à assurer de réelles améliorations pour ceux qui gagnent un salaire minimum minerait davantage le projet d’intégration européenne et renforcerait les forces populistes de droite disposant d’un programme nationaliste et anti-européen », concluent les auteurs. (OJ)

 

Kate Pickett et autres. Benchmarking Working Europe 2021 – Unequal Europe. European Trade Union Institute (ETUI). ISBN : 978-2-8745-2615-2. 186 pages. La version papier coûte 30 €. Le rapport (uniquement en anglais) peut aussi être téléchargé gratuitement sur le site de l’Institut syndical européen : http://www.etui.org

 

The Black Sea Region and European Security

 

Paul Taylor vient de publier chez Friends of Europe une longue étude sur la région de la mer Noire, « devenue l'une des zones stratégiques les plus disputées et les plus dangereuses » dans le voisinage de l’Europe. Il souligne que les tensions actuelles autour de l’Ukraine renforcent encore la nécessité urgente de stabiliser cette région et formule diverses recommandations à cette fin.

 

« Un nouveau départ devrait inclure plus d’engagement politique européen avec les pays de la mer Noire », estime l’auteur, qui suggère le lancement d’une sorte de « Partenariat oriental Plus » pour la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie afin de renforcer l’attrait des normes et de l’économie de l’UE et d’accélérer la lutte contre la corruption dans ces pays. L’Union européenne, qui a adopté des stratégies intégrées pour l’Arctique ou encore le Sahel, serait bien inspirée de faire pareil pour la région de la mer Noire. Une telle stratégie pourrait couvrir les investissements, le commerce, l’énergie, les transports, la navigation et la pêche, la protection de l’environnement, la biodiversité, les contacts entre populations et la sécurité. Paul estime aussi qu’il serait « autodestructeur » de résilier le statut de candidat à l’adhésion de la Turquie. L’UE devrait éviter de fermer des portes et se préparer à une éventuelle reprise des relations politiques et économiques, si la Turquie, après le départ d’Erdoğan, venait à renouer avec une attitude plus coopérative. Dans l’immédiat, afin de clarifier la donne, l’UE devrait rendre publiques les sanctions plus sévères que la Russie se verrait infliger si elle entreprenait une nouvelle action militaire contre l’Ukraine.

 

L’OTAN devrait, selon Paul, indiquer clairement que l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie ne figurent pas à l’ordre du jour dans un avenir prévisible et que l’Alliance n’a aucune intention d’établir une présence militaire dans ces pays. Elle n’en devrait pas moins continuer à soutenir la modernisation des forces armées ukrainiennes et géorgiennes. L’Allemagne et la France devraient suivre l’exemple des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et de la Turquie en offrant à l’Ukraine une coopération bilatérale de défense pour l’aider à moderniser, entraîner et équiper ses troupes. Les États-Unis sont appelés notamment à (1) maintenir une présence navale et aérienne permanente dans la mer Noire, (2) rejoindre, si l’Ukraine et la Russie y consentent, le processus de Minsk, aux côtés de la France et de l’Allemagne et (3) pousser l’Ukraine et la Géorgie à mettre en œuvre les réformes judiciaires et des stratégies agressives de lutte contre la corruption.

 

L’auteur estime que la Russie devrait (1) accepter l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, (2) rechercher un terrain d’entente avec les États-Unis sur la stabilité de la région de la mer Noire et (3) reprendre le dialogue au sein du Conseil OTAN-Russie en vue de développer des mesures de confiance et de déconflictualiser les communications. Enfin, l’Ukraine et la Géorgie sont appelées à mettre en œuvre les réformes indispensables et à s’abstenir de toute agitation visant à réclamer une adhésion rapide à l’OTAN. (OJ)

 

 

Paul Taylor. Murky Waters – The Black Sea Region and European Security. Friends of Europe, 26 janvier 2022. 101 pages. (https://www.friendsofeurope.org )

 

Les valeurs des Russes

 

En analysant les résultats des enquêtes European Values Studies menées en Russie depuis 1999, Pierre Bréchon et Myriam Désert identifient, dans cet article, les particularités propres à la société russe et leur évolution dans le temps. Par rapport aux pays d’Europe occidentale, ils observent ainsi « un attachement moins grand à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes et aux élections libres ». « Inversement, l’accent mis sur la démocratie économique et sociale (…) est plus marqué et l’égalité de revenus est très valorisée, ce qui pourrait s’expliquer à la fois par la culture politique paysanne de l’époque tsariste et par le legs communiste », écrivent les auteurs, qui soulignent aussi que l’obéissance aux gouvernants est majoritairement valorisée. Toutefois, 80% des Russes interrogés affirment depuis 2008 que la démocratie est un bon système alors qu’ils n’étaient que 63% en 1999. Et si avoir un leader fort était bien, voire très bien perçu jusqu’en 2008 (59% des répondants), ils n’étaient plus que 32% à le trouver bon en 2017.

 

Dans ce pays où le nationalisme est très ancré, le rejet des immigrés est de 62% chez les très peu nationalistes et de 82% chez ceux qui le sont beaucoup. À titre de comparaison, le fort rejet des immigrés atteignait en 2017 67% des répondants dans les pays de l’est de l’Union européenne contre 42% en Europe de l’Ouest. Si garantir la liberté d’expression (59% des répondants) et augmenter la participation des citoyens aux décisions (53%) sont les premières priorités des Européens de l’Ouest, les Russes privilégient le maintien de l’ordre et la lutte contre l’inflation (72% et 75% respectivement).

 

L’histoire de la Russie a favorisé une faible politisation de la société russe, qui va de pair avec un faible « potentiel protestataire », soulignent les auteurs, avant d’ajouter : « Ce qui ne signifie pas pour autant soumission absolue au pouvoir. Pendant les premiers mandats de Vladimir Poutine fonctionnait un contrat implicite : beaucoup acceptaient de laisser les mains libres au pouvoir, à condition qu’il assure le bien-être matériel à la société. Avec la paupérisation croissante, la donne change. (…) L’ingérence de l’Etat dans la vie des citoyens n’est pas facilement tolérée, ce que montre une faible acceptation de la surveillance des individus par les instances étatiques, inférieure en Russie à ce qu’elle est en Europe occidentale (…). La forte opposition au vaccin contre le coronavirus, malgré l’explosion récente du nombre de morts, confirme la grande résistance à l’intrusion du pouvoir dans la vie personnelle ». Les Russes sont aussi très méfiants à l’égard d’autrui : ils sont 76% à choisir la prudence et seulement 24% à choisir la confiance, et cette confiance n’a pas bougé depuis 20 ans. Le niveau russe d’individualisme est aussi le plus élevé de tous les pays enquêtés, avec celui de la Hongrie et de l’Estonie.

 

Le pouvoir russe s’est employé à attiser le désir d’unité nationale en jouant sur le thème de la Russie « forteresse assiégée », menacée par le monde occidental, rappellent les auteurs, qui estiment que « l’efficacité de ce ressort s’use, et ce d’autant plus vite que se dégrade la situation matérielle du pays ». Aussi, « même si une propension à l’autoritarisme, inscrite sur la longue durée de la culture politique russe, se fait toujours sentir aujourd’hui, on observe une certaine érosion du tropisme autoritaire. Des sondages effectués par le Centre Levada dans la foulée des législatives de l’automne 2021 montrent également une érosion du sentiment d’impuissance : 30% des Russes disent désormais croire en la possibilité d’influencer le cours des choses dans le pays (ils étaient 10% en 2006) ». C’est à lire dans le dernier numéro de la revue Futuribles. (OJ)

 

Pierre Bréchon et Myrian Désert. Les Russes sont-ils adeptes des valeurs illibérales et autoritaires ? Futuribles, numéro 446, janvier-février 2022. ISBN : 978-2-8438-7459-8. 136 pages. 22,00 €

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