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Bulletin Quotidien Europe N° 12824

3 novembre 2021
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N° 047

La valse européenne

 

« Depuis une douzaine d’années, l’Europe vit en crise permanente, une crise qui lui a fait perdre sa popularité, mais qui à travers la malheureuse aventure du Brexit a paradoxalement montré l’irréversibilité de l’Union. Depuis des années, les leaders populistes se faisaient les champions de l’indépendance nationale. Ils ont dû renoncer à cette solution miracle qui a perdu toute sa crédibilité. L’éclatement de l’Europe n’est plus à l’ordre du jour. Les peuples européens et pas seulement les élites savent qu’ils n’ont d’avenir que dans l’Union européenne. Pour le meilleur, pas pour le pire. Pourtant, le mal rode. La confiance dans la vie commune a cessé d’être une évidence, le doute et la méfiance s’instillent un peu partout. C’est à partir de cette adhésion, plus résignée qu’enthousiaste, qu’il faut reconstruire. Car, face aux défis de l’avenir, l’Europe n’est plus en état de marche », écrivent en guise d’introduction Élie Cohen, directeur de recherche émérite au CNRS, et Richard Robert, qui enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris.

 

En partant de la crise pandémique, les auteurs identifient les trois temps de la gestion européenne des crises : « Le démarrage calamiteux, tout d’abord, quand la division l’emporte, que la décision se fait attendre, que les conservateurs se drapent dans les règles. Puis la réponse dans l’urgence, quand quelques acteurs plus audacieux assument de briser les règles. Ici ce sont la BCE, le couple franco-allemand, la Commission. Enfin, le long moment de négociation, quand, dans la foulée de cette audace, on cherche de nouveaux équilibres et de nouvelles règles ».

 

Cohen et Robert montrent comment cette valse à trois temps se déploie dans un récit en cinq actes de la crise de l’euro. Ils estiment que « les crises européennes ont ceci de particulier qu’elles sont constructrices sur le double plan des outils et des comportements ». Et d’expliquer : « Chacune révèle, dans un secteur ou un autre, des dysfonctionnements qui obligent à mettre en place de nouveaux dispositifs, mais aussi des modes de fonctionnement inadaptés et contre-productifs. Autant de tensions, d’affrontements, d’incompréhensions qui vont, dans la douleur, trouver des solutions. L’Europe a besoin de la crise pour avancer, des erreurs pour apprendre, de l’échec pour réussir. Dans cette approche plus pragmatique que réfléchie, les politiques et pas seulement les institutions doivent s’adapter. Pour très longtemps encore, l’Europe devra vivre en état de transformation permanente ».

 

« Pacifiste et pacifiée, l’Europe avait rêvé, plus que d’autres, la fin de l’Histoire », constatent les auteurs avant d’ajouter : « L’Europe tout entière, dans cette longue crise à rebonds, a repris le cours d’une Histoire à laquelle elle avait tenté d’échapper et à quoi l’ont ramenée la méga crise de l’euro, les « Xit » et les chocs exogènes : Trump et Xi Jinping, les migrants et Erdoğan, Poutine, le virus. On peut décrire ces chocs et tensions comme trois modalités du temps historique, dont elle a fait l’épreuve et dont elle sort sonnée, mais aussi renforcée ».

 

Cohen et Robert esquissent dix pistes pour l’avenir. Ils estiment notamment que l’Union doit mieux articuler ses politiques et qu’il est nécessaire de « relancer, en le reformulant, un vieux débat sur l’approfondissement de l’Union ». « Une nouvelle version du Pacte de stabilité et de croissance irait dans ce sens en redonnant davantage de marges de manœuvre budgétaires aux États en échange d’une plus grande responsabilité en cas de dérapage », écrivent les auteurs, avant de poursuivre : « Au-delà de ces ajustements subsistent les différends majeurs identitaires et en matière de défense qu’il est vain d’imaginer résorber même à moyen terme. Il faut en tirer les conséquences. Si le choix des démocraties illibérales est de défendre à tout prix leur souveraineté retrouvée après des décennies passées sous le joug des anciens empires, alors il faut renoncer à la mutualisation de certaines politiques, par exemple pour les réfugiés, et revoir en conséquence Schengen. Si l’Allemagne ne parvient pas à trancher en matière de défense entre une opinion tentée par le pacifisme et un engagement tangible (budgétaire et stratégique), alors il faudra réinventer la géométrie variable ». Et d’ajouter : « La leçon de ce livre est que c’est davantage une meilleure intégration (à même de produire des décisions plus justes, plus rapides, mieux adaptées aux différences au sein de l’Union) qu’une plus grande intégration qui est à rechercher ». (Olivier Jehin)

 

 

Elie Cohen et Richard Robert. La v alse européenne – Les trois temps de la crise. Fayard. ISBN : 978-2-213-71799-9. 478 pages. 25,00 €

 

Covid-19, science et politique

 

Michel Claessens, qui a notamment géré la communication d’ITER et travaillé au sein de la DG Recherche de la Commission européenne, analyse dans cet essai les stratégies développées par différents pays, en particulier la Chine, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, dans le cadre de la crise pandémique. Il met l’accent sur les interactions entre politiques et scientifiques et interroge sur le discrédit qui en découle.

 

« Un sondage réalisé en France en avril 2020, donc en plein confinement, révélait une perte de 10 points dans la confiance à l’égard de la communauté scientifique », rappelle l’auteur en relayant le cri de détresse du généticien Axel Kahn : « Qu’avons-nous manqué, nous les intellectuels, scientifiques et vulgarisateurs de la fin du 20e siècle ? » Et Claessens d’ajouter : « Il y a tout à parier que, si la voix des chercheurs n’est plus entendue ni même écoutée, la voie de la science sera de moins en moins empruntée par la société. Les blouses blanches ont désormais à faire face aux gilets jaunes de l’antiscience et des théories complotistes. L’ignorance est un terrain de premier choix pour la croissance du virus. Rêve académique ou réalisme technoscientifique : pourra-t-on gagner ce combat-là ? La politique et l’industrie sont les grands vainqueurs de cette crise ».

 

Mais à qui la faute ? Aux politiques qui se sont servis des scientifiques, sans doute. Aux médias, toujours en manque d’experts et de polémiques, assurément. Mais les scientifiques ont aussi leur part de responsabilité, comme le souligne l’auteur : « Quand j’entends certains experts en virologie et docteurs ès épidémiologie parler à la télévision ou à la radio en ‘prime time’, il y a à vrai dire parfois peu de différence avec les politiques. Leur assurance peut passer pour de l’arrogance et, au final, ils prêchent tous pour une chapelle : il y a les idéologues du confinement, les convaincus de la modélisation, les militants de la vaccination, les supporters de la ‘testologie’, etc. Bref, ils ont tous un parti pris – ou pris parti… On a pu voir également que certains scientifiques qui communiquent souvent dans les médias ‘grand public’ deviennent de moins en moins scientifiques ». Claessens rappelle que, pour le sociologue allemand Max Weber, le scientifique analyse le monde alors que le politique prend position. Aussi, le scientifique n’a-t-il pas à faire de la politique. Il doit préserver son autorité, garante de la compréhension des faits. « Prétendre que la politique peut suivre la science est une tromperie », affirme donc Michel Claessens.

 

L’auteur pointe aussi du doigt la privatisation croissante du secteur de la santé, les logiques de rentabilité appliquées à l’hôpital public et l’érosion continue des budgets de la santé, mais aussi de la recherche. « Les spécialistes des coronavirus ont dénoncé à maintes reprises l’absence de financement à long terme pour soutenir la mise au point de molécules antivirales à large spectre. Plus largement, la communauté scientifique exhorte depuis des années les gouvernements à donner plus de moyens à la recherche. Car on ne peut en même temps vanter les progrès de la technoscience et négliger la recherche fondamentale. En Europe, ce combat est devenu une litanie de bonnes paroles. Les demandes d’augmentation des budgets consacrés à la recherche scientifique passent en général à la trappe. À l’opposé de la Chine, qui connaît la plus forte augmentation de budget de R&D au monde. La crise a bien montré que le niveau trop modeste des budgets de la recherche se paie lourdement », écrit Claessens.

 

Pour améliorer la lutte contre la désinformation et la mésinformation, l’auteur suggère enfin la création d’une « agence d’information indépendante, professionnelle et internationale spécialisée dans la santé, qui impliquerait médecins, académiques, chercheurs, soignants et journalistes dans une perspective multidisciplinaire, afin de combiner expertise scientifique et communication professionnelle ». (OJ)

 

Michel Claessens. Covid-19, science et politique. Éditions Les trois colonnes. ISBN : 978-2-38326-145-2. 302 pages. 22,00 €. Une version anglaise de l’ouvrage est parue sous le titre « The Science and Politics of Covid-19 » chez Springer Nature Switzerland AG.

 

Mijmeringen

 

« La vie continue de m’émerveiller », écrit dans ces « rêveries » un Herman Van Rompuy plus poète que jamais. « La vie elle-même, ce qui se passe en dehors de moi, est (…) impénétrable. Beaucoup de choses nous arrivent, nous dépassent. C'est pourquoi je minimise mes propres mérites », souligne l’ancien président du Conseil européen en avant-propos à ce journal à la fois très personnel et si peu politique. Parce que « la politique ne jouait tout simplement plus de rôle lorsque le soir, je fermais la porte d’entrée », explique-t-il. Mais aussi parce qu’il dit avoir quitté la scène politique en 2014 sans la moindre nostalgie : « Je suis fier de ce que j’ai pu réaliser durant toutes ces années, mais c’était fini ».

 

Dans ce journal qui couvre les années 2004 à 2021, avec une interruption entre février 2014 et février 2017, la politique cède la place à la culture, la foi catholique, dont Herman Rompuy est imprégné, et la philosophie, notamment face à la mort. Beaucoup de citations, de Shakespeare à Éric Emmanuel Schmitt, en passant par Saint-Exupéry, Heinrich Heine, Rudyard Kipling, Saint Ignace de Loyola, Montaigne ou encore Alain Finkielkraut viennent illustrer les vagabondages de l’auteur, qui finissent souvent dans la contemplation, le mysticisme et la prière, à l’image de celle qu’il nous livre à la date du 20 juin 2006.

 

Si c’est la perte en 2004, à neuf jours d’intervalle, de son père et de sa mère qui marque naturellement l’auteur, il évoque aussi les décès de nombreuses personnalités belges. Le 24 juin 2009, il note : « Karel Van Miert est mort subitement. Dans son verger bien-aimé. La maison et le jardin, soigneusement construits et réunis, sont en friche. Les fruits vont continuer à pendre aux arbres. Tout s'arrête et plus rien n'a de sens. Cela n'a de sens que pour les vivants ».

 

Au soir de son entrée en fonction comme président du Conseil européen, le 1er janvier 2010, il écrit : « Je suis depuis aujourd’hui officiellement en fonction. Een undiscovered country. Tout le monde est positif à mon sujet. Pour combien de temps ? C’est une étrange sensation et expérience ». « Le 11 février, j’ai eu mon premier Conseil européen. Je suis content, très content du déroulement. En douceur, j'ai pu amener les grands pays à un résultat et les empêcher d'être les gagnants. Surtout, nous avons évité une crise sur les marchés financiers », écrit Van Rompuy, qui est visiblement encore loin d’imaginer la succession de crises à laquelle l’Union et ses États membres vont devoir faire face. À la veille de son 25e Conseil européen, le 26 juin 2013, il note : « Les problèmes s'accumulent dans une situation où il n'y a pas que l'Europe qui se trouve à la croisée des chemins. Nous savons que l’actuel ‘way of life’ est pratiquement intenable, mais nous refusons de nous adapter. Ou du moins pas assez. Plus que jamais, nous avons besoin d’une vision à long terme, mais l’individualisme nous rive sur le court terme ».

 

Certaines pages évoquent ces voyages et déplacements officiels. Ainsi, à l’occasion d’un voyage privé au Rwanda en 2006, il note qu’à la différence des voyages officiels « où vous ne voyez que ce que les autorités veulent vous montrer », il a pu se faire « une image nuancée ». Et il ajoute : « Je n’appartiens pas à ceux qui, après une visite (officielle) de quelques jours, deviennent des experts autoproclamés ».

 

L’ouvrage comprend aussi une centaine de haikus, dont un consacré à l’Europe :

 

« Une couronne d’étoiles

Tanguant sur la mer bleue

Ensemble pour toujours »

 

Herman Van Rompuy. Mijmeringen – Dagboeknotities en haiku’s 2004-2021. Davidsfonds Uitgeverij. ISBN : 978-9-022-33816-2. 221 pages. 29,99 €

 

Sus au goupil !

 

Aussi riche qu’hétérogène, le dernier numéro de la Revue générale fait mémoire du 11 septembre et des vingt années qui se sont écoulées depuis l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center. Sous le titre « Sus au goupil ! », Jean-Pol Masson nous offre une analyse passionnante des principes juridiques évoqués dans le Roman de Renart dans la deuxième moitié du 12e siècle. Enfin, pur moment de plaisir, on y croise Sacha Guitry, rencontré et raconté par Marc Danval. (OJ)

 

Jean-Pol Masson. Sus au goupil ! – Le droit dans le Roman de Renart. Revue générale n° 2021/3 – septembre 2021. Presses universitaires de Louvain. ISBN : 978-2-390-61162-2. 221 pages. 22,00 €

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