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Bulletin Quotidien Europe N° 12804

5 octobre 2021
Sommaire Publication complète Par article 30 / 30
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N° 045

La réparation du monde

 

Avec ce roman, l’écrivain et dramaturge croate Slobodan Snajder nous plonge dans l’histoire de l’Europe centrale et orientale, celle des empires où cohabitent des populations extrêmement diverses et celle des nationalismes, des populismes, du fascisme et du communisme, avec ses phases de déplacements de population et de nettoyage ethnique. « La réparation du monde », paru en croate en 2016, sous le titre original « Doba mjedi » (l’âge d’airain), et en Français en 2021, nous fait revivre l’épopée d’une famille souabe, les Kempf, recrutée par l’impératrice Marie-Thérèse pour coloniser les terres slaves, roumaines et autres, aux confins de l’Empire austro-hongrois.

 

Tout commence en 1770 avec le départ du jeune Georg Kempf pour la Transylvanie. Ce dernier finira sa course et fera souche en Slavonie, l’actuelle Croatie. Mais la figure centrale du roman est un autre Georg Kempf né environ 150 ans plus tard et condamné à se découvrir Volksdeutscher. Étudiant en médecine, il se voit enrôlé dans la Waffen SS lorsque Hitler appelle les Volksdeutsche, les Allemands ethniques ou de « l'extérieur », à rejoindre ses forces armées. Kempf vit ainsi le sort très particulier des « volontaires forcés » ou « Freiwillige-gezwungene » dans le sud de la Pologne en 1943 et 1944, non loin des camps d’extermination.

 

Alors que l'armée allemande essuie ses dernières défaites à l'Est, il parvient à s'enfuir dans la forêt polonaise et à rejoindre, après de multiples rencontres, un groupe de maquisards. Au nombre de ces rencontres figure celle d’un mystique juif, rescapé de Treblinka, qui va tenter de convertir Georg à l’occasion d’une longue discussion sur la création et la responsabilité de l’homme, puisant même dans la kabbale et le concept du « tikkoun olam » qui donne son titre français au roman.

 

À la Libération, muni d'un certificat de combattant soviétique, il regagne sa terre natale, dans une Yougoslavie en pleine révolution. Là, il rencontre Vera, alias ‘la grenouille’, militante communiste. Une histoire d'amour se noue entre ces deux êtres aux parcours aussi différents que chargés en souvenirs tragiques. De cette union naîtra un enfant qui, dès avant sa naissance, fait déjà office de narrateur.

 

La vieille légende allemande du joueur de flûte de Hamelin traverse aussi le roman comme une mise en garde contre tous les charlatans et les bonimenteurs, mais aussi contre tout esprit de suivisme. « Il semble que le joueur de flûte-messager bariolé qui avait emmené les enfants avec les rats peut ressurgir à n’importe quel endroit de la sphère terrestre », écrit l’auteur pour nous rappeler que nous ne serons jamais à l’abri des ravages auxquels conduit l’instinct grégaire de l’être humain.

 

Le récit repose de toute évidence sur un sérieux travail de documentation et Slobodan Snajder ne réussit pas seulement à rendre les atmosphères, il restitue avec finesse toute la complexité des psychologies et des interactions sociales et politiques de la période la plus noire de l’histoire européenne. (Olivier Jehin)

 

Slobodan Snajder. La réparation du monde. Traduit du croate par Harita Wybrands. Éditions Liana Levi. ISBN : 979-10-349-0349-8. 620 pages. 24,00 €

 

L’Europe contre l’Europe

 

Le titre de cet ouvrage est aussi obscur qu’intrigant, et donc vendeur. Son auteur, le général français Jean-Yves Lauzier, qui a terminé sa carrière à la tête des 23 écoles de l’Armée de terre, s’est donné pour mission de montrer comment l’antagonisme entre deux visions radicalement différentes de l’organisation politique, la perspective impériale et la solidarité nationale, traverse et, dans une certaine mesure, structure l’histoire européenne.

 

À cette fin, l’auteur nous offre une grande fresque historique qui s’étale entre la chute de l’Empire romain d’occident en 476 et l’actualité d’une Union européenne confrontée au Brexit et aux manifestations identitaires. Le style est limpide et l’argumentation relativement objective, comme lorsque l’auteur écrit : « Cette différence entre le rêve impérial et le rêve national va tout au long des siècles nourrir les guerres fratricides européennes, mais aussi les débats politiques et philosophiques intérieurs. Les hommes, n’étant jamais complètement désintéressés, et dissimulant le plus souvent leurs ambitions personnelles derrière des paravents philosophiques ou doctrinaux, choisiront, en fonction de leurs intérêts, le rêve impérial ou le rêve national. Quelquefois, certains seront porteurs de l’une et de l’autre vision par pure spéculation intellectuelle ou par un total idéalisme. Mais les circonstances du moment et les hommes qui les rallieront, toujours plus ou mois ambitieux pour eux-mêmes, infléchiront inexorablement vers le profit personnel ou collectif l’idéal porté par ces esprits, le plus souvent brillants et généreux ».

 

Mais le général est national et n’hésite pas à faire remonter, pour la France, « un premier sentiment national » à l’élection de Hugues Capet en 987. Au fil des pages, il se révèle aussi de plus en plus critique à l’égard d’une Union européenne perçue comme mercantile. Selon l’auteur, « la construction européenne puisait à la fois dans la souffrance vécue par les acteurs européens des deux guerres mondiales, dans la nostalgie d’un Saint Empire plus ou moins rêvé, dans les perspectives d’une économie de marché ouverte, mais aussi dans des intérêts supranationaux favorables aux États-Unis ». Et il ajoute : « La construction européenne allait d’abord hésiter entre ces voies, cherchant à les amalgamer, tout en s’orientant progressivement vers une confrontation assumée à l’égard des souverainetés nationales. Avec pour arrière-plan les intérêts américains et la puissance des lobbys financiers, l’Union européenne allait prendre rapidement le virage du cosmopolitisme financier et marchand, sans souci de l’identité profonde de ses peuples ».

 

« Or les peuples européens se reconnaissent difficilement dans des zones marchandes ou dans des valeurs dont la définition est souvent si vague que chacun y met ce qui lui convient. Le malaise actuel des Gilets jaunes en France, au-delà des revendications matérielles, se nourrit inconsciemment de ces ambiguïtés et du refus des responsables politiques de renouer avec les identités nationales », affirme Lauzier, avant de poursuivre par un raccourci aussi saisissant que discutable : « L’Empire carolingien, par ses difficultés à protéger ses habitants des invasions normandes, magyares ou sarrasines, a contribué à l’essor d’identités locales, rapidement devenues nationales ; de même le Saint Empire, par sa volonté hégémonique, a participé à l’éveil d’identités locales s’opposant à sa volonté de domination. L’Empire napoléonien centré autour de l’hégémonisme français et sa prétention à apporter les Lumières au reste de l’Europe ont suscité des oppositions nationales farouches. À son tour, l’Union européenne, qui combine à la fois le cosmopolitisme marchand et des exigences morales universalistes, suscite un rejet identitaire grandissant chez les peuples qu’elle veut guider vers un bien-être matériel et idéologique, mais désincarné et sans racines ». Ce syllogisme mêlant adroitement des faits (les difficultés de l’Empire carolingien, la tentation hégémonique de l’Empire napoléonien ou encore le rejet grandissant, en partie identitaire, que suscite l’Union européenne) et des interprétations erronées (les identités locales préexistaient au très bref Empire carolingien - 124 ans dans son extension maximale – et lui ont naturellement survécu ; les divisions dynastiques et l’affaiblissement continu a surtout contribué à l’essor de la féodalité et c’est bien plus tardivement, et le plus souvent sous la contrainte, que les identités locales se sont fondues ou ont été agrégées en de nouvelles identités nationales) voudrait nous faire accroire que l’Union européenne est vouée à s’affaiblir inexorablement ou à disparaitre rapidement.

 

L’Islam « vient bousculer violemment le confort matérialiste dont les partisans supranationaux se servaient pour endormir la conscience identitaire de leurs opinions publiques », estime encore l’auteur, avant de proclamer sa foi dans une nation salvatrice : « Cette irruption, régulièrement sanglante, vient réveiller petit à petit ces consciences assoupies, qui sentent brutalement que leurs fondements civilisationnels sont en train de trembler, risquant même de disparaître. Et face à ce péril délétère, les citoyens européens comprennent que leur nation constituera peut-être le seul et dernier rempart capable de sauver ce qu’ils ont reçu des générations passées et qu’ils voudraient pouvoir transmettre à leurs descendants. C’est pourquoi, loin d’être dépassée, comme un héritage encombrant, la nation constitue encore une réponse aux défis de demain ». (O J)

 

Jean-Yves Lauzier. L’Europe contre l’Europe. L’Herne. ISBN : 979-1-0319-0398-9. 246 pages. 14,00 €

 

Union européenne et protection des investissements

 

Cet ouvrage collectif, paru dans la collection « Droit de l’Union européenne » dirigée par Fabrice Picod, propose, à partir des regards croisés d’universitaires français, japonais, vietnamiens et d’experts de la Commission européenne, une comparaison entre les divers droits d’investissements et les diverses modalités de règlements des différends entre investisseurs et États. Christine Guillard (Université de Tours) y rappelle notamment que la compétence exclusive de l’Union européenne se limite aux investissements directs, les investissements indirects relevant de la compétence partagée avec les États membres.

 

« Depuis un certain temps, on assiste à un pivotement des échanges commerciaux vers l’Asie-Pacifique où prospèrent les économies émergentes, Chine et pays de l’ASEAN en tête. Ainsi, la part de la Chine dans les exportations mondiales de marchandises est passée de 5% en 2000 à 15% actuellement, soit une évolution légèrement inférieure à celle constatée dans l’Union européenne, mais supérieure au niveau atteint par les États-Unis (11%) et le Japon (4,5%). Face à cette réalité, les Européens en Asie-Pacifique sont donc confrontés à deux défis majeurs : se prémunir face à la concurrence mondiale sur les marchés les plus porteurs de cette région, d’une part ; élaborer, sur le plan bilatéral, les nouvelles règles du commerce international avec certains partenaires stratégiques, d’autre part », constate Michel Trochu (Université de Tours) non sans souligner que les relations avec la Chine sont loin d’être un long fleuve tranquille, compte tenu des réticences de Pékin à garantir « un accès au marché et des conditions de concurrence égales » aux entreprises européennes opérant en Chine.

 

Nicolas Pigeon (Université Côte d’Azur) évoque la protection des indications géographiques en matière viticole dans les accords de libre-échange entre l’UE et les États d’Asie-Pacifique. « Pour l’Union, l’intérêt de cette pratique conventionnelle bilatérale est manifeste pour au moins deux raisons principales. D’une part, les États de la région Asie-Pacifique, comme la plupart des grands États producteurs de vin, n’ont pas adhéré à l’arrangement de Lisbonne (sur les appellations d’origine et les indications géographiques : NDLR). Ils ne sont donc pas liés par le mécanisme d’enregistrement international des appellations d’origine auquel l’Union participe, elle, activement. D’autre part, la mise en place au niveau bilatéral de ces registres d’indications géographiques protégées permet de contourner les difficultés de la négociation sur ce sujet dans le cadre du système commercial multilatéral. En effet, malgré l’insistance de l’Union pour que soit mis en œuvre l’article 23, paragraphe 4 de l’ADPIC sur l’établissement d’un système multilatéral de notification et d’enregistrement, les négociations sont pour l’heure bloquées », constate l’auteur, qui estime que « la voie conventionnelle bilatérale présente pour l’Union de réels avantages ». À l’issue des négociations avec la Corée du Sud et le Japon, l’Union a ainsi obtenu la reconnaissance et la protection d’environ 200 indications géographiques, dont une centaine en matière viticole. L’ordre de grandeur est le même dans les accords conclus avec Singapour et le Vietnam.

 

L’ouvrage consacre aussi une large place aux politiques d’investissement du Japon et au droit japonais relatif aux investissements étrangers. (OJ)

 

Abdekhaleq Berramdane et Michel Trochu (Sous la direction de). Union européenne et protection des investissements. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-6919-4. 411 pages. 80,00 €

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